Transformer le monde : ces six croyances fausses qui nous bloquent

Il n’existe pas de méthode garantie de changement, mais il existe des croyances (modèles mentaux), qui sont de fausses évidences et qui empêchent celui-ci.

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Transformer le monde : ces six croyances fausses qui nous bloquent

Publié le 30 septembre 2020
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Par Philippe Silberzahn.

Jamais notre monde n’a eu autant besoin de se transformer et jamais cette transformation n’a paru aussi difficile pour les organisations ou pour la société. L’une des raisons tient aux modèles mentaux que nous avons à propos de la nature du changement.

En particulier, six croyances fausses sont particulièrement bloquantes, bien qu’elles constituent pour beaucoup des évidences. Une prise de conscience de leur fausseté ouvrira la voie à des approches nouvelles de la transformation.

Première croyance : la taille des moyens mis en œuvre doit correspondre à l’ampleur du problème

Nous croyons que pour résoudre un grand problème, il faut agir en grand. Ça paraît logique. On ne creuse pas le tunnel sous la manche avec une pelle à tarte après tout, n’est-ce pas ? Et pourtant c’est rarement le cas. La guerre contre la drogue aux États-Unis a été lancée en fanfare par le président Richard Nixon en 1970 et cinquante ans après, l’Amérique consomme toujours plus de drogues ; malgré des moyens colossaux, cette guerre est un échec abyssal et ses conséquences sociales sont désastreuses.

La croyance selon laquelle tout grand problème peut être résolu dès lors qu’on y met les moyens est partiellement vraie pour des problèmes techniques (compliqués) comme le creusement d’un tunnel, mais pas pour des problèmes sociaux (complexes) dans lesquels des moyens importants peuvent créer des effets pervers.

Deuxième croyance : il faut une vision pour résoudre un grand problème

Nous croyons que les leaders doivent avoir une vision claire pour transformer le monde, que la vision est un préalable nécessaire à tout grand projet, et que pourvu que la vision soit bonne, le reste n’est qu’affaire d’exécution.

Cette croyance traduit une conception cartésienne distinguant les penseurs des acteurs sans véritable lien entre les deux, et surtout considérant les acteurs comme incapables de penser et d’élaborer la vision collectivement.

En situation d’incertitude, avoir une vision peut pourtant être contre-productif. On définit une vision et boum, l’environnement change (Covid !) et il faut tout reprendre à zéro.

De nombreux exemples montrent qu’une vision n’est pas nécessaire pour réussir. Ni Ikea, ni 3M, ni AirBnB, ni Google, ni Facebook n’avaient de vision à leurs débuts. La plupart des entrepreneurs font émerger leur vision chemin faisant, au travers de petites actions basées sur l’application des principes de l’effectuation.

Elon Musk est une exception, mais on mesure les risques qu’il prend… Pas sûr que les entreprises soient nombreuses à vouloir jouer ce jeu… On peut généraliser : il n’est pas nécessaire d’avoir une vision pour réussir une transformation ou même une révolution.

Franklin Roosevelt n’avait aucune vision lorsqu’il est devenu président des États-Unis en 1933 pour faire face à la très grave crise économique que l’Amérique connaissait alors. Il l’a d’ailleurs admis d’entrée de jeu dans son discours inaugural : je n’ai pas de solution, nous allons essayer des choses, certaines vont marcher, d’autres vont échouer, nous verrons bien. Ce qu’il propose au pays c’est un principe (ne pas avoir peur et essayer des choses), pas une vision.

La cage, ce sont nos croyances (Source: Wikipedia)

Troisième croyance : résoudre un problème complexe est une question de volonté

Nous croyons qu’il n’y a pas de problème qu’une volonté suffisante ne puisse résoudre. Après tout depuis Descartes, l’homme se veut « maître et possesseur de la nature », et donc tout est résoluble dès lors qu’on le décide et qu’on y met les moyens.

« Vouloir c’est pouvoir » dit la maxime populaire, toujours moins sage qu’on ne pense. Cette croyance en suppose une autre : que tout problème a une solution unique qui existe, cachée quelque part, et qu’en cherchant bien on la trouvera. Or souvent, plus on « pousse », plus le système « repousse » avec des effets inattendus.

Et donc la persistance de problèmes complexes suscite l’incompréhension et la frustration des honnêtes gens. La délinquance ne disparaît pas ? Mais que fait le gouvernement ? Des voitures brûlent dans les banlieues et aussitôt le ministre annonce un plan.

Le problème quitte la Une des journaux sans qu’on sache bien pourquoi pour réapparaître quelques mois ou quelques années plus tard, et le nouveau ministre annonce lui aussi un plan. Les plans « volontaristes » se succèdent et rien ne change.

Quatrième croyance : l’ampleur perçue d’un problème est facteur de mobilisation pour le résoudre

Nous croyons que plus la cause est présentée comme importante, plus les gens se mobiliseront. Selon cette croyance, l’action obéit au mécanisme suivant : la gravité et l’ampleur du problème suscitent l’éveil d’un individu, le fait qu’il devienne sensible au problème ; l’éveil entraîne la mobilisation, c’est-à-dire la décision d’agir, qui à son tour entraîne l’action elle-même.

Plus un problème est ressenti comme grave et imminent, plus il suscitera l’éveil, et plus il suscitera l’éveil, plus il fera l’objet d’une mobilisation et donc plus cela déclenchera l’action.

La difficulté c’est que lorsque l’ampleur perçue des problèmes est augmentée dans le but de mobiliser l’action, celle-ci devient au contraire plus difficile, et c’est un effet pervers de la mobilisation : l’échelle massive à laquelle les problèmes sont présentés empêche souvent toute action déterminante car les limites de notre rationalité sont rapidement dépassées et que notre éveil est élevé à des niveaux pour lesquels nous sommes dysfonctionnels.

On définit les problèmes sociaux d’une manière qui dépasse notre capacité à faire quoi que ce soit pour y remédier. Il en résulte frustration, colère et impuissance. Plus le problème est présenté comme important et grave, moins nous nous sentons capables d’y faire quoique ce soit.

La hauteur de l’enjeu conduit à la paralysie et à la peur, empêchant l’action ou donnant l’impression qu’elle est vaine de toute façon. Si l’effondrement est proche, amusons-nous en attendant la mort et inch Allah !

Cinquième croyance : la capacité de résolution d’un problème est liée à la position hiérarchique

Nous croyons que plus le problème est important, plus il faut être haut dans la hiérarchie de la collectivité pour pouvoir le résoudre. C’est pour cela qu’on me dit souvent « à mon niveau je ne peux rien faire », « voyez avec mon chef, lui il pourra résoudre ce problème » ou « il faut que le PDG règle ça, seul lui peut le faire ». Mais c’est une croyance largement fausse.

Naturellement quelqu’un en situation de pouvoir peut activer des leviers non accessibles au commun des mortels, mais il ne peut souvent pas résoudre le grand problème davantage que nous.

Un président peut intervenir pour résoudre une question simple et directe par un acte d’autorité, comme par exemple annuler la fermeture d’un petit hôpital de région, mais pas pour résoudre un problème complexe, comme nous l’avons vu avec le plan de Nixon contre la drogue, car un tel problème n’est pas réductible à une décision d’autorité.

À partir d’une certaine dimension, la gestion d’un collectif est en effet forcément indirecte. La plupart des problèmes ne peuvent pas être résolus en partant du haut, mais seulement en partant du bas, à petite échelle.

Sixième croyance : le changement c’est faire table rase du passé

Nous croyons que pour changer le monde il faut faire table rase du passé. C’est particulièrement vrai en situation de crise, comme on l’a vu avec la Covid-19 où on a beaucoup parlé du « monde d’après ».

C’est évidemment la posture de tous les révolutionnaires de droite comme de gauche, celle de la croyance en un grand soir où tout changerait, un Grenelle de ceci ou de cela, et de ceux qui salivent en attendant le grand effondrement. Et donc très souvent, l’activiste pragmatique se trouve coincé entre deux extrêmes : les utopistes qui veulent tout changer, mais ne font rien, et les conservateurs qui ne veulent rien changer ; sans parler des extrémistes qui veulent tout casser.

Or si la plupart des gens souhaitent sincèrement changer le monde, ils veulent néanmoins en conserver de nombreux aspects. En ce sens, l’échelle du changement souhaité par le plus grand nombre est modeste, c’est-à-dire que celui-ci doit selon eux consister en une modification de certains aspects, mais pas de tout le système.

Cette modération qui correspond à une logique réformiste plutôt que révolutionnaire suscite naturellement l’opprobre des idéalistes, mais elle est très souvent majoritaire.

En conclusion, il n’existe pas de méthode garantie de changement, mais il existe des croyances (modèles mentaux), qui sont de fausses évidences et qui empêchent celui-ci. Particulièrement en période de rupture, un examen systématique de nos croyances est un préalable indispensable pour les rendre explicites et supprimer les blocages en ouvrant de nouveaux possibles.

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  • La quatrième croyance peut également être très contre-productive : voir la croyance sur les effets catastrophiques des faibles niveaux de radiation sur la santé ( malgré les études bien documentées sur les victimes d’Hiroshima et Nagasaki, et, plus récemment, Tchernobyl, pour lequel même Paris-Match a parlé de 150.000 morts ) ou sur les délires environnementalistes entourant les OGM, malgré plus de vint-cinq ans d’usage.

  • Globalement d’accord sauf avec une petite phrase dans la 6e croyance : « C’est évidemment la posture de tous les révolutionnaires de droite comme de gauche ».
    C’est pour moi seulement les révolutionnaires « de gauche » qui veulent faire table rase du passé, on le voit tous les jours avec les écolos, les anti-racistes et autres joyeux lurons… Au contraire des révolutionnaires « de droite » qui eux s’attachent généralement à leur racine.

  • Votre « deuxième croyance » (il faut une vision) est un mal typiquement français. L’esprit cartésien emploie de façon privilégiée la méthode déductive, alors que souvent c’est l’empirisme qui devrait guider. Essais, erreurs, correction de trajectoire… Hippolyte Taine, dans ses « Origines de la France contemporaine », montre comment les révolutionnaires de ’89 opéraient « par déduction, à la manière de Rousseau, d’après des notions abstraites », et refusaient l’empirisme. Il compare les constituants à des fabricants de navires. Les uns, constructeurs de « navires empiriques », procèdent « par tâtonnements ou sur le modèle de vaisseaux voisins : on souhaitait avant tout que le bâtiment pût naviguer ». En France, l’Assemblée était « trop éclairée pour se traîner dans la routine, et (…) par le seule vertu de la géométrie politique, on aura le navire idéal ».
    Ce goût pour les théories (les visions) s’explique beaucoup par l’insuffisance aggravée par l’infatuation, aux conséquences évidentes aujourd’hui avec la crise sanitaire. Nos intellectuels-sic, nos dirigeants progressistes, abordent la politique avec la suffisance de ce gentilhomme « à qui l’on demandait s’il savait jouer du clavecin et qui répondait : Je ne saurai vous dire, je n’ai jamais essayé, mais je vais voir ».

    • Oui !

      Et puis avoir une « vision » dispense d’avoir des idées et encore plus d’avoir à les expliquer.

      Et c’est bien pratique.

      • C’est bien pratique, et très dangereux. La dérive totalitaire est déjà en germe dans les idées toutes faites – purs produits de l’intellect. La pente est ensuite facile à emprunter : j’ai raison, et la fin justifie les moyens. Cette pente à l’opposé de la pente libérale, qui est avant tout un pragmatisme.

  • Des individus libres et responsables n’ont pas besoin de « changer le monde ». C’est une branlerie politique, qui leur est totalement étrangère mais que l’auteur s’évertue ici à valider en regrettant les « erreurs » qui empêchent d’atteindre ce noble objectif.

    En réalité, la seule chose qu’il est nécessaire de changer à l’heure actuelle, c’est le système qui permet à des politiques, abrités derrière la violence de l’état, d’enfumer les électeurs à l’aide de tels concepts de propagande complètement foireux.

  • Article très intéressant, mais nous sommes aujourd’hui submergés de faux problèmes (le réchauffement climatique, un virus banal, etc.) qu’on nous présente comme des vrais, en insistant sur le fait qu’il faut les résoudre d’urgence.

    • Ces faux problèmes sont le paravent qui permet de continuer à faire croire aux imbéciles que les parasites sont indispensables à leur survie .

  • la Reine Victoria disait : « J’entends beaucoup de gens réclamer des changements. Je ne comprends pas. Les choses ne vont-elles pas suffisamment mal comme cela ? »

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