Coronavirus au Mexique, une tragédie annoncée ?

Dans son édition du 14 avril, le Financial Times a tiré la sonnette d’alarme : sauf changement radical sur la route, le Mexique est en train de passer de manière accélérée d’une décomposition graduelle à une grande crise.

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Coronavirus au Mexique, une tragédie annoncée ?

Publié le 2 mai 2020
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Par Juan Cristóbal Cruz Revueltas1.
Un article de la revue Conflits

Au-delà du grave problème de santé qu’elle représente, l’épidémie du coronavirus a deux effets majeurs sur le Mexique. Elle donne un coup d’arrêt au projet du président López Obrador et, surtout, met le Mexique sur le chemin d’une pente inquiétante et dangereuse.

Il semble bien loin le 1er décembre 2018 lorsqu’AMLO (acronyme qui le désigne) avait tous les éléments nécessaires pour conduire à bon port le pays : un triomphe électoral avec plus de 30 millions de voix et le contrôle des deux chambres avec son parti (MORENA).

À ce moment-là, AMLO avait besoin de peu de choses pour se présenter comme le sauveur de la patrie, surtout face à l’image frivole, sulfureuse et de grande corruption du président sortant, Peña Nieto.

Malgré sa figure de candidat populiste, AMLO aurait bien pu devenir le dirigeant pragmatique de la quinzième économie mondiale. Mais ce ne fut pas le cas. AMLO a choisi de suivre une sorte de synthèse entre le dirigisme des années 1970 et le populisme du XXIe siècle.

De l’ancien étatisme nationaliste, il a eu l’ambition de faire de l’État un grand acteur économique, notamment de l’industrie pétrolière. Le côté populiste lui vient de son tempérament revanchard, de son obsession à diviser la société en la polarisant, de sa volonté à centraliser tout le pouvoir et, à la fois, d’affaiblir tous les contrepoids institutionnels et même ceux de la société civile. ONG et médias inclus.

En d’autres termes, son projet semble bien avoir comme but la renaissance de l’ancien parti centralisé, autoritaire et populiste qui régnait sur le Mexique dans les années 1970, à la même époque où le jeune Andrés Manuel López Obrador s’initiait en politique en adhérant au parti hégémonique, le PRI.

Une grande fragilité économique

Cependant, la progressive consolidation de ce projet autoritaire ressemble bien, par ses continuelles maladresses, à une longue succession de triomphes pyrrhiques. Au cours de sa campagne politique, Obrador avait promis de sortir le Mexique de la croissance médiocre des dernières décennies et d’atteindre 4 % de croissance annuelle.

Pour parvenir à ce but, le nouveau gouvernement aurait eu besoin d’un niveau d’investissement à hauteur de 30 % du PIB. Néanmoins, l’annulation de grands travaux publics et privés, en dehors de tout cadre juridique, a brisé la confiance des investisseurs. Il n’est pas étonnant que, en 2019, l’investissement privé ait été le plus faible jamais enregistré au Mexique depuis 2005.

Comme si cela ne suffisait pas, on a promulgué une loi « d’austérité républicaine » : « … pour […] la gestion efficace et efficiente des ressources… » (loi fédérale républicaine sur l’austérité, article 4, section I). La mise en œuvre de cette loi, quelque peu étonnante pour un gouvernement dit de gauche, a eu pour effet le plus faible investissement public depuis 20 ans.

Les conséquences ne se sont pas fait attendre. Jusqu’en 2018, le Mexique avait suivi le cycle économique de son principal partenaire commercial. Mais, avec AMLO, l’économie mexicaine s’est contractée 0,1 % en 2019, une première depuis 10 ans, alors que l’économie de son grand voisin du Nord progressait de 2,1 %. En 2019, selon le New York Times (1), le Mexique n’a produit que 342 000 nouveaux postes d’emploi. Selon certains observateurs, nous sommes passés d’un taux de chômage de 3,3 % en 2018 à 3,6 % en 2019. La rareté des emplois sera difficilement un bon moyen pour favoriser l’égalité si prônée par AMLO.

De toute évidence, les décisions prises par AMLO ont rendu impossible la croissance économique. Ses partisans ont soutenu l’argument douteux selon lequel, peu importe la croissance du PIB puisque le gouvernement du président mexicain concentre ses efforts pour soutenir les plus défavorisés.

Cependant, aucun de ses grands projets, auxquels son gouvernement a consacré environ 3,55 milliards de dollars en 2019 – alloués à la production d’essence et au tourisme –, ne vise directement à améliorer les conditions des personnes précaires. Encore moins son projet de sauvetage de la compagnie pétrolière d’État, Pemex, dont l’effort s’est traduit par une perte de 17 000 millions de dollars seulement pour l’année 2019.

Notons qu’ignorant le changement climatique, la recherche d’énergies alternatives et le fait que le marché pétrolier se soit évaporé, AMLO insiste pour continuer à investir pour ce dernier. Quant aux programmes destinés aux plus défavorisés, il faut se rappeler que, pendant la période 2014-2018, c’est-à-dire avant l’élection d’AMLO, le pays était passé de 11 % à 7 % des Mexicains en situation de pauvreté extrême, soit environ 3 millions de personnes en moins en situation précaire.

Néanmoins, le gouvernement actuel a commencé par défaire certains programmes sociaux lancés au cours des dernières décennies – en particulier Prospera – pour mettre, à la place, des programmes de bourses par nature difficiles à surveiller et facilement transposables en politique clientéliste et génératrice des effets pervers (par exemple, en induisant les jeunes à abandonner les études).

L’épidémie aggrave la situation

L’effondrement de l’économie du pays et l’épidémie de Coronavirus n’ont pas changé le programme et les stratégies d’Obrador d’un iota. D’abord, son gouvernement a mis la clef sous la porte du système de santé populaire (Seguro Popular) qui avait fait ses preuves depuis 2003. Actuellement, le nouveau système de santé populaire (Insabi) est très fragile.

Par ailleurs, durant les jours décisifs qui ont suivi la préparation du pays et la sensibilisation de l’opinion publique face à l’épidémie, le président a maintenu ses tournées nationales et a incité les gens à acheter des billets de loterie avec comme 1er prix l’avion présidentiel.

Comme le soulignent constamment les observateurs, il se conduit davantage comme un candidat en campagne que comme un président. Ses détracteurs l’accusent aussi de délaisser la santé et le bien-être des Mexicains. Avec l’épidémie du coronavirus, la pauvreté va augmenter.

Mais, effectivement, AMLO n’a l’air de se soucier que de sa base électorale. Le 2 avril dernier, en plein pendant de la crise du Coronavirus, le président mexicain a déclaré que l’épidémie « l’arrange bien » (« como anillo al dedo ») pour son projet. Pas étonnant qu’Obrador ait déjà perdu 20 points d’approbation en une année. Alors qu’il était un président extrêmement populaire, il s’installe dans la désillusion, le désaccord et la confrontation au moment où le Mexique doit faire face à la pire crise qu’elle ait connue au cours des cent dernières années.

Le gouvernement d’AMLO sera probablement, sauf surprise, le seul au monde à ne pas offrir un grand programme de soutien aux PME. Aujourd’hui, face à la probable destruction du tissu industriel, plusieurs gouverneurs du Nord, qui est la zone la plus industrialisée du pays, ont commencé à réclamer un nouveau pacte fiscal.

Notez que, en effet, les grands projets d’Obrador favorisent les États du Sud, en particulier Tabasco, son État natal. L’horizon inquiétant d’une fragmentation de l’État mexicain vient d’être ouvert. Dans son édition du 14 avril, le journal britannique Financial Times a tiré la sonnette d’alarme : « sauf changement radical sur la route, le Mexique est en train, avec AMLO, de passer de manière accélérée d’une décomposition graduelle à une grande crise ».

Les esprits les plus éclairés du Mexique s’accordent à dire qu’avec le président actuel, la société se sent abandonnée par l’État. Ainsi, une chercheuse du Colegio de Mexico, Isabel Turrent, a exprimé publiquement ses regrets : « López Obrador a mis nos vies et notre avenir économique en danger. Chacune de ses mesures a mis le pays au bord du gouffre » (Isabel Turrent, REFORMA, 12 avril 2019).

Sur le web

  1. Professeur de Philosophie politique à l’université mexicaine autonome de l’État de Morelos. Dernier ouvrage paru : avec Lacorne, Denis, Una democracia frágil: religión, laicidad y clases sociales en los Estados Unidos, Ed. Marcial Pons, Madrid 2017.
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  • la democratie a un coût ! le populisme
    le premier d’entre eux consiste a se faire élire par la masse populaire avec des promesses d’aider les plus faibles grâce a l’impôt, numériquement c’est imparable meme César a employé la methode,
    Ce qui conduit assez rapidement a mettre en péril les petites entreprises et conduit peu a peu vers une politique de la demande par la subvention d’etat,Le corollaire étant l’augmentation du chomage et l’aggravation de la dette et de la balance des payements,,
    La subvention aux plus faibles augmente géométriquement par les effets induits décrits précédemment, la boucle est bouclée,
    A partir de là , quels que soient les organisations élues , elle ne peuvent plus faire marche arrière , et c’est la fuite en avant , jusqu’au totalitarisme induit par la social democratie!
    En tout cas a ce titre la France peut servir d’exemple

    • Je ne connais pas les institutions de ce pays, mais le populisme n’arrive jamais par hasard, il semble s’installer contre la corruption et les violences, qui elles mêmes sont les conséquences de désordres comme une justice faible. Le problème des démocraties est toujours leurs faiblesses institutionnelles (par exemple indépendance stricte de la justice, contre-pouvoirs, Etat décentralisé..) pour faire valoir le droit. Il faut à tout prix que ceux qui s’emparent du pouvoir ne s’établissent pas en caste.
      C’est sûr qu’au regard de ces éléments la France a quelque chose de la République bananière.

    • Entièrement d’accord avec Claude ! La démocratie mène inexorablement au populisme et à la démagogie, et donc au socialisme… (qu’il soit de droite ou de gauche, rouge ou brun…) !!

      Il faut revenir à un suffrage censitaire!

      • Bravo, ça tombe sous le sens !
        Et a propos de sens et de cens, comme vous êtes sous le cens, vous n’avez plus maintenant, selon votre volonté librement exprimée que le droit de vous taire et de la fermer.
        Vous avez toute la vie pour vous lamenter sur votre manque de bon sens,

      • Nous somme tous d’accord ici (site libéral) pour dire qu’il faut éviter un pouvoir de caste alors je ne vois pas très bien comment le suffrage censitaire pourrait l’éviter ?

        • On a un permis de conduire, de bateua, de chasse , de pilotage.
          Et pourquoi pas un permis pour se présenter à une élection ?
          Du style une mini épreuve pour montrer qu’on est capable de comprendre un compte d’exploitation…Parce qu’avec la plupart de nos élus…

      • Tout dépend du cens !

        De plus, une personne qui ne possède pas le droit de vote ne signifie pas qu’elle n’a pas le droit de s’exprimer.

        La république démocratique et sociale française, libre de cens, se plaît fortement à la censure…

        Nous sommes surtout d’accord que :

        1. Le régime parfait n’existe pas !
        2. Les institutions d’un pays doivent maintenir la liberté la plus large !

        Mon opinion personnel est que le suffrage universel ne permet pas de maintenir la liberté dans un pays car il amène indubitablement au socialisme…

        Il ne s’agit pas de donner le pouvoir à une caste car tout les français quelque soit leurs origine sociale, opinions politique ou religieuses etc… peuvent DEVENIR électeur !

        Aujourd’hui nous avons peut-être le suffrage universel mais il n’empêche pas que le pouvoir appartiennent néanmoins à une caste…

        Je préfère être un non-électeur libre, que de profiter du simulacre de la citoyenneté dans une république autoritaire qui bafoue la liberté tout les jours, et où les élites s’arrangent pour que nos suffrages comptent pour du beurre quoi que nous fassions…

        Vous avez raison, selon mes propres termes, je ne serais peut-être pas électeur. J’aurais tout de fois le droit de m’exprimer librement. Quant au doit de vote, si j’en suis dépourvu, à moi de travailler et de le mériter !

        Le cens pour moi s’agit surtout de donner le droit de vote aux individus les plus responsables.

  • Le Mexique et le Venezuela on s’en fou. Le seul intérêt est que ça permet d’observer, chez les autres, les dégâts de l’idéologie socialo gocho.
    ça ne nous protège en rien de l’incompétence installée au pouvoir chez nous, attisée par les théories Bisous-Nounours et écolodingue.

  • Les mexicains auraient dû savoir qu AMLO était un ami dé Maduro, Castro,Ortega et compagnie. Il mènera le pays au niveau du Venezuela.
    Le PRI est directement issu de la constitution de 1917 . A l’époque de LAZARO CARDENAS il faisait ami avec URSS même s’il appartenait au pays non aligné
    Tous les présidents sont issus du PRI
    Dans les années 80 Fox créa le PAN il sortait du PRI, IL relanca l’économie en introduisant du libéralisme
    Depuis cette époque le marché allait bon train
    AMLO a annoncé qu’il allait supprimer la corruption. J’ai une nièce universitaire qui me l’a dit sans hésiter. Mon frère était aux anges sa pension fut augmentée.
    J’en ai conclu qu’il avaient été bernés par la démagogie
    AMLO veut diminuer les émoluments des fonctionnaires. J’en ai eu la confirmation aujourd’hui d’une amie fonctionnaire.
    Il veut faire un train dans la Riviera Maya, projet dispendieux sans aucun intérêt économique
    Il aurait sûrement été un bon directeur de patronage, dans son style c’est un Maduro bis
    Combien de temps Trump va-t-il le supporter

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Auteur : Catherine de Vries, Professor of Political Science, Fellow and member of the Management Council of the Institute for European Policymaking, Bocconi University

 

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