Taxation du digital : gare à l’effet boomerang

Qui supporte, en définitive, le poids effectif d’un impôt ?

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Blue plastic boomerang on white background By: Marco Verch Professional Photographer and Speaker - CC BY 2.0

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Taxation du digital : gare à l’effet boomerang

Publié le 4 juin 2020
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Par Victor Fouquet.
Un article de l’Iref-Europe

« Je pense que le vrai combat, il n’est pas sur l’ISF, ça c’est le combat du XXe siècle. Le vrai combat, qui est autrement plus difficile à livrer, c’est de taxer les géants du digital, qui aujourd’hui ont gagné beaucoup de puissance » (Europe 1, 22 mai 2020).

Excipant à juste titre du caractère démagogique d’un rétablissement de l’ISF, Bruno Le Maire en a profité pour rappeler son nouveau cheval de bataille fiscale : taxer les « géants du digital », autrement dit les cinq GAFAM : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

C’est là pour nous l’occasion de rappeler quelques éléments – incontournables quoique largement oubliés – des phénomènes d’incidence fiscale, en concentrant notre propos sur les impôts (à l’exclusion donc des cotisations sociales) pesant sur les entreprises (à l’exclusion donc des individus).

Une question ignorée : qui paie l’impôt ?

Qui supporte, en définitive, le poids effectif d’un impôt ? C’est l’une des questions les plus fondamentales de l’analyse économique de la fiscalité, et pourtant l’une des plus ignorées par le pouvoir politique. On sait en effet que si tel ou tel impôt frappe des contribuables bien déterminés, ceux-ci ont parfois la possibilité d’en répercuter la charge sur d’autres agents économiques, si bien que le contribuable réel n’est pas nécessairement celui qui était visé par le législateur.

En l’espèce, il s’agit de déterminer qui supporterait la charge effective, ou qui bénéficierait réellement d’éventuels alourdissements de taux ou d’assiette d’une imposition des GAFAM. Le problème vient du fait que les prélèvements obligatoires affectent souvent les prix et/ou les rémunérations des facteurs de production.

Ils peuvent ainsi donner lieu à une « translation » du contribuable de droit au contribuable de fait. Celle-ci est qualifiée de répercussion (ou translation) « vers l’aval » lorsqu’elle s’effectue par le biais des prix de biens ou services vendus ; la répercussion « vers l’amont » est celle qui s’opère, par exemple, des consommateurs vers les vendeurs par la voie d’une contraction du prix de vente hors taxe, ou des employeurs vers les salariés lorsqu’une augmentation de leur charge fiscale se traduit par un freinage des salaires qu’ils versent.

Il n’y aurait pas de raison, s’agissant des entreprises du secteur digital, pour que les diverses répercussions possibles se présentent selon des processus différents. Une augmentation de leur fiscalité ferait l’objet d’une translation « vers l’aval » si elle était incorporée dans les prix de revient et de vente des services qu’elles proposent et, par conséquent, répercutée sur les consommateurs ; ou d’une translation « vers l’amont » si elle était répercutée sur les salariés sous la forme de diminutions ou de moindres augmentations de leurs rémunérations.

Certes, lorsqu’elle ne peut faire l’objet d’aucune translation à court terme, l’imposition peut affecter les bénéfices distribués ou l’autofinancement des entreprises.

Dans cette seconde éventualité, elle risquerait toutefois d’affecter leurs investissements, ce qui pourrait se traduire, à moyen terme, par des prix de revient et de vente plus élevés, et conséquemment par une répercussion sur les consommateurs.

Mais tout dépend, pour chaque firme, de sa position par rapport à celle de ses concurrents, de l’élasticité-prix de la demande qui lui est adressée et de ses perspectives d’expansion. Compte tenu de leur position archi-dominante, les GAFAM seraient bien placés pour réajuster leurs prix de vente et amortir le surcroît de fiscalité, aux dépens des consommateurs ou des utilisateurs. Ainsi ne faut-il pas négliger le fait qu’une fiscalité ad hoc sur les GAFAM pourrait avoir un impact bien plus large que sa répercussion immédiate et que ses effets pourraient se diffuser à l’ensemble de l’économie, par le biais des modifications des prix relatifs et des revenus réels.

Ce n’est jamais l’entreprise qui supporte l’impôt

On peut en fin de compte s’interroger sur la véritable signification des impôts qui sont juridiquement à la charge des entreprises. Tous sont toujours supportés, en dernier ressort, par des personnes physiques :

  • les consommateurs, en cas de répercussion dans les prix ;
  • les salariés, si l’on considère qu’en l’absence de ces impôts leurs rémunérations auraient pu être plus élevées ;
  • les propriétaires d’entreprises, en cas d’absence de répercussion, ou de répercussion partielle.

Le problème de l’incidence apparaît comme capital, puisque sans une appréciation correcte de celle-ci, il est impossible de se faire une opinion convenable sur la justice et sur les effets réels d’un impôt, fût-il mis à la charge des affreux GAFAM. L’objectif ne devrait donc pas tant être de porter atteinte à la capacité concurrentielle des GAFAM par l’impôt que de créer les conditions et l’environnement fiscal qui soient propres à faire émerger sur le Vieux Continent des champions du numérique de puissance comparable…

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  • c’est le client final qui paye tous les impots! point!

    • oui, seule la concurrence fait baisser les rémunérations.

      • Mais je ne crois pas que l’objectif de l’impôt soit de faire baisser les rémunérations. Je me trompe ?

    • Pas vraiment, c’est l’entreprise qui paie tout, ton salaire tes taxes tes impôts, tout part de la source…

      • Mais elle ne le fait qu’en échange de ton temps.

        Augmenter le impôts sur les entreprises c’est augmenter le temps qu’il va te falloir pour accumuler l’argent qu’il te faut pour maintenir ton train de vie actuel.

  • « taxer les géants du digital » : traduction : ça devient difficile de taxer plus ces salauds de Français ( cfr gilets jaunes ) : il ne reste plus à taxer que les firmes étrangères, en surfant autant que possible sur l’antiaméricanisme et l’antirichisme pour masquer le fait que les consommateurs français seront, in fine, les vrais cochons de payants.

    • plumer l’oie pour récupérer un maximum de plumes, avec un minimum de cris.
      Rien de nouveau sous le soleil.

    • C’est l’essence même de la libre concurrence d’avoir des lois communes à tous. En cela la taxe des gafams est un sujet d’importance.

      En revanche que nous soyons incapables de les concurrencer en raison d’une pression fiscale démesurée est également un problème qu’il faudrait soulever. Mais c’est un problème différent

  • Quand un continent n’a pas été fichu de développer une industrie du digital de la taille des GAFAM américains ou BATX chinois, il ne lui reste plus qu’une seule arme: la taxe!
    D’un côté des industriels créateurs de richesses, de l’autre de minables fonctionnaires taxomanes.

  • c’est pour cela que les entreprises ne sauraient être taxées et leur taxation est une aberration économique créée par des politiques stupidement ignares et incapables de gérer leurs budgets

    • Certainement pas par dew politiques stupides ou ignares. Plutôt par des politiques suffisamment cyniques pour estimer qu’il est plus facile de dire au peuple : « on va faire payer les entreprises / les patrons » tout en sachant parfaitement qu’au final, ce sont toujours les mêmes portefeuilles qui sont mis à contribution.
      Et vous savez quoi ? Le pire, c’est que ça marche. Un politique qui se présenterait en disant : « le pays rencontre des difficultés financières, nous devrons tous nous serrer la ceinture pour y faire face » n’a aucune chance d’être élu. Le même qui dirait : « nous allons augmenter les charges patronales pour résorber le déficit, et faire payer telle ou telle entreprise / telle ou telle grosse fortune » peut passer.

    • Je ne comprends pas. Puisqu’il est dit qu’au final ce ne sont pas les entreprises qui paient l’impôt… tout est ok du coup.

  • Evident sauf pour nos socialistes étatiques de droite ou de gauche !!! Il suffit de se souvenir des affirmations du type : » la TVA est l’impôt le plus injuste  » pour être certain que même un ancien premier ministre peut dire des âneries car si l’on supprimait la TVA pour augmenter les impôts sur les entreprises cela ne changerait pas le prix final d’un seul cent ( Loi mathématique : A X B X C = B X C X A = C X A X B ….) !!!! Par contre la suppression de la TVA faciliterait l’importation des produits étrangers et freinerait nos exportations faites hors taxes ; à l’inverse une forte augmentation de la TVA avec réduction des impôts des entreprises équivalent freinerait les importations et favoriserait nos exportations !!! Mais tout cela est trop compliqué pour un énarque !!!!

    • Pour un énarque, si on peut augmenter une taxe ou un impôt, c’est signe qu’il avait de la marge. La compensation par la baisse ou la suppression d’un autre prélèvement serait donc une aberration.

  • Les commentaires sont fermés.

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