Biélorussie et Union européenne : le soft power dans un monde de brutes

Chacun dans l’Union sait bien que la Biélorussie fait partie, qu’elle le veuille ou non, d’une zone historique soviétique qui reste stratégique pour la Russie de Poutine.

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Biélorussie et Union européenne : le soft power dans un monde de brutes

Publié le 27 septembre 2020
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Par Michel Faure.

Pauvre Josep Borrell, socialiste espagnol historique, membre du premier gouvernement démocratique présidé par Felipe González en 1982, Catalan fidèle à l’Espagne, ancien président du Parlement européen, nommé le 1er décembre 2019 vice-président de la Commission européenne et haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité.

Or, la diplomatie européenne, qu’il est censé représenter, inspirer et diriger, n’existe pas. Elle reste l’affaire des États membres.

Borrell en fait l’amère expérience avec les négociations récentes des ministres des Affaires étrangères européens concernant la nature et les modalités de sanctions éventuelles contre la Biélorussie, après l’élection présidentielle du 9 août dernier menée sans contrôles ni garanties.

La Biélorussie et les intérêts divergents

Le satrape local Alexandre Loukachenko, qui tient son pays d’une main de fer depuis 26 ans, s’est arrogé la victoire après cette élection indigne. Elle a provoqué d’immenses manifestations à travers le pays, contrées par une répression féroce qui a causé la mort d’au moins trois personnes, la disparition d’une opposante célèbre, Maria Kolesnikova, et la fuite en Lituanie de celle à qui Loukachenco a volé la victoire le 9 août, Svetlana Tikhaovskaïa.

Dans ce contexte, Borrell avait proposé que l’Union européenne impose des sanctions contre une quarantaine de personnes jugées responsables de cette répression, y compris Loukachenko. On aurait pu penser que ces mesures feraient l’objet d’un consensus, mais en Europe rien n’est simple, surtout quand il s’agit d’adopter de telles décisions à l’unanimité.

Chypre accepte que l’on sanctionne la Biélorussie en posant une condition : que l’on sanctionne aussi la Turquie qui occupe une moitié de son territoire et effectue des forages gaziers dans les eaux de sa zone économique. Mais l’Allemagne ne veut pas sanctionner la Turquie, environ 5 % de sa population étant de nationalité ou d’origine turque. Chypre n’est pas le seul pays « rebelle » dans cette négociation.

La Suède et la Finlande ne veulent pas non plus de sanction, mais une médiation de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) qui serait présidée par la Suède. Bref, pas d’action immédiate, seule une déclaration commune annoncée jeudi 24 septembre, jugeant illégitime l’élection de Loukachenko. Juste des mots, donc, qui ne traumatiseront probablement pas le dictateur de Minsk.

Conseil, Parlement et Commission agissent avec des différences

Cet épisode est le dernier révélateur en date des deux raisons fondamentales de la fragilité diplomatique de l’Union européenne. La première est que le Conseil, qui rassemble les chefs d’État et de gouvernement, a pour priorité la défense de l’intérêt national de chacun, alors que le Parlement et la Commission sont plus enclins à agir comme si l’Europe était déjà un vaste territoire fédéralisé.

Ce tiraillement interne entre le local et le fédéral est aussi vieux que l’idée européenne, et la seule issue de secours – la fin de la règle de l’unanimité en faveur d’une majorité qualifiée – se trouve fermée pour une raison simple : c’est le Conseil qui doit en décider … à l’unanimité.

Fragilité géopolitique

La deuxième fragilité est géopolitique. Chacun dans l’Union sait bien que la Biélorussie fait partie, qu’elle le veuille ou non, d’une zone historique soviétique qui reste stratégique pour la Russie de Poutine, comme l’Ukraine, d’ailleurs, voire encore aujourd’hui les pays Baltes. Et la guerre n’étant pas une option pour l’Europe, envahir la Crimée ne constitue pas un problème.

Le même raisonnement vaut pour la Turquie. La division de Chypre qui perdure depuis 1974 montre bien l’impuissance de l’Europe face aux agitations et provocations d’Erdogan.

Sans un minimum de menace, la diplomatie n’arrive jamais à se faire entendre. Or l’Union européenne, et c’est tout à son honneur, se présente comme une puissance pacifique. Sa grande, magnifique et seule victoire est d’avoir consolidé la paix au sein du vieux continent.

Mais à ses marges, des forces puissantes et déterminées, mues par des humiliations anciennes (la chute de l’URSS, l’effondrement de l’empire ottoman), ne craignent pas l’Europe, paradis du soft power, parce que la menace et l’agressivité ne sont pas dans sa nature.

C’est pour cela qu’on l’aime. C’est aussi pour cela qu’elle est fragile.

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  • Qui sommes-nous pour donner des leçons de démocratie à la Biéloussie? Pour punir un peuple avec des sanctions avec le prétexte a peine masqué de destituer son gouvernement? Pour le bien de ce peuple, évidemment…
    Derrière la médiacratie occidentale qui nous désigne les bons et les méchants, se trouvent des intérêts géostratégiques… qui ne sont pas forcément les nôtres, ni ceux de l’UE.

    • Bonjour La Petite Bête. J’ai pensé à vous hier : je suis tombé par hasard sur un article de wikipédia sur Charles-Irénée Castel de Saint-Pierre qui a établit « Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe, qu’il écrit en 1712 ».
      « l imagine la constitution d’une Diète générale d’Europe, qui fonctionnerait à la manière des diètes que connaissent les sept souverainetés de Hollande ou les treize de Suisse. Il conçoit un conseil permanent en Europe, auquel siégeraient des délégués des dix-huit principales souverainetés ».
      Donc pas besoin d’aller chercher des obscures forces mondialistes pour expliquer les origines du projet européen :-).

      • Mais le mondialisme est une très très vieille histoire. On peut citer aussi l’Utopia de Thomas More (1516): un monde unifié sans propriété privée et sans monnaie tandis que les habitants sont obligés de déménager tous les dix ans afin de ne pas s’enraciner…
        Par contre, l’élaboration d’une stratégie pour mettre en place cette utopie est plus récente, fin XVIIIe d’après ce que je sais.

    • Vous pourriez rajouter qui êtes-vous Poutine pour vous ingérer dans les affaires de la Biélorussie ?
      Dans ce cas de figure que l’UE vise quelques personalités politiques avec des sanctions ne me choque pas. Loukachenko n’est pas le genre de dirigeant rêvé en s’accrochant au pouvoir. Oui laissons librement donc légalement sans tricherie le peuple choisir de quel côté il balance. J’ai tout de même plus confiance sur l’impartialité de l’UE sur ce point.

    • J’adore les soi-disant libéraux qui défendent toujours les dictatures. Vous feriez mieux d’écrire: je me fiche de la population de ce pays, ils peuvent crevez, je préfère les tyrans!

      • C’est une des difficiles contradictions dans lesquelles sont beaucoup de gens, libéraux notamment. Laisser faire des actes liberticides.. laisser des pays, des nations, des peuples, des citoyens sous le joug de gouvernements autoritaires. Ou pas… sans tomber dans l’interventionnisme et le constructivisme…
        Sauver son voisin de lui-même ? 🙂
        Faudrait-il une intervention armée d’un pays dans un autre ? Genre la Suisse libérale qui ferait un coup d’état (une libération du peuple) en France ?
        N’est-ce pas ce que font bon nombre de « progressistes »…

  • Justement vous ne connaissez RIEN à l’histoire de l’Europe, et encore moins celle des pays de l’est. Que vous le vouliez ou non, la Crimée était partie intégrante de l’Ukraine, et la Russie avait signé un traité garantissant l’intégrité de ce pays en échange des têtes nucléaires sur son sol. Mais les Russes n’ont jamais respecté leur signature.

    • @Virgile: Hé bien justement, si l’Ukraine rejoint l’OTAN (et c’était dans les petits papiers), les têtes nucléaires revenant , il est donc normal que le traité devienne caduque.

      Je rappelle – et l’affaire du Brexit le montre bien – qu’un traité n’est pas un contrat qui engage ses signataires mais tient plus d’un marché d’accord qui équilibre les tensions et permet une clarification qui autrement serait « lost in translation ».

    • il me semble même que la Crimée était peuplée de Tatars, régulièrement déportés… Rien n’est simple !

  • Libérer la Crimée ? De gens qui parlent très majoritairement russes ? Faites un second référendum, il donnera le même résultat.

    Les pays baltes font partie de la zone stratégique de Poutine ? Evidemment puisque ces zones (Ukraine, Baltes) étaient d’une importance économique certaine, ce qui n’a pas manqué d’être négligée par l’UE ou le camp US, probablement en toute conscience pour provoquer une crise en Russie.
    S’étonner d’une réaction russe forte est particulièrement cynique. Et hypocrite car l’intérêt économique passe bien sûr dans les 2 camps avant une volonté guerrière d’occupation de territoire.

    L’intégration de la Crimée et non « son envahissement » a représenté un coût considérable à la Russie, car elle a pris très rapidement la charge sociale et économique de la quasi île (énergie, transport, …). La justification était autant stratégique (port militaire) que légitime pour un pays souverain qui protège des citoyens dont il faut rappeler il a été décidé en 1954 d’un rattachement administratif de la Russie soviétique à l’Ukraine soviétique.

  • Qui en Europe a voté pour monsieur Borrell (et pour cette commission européenne) ?

  • Un certain président a décrété que Loukcachenco devait démissionner suite aux manifestations de l’opposition et « la fermeté de la police », Macron ne se rappelle plus de quelle façon ont été traité les gilets jaunes, flash ball, grenade GLI F4 considérait comme arme de guerre etc…

  • Interessante dichotomie des liberaux concernant leur rapport a la géopolitique en général.
    J avoue naviguer un peu parfois face a ce genre de problématiques . Est que ce le laisser faire est agnostique a toute forme d intérêt des états ? Est ce que une didacture comme Singapour vaut mieux qu un etat militarisé comme les USA?
    N est ce pas faire preuve de naïveté que de penser que la liberté (économique) va tout arranger?

  • Pourquoi les pays occidentaux se mêlent de ce qu’il se passe en Biélorussie ? Certes c’est un pays socialiste, mais c’est un pays stable, sans velléités conquérantes. Contrairement à ce que les médias proclament, Loukachenko est assez populaire là-bas. Il n’y a pas de démocratie, et alors ? C’est le problème des biélorusses, pas le nôtre. Nous avons déjà bien à faire en France. Changer le monde commence par changer soi-même.

    Nous n’avons aucun intérêt à déstabiliser un pays qui n’a jamais exprimé le moindre ressentiment à notre égard. Ras-le-bol de la religion des « droits-de-l’homme » qui prêche sans appliquer.

  • Cet article comme la plupart concernant la diplomatie EU évite soigneusement deux points tout de même assez importants :
    – Aucun pays de l’UE ne consacre le strict minimum à son armée. Dès lors, sur l’échiquier mondial, l’UE n’est qu’un pion, qu’il y ait consensus diplomatique entre les nations ou pas.
    – Il n’y a pas de soft power en 2020. Surtout pas venant d’un bloc qui représentait 34% du négoce mondial en 85 pour arriver juste en dessous de 18% en 2020. Le protectionnisme du bloc EU et la surrèglementation sont une catastrophe économique avant tout, mais socialement, politiquement et diplomatiquement, l’incidence est énorme. Il n’y a aucune prise de conscience de cet état de fait.
    Depuis des décennies, nous préférons globalement acheter et nous faire acheter via des élections vides de choix ou de contenu, augmentant constamment dettes, impôts et prestations sociales, en toute insouciance de la plus élémentaire prudence. Que Trump nous dise depuis 2015 que la fête est finie n’a malheureusement strictement rien changé à l’affaire.
    Dès lors, jacasser sur les affaires mondiales est un exercice en futilité. Il y a des nations responsables, et les autres, qui n’ont plus voix au chapitre depuis un moment. L’UE n’est qu’un cache sexe, comme d’habitude.
    Notre armée, notre justice, notre police sont à l’abandon depuis des décennies. Soft power ?
    Non.
    Soft target.

    Nota : A l’auteur, avec tous mes respects,
    « Sa grande, magnifique et seule victoire est d’avoir consolidé la paix au sein du vieux continent. »
    Sans l’OTAN, pas de victoire. C’est aller trop vite en besogne que de créditer l’UE. Seule, elle ne tient debout, et c’est bien le problème.

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