Contre le paternalisme, la liberté d’offenser et le droit de choquer

Sans outrage, sans provocation, sans subversion il n’y a pas de liberté d’expression, rendre celle-ci inoffensive c’est tout simplement la faire disparaître.

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Contre le paternalisme, la liberté d’offenser et le droit de choquer

Publié le 23 juin 2020
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Par Daniel Borrillo.

Vargas Llosa a raison d’affirmer que le coronavirus « ravit les ennemis de la liberté » y compris dans nos vieilles démocraties. La proposition de loi de madame Avia s’inscrit effectivement dans la longue liste d’atteintes aux libertés fondamentales auxquelles nous assistons impuissants.

Il suffit de lire « L’observatoire des libertés confinées » mis en place par GénérationLibre dans lequel on recense au moins 43 restrictions apportées aux libertés et droits fondamentaux pendant l’épidémie de Covid-19. Des libertés publiques aux libertés économiques, de l’État d’urgence sanitaire à la mise en place du traçage numérique, la réponse à la crise sanitaire passe par la restriction des libertés.

Mais le virus n’est que le révélateur d’une tendance politique paternaliste qui ne doit rien au marché de Wuhan.

Le paternalisme politique, une tendance dangereuse

En effet, répondant à l’émotion et à la pression médiatique, le président Macron a mis en place en 2018 une Mission pour lutter contre la haine, le racisme et l’antisémitisme sur internet qui, dans un premier temps, a donné lieu à un rapport et, plus tard, à la proposition de loi « contre le contenu haineux sur Internet » portée par la députée LREM Laetitia Avia.

Aussi bien le rapport que la proposition de loi ont fait l’objet de vives critiques de la part de la Commission consultative des droits de l’Homme, le Conseil national du numérique, l’Ordre des avocats, le Rapporteur spécial de l’ONU, la Ligue des droits de l’Homme, le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature, la Commission européenne.

Un certain nombre d’associations LGBTI comme l’inter-LGBT ou AIDES ont manifesté leur inquiétude quant à l’utilisation du dispositif par des groupes ultraconservateurs contre le mariage pour tous et l’homoparentalité, notamment ou afin de censurer des campagnes de prévention contre le VIH considérées « pornographiques ».

De même, Parapluie Rouge, un collectif pour la santé et les droits des travailleurs du sexe a dénoncé le puritanisme de la proposition de loi qui aurait pour conséquence de « faire disparaître les travailleuses du sexe des réseaux sociaux qu’elles utilisent pour construire leur communications ».

Pour mieux appréhender la gravité de la situation, il faut situer la proposition de loi dans le contexte des nombreuses initiatives du gouvernement pour limiter le droit de la presse à commencer par la loi de 2018 sur les fakes news et le rapport Hoog proposant la création d’une instance d’autodiscipline des journalistes…

À la crise sanitaire, la proposition de loi a ajouté une crise démocratique, évitée in extremis par le Conseil constitutionnel lequel vient de considérer que « le législateur a porté à la liberté d’expression et de communication une atteinte qui n’est pas adaptée, nécessaire et proportionnée au but poursuivi. »

L’État ne doit pas avoir d’opinion

En ces temps chahutés par la démagogie et l’immédiateté, le Conseil constitutionnel nous rappelle l’importance d’un des principes fondateurs de la société démocratique : la liberté d’expression consacrée dans l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 et l’ensemble des Constitutions occidentales. Manifestation de la liberté de la pensée, la liberté d’expression est également consacrée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

Dans le célèbre arrêt Handyside c./Royaume-Uni, les juges de Strasbourg, en interprétant cet article, affirment que la liberté d’expression « vaut non seulement pour les ‘informations’ ou ‘idées’ accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population ».

Pavé de bonnes intentions, le chemin qui mène à la proposition de loi mettait en question le principe selon lequel l’État n’a pas d’opinion – et doit par conséquent les tolérer toutes – prétendant intervenir dans le contenu même des communications ! 

Bien évidemment, comme toute liberté, la liberté d’expression n’est pas absolue : la diffamation, l’injure, l’incitation à la haine, l’apologie du terrorisme  et la diffusion d’images pédopornographiques constituent des délits sanctionnés sévèrement par la loi pénale.

Les réseaux sociaux n’ont pas créé de nouvelles infractions mais ils les facilitent. L’anonymat favorise les risques d’abus, la virulence et la violence. C’est justement à cela qu’il aurait fallu s’attaquer. En revanche, le pouvoir de censure donné aux opérateurs de plateformes en ligne et la police de la liberté d’expression déléguée à l’administration sans aucun contrôle judiciaire, constituaient à ne pas en douter, comme l’affirme le Conseil constitutionnel, des véritables attaques à la liberté d’expression.

Jusqu’alors dans la recherche d’un équilibre entre liberté d’expression et offenses, la loi établissait un dispositif répressif (contrôle a posteriori de l’infraction) et non pas préventif comme le fait la proposition de loi par un contrôle a priori autrement dit, une censure de la parole. 

Il est certes compliqué de vivre avec la liberté de parole, elle peut effectivement faire du tort mais, comme le souligne John Durham Peters, il s’agit d’un « mal nécessaire » qu’on doit s’infliger en vue d’un plus grand bien. Puisque l’histoire de la liberté d’expression procède, pour ainsi dire, par nuisance que l’on doit toutefois tolérer, je ne vois pas comment il pourrait en être autrement.

Il a bien fallu que certains blessent le sentiment des chrétiens et des musulmans tels Diderot, Nietzsche, Marx ou Rushdie pour faire avancer la liberté d’expression.

Sans outrage, sans provocation, sans subversion il n’y a pas de liberté d’expression, rendre celle-ci inoffensive c’est tout simplement la faire disparaître. Comme l’a si bien démontré mon ami Ruwen Ogien, la démocratie est une discipline qui commence par le difficile exercice de supporter la parole d’autrui.

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  • Merci pour cet utile rappel théorique.

    Pour la pratique, il est bon de se rappeler que les non-dits sur le nazisme en RDA ont conduit les « Ossis » à avoir nettement plus de néo-nazis que les « Wessis » où le sujet avait pu être discuté, bien que très encadré.

    • Des skinheads qui avaient des parents au parti communiste, ça devait être ça la convergence des luttes.

      • Quand il y a trop d’outrages, de provocations, de subversions ou d’infamies, faut-il applaudir, Monsieur le rédacteur de cet article ?

        • Le problème c’est les mots. Non pas les mots des outrages eux mêmes mais ce que chacun met derrière les mots « outrage » « provocation « infamie » etc…
          Pour un communiste lui dire que Marx est une personne aux principes immoraux proches de la maladie mentale, et que ceux qui le suivent sont les mêmes malades mentaux, c’est de la provocation. Pour une féministe lui dire qu’elle pleure la bouche pleine parce que les femmes n’ont jamais été aussi bien protégées et que les statistiques officielles qu’elle utilisent sont mensongères et stupides, c’est de la provocation.
          Pour un prof, lui dire que si son école était si bonne que ça il n’aurait pas peur que celle ci cesse d’être financée par l’Etat et soit obligatoire, c’est de la provoc’.
          Donc comme chacun met des choses différentes sous ces mots, votre notion de « trop d’outrages » c’est aussi une fumisterie. Par opposition ce serait quoi « pas assez d’outrage »?
          Il y a toujours des gens pour justifier la violence physique à l’encontre des mots des autres parce que « c’est un outrage ». Au pays où on excuse des comportements comme celui de Zidane en coupe du monde, ça ne me surprends pas. Les mots peuvent choquer… Mais en général ceux qui ne se sont jamais pris une vraie grosse rouste sont plus choqués par les mots que par la violence physique. Moi qui me suis déjà fait poser une vraie « tête au carré », je vois parfaitement la différence entre des mots et des coups. Les mots, ça laisse pas de gravillon sous la peau. Les mots ça fait mal quand on mange. Les mots ça fout pas du sang partout sur vos fringues, et les cicatrices que ça laissent ne se voient pas de manière aussi visible.
          Applaudir? Non pas particulièrement, mais vous faites ce que vous voulez avec vos mains. L’auteur ne prétend pas vous imposer quoi que ce soit sur le sujet… En revanche punir pénalement parce que madame Pimbèche (la cousine de madame morue) est choquée, ça non, il ne faut pas. C’est une banale application du principe de non agression.

  • À la différence de l’injure et de la diffusion d’images porno impliquant des enfants, l’incitation à « la haine » est un concept totalement flou, qui se prête à toutes les interprétations, et donc à l’arbitraire. Le point central étant : qui décide de ce qui est haineux ou pas?
    Par ailleurs, ce n’est pas sous « la pression de l’émotion et des médias » que le pouvoir tente d’aller dans cette direction liberticide. Mais sous celle des lobbies communautaires qui tirent leur force de leur stratégie de victimisation, et qui ont « aidé » à la rédaction de la loi Avia. Et aussi par intérêt électoral bien compris, l’élection de Trump ayant montré que le principal risque pour le pouvoir, qui contrôle les médias dominants, réside dans la parole libre qui circule sur Internet.

    • Autant je suis d’accord sur la partie « stratégie de victimisation » dont usent et abusent certaines communautés (sexuelles, raciales, religieuses) mais aussi politiques, autant je trouve que ce que vous dites sur Trump et les médias n’est pas cohérent. Trump, cet anti-establishment, est au pouvoir et la majorité des médias dominants sont contre lui… ya totale contradiction.

      • Je me suis peut-être mal exprimé. En France, le « clan des médias dominants » est encore au pouvoir avec E. Macron, mais il redoute qu’il se produise à l’avenir la même chose qu’aux USA, où Trump a été élu en contournant le système médiatique, en particulier en utilisant Internet. D’où la tentation pour l’establishment français de verrouiller le web au maximum.

    • Ah, merci. Je crois que l’on voit ici à l’œuvre le fameux décalage de la fenêtre d’Overton: même un article libéral admet maintenant implicitement qu’on peut censurer la « haine », concept creux, flou et autoritaire (en un mot, un concept gauchiasse.)
      Remplacez « haine » par « appel à la violence » et on revient au bon sens.

  • Est il nécessaire d’en écrire autant pour constater que nous vivons dans une démocratie dictatoriale.

  • Quand on est adjoint au maire de Paris, on a le droit d’appeler au meurtre de ses collègues fonctionnaires sans la police. Cherchez l’erreur.

  • Très bon article
    je rajouterai simplement que dans le débat aussi, on peut choquer, avoir des opinions opposées à ses interlocuteurs.
    Sans même parler des « safe spaces » absurdes aux Etats-Unis, je peux constater que nombre d’interlocuteurs (notamment jeunes) n’admettent plus la contradiction et se réfugient soit dans l’invective (facho ! par exemple), soit dans une posture victimaire (ton opinion me blesse – sans penser un seul instant que sa propre opinion peut blesser quelqu’un d’autre).
    Or on progresse en confrontant ses arguments. Pas en restant dans un entre-soi confortable.

    • Le problème c’est que les instituts de formation de l’éducation nationale sont des vrais camps de formattage de la pensée…impossible d’en sortir si vous n’êtes pas communiste ou au moins sotcialiste…le problème de ce type de formattage, c’est que l’esprit critique ne saurait y être enseigné…il est donc impossible à la plupart des enseignants de transmettre quelque chose qu’il ne connaissent pas.

      Par ailleurs, les réseaux sociaux n’aident pas non plus au développement d’une pensée complexe. Avant l’apparition de FaceBook et de ses égouts – Twitter – de très nombreux forums permettaient de discuter librement de sujets complexes…les modérateurs étaient connus de tous et pouvaient si nécessaire intervenir en cas de dérives trop importantes…aujourd’hui, nombre de forums ont disparu, et beaucoup considèrent qu’un sujet vieux de plus de quelques heures n’est plus un sujet d’actualité…

      Enfin, l’éclatement des cercles d’amis physique favorise l’émergence d’une forme d’auto-radicalisation de la pensée, les individus étant abreuvés par les algorithmes de contenu les renforçant dans leurs convictions.

    • La négociation n’est pas le point fort du moment. Même les acheteurs pros ne savent plus faire autre chose que du tout ou rien.

  • la diffamation, l’injure, l’incitation à la haine, l’apologie du terrorisme et la diffusion d’images pédopornographiques constituent des délits sanctionnés sévèrement par la loi pénale.
    Non, justement. L’incitation à la haine ne peut figurer dans cette liste: 1) l’Etat n’a pas à être le maître de nos sentiments, 2) la haine est non mesurable objectivement, cela ouvre la voie à l’arbitraire.
    Toute personne qui reçoit une critique peut affirmer être haïe. C’est donc l’interdiction de la critique que cette loi portait, et bien sûr on le comprend, de la critique des catégories protégées de façon discriminatoire par l’Etat.

    • On peut même pousser plus loin :
      si j’écoute un écolo soviètoïde qui m’exaspère au point que je le frappe ; sera il aussi condamné pour m’avoir incité à la haine ?

    • 100%. D’où l’importance des mots. Utiliser les mots inventés ou détournés par la gauche, c’est un début de soumission à ses idées…

      • L’extrême-droite et autres personnes pauvres en arguments construits (et d’autres clowns malhonnêtes) sont friands de ces mots inventés, cela permet de créer une catégorie ad hoc pour y mettre ce qu’ils veulent et jeter le sac en une fois. Pensons par exemple à soviétoïde, droit-de-l’hommisme, escrologistes, khmers verts, etc etc.
        C’est fréquent malheureusement.

  • Trois, mais ils comptent double … ! 6 bêtes…

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