Plan de relance européen : le vice caché

Le plan de relance européen comporte un vice caché : les conditions exigées des États membres pour recevoir les fonds.

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Plan de relance européen : le vice caché

Publié le 5 août 2020
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Par Sébastien Adalid.
Un article de The Conversation

Une « étape majeure », des conclusions « historiques » : le plan de relance européen ne cesse de recevoir les éloges des chefs d’États et membres du Conseil européen, Emmanuel Macron en tête.

Pour la Présidente von der Leyen, « la situation était sombre » « les options peu nombreuses », mais « nous avons non seulement mis de côté les tabous et les a priori, mais l’Union a franchi un cap important ».

Cette rhétorique de l’urgence et du sauvetage perpétue le mythe fondateur de l’intégration européenne comme seule planche de salut pour les États et les peuples européens. Sans cesse menacée, l’Union européenne serait indispensable.

Mais cette rhétorique s’épuise. Chaque victoire ressemble de plus à plus à celle de Pyrrhus. Le compromis cachant toujours une compromission, le plan de relance européen adopté le 21 juillet 2020 a un vice caché.

Certes, il prévoit 750 milliards d’euros de subventions et de prêt, dont 672,5 milliards pour la « Facilité pour la reprise et la résilience », le fonds chargé de distribuer les fonds empruntés par l’Union aux États et dont l’objectif est de soutenir les États membres dans leurs efforts de relance.

Le caractère symbolique du geste, l’endettement de l’Union au profit des États, ne sauraient dissimuler que l’aide n’est pas automatique. Le vice se cache dans les conditions exigées des États membres pour recevoir les fonds.

La conditionnalité du plan de relance européen

La majeure partie des aides, prêts ou subventions, sera versée par le fonds Facilité pour la reprise et la résilience. Sur les conditions d’octroi de ces aides, les conclusions du Conseil européen sont claires :

L’évaluation positive des demandes de paiement sera subordonnée au respect satisfaisant des objectifs intermédiaires et finaux correspondants.

L’aide est ainsi subordonnée au respect de critères : les « objectifs intermédiaires et finaux ».

Tout l’enjeu réside donc dans la détermination de ces objectifs. Ils seront contenus dans des « plans pour la reprise et la résilience », élaborés par les États membres. Mais ces derniers ne sont pas libres dans leur rédaction.

Ils seront contraints, sur le fond, par une série de priorités déterminées par le Conseil européen : « cohérence avec les recommandations par pays » « renforcement du potentiel de croissance, de la création d’emplois et de la résilience économique et sociale », « contribution effective à la transition verte et numérique ». Sur la forme, l’évaluation des plans devra être : « approuvée par le Conseil statuant à la majorité qualifiée ».

Ce sont donc les ministres de l’Économie et des Finances, réunis au sein du Conseil, qui auront le dernier mot.

La logique sur laquelle repose la conditionnalité n’est pas nouvelle, elle reprend celle de la « gouvernance économique » sur laquelle elle va largement reposer.

L’ancrage dans la gouvernance économique

Depuis l’introduction de l’euro en 1999, les politiques budgétaires et économiques nationales doivent être considérées comme « une question d’intérêt commun ».

À l’origine assez légère, la coordination se concentrait sur le Pacte de stabilité et de croissance et donc le respect de deux critères : 3 % du PIB de déficit public et 60 % du PIB de dette publique. Mais depuis dix ans la gouvernance économique s’est profondément transformée, notamment au travers du « semestre européen ».

Procédure compliquée, le « semestre européen » a pour objectif de garantir la convergence des politiques économiques et budgétaires nationales. En décembre la Commission fixe les grandes priorités, au moyen de son « examen annuel de la croissance », puis elle conduit un examen de la situation économique de chaque pays et formule des diagnostics.

Au printemps les États membres déclinent ces priorités au niveau national au travers des « programmes nationaux de réforme » (pour la politique économique) et des « programme de stabilité » (pour la politique budgétaire).

À l’été, le Conseil, après évaluation des programmes par la Commission, adopte des « Recommandations par pays », qui incitent les États à infléchir leurs politiques économiques et budgétaires dans le sens des priorités de l’Union.

À l’automne, les États transmettent à la Commission leurs « projets de plan budgétaires », qui sont évalués à l’aune des critères du pacte et des recommandations par pays.

Le raté de la réforme des retraites en France

Par exemple, au printemps 2018, la Commission fait le diagnostic que « la situation financière du système de retraite se détériore à moyen terme » en France et que « les dépenses de retraite (en France) figurent parmi les plus élevées de l’UE ».

Peu après, le programme national de réforme français annonce une réforme des retraites. La recommandation européenne adressée à la France en juillet 2018 lui demande ainsi de veiller « à uniformiser progressivement les règles des différents régimes de retraite pour renforcer l’équité et la soutenabilité de ces régimes ».

La réforme n’ayant pas été mise en œuvre en février 2019, la Commission constate que « des progrès limités » ont été accomplis dans ce domaine au printemps 2019. Rebelote tout au long de 2019, avec une année qui s’achève lourde de conséquences sociales pour Matignon.

À nouveau, faute d’avoir trouvé un accord en 2020, la Commission constate, qu’en France des « progrès limités » ont été accomplis sans plus de pression ? sans que cela ne suscite des remous pour la France au sein de l’UE ? préciser ici/La Commission ne s’en est pas émue plus que cela, elle a l’habitude que ses recommandations ne soit pas suivie. En effet, pour le moment, la gouvernance économique n’est pas réellement contraignante.

Une procédure globalement peu efficace

Non seulement lourde et complexe, la procédure est aussi globalement peu efficace. De l’aveu même de la Commission, les recommandations par pays sont assez peu suivies : 6 % d’entre elles sont « mises en œuvre intégralement », pour 46 % il y a « certains progrès » et pour 27 % seulement des « progrès limités ».

L’ajustement budgétaire vers les critères de pacte de stabilité ne s’est opéré qu’au plus fort de la crise des années 2010, sous la pression des marchés et non de la « gouvernance économique ».

Rien n’incite vraiment les États à respecter les exigences du semestre européen. Les sanctions telles les amendes prévues par les textes ne sont pas appliquées : ce fut ainsi le cas pour l’Espagne et le Portugal en juillet 2016.

Le plan de relance européen permet alors de passer de la sanction à l’incitation. Comme le constate la Commission, le plan de relance constitue « un soutien financier direct lié à l’obtention de résultats et à la mise en œuvre des réformes ». Les réformes ne seraient plus le résultat de choix politiques, mais l’issue d’une procédure technocratique.

La méthode technocratique

La gouvernance économique se fonde sur des évaluations de la situation économique des États, faites par la Commission, qui conduit à l’adoption de recommandations par pays. Sur le fond, celles-ci sont assez contraignantes.

En 2019, pour la France, elles recommandaient de veiller « à réduire les dépenses et à réaliser des gains d’efficacité dans tous les sous-secteurs des administrations publiques, à poursuivre la simplification du système d’imposition ou encore à réduire les restrictions réglementaires, notamment dans le secteur des services. »

Contraignantes dans leur formulation, les recommandations ne l’étaient pas dans leur mise en œuvre.

L’ensemble de la procédure est par nature technocratique. Le Parlement européen et les Parlements des États membres n’y sont associés que de très loin. L’organe central est la Commission européenne. C’est elle qui fixe les grandes priorités.

Ainsi, en décembre 2019, elle a présenté une « nouvelle stratégie de croissance ambitieuse, axée sur la promotion d’une durabilité compétitive ».

Il est peut-être nécessaire de repenser le modèle de croissance, mais ce n’est pas à la Commission de le choisir, celle-ci n’étant pas directement issue de la majorité au Parlement européen.

Au surplus, c’est aussi elle qui évalue les choix de politiques économiques et budgétaires nationaux. Ces derniers ne sont donc plus considérés comme des choix politiques mais des données techniques analysées à l’aune de critères économiques. Tant que cette analyse et ses résultats n’étaient pas contraignants pour les États, elles apparaissaient comme des conseils, qu’ils étaient libres de ne pas suivre.

En liant l’octroi des aides du plan de relance au respect du « semestre européen », ce dernier devient contraignant pour les États. En effet, le non-respect des recommandations par pays pourra dorénavant entraîner le rejet des demandes de versement des aides octroyées par le plan de relance européen.

À titre d’exemple, s’il est recommandé à la France de réformer son système des retraites, et que la réforme ne se fait pas ou prend du retard, les aides à la relance pour la France pourraient être suspendues.

Une telle ingérence de la Commission, de la BCE et du FMI dans les politiques nationales renvoie au précédent grec, dont le Parlement européen avait souligné qu’il était : « dépourvu de transparence et de contrôle démocratique ».

L’implication indispensable du Parlement européen

Les choix politiques des États seront soumis aux évaluations, économique, subjectives de la Commission, l’économie n’étant pas une « science » comme le rappelait l’économiste François Bourguignon.

Leur liberté de faire des choix différents de politique économique s’en trouvera largement réduite. Au surplus, depuis quelques mois, le semestre européen s’est largement enrichi.

En plus des « programmes nationaux de réforme » et des « programmes de stabilité », les États doivent adopter des « plans nationaux en matière d’énergie et de climat » et des « plans pour une transition juste ». Une telle multiplication des plans et programmes transforme radicalement et définitivement l’action publique en management technique par les objectifs et les résultats.

Avec le plan de relance, l’Union européenne achève sa transformation en superstructure administrative de planification.

Le Parlement européen a exigé, le 23 juillet, une plus grande implication dans la gouvernance de la « Facilité pour la reprise et la résilience », dont le Conseil européen a seulement dessiné les contours.

Les détails de cette gouvernance seront décidés, d’un commun accord, par le Parlement et le Conseil. Ce dernier devra tenir bon, exiger une place centrale dans le processus et s’il l’obtient, peut-être, qu’une étape sera franchie vers une Europe politique et démocratique, et non technique et bureaucratique.

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  • Je ne souhaite pas jouer au rabat-joie, mais quand même, introduire de la démocratie politique dans cette (gigantesque) usine à gaz technique et bureaucratique qui fuie de toute part !?! Sans compter que lorsque que les liquidités arrivent au bout du tuyau, elles sont immédiatement utilisées de manière opportuniste. Une fois de plus, le bénéfice sera faible, et l’addition sera lourde.

    • On pourrait légitimement se demander si ces prêts sont si subordonnés qu’ils ne le seraient pas par passage obligé sous le tapis habituel où l’on met toutes les affaires qui fâchent (après prélèvements (expurgations) pour les « bonnes œuvres » des uns et des autres)?

  • 750 milliards, qui viennent on ne sait d’où, vont être distribués par un aréopage de fonctionnaires inconnus, selon des critères fumeux. Cela s’est déjà fait: en Union soviétique, avec les résultats que l’on sait.

  • On pourrait légitimement se demander si ces prêts sont si subordonnés qu’ils ne le seraient pas par passage obligé sous le tapis habituel où l’on met toutes les affaires qui fâchent (après prélèvements pour les « bonnes œuvres » des uns et des autres)?

  • S’il n’y avait que ce vice caché, nous pourrions y remédier mais il vient se surajouter à une pile « déjà devenue bancale » de vices cachés… Bonjour la casse.

  • « Les réformes ne seraient plus le résultat de choix politiques, mais l’issue d’une procédure technocratique. »
    Et ? Sur le fond, cela semble être une ingérence supra-techno-je-sais-pas-quoi ! C’est vrai ! En extrapolant, La Troïka pourrait, donc un jour aussi s’intéresser à la France ? Comme avant avec la Grèce? Bon, mais si je regarde la réalité, je ne vois hélas pas ou est le problème immédiat. En effet, des technocrates de Brussel, qui ne connaissent rien, à part leur agenda, qui s’adressent aux technocrates de français, qui n’ont d’autre ambition, que leur agenda, n’est à priori pas un drame majeur !

  • rien de nouveau sous le soleil : quand il faut dépenser le pognon des autres, pourquoi se soucier de l’efficacité de cette dépense ?
    Tout ceci n’est que de la comm pour cacher l’incurie et l’inutilité de nos politiques comme de la commission européenne.

    • D’autant que l’on sait qu’aucun plan de relance n’a jamais fonctionné. La seule solution le permettant est baisse des impôts, suppression des règlements et des normes et liberté totale pour les entreprises!

      • En fait c’est relativement facile:
        1-réduire d’urgence les déficits en serrant les boulons partout (et surtout tailler dans le gras des fonctions publiques ce qui diminuera d’autant leurs capacités de nuisance)
        2-Construire des prisons
        3-stopper l’immigration et virer tous les délinquants étrangers.
        4-retraite 65 ans minimum.
        Tout le reste… bof.
        Après et seulement après, on peaufinera.

        • ce qui signifie conserver la retraite par répartition…
          un égoutier a une espérance de vie de 7 ans de moins que la moyenne général..
          une femme sans diplôme a une espérance de vie de 46 ans à 35 ans un homme de 38… pour les diplômes supérieurs l’ecart est toujours de 4 ans homme femme
          et l’espérance de vie à 35 pour les hommes ayant des diplômes supérieurs est de 46 ans environ

          ces chiffres ne sont peut être pas à jour..

          mais le meme age de la retraite pour tous.. non, il faut remettre la retraite à sa place…un choix individuel avec un financement individuel..u..et la distinguer d’une rente de vie donnée s éventuellement aux gens nécessiteux..
          ça me pose problème…

          stopper l’immigration..non..stopper l’immigration motivée par les aides sociales..

          pourquoi ne pas parler du salaire minimum? ou de la non incitation à bosser de façon générale..

          • AMHO, il me semble que vous voulez conserver les tares du système mais faire en sorte que ce système foireux dure.

            • A Jacques,
              Mais bien évidemment!
              Comment comparer la carrière d’un carreleur, et d’un administratif au Conseil Général de Trifouillis les oies…
              Ma crainte est que les bénéficiaires des nécessaires aménagements seront en priorité l’agent EDF, le cheminot SNCF et autres privilégiés (je maintiens « privilégiés »)
              Bien sûr aussi d’accord pour votre réflexion sur l’immigration.
              En fait l’inconvénient de ces sites, Contrepoints, Causeur, Institut des libs, …, c’est que nous sommes tous sur la + ou – même longueur d’ondes à nous pignoler sur les toujours et éternels mêmes sujets de révolte.
              D’où mon message très très réducteur, je reconnais.
              En fait nous tournons un peu en rond.
              Viens de lire en diagonale un article très interessant sur Causeur concernant la Krajina.

  • Tiens, ça m’évoque quelque chose: « Tout le monde a droit à l’isol****** à 1****, il faut juste remplir les conditions et vérifier son éligibilité!!! Montre patte blanche pour prendre un coup de marteau sur les doigts, gentil petit contribuable européen!!!!

  • Tout est résumé dans cette phrase: « Avec le plan de relance, l’Union européenne achève sa transformation en superstructure administrative de planification. »
    L’UE poursuit ses objectifs de structure a-démocratique supranationale nonobstant la volonté des peuples. Le Parlement européen n’est qu’un simulacre de caution démocratique.

    • Très juste, c’est un parlement croupion qui sert de village Potemkine masquant la véritable nature anti-démocratique de ce machin bureaucratique qu’est l’UE.

      • Comme on l’a vu avec Moscovici, cela ne sert qu’à recaser des copains pour qu’ils puissent continuer à vivre en parasite des contribuables!

  • Les commentaires sont fermés.

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