Grenoble : beau temps pour la vidéosurveillance

Vidéosurveillance : souviens-toi de l’école de Palo Alto, souviens-toi du « toujours plus de la même chose ! », même si ça ne marche pas.

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Videosurveillance (Geneva) by Jannis Andrija Schnitzer(CC BY-SA 2.0)

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Grenoble : beau temps pour la vidéosurveillance

Publié le 26 septembre 2020
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Par Yannick Chatelain.

Après la polémique, la réconciliation sur la sécurité entre le maire de Grenoble et le pouvoir semble acté, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin ayant été jusqu’à évoquer des « moyens importants mis en place par l’État, et qui se renforceront dans les mois à venir pour lutter contre la délinquance au quotidien, verraient leur efficacité démultipliée par un renforcement de l’efficacité de la ville », des moyens visant à aider Grenoble à « rattraper son retard en termes de sécurité publique ».

Il va jusqu’à suggérer selon Le Figaro « d’augmenter les caméras de vidéo protection, qui pourraient être en partie financées par l’État via un fonds spécifique » !

Et tout le monde de se féliciter. Après tout, pourquoi pas ?

Vidéosurveillance : toujours plus du même… non-résultat probant !

« Toujours plus de la même chose » donne « toujours plus du même résultat » nous rappelle Paul Watzlawick. Cette approche paradoxale de l’école de Palo Alto peut aisément s’appliquer au déploiement de la vidéosurveillance sur le territoire, avec toujours plus de non-résultats probants, mais un entêtement s’apparentant à un techno-solutionnisme qui, s’il rassure une population en attente de plus de sécurité, dénie toutes les recherches effectuées à ce jour.

En matière de sécurité, les discours « techno-solutionnistes » sont aujourd’hui légion et dominent le débat. Ils ne sont pas l’apanage de la France. Les assertions simplistes sur l’efficience, préventive et de recherche de suspect, de la vidéosurveillance, rebaptisée « vidéoprotection » pour la rendre plus acceptable socialement et « active », ne résistent ni aux analyses ni aux méta-analyses faites sur le sujet.

En termes d’études le sociologue Laurent Mucchielli (entre autres), qui a mené une enquête de terrain dans trois villes dont les noms ont été changés :  Beau-Rivage (7500 habitants), Saint-Paul-la-Rivière (20 000) et Mega City (860 000) relate ainsi dans son livre Vous êtes filmés ! qu’il « il n’y a pas d’impact dissuasif global, notamment parce que la vidéosurveillance s’est banalisée. »

Un discours dominant malmené par les études

Ces approches qui ont l’attention des médias résonnent positivement aux oreilles des citoyens ! Rappelons que selon le baromètre Odoxa/Fiducial, en date du 19 juillet 2020, la sécurité locale, citée par 50 % des Français, est la première des préoccupations des administrés.

Cela laisse peu de place pour des contre-discours factuels ne nourrissant pas le discours dominant du « toujours plus d’un… leurre », un leurre censé assurer enfin une sécurité légitimement attendue.

Cette déclaration à elle seule du ministre de l’Intérieur est problématique : tant sur le présupposé d’efficacité de la vidéosurveillance en matière préventive que de capacité à rechercher des suspects.

Cette solution miracle proposée dans cette forme interpelle tant elle entre en résonance avec les travaux de Guillaume Gormand1 qui pointait une similitude entre le modèle de déploiement anglais et français, « comportement de l’État britannique auprès des collectivités locales qualifié par Martin Gill de pervers »23 :

« Si vous avez des problèmes d’insécurité, la vidéosurveillance peut vous aider. Vous obtiendrez des fonds pour en installer dans votre ville. Vous êtes libres de choisir un autre dispositif, mais dans ce cas vous n’obtiendrez pas d’aide financière. »

« Lorsque la solution devient le problème » est un propos qui peut être illustré par ceux tenus par monsieur Estrosi lors des attentats du 11 septembre. Il pointait alors le retard de Paris par rapport à sa ville hautement surveillée, affirmant en 2015 – en parlant des frères Kouachi – qu’ils « n’auraient pas passé trois carrefours » à Nice grâce à sa politique sécuritaire appuyée par la vidéosurveillance.

Est-il nécessaire de rappeler que plus de 11 repérages ont été effectués à Nice, la ville la plus vidéo surveillée de France, sous l’œil des caméras de surveillance et ce avant le drame du 14 juillet ?

  1. Le postulat du « techno-solutionisme » est que ce que l’homme ne peut résoudre la technologie le fera.
  2. « L’évaluation des politiques publiques de sécurité : résultats et enseignements de l’étude d’un programme de vidéosurveillance de la Ville de Montpellier » – Thèse soutenue publiquement le 30 novembre 2017 à Grenoble.
  3. GILL (Martin), «Using technologies for prevention», communication orale tenue le 13 décembre 2012 à Saint Denis, pendant la Conférence 2012 du Forum Européen pour la Sécurité Urbaine « Security, Democracy and Cities: the futur of prevention » des 12-14 décembre 2012.
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  • Les exemples utilisés, les liens proposés, les analyses, les « méta-analyses » se contentent de montrer que la vidéo-surveillance n’est pas efficace dans toutes les situations, ce qui est une évidence.
    Mais est-ce suffisant pour annoncer qu’elle n’est pas efficace du tout ?

    A la lecture de cet article, on a envie de demander à son auteur (« Professeur associé et enseignant-chercheur à Grenoble École de Management. Diplômé de Grenoble École de Management, titulaire d’un Doctorat Business of Administration à l’université de Newcastle-Upon-Tyne, ses travaux portent sur Internet, le contrôle social, la contre-organisation sociétale et la liberté d’expression. Expert du Digital, spécialiste du hacking et de la communauté hacker. Expert auprès de l’UNODC, (Office des Nations unies contre la drogue et le crime) dans le cadre du programme E4J : The First Expert Group Meeting to Peer-Review the E4J University Module Series on Cybercrime. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur le digital marketing, le hacking et la cybercriminalité. ») :
    Concrètement, sur le terrain, vous avez une meilleure solution à proposer ?

    • Toutes les études statistiques montrent que les seuls endroits où les caméras ont faire leurs preuves, c’est pour la protection des parkings voitures. Mais ça n’a jamais empêcher la délinquance d’exister. La solution : trouvez leur des occupations ! travail, jeux video, ou bien la drogue…

  • Oui bon, citer les travaux de Laurent Mucchielli, n’est peut-être pas une bonne idée. C’est un chercheur très orienté.
    Mais je ne crois pas à la vidéosurveillance. Une justice qui fonctionne me paraît plus efficace.

    • @gillib
      Bonjour,
      Une Justice fonctionnelle est le minimum car même avec des caméras à tous les coins de rue, si la Justice ‘e punit pas les caméras ne servent à rien.
      Sauf à mettre des pv pour stationnement non règlementaire.

      • Les PV pour stationnement, c’est en effet la seule chose « utile » que permet la video-surveillance.
        On commence par promettre d’élaguer le crime et on finit par punir les automobilistes. Beau bilan !
        PS : au fait, je me souviens que le maire de Grenoble avait promis de virer les caméras… L’a-t-il fait ? Et que pense-t-il de la proposition de Darmanin ?

      • Ca sert aussi à offrir des images, après, aux chaînes d’info continue. Ca fait de la pub télé gratuite pour la ville…

      • « Sauf à mettre des pv pour stationnement non règlementaire. » Ca c’est intéressant et ça rapporte.

    • L’utilisation des mots « vidéoprotection » est un tour de passe-passe marketing, c’est certain. Les mairies (principalement de droite) qui la vantent auprès de leurs administrés le savent bien. J’ai déjà lu aussi l’horrible « vidéo-tranquilité ». Welcome in Dystopia.
      Vous avez raison sur la justice : comme quelqu’un l’avait dit récemment, la dureté de la peine est moins importante que la certitude de la peine.
      La vidéosurveillance permet d’appréhender plus de gens, c’est sûr, mais n’agit pas en amont. Un masque, un peu de jugeote, et hop, la caméra sert à rien à part constater.

  • la vidéo surveillance , avec des visages à moitié caché par les masques …..je me pose des questions sur son utilité ;

  • A toulouse, la vidéosurveillance n’a pas epêché un SDF de tuer un passant et de le détrousser.

    La même vidéosurveillance n’a pas permis de retrouver un jeune homme ivre qui a sauté dans un conteneur poubelle qui a fini à l’incinérateur.

    La seule utilité de cet équipement est de fournir des preuves aux policiers devant un tribunal qui libère des cambrioleurs qui ont l’excuse d’être gitans.

  • Certes, cela ne diminue pas la criminalité, mais cela permet de se rendre compte qu’une agression est commise et donc aux forces de l’ordre d’intervenir immédiatement.

  • « les discours « techno-solutionnistes » sont aujourd’hui légion et dominent le débat. »

    Le « techno solutionnisme », ça marche … ou pas. Comme dit dans l’article, le problème est l’entêtement.

    Et cela ne concerne pas que la vidéo surveillance ou l’écologisme ou l’étatisme. Combien de fois on nous vend des solutions « modernes » comme si cela mettait un point final à toute critique. Ce n’est pas la modernité qui fait le progrès mais le retour d’expérience. Cela implique d’essayer … et de laisser tomber.

  • Pour Nice, le problème ne vient pas précisément du manque d’efficacité de la video-surveillance elle-même, mais de l’exploitation de la video-surveillance : insuffisance de la formation des agents de sécurité, notamment sur les règles de circulation des PL sur la promenade et probablement un relâchement de leurs contrôles, alors que :
    – l’Euro 2016 venait de s’effectuer.
    – l’état d’alerte était encore en vigueur.
    Et, surtout, si la videoprotection ne peut tout faire, l’absence de blocs de béton a permis au terroriste de faire autant de victimes. Or, les blocs de béton avaient été utilisés lors de l’Euro … à Nice.

  • Sur quelles bases peut-on affirmer que la vidéo n’est pas dissuasive ?
    Pourquoi des Ediles initialement opposés à la vidéo par sensibilité politique, finissent par y venir ?
    Sans doute pour suivre la mode !
    Beaucoup d’affaires judiciaires ont pu être élucidées grâce à la vidéo, y compris les plus graves comme les actes terroristes. Nier l’évidence nécessité d’avoir des biscuits dans sa musette.

  • Les commentaires sont fermés.

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