Quel avenir pour le pétrole tombé à des prix négatifs ?

Avec un prix du pétrole au plus bas, ce qui est arrivé cette semaine pourrait être pour les peuples européens, sinon pour leurs dirigeants, un rappel aux réalités.

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barrels of oil by Daan Franken(CC BY-NC 2.0)

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Quel avenir pour le pétrole tombé à des prix négatifs ?

Publié le 26 avril 2020
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Par Loïk Le Floch-Prigent.

L’annonce de barils fournis à prix négatifs aux USA a semé le trouble dans toutes les rédactions mondiales : à cause et malgré le coronavirus le pétrole est redevenu un objet de convoitise.

Que s’est-il passé ?

Consommation de pétrole et covid-19

C’est assez simple, la consommation de pétrole a chuté de 30 %, les stockages sont au maximum, et les oléoducs aussi. Dans le cas qui a embrasé le monde, c’est plutôt, semble-t-il, le transport du liquide qui était saturé, les stockages étant à 90 % pleins, ce qui est de toute façon énorme. Les contrats du mois de mai étaient échus le 20 avril, les pénalités étaient lourdes.

Plutôt que de les payer les propriétaires ont préféré vendre leurs barils restants à prix négatif : ils ont donné de l’argent en plus du pétrole aux acheteurs. C’est un évènement. Cela ne signifie pas la fin du monde pétrolier, pas plus aux États-Unis que sur le reste de la planète. Pour les contrats de juin le baril a repris son prix précédent, pas merveilleux pour les vendeurs, autour de 20 dollars. C’est donc ce sujet, un baril très bas, qui est intéressant à commenter pour l’avenir et non l’accident de la veille.

La chute de la consommation n’a pas fait baisser la production et la guerre entamée par l’Arabie Saoudite contre le pétrole non conventionnel produit aux USA a donc repris.

Dans un premier temps cette guerre avait été perdue parce que les pays arabes tablaient sur un coût pour les producteurs américains de 70 dollars, au-dessous duquel ils devaient perdre de d’argent.

C’était sans compter sur les progrès techniques ; et lorsque les producteurs ont continué à produire à 40 dollars le baril, l’Arabie Saoudite a calé et le baril est remonté autour de 60 dollars, ce qui satisfaisait tout le monde.

Dans un premier temps, la crise du coronavirus a conduit l’Arabie Saoudite à tenter un accord avec la Russie pour faire diminuer leurs deux productions qui entraîneraient toutes les autres. Ils représentent à eux deux plus de 20 % de la production mondiale, mais bien davantage en potentiel, et surtout une production à coût très modéré.

L’échec de cette négociation, car débouchant sur une baisse de production peu significative, a généré une guerre des prix, un maintien de la production des uns et des autres et l’écrasement à 20 dollars le baril.

Une simple explication économique

La partie économique est simple, les grands pays producteurs peuvent tenir, les plus petits sont terrassés, les compagnies privées, minoritaires en production, ont coupé dans leurs investissements pour ne pas effrayer leurs actionnaires.

Ceux qui souffrent immédiatement sont les petites ou moyennes compagnies spécialisées aux USA dans le shale oil ; elles sont une soixantaine, très endettées et ne vont pas pouvoir honorer leurs remboursements bancaires.

L’une d’entre elles vient de se mettre en chapter eleven (protection contre la faillite), d’autres suivront. Les productions vont se maintenir pendant quelques mois, les puits les plus prometteurs vont être repris par les majors. Ce sont les banques qui seront pénalisées, mais le montant global ne va pas les mettre en grande difficulté.

À 20 dollars le baril la production de pétrole américain peut donc rester à un niveau élevé. Les tentatives de « tuer » à court terme l’industrie américaine du shale oil  risquent encore une fois de ne pas marcher, les coûts d’exploitation étant de l’ordre de 20 dollars le baril, c’est l’investissement de forage, objet des prêts des banques, correspondant à 15 dollars le baril qui pèse sur les comptes et sur les banques.

Si la consommation repart d’ici six mois, on peut donc avoir un secteur shale oil qui a changé de propriétaires, des banquiers qui ont perdu quelques milliards, et un baril qui remonte à mesure que les stockages se vident.

La politique complique la situation

C’est la partie politique qui est la plus difficile à prévoir car elle a sombré depuis des années dans l’irrationnel et dans des bagarres d’egos. On peut évoquer les USA, l’Arabie Saoudite et la Russie, mais pour imaginer l’avenir il vaut mieux parler de Trump et ses élections américaines, de Mohammed Ben Salmane et de Poutine.

Pour gagner les élections Trump a besoin de ne pas se mettre à dos le secteur pétrolier américain, Mohammed Ben Salmane a besoin de nourrir son peuple et du soutien des USA contre l’Iran, Poutine veut retrouver une place dans le concert des nations qui se limiterait à un duel États-Unis/Chine. Chacun a besoin des deux autres pour gagner et montre ses muscles.

Le grand absent de cette lutte indécise est l’Europe

Mais comment expliquer à des peuples obsédés par l’après pétrole que 85 % de l’énergie fournie dans le monde est d’origine fossile-charbon pétrole-gaz, que le pétrole est utilisé à 20 % dans l’industrie mondiale, que la première transformation à assurer est celle de la limitation du charbon et en premier lieu l’abandon de son utilisation domestique, que la plupart des pays du monde sont sans eau ni électricité et en conséquence recherchent une énergie abondante et bon marché ?

Comment expliquer que le monde ne rêve pas de bateaux à voile, d’avions solaires et de voitures électriques, que tous ont pris l’habitude de faire fabriquer ailleurs les produits sensibles, mais qui leur sont indispensables ?

Bref, que nous ne sommes ni dans l’ère post-industrielle ni dans l’ère de la disparition des énergies d’origine fossile. Ils ont fini par intérioriser que cette géopolitique du pétrole était le monde d’hier et s’y intéressent modérément, trouvant d’ailleurs dans les querelles d’egos la justification de leur mépris à l’égard du monde d’hier.

Ce qui est arrivé cette semaine pourrait être pour les peuples européens, sinon pour leurs dirigeants, un rappel aux réalités car, tandis que nous dansons autour du volcan, le pays consommateur de fossiles à prix cassés et vendeur de matériel indispensable à tous les autres, c’est encore la Chine.

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  • « Comment expliquer que le monde ne rêve pas de bateaux à voile, d’avions solaires et de voitures électriques,  »

    80% de la population mondiale s’en tape! vous pouvez le dire aux verts français?

    • Ce n’est pas plutôt 98% des gens se foutant de comment leur bagnole avance du moment que cela ne leur coûte pas cher.. Ce qui semblerait de moins en moins vrai au fur et à mesure que l’état et ses subventions est battu par le marché ?
      Le futur endettement des états n’est plus compatible avec la politique des paniers percés, il va y avoir de moins moins de gens invités à la table de l’état pour se goinfrer de nos impots.

    • Je verrai bien 95%.

      • Je dirais même 100% rien qu’en regardant ce qui se passe autour de nous! ( pour la plupart: faites ce que je dis, pas ce que je fais!). Pour les voitures électriques, j’attends de voir les bobos parisiens partir en masse en vacances sur la Côte d’Azur dans ce type de véhicule. Quant aux bateaux à voile, il suffit de compter ceux qui sortent des mêmes ports de cette Côte en une année pour être fixé! Avions électriques? il faudra pédaler fort pour décoller!

    • Je pense que 95% des français s’en tapent aussi, mais la parole est totalement accaparés par la sphère politico- médiatique, qui a besoin l’une de l’autre pour exister, À quand un discours politique sensé et raisonné? Jamais sans doute, seule la réalité de l’argent tranchera: quand le volcan de la dette explosera, toutes ces subventions et dépenses écolo-délirantes s’arreteront

      • Devant la nécessité économique et sociale, ça commence à grogner, nos dirigeants seront obligés aux priorités. Ils ne pourront pas ménager la chèvre et le choux longtemps encore, tant pis pour le choux acr sauve qui peut. C’est du réalisme imposé.

        • Si le principe de réalité avait cours en France, cela se saurait.

        • Il n’empêche qu’ils ne trouvent rien de mieux que d’annoncer la fermeture de réacteurs nucléaires en ce moment…. Ils n’ont toujours pas abandonné leurs coûteuses lubies vertes

        • « nos dirigeants seront obligés aux priorités »

          C’est ce que je me dis, mais comme il faut qu’ils révisent leur notion des priorités d’abord, je doute parfois le soir en m’endormant …

          Ensuite, priorité est antinomique avec « ensemble », qui est ce qu’on nous vend depuis des lustres.

          Le risque est qu’ils retrouvent la « pierre de lune » de Merlin et transforme la chèvre en eau pour arroser le choux.

    • ça changera le jour où j’entendrai un gamin dire à son père :

      – Papaaaa, j’veux un scooter électrique !

      On en est très loin…

  • la plus grande partie des produits que nous utilisons sont fabriqués à base de pétrole ; et ce n’est pas avec des éoliennes que nous pourront fabriquer les dits produits ;

  • Je pense que l’Europe (consommateur de pétrole) est aussi gagnante lorsque les prix du pétrole baissent, pas seulement la Chine.

    • Il ne suffit pas d’être aussi consommateur de pétrole, il faut aussi être concurrentiel dans les activités qui consomment ce pétrole. Or toutes ces activités sont plus taxées et réglementées en Europe qu’en Chine.

  • Aucune chance que ce gouvernement français ne « revienne aux réalités ».
    Le ministre B. Lemaire vient d’accorder un prêt de 7 milliards mais avec la condition suivante «Air France doit devenir la compagnie aérienne la plus respectueuse de l’environnement de la planète », « Il faut qu’Air France nous présente un plan de réductions des émissions de CO2, de transformation de sa flotte pour être moins polluante, émettre moins de bruit et être plus respectueuse de l’environnement. » (1)
    Comment comprendre que l’on puisse accorder un prêt pour sauver une entreprise avec des conditions qui vont la faire couler ?
    .
    Rappel le CO2 anthropique de l’air n’est que de 12 ppm (parties par million, 3% de 0,04% de l’air) soit absolument négligeable… Ce qui se vérifie en ce moment car les valeurs de CO2 mesurées journellement (à Mona Loa) ne varient pas.
    .
    Aucune chance que ce gouvernement français ne « revienne aux réalités ».
    Le ministre B. Lemaire vient d’accorder un prêt de 7 milliards mais avec la condition suivante «Air France doit devenir la compagnie aérienne la plus respectueuse de l’environnement de la planète », …« Il faut qu’Air France nous présente un plan de réductions des émissions de CO2, de transformation de sa flotte pour être moins polluante, émettre moins de bruit et être plus respectueuse de l’environnement. » (1)
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    Comment comprendre que l’on puisse accorder un prêt pour sauver une entreprise avec des conditions qui vont la faire couler ?
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    Rappel le CO2 anthropique de l’air n’est que de 12 ppm (parties par million, 3% de 0,04% de l’air) c’est absolument négligeable…
    Ce qui se vérifie en ce moment car les valeurs de CO2 mesurées journellement (à Mona Loa) ne varient pas.
    .
    https://www.air-journal.fr/2020-04-25-air-france-klm-obtient-une-aide-de-7-milliards-deuros-de-letat-francais-5219757.html

    • Désolé le texte est doublé, merci de l’amender.

    • Et qui va faire appliquer la condition ? Quelles sont les pénalités si elles ne sont pas appliquées ?

    • Bah, ce n’est pas un probleme de recevoir des subventions tant que les usa disent oui.
      En théorie, ces 7 milliards vont se transformer en 50 milliards d’amendes aux us ou plus..

    • « un plan de réductions des émissions de CO2 »

      Facile : vous prenez un avion actuel, vous mettez des réacteurs plus modernes qui consomment moins grâce à des réacteurs de plus gros diamètre.

      Comme ils raclent le sol vous les placez plus en avant des ailes. L’avion est déséquilibré mais vous compensez avec un logiciel bricolé pour faire compenser.

      Pour que ça aille vite et que ça coûte pas cher, vous auto-certifiez l’avion et faites l’impasse sur la formation des pilotes.

      Vous crachez 2 ou 3 avions. Le modèle est interdit de vol : vous avez donc réduit les émissions de CO2.

    • Du pur pipeau, le discours sur Airfrance, bien dans la tradition française : « on n’est pas bon, mais on ambitionne d’être les meilleurs ! « . Ouarf !
      C’est comme la condition, pour être aidé, de la non-présence dans les pays à la « fiscalité sympa »… Et Renault qui se retrouve bizarrement aux Pays-bas, pour échapper à la fiscalité française, on va pas l’aider ?!

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