Fin de la loi Avia contre la haine : le triomphe de la Constitution

La loi Avia a été censurée par le Conseil constitutionnel et c’est heureux pour nos libertés.

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Fin de la loi Avia contre la haine : le triomphe de la Constitution

Publié le 20 juin 2020
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Par Nathalie MP Meyer.

Belle journée que le 18 juin pour les libertés publiques en France !

Hasard du calendrier, certes, mais la loi Avia contre la haine sur internet ayant été soumise à la moulinette du Conseil constitutionnel le 18 mai 2020 par des sénateurs emmenés par Bruno Retailleau (LR), c’est un mois plus tard, soit 80 ans jour pour jour après l’appel du général de Gaulle enjoignant aux Français de résister à l’oppression que les membres du Conseil ont lourdement dépecé cette loi déjà dénoncée pendant tout son parcours législatif comme extrêmement dangereuse pour la liberté d’expression.

 

Aucun juge, l’administration aux commandes

Comme souvent, tout avait commencé par les meilleures intentions du monde : la haine ne passerait plus par internet, et le monde virtuel serait enfin tout beau et tout gentil ! Les propos haineux, les apologies de la violence et de la discrimination, le non-respect des lois mémorielles, les invectives racistes, homophobes, sexistes, etc. – tous ces contenus que d’aucuns se croyaient autorisés à pondre derrière l’anonymat de leur écran allaient enfin disparaître des réseaux sociaux !

Concrètement, la loi Avia s’articulait autour de deux grandes mesures inscrites dès son article premier.

Contenus à caractère terroriste ou pédopornographique 

L’administration pouvait demander aux plateformes en ligne de les retirer dans un délai d’une heure, faute de quoi elles encouraient une peine d’un an de prison et 250 000 euros d’amende.

Contenus à caractère haineux ou sexuel

Les plateformes en ligne devaient les retirer ou les rendre inaccessibles dans les 24 heures sur simple signalement d’une personne ayant simplement donné son nom et les raisons qui rendaient selon elle ce contenu illicite au regard de la loi Avia. Là encore, des sanctions pénales à l’encontre des plateformes étaient prévues en cas de manquement à cette obligation.

 

Dans les deux cas, aucun juge à l’horizon pour rendre une décision de justice à charge et à décharge ; seulement l’administration, qui est censée appliquer les décisions du pouvoir en place et lui en rendre compte, ce qui n’est jamais bon pour échapper à l’arbitraire et au discrétionnaire de décisions purement politiques ; ou alors seulement les signalements de particuliers dont il y a tout lieu de craindre qu’ils pourraient devenir extrêmement vagues et nombreux, compte tenu des faibles conditions requises.

 

La haine n’est pas une notion juridique

Second problème, et de taille, la haine n’est pas une notion juridique.

Elle n’est définie par aucun texte qui permettrait de savoir où s’arrête la liberté d’expression et où commence la haine selon la loi Avia. Il est vrai que cette dernière donnait une liste assez vaste de tout ce qui tombait sous le coup de ses interdictions.

Mais prenons le cas de la discrimination religieuse, par exemple. Lorsqu’en début d’année, la jeune Mila tenait sur Instagram les propos ci-dessous :

« Je déteste la religion […], le Coran, il n’y a que de la haine là-dedans, l’Islam, c’est de la merde, c’est ce que je pense. […] Votre religion, c’est de la merde, votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul, merci, au revoir »

Ces propos, qui lui ont valu harcèlement, menaces de mort et toute la bêtise idéologique de la garde des Sceaux, était-elle dans la haine façon Avia ou faisait-elle simplement usage de sa liberté d’expression ?

Pour rendre sa décision de non conformité avec la Constitution, le Conseil constitutionnel s’est appuyé sur l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC, 1789) :

« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »

Actant d’abord que l’évolution des technologies et des pratiques de communication rend les plateformes d’expression et de débat en ligne parfaitement éligibles au droit défini dans cet article, les Sages soulignent ensuite que le législateur a toute compétence pour réprimer les abus de la liberté d’expression – ce que la loi Avia se flattait de faire eu égard aux contenus à caractère terroriste, pédopornographique, haineux ou sexuel.

Mais le Conseil constitutionnel insiste également sur le fait que la réponse envers les abus en question doit être « adaptée, nécessaire et proportionnée au but poursuivi », faute de quoi elle porte une atteinte inconstitutionnelle à la liberté d’expression et de communication.

C’est précisément là que rien ne va plus dans la loi Avia.

 

La loi Avia et son atteinte à la liberté d’expression

Dans le cas des contenus pédopornographiques ou d’apologie du terrorisme, l’atteinte à la liberté d’expression est constituée par le fait que l’administration devient seul juge du caractère licite ou illicite des propos ainsi que par le minuscule délai d’une heure laissé aux plateformes pour retirer les contenus incriminés.

Dans le cas des contenus haineux ou à caractère sexuel, le court délai de 24 heures associé aux peines encourues, et au fait que n’importe qui puisse opérer un signalement sans aucune confrontation judiciaire risque de pousser les plateformes à retirer tous les contenus signalés sans prendre le temps de vérifier précisément leur caractère effectivement illicite. D’où une nouvelle atteinte évidente à la liberté d’expression.

Si le Conseil constitutionnel qualifie sa décision de « non-conformité partielle », c’est en réalité toute la loi Avia qui s’effondre, car la censure de son article premier entraîne tout le reste qui n’en était qu’une série de modalités particulières.

Madame Avia ne s’avoue pas vaincue pour autant dans son « combat de longue haleine contre les discours de haine sur internet ». Elle a d’ailleurs immédiatement relancé l’idée de la création de deux nouveaux « bidules » à coup sûr citoyens et solidaires : l’observatoire de la haine en ligne et le parquet judiciaire spécialisé.

Mais pour l’instant, sa loi contre la haine en ligne est retoquée pour non constitutionnalité, et je m’en réjouis. Ce qui est très plaisant dans cette affaire, c’est de penser que nous avons des institutions qui font leur travail et, surtout, que nous vivons sous le régime d’une Constitution qui est encore capable de garantir effectivement nos libertés publiques.

Malheureusement, ainsi que je l’écrivais il y a environ un an, nombreux sont les partis, les factions, les groupes d’opinion qui tentent de faire prévaloir leur point de vue en essayant de le forcer au sein de la Constitution.

Après le principe de précaution sanctuarisé par Jacques Chirac dans la Charte de l’environnement intégrée au bloc de constitutionnalité, le gouvernement actuel souhaite y inscrire l’impératif écologique. On assiste aussi à des tractations pour y faire figurer le droit à l’avortement, tandis que d’autres pensent aux racines chrétiennes de la France, et d’autres au droit des animaux, voire au droit des arbres.

La Constitution a beau être le texte fondamental de notre République, celui qui, trônant au sommet de la hiérarchie des normes, est censé limiter les pouvoirs des gouvernants et définir les rapports entre les gouvernants et les gouvernés afin de garantir à chaque citoyen que ses droits naturels seront protégés, elle n’en est pas moins l’enjeu ultime de tous les constructivismes idéologiques.

Cette fâcheuse tendance revient à vouloir graver dans le marbre l’état de la science, de la culture, de l’histoire ou de l’opinion. Une tendance contre laquelle il nous faut résister de toutes nos forces, faute de quoi le Conseil constitutionnel n’aura plus, à l’avenir, qu’à admettre que toute nouvelle loi, aussi réductrice et privatrice de liberté soit-elle, est parfaitement constitutionnelle.

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  • Loi Avia… La pelle du 18 juin !

  • Petite précision.
    J’entends souvent l’argument de la « haine-sentiment » qui n’a donc pas à subir, comme tous les sentiments, de limitation juridique.
    Certes. Mais.
    C’est oublier que la haine en elle-même n’est pas visée. C’est son expression qui l’est.
    Article 1er de la loi de 1972 contre le racisme (et la discrimination, et la violence, etc) :
    « Ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux publics, soit par des écrits, dessins ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués auront provoqué à la discrimination, la haine, la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d’un emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de 2 000 à 300 000 Francs ou de l’une de ces deux peines ».

    Pour le reste, rien à dire : la loi Avia, en consacrant, sur le terrain internet, le rôle de l’Administration, et des GAFAs et Cie, au détriment du juge, était clairement anticonstitutionnelle.
    Ce n’est donc pas la victoire de la liberté qu’il faut applaudir, mais celle du droit. Ne nous trompons pas de vainqueur…

    • En effet, mais réprimer la haine n’est-ce pas faire en sorte de l’accentuer, cette loi déjà était à l’opposé de l’effet escompté, la bêtise de nos députés défit le temps et semble éternelle.

    • Cettes, mais comment fait-on pour évaluer objectivement la haine, c’est-à-dire sans arbitraire?
      Comment peut-on mettre dans la même appréciation la provocation à la violence (la consequence de la provocation est ici mesurable) et la provocation à la haine?

  • Ouf. Les petites frappes de banlieue vont pouvoir continuer à menacer de mort le moindre contrevenant à l’ esprit du prophète. Parce qu’ entre nous, et c’ est bien le problème de cette loi débile, nos ravis de la crèche voulaient encadrer cette radicalité particulière sans le dire en mettant tout le monde dans la partie.

    • Et l’ état faisait coup double en se désengageant de la gestion du problème, comme si d’ ailleurs aucune loi en vigueur ne permettait pas de le résoudre.

    • « nos ravis de la crèche voulaient encadrer cette radicalité particulière »

      Non. La censure n’a d’intérêt que parce qu’elle s’applique à tous et pour tout, le particulier est l’excuse trouvée.
      Sinon, à vous croire Milla serait déjà retournée dans son établissement scolaire et ses tourmenteurs convoqués, ce qui n’est pas le cas.

      • Evidemment que non, mais il n’ en demeure pas moins condamnable alors que qu’ au travers de cette loi il s’ en serait lavé les mains, puisque la responsabilité incomberait aux réseaux sociaux.

    • Ca a été dit, regardez l’affaire Milla. Qu’est-ce qui vaut mieux ? Que cette fille ne puisse pas s’exprimer (ce qui, par la magie de cette loi, serait finalement arrivé) ? Ou que ceux qui appellent à l’asperger d’acide ne puissent pas le faire et passent directement à l’acte au détour d’un couloir du lycée ?
      Ne vous en déplaise, dans cette déplorable histoire, il y a une jeune fille déscolarisée (tant pis pour elle, diront certains, elle l’a bien cherché), mais il y a aussi au-moins un auteur de menaces contre elle qui a été identifié et mis en examen. Dans le cadre des lois actuelles. Avec entre autres chefs d’inculpation usurpation d’identité. Une zone de non droit où on peut faire n’importe quoi derrière un confortable anonymat, Internet et les réseaux sociaux ? Uniquement dans la com’ gouvernementale.

  • madame avia ferait mieux de se pencher sur les clips de rap anti français , avec ses appels aux meurtres , entre autres débilités , vociférés par des individus revanchards et plein de haine envers notre pays ; ha voui , mais les  » artistes  » , c’est pas touche….

    • Nous sommes en train de vivre une époque où, au nom de la victimisation, tout est permis pour haïr le français blanc d’origine. Quand on dit que « l’émotion prime le droit » on encourage ces comportements imbéciles. La loi Avia ne réglait rien sur ces déviances. Elle participait simplement à transformer ce qui nous reste de démocratie en démocrature. Démocrature qui n’est qu’une antichambre de la dictature qui sera imposée par des minorités très agissantes.

  • Y a malgré tout un malaise , des députés ont voté cette loi et à la majorité, ils sont toujours là. Ne faudrait il pas une loi pour châtier un élu allant à l’encontre de la constitution pour éviter un remake pouvant passer inaperçu, le CC n’est pas à l’abri de l’erreur. Pas besoin d’être constutionaliste pour savoir que cette loi était immonde et impraticable.

    • Ils ont voté par pure démagogie de base ne compte que leur réélection

      • Non non, ils envisagent aussi de candidater à des postes plus prestigieux encore…

      • @françois85: Quand on fait plaisir à un lobby, ce n’est pas de la démagogie. Je ne vois pas l’avantage de l’électeur, même bobo dans cette loi…

    • Non. Les députés (tanches infectes qu’ils soient) ont le droit de se tromper et le CC a – miraculeusement – fait son job.
      Par besoin de lois supplémentaires ni de possibilité pour le CC de faire et défaire les gouvernements; sinon le jour où quelqu’un essaiera de faire du vrai boulot il le fera avec un couperet non démocratique sur sa tête.
      S’il y a un problème c’est la possibilité pour un clown néfaste comme Macaron ou Chirac de tripatouiller la constitution pour faire plaisir à son électorat.

    • A la quasi unanimité en lremière lecture…

  • Avia, n’est ce pas une marque de carburant?
    Sérieusement encore une gamelle pour LA REM….quel plaisir !

  • Je me demande s’il n’y aurait un peu de racisme de la part du conseil constitutionnel,il lui ont franchement mis ça race

  • Petit problème. Il doit tout de même y avoir au gouvernement et parmi les députés moins crétins un ou deux juristes, qui ne pouvaient pas ne pas savoir que cette loi serait passée a la moulinette.
    Le gouvernement l’a malgré tout présentée, et les suiveurs l’ont votée, tous espérant qu’il y aurait un adulte dans la pièce, qui annulerait cette sinistre blague.
    Ni le gouvernement ni les suiveurs ne montrent un grand sens de responsabilité.

  • Dire que c’est une avocate qui a porté cette loi et que la fausse droite avait voté pour en première lecture.
    On peut se féliciter de la censure du CC, mais sur le fond des problèmes, il va falloir continuer la résistance. Ne serait-ce que sur les délires ecolos.

  • je crains qu’elle va tenter de revenir d’une autre façon… Ces gens-là ont besoin de faire parler d’eux.

    et concernant la loi de 1972 : « la discrimination, la haine, la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée,  »

    apparemment la haine, la violence qui ne sont pas pour ces motifs est licite ???

    enfin, dès que l’on effectue un choix, on effectue une discrimination…

  • Les commentaires sont fermés.

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