Pour en finir avec la manie du PIB

Bien que le PIB soit facile à mettre en tableaux et à comprendre, ce qu’il nous dit a bien peu de rapport avec la santé véritable d’une économie moderne.

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Pour en finir avec la manie du PIB

Publié le 28 avril 2020
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Par Joseph Solis-Mullen.

Alors que le Covid-19 nous incite à réévaluer les institutions et les méthodes normalisées de fonctionnement à travers le monde, nous avons une occasion de réorienter notre pensée économique afin qu’elle reflète mieux les réalités du paysage économique moderne.

Cela commence par l’abandon du PIB.

Un outil d’analyse économique dépassé

Le PIB (Produit Intérieur Brut, ou Produit National Brut – PNB – une distinction sans importance pour ce qui nous concerne) est un anachronisme ; il est à peu près aussi utile pour nous renseigner sur la santé de l’économie moderne que de se contenter de compter le nombre de calories ingérées par une personne pour déterminer sa santé.

Le PIB est simplement la valeur monétaire totale de tous les biens et services produits par une société pendant une période donnée.

Inventé au milieu du XXe siècle, le PIB est idéal pour analyser les capacités et la santé d’une économie industrialisée et homogène produisant peu de biens intangibles. Il a été conçu pour compter des voitures, des réfrigérateurs, des tanks et des cartouches, et non pas des cours de yoga, du stockage dans le cloud, des conférences sur Zoom ou des chauffeurs Uber. Il est significatif que les propriétés les plus saillantes du PIB sont qu’il est facile à calculer et facile à comprendre : additionnez tout – plus il y en a, mieux c’est. Vous voyez ? C’est simple !

Les limites du PIB

Il y a trois problèmes fondamentaux dans le fait d’utiliser le PIB comme mesure globale de la santé d’une économie.

1) Son incapacité à faire des distinctions qualitatives, a été illustré plus haut en comparant le PIB avec la ration calorique d’un être humain. Les distinctions qualitatives que le PIB ne sait pas faire sont de deux ordres : des différences qualitatives entre objets semblables et des différences qualitatives entre objets dissemblables.

Ce sera peut-être mieux illustré avec un exemple :

– Un ordinateur portable aujourd’hui qui coûte 3000 dollars.
– Un ordinateur portable d’il y a quinze ans qui coûte 3000 dollars.

Pour le PIB, ce sont deux contributions équivalentes à la santé de l’économie ; pourtant, aucune personne sensée ne manquera d’apprécier l’énorme différence de capacité entre les deux ordinateurs portables en question. Cette valeur est complètement ignorée si on utilise le PIB comme métrique.

De même, dans l’exemple suivant, qui illustre la deuxième manière par laquelle le PIB ne sait pas faire de distinction qualitative :

– Des cigarettes pour une valeur de mille dollars.
– Des respirateurs pour une valeur de mille dollars.

Là encore, aucune personne sensée ne se trompera sur le fait que ces deux choses contribuent de manière qualitativement différente à l’économie, sur le plan personnel et sur le plan national. Mais à nouveau, en termes de PIB il n’y pas de différence entre les deux.

2) L’utilisation du PIB comme mesure globale de la santé de l’économie ne recouvre aucune mesure des pertes subies par l’économie pendant l’année.

– Des ouragans dévastateurs ont-ils balayé le Golfe du Mexique ? Tout ce qui figure dans les statistiques du PIB c’est une augmentation des dépenses de construction.

– Cette année a-t-elle vu la sortie de trois nouveaux modèles de smartphones et d’une micro-puce plus rapide ? Vous ne trouverez pas la dévaluation des modèles des années précédentes dans les comptes du PIB.

– La production d’énergie a augmenté ? Le coût de la dégradation de l’environnement est impossible à saisir par le PIB.

3) L’utilisation du PIB comme mesure globale de la santé de l’économie ne prend pas en compte le travail non rémunéré : le temps passé à jardiner, à s’occuper des enfants ou à cuisiner. Payez quelqu’un d’autre pour le faire et ce travail sera inclus dans le PIB ; faites-le vous-mêmes et il ne le sera pas. Qu’est-ce que cela signifie ?

Bien que le PIB soit facile à mettre en tableaux et à comprendre, ce qu’il nous dit a bien peu de rapport avec la santé véritable d’une économie moderne dans laquelle des concepts comme le bonheur humain et la santé de l’environnement sont importants.

Il est temps de passer à autre chose

Ce peut être par l’intermédiaire d’une application du Département américain du travail et des statistiques demandant à chacun quotidiennement de récapituler ses activités de la journée :  faire soi-même sa lessive mais confier quelques articles au pressing ; acheter du café dans un commerce utilisant des matériaux recyclés et s’assurant que ses fournisseurs s’accordent tous sur des principes de travail éthiques – etc. Les données seraient disponibles directement chaque jour, procurant une image bien plus fidèle de la santé économique de la nation. Et ce n’est qu’une proposition parmi des centaines possibles.

Nous sommes à un moment où, je pense, beaucoup sont ouverts au questionnement et prêts à repenser certaines des valeurs centrales sous-jacentes et des hypothèses fondamentales de la superstructure socio-politico-économique qui a échoué à maîtriser l’épidémie de Covid-19.

Pour terminer je voudrais juste faire remarquer que selon la vision étroite du PIB se rendre à pied chaque jour à son travail au lieu d’utiliser sa voiture est « mauvais » pour l’économie. Rien que cela, je pense, nous démontre que nous devons aller au-delà de la notion de PIB qui est depuis longtemps l’un des outils conceptuels omniprésents pour comprendre le monde et son grand tourbillon de relations interdépendantes.

Traduction pour Contrepoints de Finally Kicking the GDP Habit

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  • mesure macro économique qui sert d’abord au politiciens désireux d’agir sur l’économie..

    ça ne sert à rien de changer d’outil..

  • L’avantage du PIB sur toute autre mesure de la santé économique est sa neutralité absolue et son caractère général. Si l’on prend l’exemple de la fin de l’article à savoir vélo vs voiture, on voit bien le risque de la dérive idéologique et court-termiste en attribuant un poids excessif à la dernière lubie politique…
    Il serait alors aisé à des dirigeants retors de mettre en avant, selon leurs envie ou la mode du moment, le modèle d’une société « idéale » et d’en assoir la légitimité par un chiffre qui ne signifierait rien mais qui autoriserait tout…

    • Un boulot pour les descendants de StopCovid peut-être ?
      ?

    • Pour revenir sur cet exemple, il est faux en réalité, car aller à pied au travail au lieu de prendre sa voiture correspond juste à une réallocation des ressources. On le voit assez bien avec les bobos donneurs de leçons qui sont vertueux jusqu’au moment de partir en vacances en avion au Japon par exemple…
      C’est ici pour l’auteur juste l’erreur de confondre ce qui se voit et ce qui ne se voit pas.

  • Il manque aussi le travail au noir, le trafic des chances pour la France, le plus apporté par Buzyness and Levy et j’en oublie.

  • Le PIB mesure un flux et non une situation, ce n’est pas l’utilisation inadaptée d’un outil qui remet en cause son existence.

  • Le premier et très gros défaut du PIB est d’être « brut » : les amortissements et autres destructions de capital fixe ne sont pas compris. Le deuxième est le traitement des services non marchand (en gros le travail des fonctionnaires) qui est compté comme une création de valeur identique à son coût, ce qui est n’a pas de sens quand il y a pléthore de fonctionnaires sans utilité et ne créant donc pas de valeur (et je suis charitable car une partie des fonctionnaires, en particulier au sommet créent même de la valeur négative par leur action perturbatrice !).

    • C’est exact pour les amortissements, mais ça n’aurait de sens que pour chercher la rentabilité globale de l’économie en question, est-ce le but du PIB ?

      Pour les services non marchands, comptabiliser la valeur créée au montant des salaires revient à considérer qu’en moyenne ces salaires n’ont aucune valeur ajoutée, ce qui est déjà un bon aveu d’inefficacité, non ?

      Quoi qu’il en soit, tout ceci n’enlève rien à la valeur comparative des montants de PIB.

    • Un vrai sujet qu’il faudrait débattre .
      en rapport avec le total des emplois en france

  • Je ne me rappelle plus qui a un jour écrit que si l’on dépensait de l’argent pour détruire (et aujourd’hui recycler)
    tous les ponts d’un pays, puis les reconstruire à l’identique, toute ces sommes seraient des points rajoutés au PIB…

  • Il est certain qu’un calcul de PIB ne peut être que faussé si, ce même calcul, pend en compte la « valeur productive » des fonctionnaires en surnombre…

    • Effectivement, le vrai PIB, c’est le PIB marchand, la somme des valeurs ajoutées. Le PIB non marchand est en réalité la consommation d’une fraction du PIB marchand préalablement taxée (redistribution), et non une production.

  • Comme souvent lorsque le PIB est critiqué, l’auteur ne propose rien à la place, en dehors d’un système faible déclaratif, invérifiable, non fiable. Il s’égare en outre dans la confusion des concepts, entre PIB et patrimoine (smartphone), entre valeur objectives et subjectives (cigarettes vs respirateurs), entre externalité négatives et positives (environnement). Pratiquement chacun de ses arguments contient une erreur.

    Faire soi-même sa lessive ou s’occuper des enfants a peut-être de la valeur pour la personne qui réalise ces activités pour elle-même, mais strictement aucune pour autrui. Ces activités sont hors du champ de l’analyse économique. C’est aussi pour cette raison qu’elles ne peuvent être taxées (encore heureux, il ne manquerait plus que ça).

    Le travail non rémunéré parce que non échangé ne crée aucune valeur économique. Toute la valeur économique créée l’est dans l’échange. Pas d’échange, pas de prix (ni de quantité). La valeur se découvre à plusieurs, pas tout seul dans son coin.

    Tout en bas de l’échelle, le statut de chasseur-cueilleur errant dans la savane pour glaner de quoi survivre correspond au stade ultime de la pauvreté absolue, c’est-à-dire l’absence totale d’économie, absence totale de richesse.

    Bref, le PIB a plein de défauts, mais jusqu’à preuve du contraire, c’est le moins mauvais des indicateurs. On attend encore le génie qui trouvera mieux. A vu de nez, on va attendre longtemps.

    • Déjà commencer par passer au net en défalquant la destruction de capital fixe (en gros les amortissements). L’indicateur existe mais impossible de trouver des chiffres utilisables sur le site de l’INSEE.

      • J’ai du mal à comprendre en quoi l’ajustement de la valeur du patrimoine (stock) aurait de l’influence sur la VA (flux). Pour financer votre amortissement, vous avez dû d’abord créer de la valeur. Ce que vous faites de votre VA une fois celle-ci calculée vous regarde.

        Sinon, c’est vrai que la lisibilité et l’accès aux informations du site de l’Insee est fortement dégradée depuis un certain temps. C’est lamentable, surtout comparativement à certains de ses homologues européens, exemplaires.

        • J’ai quelques difficultés avec les finances magiques. Je préfère m’en tenir au physique. Un pays produit à la fois des produits de consommation et des outils de production. Les outils de production doivent être renouvelés (et accrus si l’on veut produire plus). A production totale constante, si l’on fait le mauvais choix de trop développer des outils peu efficaces (par exemple des infrastructures inadaptées qui engloutissent des moyens et ne rapportent pas grand chose-exemple le port de FOS !) on réduit la part de production réellement consacrée au bien être de la population. C’est bien pourquoi il me semble que la production consommable, qui est peu différente du PIB moins la consommation de capital (remplacer ce qui est usé et réévaluer à la baisse les investissements ne produisant pas ce qui était espéré) est un meilleur indicateur que le PIB. Je vous accorde cependant que les variations du PIB sont aussi un bon indicateur, au moins quand il n’y a pas de révolution technique effaçant d’un coup du capital accumulé avant de l’avoir amorti.

          • Le capital, c’est du patrimoine (stock), pas du PIB (flux). Ca n’a rien de magique, ou plutôt le raisonnement économique devient magique quand on confond les deux.

            • Le capital est bien sur un stock mais la variation du capital est un flux. Ce sont les mêmes relations qu’entre une fonction et sa dérivée ou réciproquement entre une fonction et son intégrale. La finance aurait elle des concepts différents de la physique ou des mathématiques ? La finance publique moderne est un peu trop imaginative à mon gout et un peu trop portée sur l’enfumage. J’en viens même à me demander si les ressentis ne sont pas finalement plus fiables que les avalanches de chiffres. Quand le PIB est légèrement croissant (ça c’était avant le virus) mais que la population se sent de plus en plus pauvre, j’aurais tendance à penser qu’il y a un problème avec l’indicateur.

              • La croissance du PIB est pour l’essentiel captée par l’Etat depuis 40 ans. L’Obèse condescend à laisser quelque argent de poche aux Français infantilisés, ce qui explique le sentiment de déclassement tout à fait légitime. Depuis 40 ans, tous les efforts, toute la productivité supplémentaire a été collectivisée. En outre, avec 6,5 millions de chômeurs et quasi-chômeurs incompressibles depuis plusieurs décennies, comment pourrait-il en être autrement ?

                Oui, la variation du capital est un flux, ce que je vous disais plus haut. Ca n’explique toujours pas pourquoi il faudrait soustraire la FBCF de la somme des VA, ce qui ne donne jamais que la consommation immédiate (en simplifiant). S’il ne fallait garder qu’un indicateur minimaliste, ce serait au contraire la FBCF, déterminante pour l’avenir. On observe par exemple la baisse significative des « capital goods » par tête corrigés de l’inflation aux USA depuis 2000. 20 ans de recul, ce n’est pas encourageant du tout.

              • La solution n’est pas de casser le thermomètre.

    • Je suis d’accord avec vous, c’est un indicateur neutre il me semble et pour avoir une idée plus fine de l’état d’une économie on peut le mettre en rapport avec d’autres relevés: PIB par ha, Dette, salaire médian, salaire moyen. L’approche de l’auteur est la porte ouverte à des considérations fumeuses, vire dangereuses sur « l’utilité » de telle ou telle activité économique. Définie par qui, par quoi?

  • Excellente réflexion !

  • On pourrait simplement faire PIB – Dette = PIBréel

  • C’est bien connu, quand on a de la fièvre, il faut commencer par casser le thermomètre.

    Il y a pléthore d’indicateurs qui ont été inventés. Tous partent d’une bonne intention (évidemment) : d’être plus précis que le PIB. Même Sarkozy en son temps avait utilisé un indicateur dont chaque pays pouvait pondérer les composantes à son gré. Au final, tous sont correllés, fortement correllés au PIB. Même l’IDH.

    Donc malgré ses défauts. le PIB reste un très bon indicateur.

    • On peut obtenir un bien meilleur tableau en observant les taux d’équipement des ménages par exemple. Les chiffres de production de tel ou tel bien sont aussi des indicateurs beaucoup plus concrets. La difficulté, c’est de les agglomérer. N’oublions pas que les calculs statistiques nous font perdre des informations par rapport aux données brutes. Vouloir tout résumer à un chiffre, c’est vraiment faire un raisonnement de très basse résolution.

  • Passons déjà au PIB marchand, et verra pour le BIB par après.
    Sinon, on pourrait utiliser une blockchain pour faire cela, avec cryptage de l’identification.

  • Les commentaires sont fermés.

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