Le FMI face aux cryptomonnaies

Ceux qui adhèrent au projet fondateur de Satoshi Nakamoto doivent-ils s’inquiéter du fait que le FMI fasse la promotion des cryptomonnaies ?

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Le FMI face aux cryptomonnaies

Publié le 2 septembre 2020
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Par Gérard Dréan.

Dans une vidéo mise en ligne sur son compte Twitter, le FMI vante les mérites des cryptomonnaies et les présente comme « peut-être la prochaine étape dans l’évolution de la monnaie ».

Le projet annoncé en 2008 dans le Livre Blanc de Bitcoin, l’ancêtre et le vaisseau-amiral de tout le mouvement des cybermonnaies, était de « permettre d’envoyer des paiements en ligne directement d’un participant à un autre sans passer par une institution financière ». Le FMI aurait-il décidé d’y adhérer, alors que les institutions financières que Bitcoin vise à mettre hors circuit incluent les organismes d’État et leurs émanations dont les banques centrales et le FMI lui-même ? Ou au contraire, ceux qui adhèrent au projet fondateur de Satoshi Nakamoto doivent-ils s’inquiéter du fait que le FMI fasse la promotion des cryptomonnaies ?

Sur ce sujet, les autorités internationales sont extrêmement circonspectes. En réaction à l’annonce du projet Libra de Facebook, qui a semé la panique du côté des organismes monétaires officiels, la déclaration finale de la réunion du G7 des 17 et 18 juillet dernier dit que « les stablecoins et les divers autres produits en cours de développement, dont des projets ayant potentiellement une portée globale et systémique comme Libra, soulèvent de sérieuses inquiétudes systémiques et de réglementation, qui doivent tous être traités avant que ces projets puissent être mis en œuvre ».

Il semble que les autorités monétaires découvrent le phénomène avec 10 ans de retard et ignorent qu’il existe plus de 6000 de ces projets qui n’ont pas attendu le G7 ni le FMI. En même temps, ils réalisent que les technologies en question pourraient être utilisées pour améliorer la rapidité et le coût des transactions tout en couvrant de plus vastes populations, grâce à la création de « monnaies numériques de banque centrale ».

Mais concernant les autres formes de cryptomonnaies, le ministre des Finances allemand Olaf Scholz a été catégorique : « émettre une monnaie n’est pas du ressort d’une entreprise privée car c’est une attribution centrale d’un Etat souverain », ce qui équivaut à une condamnation sans appel du projet de Satoshi Nakamoto et donc de l’ensemble des cryptomonnaies.

Les stablecoins

Parmi les 6647 cryptomonnaies recensées sur le site coinmarketcap.com au moment de la finalisation de cet article, il en existe déjà une cinquantaine dont la valeur est fixée par rapport à une monnaie d’État, le plus souvent le dollar américain. C’est ce qu’on appelle des stablecoins1. Elles ont été introduites à partir de 2015 pour éviter la volatilité des cours, considérée comme un obstacle majeur à l’utilisation des cryptomonnaies. Seules une petite dizaine est utilisée à un niveau autre qu’anecdotique.

Le développement de stablecoins ne présente pas de difficulté particulière. Il existe des plateformes logicielles qui offrent toutes les fonctions de base nécessaires au développement et à l’exploitation d’applications de paiement2. Certaines d’entre elles (par exemple Ethereum, EOS, Cardano et Libra) bénéficient d’un gros travail théorique qui devrait garantir leurs performances et leur robustesse, et donc celles des applications qu’elles supportent.

Les transactions peuvent être programmées pour représenter n’importe quelle transformation du système sous la forme d’un « script » inclus dans la transaction et rédigé dans un langage spécifiquement conçu à cet effet. Ces scripts peuvent faire appel à des modules rédigés dans le même langage et inscrits de façon permanente dans le Registre. Ces smart contracts ne pourront plus être modifiés et leurs fonctions seront systématiquement exécutées à chaque référence à cette monnaie. C’est ce qu’on entend par « code is law » (le code fait la loi). Créer une nouvelle monnaie peut alors se résumer à définir ses conditions particulières de création, de transfert et de destruction dans un smart contract.

En revanche, pour gérer un stablecoin assis sur une monnaie d’État, il faut impliquer un organisme financier qui reçoit les dépôts en monnaie d’État, en crée l’équivalent dans le stablecoin concerné, et conserve les dépôts de façon à garantir que toute demande de remboursement sera immédiatement satisfaite. Ce rôle peut être joué par un organisme règlementé ou un ensemble de tels organismes comme dans le projet Libra, ou par une banque centrale.

Le système de stablecoins actuellement le plus utilisé est Tether, avec des monnaies indexées sur le dollar, l’euro et l’or. Lancé en 2015 et initialement construit sur Omni, une surcouche de Bitcoin3, il a migré vers Ethereum, puis vers une surcouche spécialisée d’Ethereum qui gère son propre registre.

On peut également citer la plateforme TrustToken, lancée en 2013 sous le nom de Mastercoin, qui repose maintenant sur Ethereum et offre des monnaies indexées sur le dollar américain, le dollar canadien, le dollar australien, la livre sterling et le dollar de Hong Kong ; ou encore Binance (2017), une plateforme d’échange reposant sur Ethereum, qui propose un cryptodollar et une crypto livre sterling en plus de nombreuses cryptomonnaies.

Ces plateformes permettent l’échange de stablecoins entre eux et avec d’autres cryptomonnaies sur le mode décentralisé pair à pair4 sans intervention d’un quelconque organisme spécialisé. De plus, dans ces systèmes comme dans Bitcoin, les transactions sont anonymes, en ce sens que seules les clés publiques des utilisateurs apparaissent dans les transactions, et que chaque utilisateur est normalement le seul à pouvoir associer son identité à sa clé publique.

Les risques pour le système monétaire

Chaque utilisateur peut donc choisir librement la ou les monnaies qu’il veut utiliser pour ses transactions et comme réserve de valeur, et peut facilement passer de l’une à l’autre au gré de ses préférences. Ceci crée un régime de concurrence très fluide, auquel n’échappent pas les cybermonnaies d’État. Les risques pour celles-ci sont connus :

Premièrement, l’anonymat des transactions prive les États du pouvoir de surveillance, et donc des moyens de taxation, de contrôle des mouvements de capitaux et de lutte contre la fraude et la criminalité.

Deuxièmement, les cybermonnaies rendent possible l’adoption des monnaies régies par des disciplines de création totalement prévisibles et le plus souvent déflationnistes qui s’opposent au pouvoir discrétionnaire et généralement inflationniste des banques centrales. Elles peuvent ainsi rendre inopérantes les politiques keynésiennes de manipulation de la masse monétaire et les programmes reposant sur la création de monnaie, ce que les politiques appellent la souveraineté monétaire.

Les États lutteront donc de toutes leurs forces pour préserver cette souveraineté, d’abord en réglementant, puis en interdisant, puis en cherchant à empêcher. Ce conflit accentuera le contraste entre deux attitudes déjà visibles chez les promoteurs des cryptomonnaies : ou bien jouer la légitimité en se pliant aux règles édictées par les autorités monétaires, ou bien rester fidèle au projet subversif originel en se protégeant contre les actions de l’État.

Il est possible d’introduire des restrictions à la liberté, au prix de couches de logiciel supplémentaires et en remplaçant le principe des systèmes pair à pair où tous les rôles sont ouverts à tous et où chacun peut choisir le ou les rôles qu’il souhaite jouer, par celui des systèmes permissioned (soumis à autorisation) où certains rôles, par exemple ceux liés à la validation des transactions, ne peuvent être exercés qu’avec l’autorisation d’une autorité centrale. C’est le parti qu’a pris l’association Libra.

À l’inverse, il est possible de protéger le système et ses utilisateurs contre l’intrusion des autorités gouvernementales par des procédés de dissimulation déjà éprouvés comme le cryptage et le mixage des transactions et l’effacement des traces de leur cheminement à travers le réseau. Et cela aussi bien en ce qui concerne les stablecoins que les autres cryptomonnaies. Il est techniquement impossible d’empêcher le fonctionnement d’un système de registre distribué bien conçu.

Le soutien des États favorisera certes le développement des stablecoins, qui au fond n’apportent qu’une autre façon d’utiliser les monnaies d’État existantes, et n’ont pas plus d’importance stratégique ou économique que les cartes bancaires, Apple Pay ou Paypal.

Mais les stablecoins, qu’ils soient d’État ou privés, ne feront pas disparaître les autres cryptomonnaies. Ils ne sont qu’un recoin du monde foisonnant et diversifié des cybermonnaies, qui naissent au rythme moyen de cinq à six par jour, et où tous les problèmes sont résolument attaqués avec de bonnes chances d’être résolus, ceux liés à la protection contre les intrusions de l’État comme ceux qui concernent la mise en conformité avec les normes gouvernementales.

  1.  Il existe aussi quelques stablecoins indexés sur l’or ou sur d’autres cryptomonnaies.
  2. et plus généralement reposant sur la conservation d’une trace indélébile d’opérations de nature quelconque sur des informations de nature quelconque
  3. Pour les plateformes généralistes, il existe des couches logicielles intermédiaires qui fournissent des fonctions complémentaires appropriées à une classe particulière d’applications.
  4. Chaque utilisateur peut publier des offres et des demandes, le système se chargeant de mettre en relation les émetteurs de propositions complémentaires, qui traiteront alors directement entre eux.
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  • « où tous les problèmes sont résolument attaqués avec de bonnes chances d’être résolus, ceux liés à la protection contre les intrusions de l’État comme ceux qui concernent la mise en conformité avec les normes gouvernementales. »
    L’intérêt des cryptomonnaies, c’est justement de ne plus être concernées par les « normes gouvernementales », de sortir totalement du champ de prédation des hommes de l’Etat.

  • Les commentaires sont fermés.

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