Le Parquet National Financier, une officine à deux visages ?

OPINION : le PNF serait-il une officine au service du pouvoir, aux antipodes même des exigences d’un État de droit ?

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François Fillon by UMP Photos on Flickr (CC BY-NC-ND 2.0)

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Le Parquet National Financier, une officine à deux visages ?

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 30 juin 2020
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Par Claude Robert.

Le rebondissement de plusieurs affaires multiplie les soupçons à l’encontre du Parquet National Financier. Le PNF serait-il une officine au service du pouvoir, aux antipodes même des exigences d’un État de droit ? Analyse.

Pourquoi un PNF ?

Selon le site web du PNF on apprend :

« Le procureur de la République financier (PRF) a été créé par la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière […] Sa compétence est nationale et limitée à trois catégories d’infractions : les atteintes à la probité (corruption, trafic d’influence, favoritisme, etc.), les atteintes aux finances publiques (fraude fiscale aggravée, escroquerie à la TVA, etc.) et les atteintes au bon fonctionnement des marchés financiers (délit d’initié, manipulation de cours, etc.) ».

Le PNF voit le jour pendant le mandat de François Hollande, très vraisemblablement en réaction à l’affaire Cahuzac. Sur les recommandations de la garde des Sceaux d’alors, Christiane Taubira, et avec la bénédiction du président, sa direction est confiée à Éliane Houlette, direction que cette dernière assurera jusqu’en avril 2019.

Une réputation de plus en plus embarrassante

Le PNF a suscité la polémique dès le début de l’affaire Fillon. Mais bien d’autres dossiers ont alimenté la critique depuis. Au-delà des soupçons à l’encontre de la présidente du PNF elle-même1, trois affaires particulièrement encombrantes viennent de refaire surface et jettent le doute sur l’indépendance de cette institution :

  • l’enquête sur la taupe ayant informé Nicolas Sarkozy qu’il était sur écoutes ;
  • la suspicion de classement sans suite du cas Alexis Kohler sur demande de l’Élysée ;
  • l’aveu récent par Éliane Houlette de l’existence d’intenses pressions sur le procès de François Fillon.

Une troublante enquête dans l’affaire des écoutes de Sarkozy

Selon Le Point, le PNF aurait surveillé plusieurs avocats pour tenter de savoir qui avait informé l’ancien président de sa mise sur écoutes (Huffpost 26 juin 2020). On découvre que maître Olivier Cousi, bâtonnier de Paris, engage une action en justice contre l’État qu’il accuse « d’avoir porté atteinte au secret professionnel des avocats, à leur intimité, à leur vie privée ».

Il estime que cette enquête du PNF « est hors-norme et inquiétante. Elle ne peut se justifier que si des indices graves et concordants permettent de penser qu’il y avait une raison de le faire. » Parmi les nombreux avocats surveillés, Éric Dupond-Moretti a également annoncé porter plainte.

On peut se demander en effet dans quelle mesure l’identification de la « taupe » justifiait l’utilisation de tels moyens d’investigation. Si ces techniques généralement actionnées en dernier recours le sont pour si peu, la question se pose en effet de savoir si nous ne serions pas à présent devant un État policier, dont les officines en charge du sale travail ne lésinent pas sur les moyens.

Le cas Kohler classé sans suite après une lettre de l’Élysée

Alors que pour les écoutes dans l’affaire Sarkozy, on devine les contours plus ou moins obscurs d’un excès de zèle voire d’un véritable acharnement, l’affaire concernant Kohler suggère l’inverse, à savoir la protection d’un proche du président actuel.

Au départ, il s’agissait d’accusations de conflit d’intérêts mêlant Alexis Kohler lorsqu’il était en 2010 et 2011 représentant de l’Agence des participations de l’État (APE), l’armateur MSC fondé et dirigé par des membres de sa famille, ainsi que le port du Havre, dont il était membre du conseil de surveillance.

En 2010, Mediapart avait également accusé Alexis Kohler d’un autre conflit d’intérêts, du fait de son appartenance au conseil d’administration de STX France (chantiers navals de Saint-Nazaire) alors que MSC en était le plus gros client (Le Parisien, 7 août 2018).

La très récente révélation par Médiapart de l’intervention personnelle d’Emmanuel Macron afin de classer l’affaire remet un coup de projecteur sur les possibles faiblesses du PNF.

S’appuyant sur la lettre du président, le site affirme :

« Passant outre la séparation des pouvoirs, Emmanuel Macron a écrit au PNF à l’été 2019 pour disculper Alexis Kohler, au lendemain d’un rapport de police l’accablant. À la suite de cette lettre, un second rapport d’enquête a été écrit, aboutissant à des conclusions inverses. Un mois plus tard, l’enquête sera classée sans suite » Médiapart, 23 juin 2020

Prouver l’existence d’un lien de causalité direct entre cette lettre et l’enterrement de l’affaire sera sans doute difficile. Mais il s’agit par contre d’une énorme méprise de la part du président. Une méprise qui suffit amplement à alimenter les doutes quant à la véritable indépendance du PNF.

Le PNF sous constante pression pendant l’enquête sur Fillon

Pourtant assimilé à gauche et non concerné par l’affaire Fillon, maître Éric Dupond-Moretti avait très tôt remis en cause la légitimité du PNF qu’il accusait de dépendre de l’Élysée et par conséquent, d’être à la fois juge et partie2. Il a déclaré :

« Selon le droit parlementaire, c’est au bureau de l’Assemblée nationale de se saisir de cette affaire et d’enquêter » – La Croix, 7 février 2017

Aux journalistes du quotidien Le Monde régulièrement alimentés des PV de l’enquête, ce qui est parfaitement illégal, il s’était adressé ainsi :

« Il n’y a pas d’avocats qui ont les pièces à ce stade, il n’y a pas de mise en examen, c’est donc la police ou le PNF qui vous communique les pièces »Le Point, 18 février 2017

Pourtant, à cette époque, ni l’Appel des treize juristes3 ni les remarques d’avocats comme Éric Dupond-Moretti n’avaient réussi à infléchir le cours d’une action judiciaire qui soulevait déjà tant d’interrogations.

La récente déclaration de l’ancienne présidente du PNF remet tout d’un coup le sujet sur la table. Lors de son passage devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale consacrée aux obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire, donc trois ans après les faits, Éliane Houlette avoue avoir subi d’incessantes pressions de la part du parquet général. Des pressions au sujet desquelles elle va jusqu’à déclarer :

« On ne peut que se poser des questions, c’est un contrôle très étroit et c’est une pression très lourde » LCI, 19 juin 2020

Ces aveux n’auraient probablement pas fait beaucoup de bruit si, à la suite de l’article du journal Le Point qui les a révélés, plusieurs personnalités politiques ne s’en étaient publiquement offusquées.

Le PNF, une officine à deux visages ?

On pourrait gloser sur l’autre affaire, celle dont le PNF n’a pas voulu se saisir au moment des élections présidentielles de 2017. On pourrait également sourire sur la façon dont le PNF s’est montré d’une patience, d’une discrétion et d’une correction exemplaires dans l’enquête sur les emplois présumés fictifs du Modem.

Quoi qu’il en soit, ces trois récents rebondissements portent un sérieux préjudice à l’application de la fameuse théorie des apparences qui nous vient du droit anglo-saxon.

Cette théorie mise en avant par la Cour européenne des droits de l’Homme, et officiellement transposée au droit français, stipule qu’il est d’une « importance fondamentale que la justice ne soit pas seulement rendue formellement mais qu’elle le soit impérativement de façon à écarter l’existence de tout doute4. »

Loin de nous laisser abuser par un excès d’apparences rassurantes, nous voici au contraire bombardés d’indices de nature à détruire notre confiance en la justice française. À travers le PNF, son indépendance présumée, condition sine qua non à l’existence d’un État de droit, nous paraît de plus en plus menacée.

Cette situation est délétère. Elle doit être combattue sans délai.

  1. Cf. page Wikipédia consacrée à l’ex-présidente du PNF
  2. Cf. son interview à ce sujet sur BFM TV
  3. Sous la houlette de Patrice Fontana, ce groupe (auquel il faut aussi rajouter quelques universitaires spécialistes du droit) avaient lancé une alerte circonstanciée sur les irrégularités de cette affaire, tant sur son déclenchement anticonstitutionnel que sur le déroulement illégal de l’enquête. Mais en vain…
  4. Cf. « Théorie des apparences » Wikipidia
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  • De toutes façons il fallait éliminer Fillon, il était trop gênant pour la gauche, pour Macron et aussi pour la droite .

    • Même si son discours se voulait le plus libéral, il a été 40 ans en politique, dont 5 ans premier ministre, nous pouvons juger le résultat de son discours, qui n’engage que ceux qui y croient! Un faux cul comme les autres.

      • Vous passez à côté de l’essentiel: les ODS avaient décidé que ce serait Macron: tout ce qui pouvait le gêner devait être éliminé.

      • De toute évidence, il y a au moins ses adversaires qui y ont cru. Sinon il n’y aurait pas eu un tel acharnement ! Je pense que beaucoup d’ODS ont vraiment flippé de perdre de leur pouvoir si FF était élu.

      • Vous oubliez un léger détail, ce n’est pas le premier ministre qui décide de la politique dans ce pays dictatorial, mais le Président. Et ils ont dû affronter une des pires crise économique, due aux conneries des démocrates américains et de Clinton qui ont obligé les banques à prêter de l’argent à des gens insolvables.

  • Le PNF est bébé de Hollande…Médiapart est bébé de trotskistes et grand délateur devant l’éternel , le moustachu ayant été à la tête du Monde et tout le monde se souvient de l' »Affaire »..Bref Il faut me supprimer ce parquet politique..

  • La France n’est plus qu’une vulgaire république bananière.
    CPEF!

  • Et un certain B Le roux qui avait salarié ses filles de 15 ans encore lycéennes ,on a des nouvelles?Que fait le PNF,on me dit qu’il ne gêne personne….

  • A partir du moment ou l’on prend conscience que la France n’est vraiment pas une démocratie, l’affaire Fillon n’est plus qu’un l’arbre destiné à cacher la forêt.
    Dans le contexte politique et économique que nous subissons, la Macronie à la manœuvre va tout faire pour se maintenir au pouvoir au moins jusqu’en 2027 et, cette affaire Fillon doit être considérée comme un jalon d’un ensemble d’actions destinées à affaiblir l’opposition potentielle.
    Dans un passé pas si lointain, un « Premier Consul » avait monopolisé le pouvoir en faisant flèche de tout bois.
    C’était déjà une dérive à la Poutine!…

  • Il n’y avait (et il n’y a toujours) que ceux qui ne veulent pas voir qui peuvent contester que la justice (et pas seulement le PNF) est le bras armé de la caste au pouvoir. On se souvient par exemple de « l’arrêt Dieudonné » du conseil d’Etat, produit en quelques heures pour un motif inexistant – simplement parce que Valls et ses soutiens avait ordonné qu’il fallait l’interdire de scène.
    Entre une Assemblée caporalisée (merci le quinquennat), une justice aux ordres et des médias mainstream sous la coupe du pouvoir et de ses amis, le régime français n’a plus rien de démocratique.

  • Intéressant délire paranoïaque. Le parquet n’est jamais indépendant surtout pour les affaires politiques, c’est connu.
    Pourtant il est clair que les soit disant pressions étaient juste des demandes de suivi, rien de délirant.
    Ce n’est pas le PNF qui a amené Fillon à la barre mais les juges d’instruction qui eux sont indépendants.
    Maintenant qu’on sait que la justice peut être très rapide, j’aimerai bien que les autres y passent aussi.

    • C’est faux: le parquet mène d’abord une enquête préliminaire (ou souvent tout se passe). Il peut même s’auto-saisir (discutable en droit). Ce n’est qu’après qu’on nomme un juge d’instruction en choisisant le plus salaud parmi une caste déjà pas très bisounours, qui avait pour instruction de mettre Fillon en examen avant tout examen, car ce dernier avait affirmé qu’il se désisterait s’il était mis en examen.

    • Vous ne savez pas du tout comment cela marche! La justice idéologisée française est aux ordres du pouvoir!

      • Ca n’a pas commencé avec le PNF. Tant qu’il y aura des procureurs dépendant du ministère de la justice.
        Cela vous parait anormal qu’on fasse une enquête sur des délits potentiels ? Que les éléments permettent d’ouvrir une instruction à laquelle il apparait à la fin que ceux ci sont établis.
        Fillon c’est pas le pauvre innocent, il a été condamné, ce qui justifie à mon sens tout le reste.
        Après vous pouvez vouloir une justice de gauche qui laisse tous les délinquants et criminels dans la rue parce qu’ils sont peut être innocents, ou une justice de droite à la japonaise.
        Moi ça me désole de voir des Chirac, Balkany, Fillon, Woerth… qui profitent des deniers publics et sont condamnés 20 ou 30 ans après.

  • Ce que je reproche à l’affaire Fillon, ce n’est pas qu’il se soit fait gauler mais qu’il soit pratiquement le seul avec une vitesse d’exécution sans pareil. Dans le meilleur des cas, il y aurait au moins 1/3 des parlementaires qui seraient à mettre dans le même sac. Quant aux costumes, et bien on ne parle pas des 200 000 € de costumes au bas mot de jack lang (et il s’en est vanté)… Donc justice et médias orientés : pas de doute !

    • Fillon etait candidat a la presidence, pas Jack Lang. Donc qu on aille plus vite pour un potentiel president que pour un has been (Lang est en fin de carriere, ile ne sera plus jamais ministre) ne me choque pas

      Surtout que Fillon avait fait fort: attaquer Sarkozy sur la morale (« qui imagine de general de Gaulle mit en examen ») alors qu on est soi meme pas tres net …
      Il devait vraiment se penser au dessus des lois

      PS: la fuite qui lui a couté la presidence est surement plus a chercher du coté de ses « amis » LR que du PS. Qui pouvait savoir que sa femme avait un emploi fictif ? Pour les costumes gratuit, Bourghui a avoue avoir piege fillon pour venger Sarko, donc mobile clair

      • « Qui pouvait savoir que sa femme avait un emploi fictif ? » A peu près tous ses collègues de l’assemblée qui faisaient la même chose!

      • Dans ce cas Macron n’aurait très certainement pas du pouvoir se présenter, car dès le début, des soupçons de financement de sa campagne avec l’argent du ministère de l’économie ont été remontés… On en parle plus d’ailleurs, c’est bizarre…

    • Au lieu de pleurer Fillon, j’aimerai bien un mouvement de nettoyage du tiers restant.
      On aurait eu l’air fin, s’il avait été élu tout en débouchant sur des preuves de culpabilité en milieu de mandat.

  • Sur une période de 25 ans, alors qu’aucun texte n’ne réglementait l’usage ce sont des centaines de député qui ont employés leurs épouses. Strictement rien n’autorisait la justice a mettre son nez dans ces affaires. Ayant été vacataire et agent contractuel payés par l’état, a ces époques strictement rien n’autoriser un juge a savoir si j’allais au putes avec cette argent honnêtement gagné, sauf a me demander conseils et avis strictement intime et privé, sur les qualités techniques des prestations.

  • Il y a longtemps que l’on sait que la gauche se sert de la justice pour éliminer les opposants! Les procès de Moscou ou de La Havane sont restés célèbres!

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