L’inconnu de la sortie de guerre sanitaire

Les esprits pessimistes prédisent le chaos politique sur fond de guerre sociale tandis que les experts en tous genres annoncent déjà que le monde d’après sera conforme à ce qu’ils ont toujours pensé.

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Emergenza coronavirus By: Dipartimento Protezione Civile - CC BY 2.0

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L’inconnu de la sortie de guerre sanitaire

Publié le 22 avril 2020
- A +

Par Vincent Feré.
Un article de Trop Libre

Avec l’anaphore « nous sommes en guerre » répétée six fois lors de son allocution télévisée du 16 mars dernier, le chef de l’État a clairement voulu mobiliser les Français contre le coronavirus, dix jours après leur avoir dit que la « vie continuait », et il a voulu tout aussi clairement susciter l’union nationale derrière lui.

Après tout, dans les institutions de 1958, le président de la République est le garant de l’unité de la nation et le chef des armées. Mais Emmanuel Macron qui a toujours pensé que les Français avaient la nostalgie d’un certain « héroïsme politique », a en réalité choisi d’incarner le Père la Victoire, Clemenceau, plutôt que Poincaré qui avait appelé à l’Union sacrée au lendemain de la déclaration de guerre. Car au-delà de l’unité nationale, ce qu’il cherche c’est un surcroît de légitimité personnelle dans la lignée du « roi de guerre » analysé par l’historien Joël Cornette.

Sans discuter du choix de communication, car c’est bien d’abord de cela qu’il s’agit, jugé sévèrement par certains politistes comme Bruno Cautrès dans le journal La Croix du 1er avril – « Emmanuel Macron a voulu réactiver des symboles héroïques comme il le fait régulièrement depuis le début de son mandat […] Mais est-ce qu’on ne tire pas là une ficelle un peu grandiloquente ? » -, de façon moins polémique, l’histoire des sorties de guerre permet d’émettre quelques réserves sur le bénéfice politique assuré d’une telle stratégie.

Non pas en raison des attaques émanant des adversaires traditionnels de l’Union sacrée mais parce que si la sortie de guerre est grandement déterminée par le déroulement et l’issue du conflit, elle est aussi souvent une projection de l’attitude des Français au moment de l’entrée en guerre.

Union sacrée et unité nationale

Première leçon de l’histoire, à l’unité des Français dans la lutte contre la maladie, doit correspondre l’Union sacrée des politiques.

Dans l’esprit d’Emmanuel Macron comme dans celui de Poincaré en 1914, les oppositions politiques sont invitées à s’effacer devant l’urgence. De fait pendant la Première Guerre mondiale, même si elle n’a jamais été parfaite, l’Union sacrée a tout de même permis la cohabitation, au sein d’un même gouvernement de Denys Cochin et de Jules Guesde, de la droite catholique, longtemps hostile au régime lui-même, et de la gauche socialiste.

Et si l’on parle souvent de « dictature Clemenceau », on oublie que le président du Conseil a toujours répondu aux interpellations de la Chambre, fidèle en cela à ses convictions républicaines.

Les oppositions constructives pouvaient donc s’exprimer ; en revanche, celles qui à l’extrême gauche se sont manifestées dans le pays, notamment à partir de 1917, n’ont guère été récompensées lors des élections de novembre 1919 qui marquent, avec la chambre bleue horizon, la victoire de la « droite », en réalité de ceux qui ont fait campagne pour la poursuite de l’Union sacrée.

Certes la comparaison est biaisée puisqu’il n’y a pas aujourd’hui de gouvernement de salut public et que le régime n’est plus guère parlementaire, mais il y a fort à parier que les tentatives de polémiques et d’attaques contre l’exécutif de madame Royal et madame Le Pen ou de monsieur Mélenchon ne leur bénéficieront pas. Plus avisé, Xavier Bertrand a appelé à « zéro polémique ».

Bernard Sananès l’a très bien écrit :

« À la fin de la crise, les Français demanderont d’abord aux politiques ce qu’ils ont fait d’utile et régler des comptes, à leurs yeux, n’entre pas dans cette catégorie ! »

Une bonne nouvelle pour le pouvoir donc à l’heure de la sortie de la guerre : cette dernière n’aura sans doute pas renforcé ses adversaires traditionnels.

Déroulement et issue du conflit

Le déroulement et l’issue du conflit pèseront sûrement plus lourd. Certes, il n’y aura pas de mutineries contre le confinement comme celles qui ont éclaté contre les conditions de vie dans les tranchées en 1917.

Certes, le coronavirus sera vaincu, nul n’en doute. Mais précisément, nul ne doutant de l’issue du combat, les citoyens ne manqueront pas de comparer le bilan humain français et celui de ses voisins : sera-t-il plus proche de celui de l’Italie ou de celui de la Suède ? La victoire certes mais à quel prix ?

D’autant que les personnels soignants, les véritables héros de la guerre aux yeux de l’opinion publique, longtemps méprisés par le pouvoir, demanderont pourquoi ils ont été envoyés combattre l’ennemi sans protection.

Conscient du danger, le président de la République a d’ailleurs tenté de déminer par avance le terrain en annonçant un effort sans précédent en faveur de l’hôpital et du système de santé et il insiste sur l’idée d’unir la nation derrière ceux qui, en première comme en deuxième ligne, permettent aux pays de tenir.

Y a-t-il pour autant rassemblement derrière le chef de l’État qui a pris en main le commandement des opérations ? Certes la cote de popularité du président de la République a remonté, un phénomène classique en temps de crise, mais une majorité de Français juge toujours négativement son action.

Et les précédents historiques montrent que la victoire, quelles qu’en soient les conditions, ne bénéficie pas forcément au chef de guerre, loin de là. Une fois encore, comparaison n’est pas raison parce qu’ils ont été contraints de quitter le pouvoir à cause de l’hostilité de leurs pairs plutôt que de celle du peuple français mais Clemenceau n’a pas été élu à la présidence de la République en 1920 – il a préféré s’effacer devant Deschanel – et de Gaulle a démissionné dès le 20 janvier 1946, entamant une « traversée du désert » de douze ans !

Cela dit, le plus important à l’issue de la bataille ne sera pas de débattre sur la façon dont elle a été menée, ce sera d’envisager la reconstruction d’un pays dont la situation économique et sociale, déjà fragile au moment de l’entrée en guerre, se sera profondément dégradée. Clemenceau l’a bien dit en 1918 : « il va falloir gagner la paix et ce sera peut-être plus difficile ».

Sortie de guerre vs entrée en guerre

Si l’on suit les analyses de Stéphane Audoin-Rouzeau et Christophe Prochasson dans Sortir de la Grande Guerre : le monde et l’après 1918, si la fin d’une guerre peut correspondre à une date clé, elle est toujours, par définition, un processus étalé dans le temps. Et elle est souvent une projection de l’attitude des Français au moment de l’entrée en guerre, l’exemple du second conflit mondial le montre bien.

Or la France qui a commencé son combat contre le coronavirus venait d’être déchirée par deux grands conflits sociaux, celui des Gilets jaunes et celui des retraites, certes fort différents, mais qui ont tous deux fait apparaître des clivages que l’épidémie a réactivés. De surcroît, les Français témoignaient d’une grande défiance envers leurs dirigeants et rien n’indique, pour l’instant, que la crise actuelle ait été de nature à la résorber, au contraire.

Les esprits pessimistes prédisent donc le chaos politique sur fond de guerre sociale tandis que les experts en tous genres, décidément imperturbables, annoncent déjà que le monde d’après sera conforme à ce qu’ils ont toujours pensé.

D’autres enfin, moins assurés mais finalement plus optimistes, profiteront de l’année de Gaulle pour faire leur le célèbre passage des Mémoires de guerre : « vieille France, accablée d’histoire, meurtrie de guerres et de révolutions, allant et venant sans relâche de la grandeur au déclin, mais redressée, de siècle en siècle par le génie du renouveau » ou, moins enclins à la quête du héros que le président de la République, ils reliront Ernest Renan qui dans sa célèbre conférence « Qu’est-ce qu’une nation ? » prononcée en 1882, déclarait : « en fait de souvenirs nationaux, les deuils valent mieux que les triomphes car ils imposent des devoirs, ils commandent l’effort en commun ».

Reste à savoir si cet indispensable « effort en commun » s’accompagnera ou pas d’une nouvelle vague dégagisme.

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  • article creux
    Ceux qui n’ont pas ete reconduit en fin de guerre (Churchill, De Gaulle) étaient de chefs pas des communiquants
    Tout dependra de l’Etat de l’economie à la fin de la crise et là au vu de la gestion actuelle ce ne sera pas brillant
    La technostructure et la bureaucratie ne veulent rien lacher et préfère envoyer le pays dans le mur plutot que laisser d’autres agir
    le risque de mutinerie n’est pas si faible car vraisemblablement une partie non négligeables des gens au chomage technique ne sera pas payée fin avril / debut mai suite au temps nécessaire pour faire les dossiers surtout pour ceux qui n’y sont pas habitués et au temps que mettra l’administration pour virer les sommes !

    • C’est bien pour ça que les objectifs politiques vont se superposer aux objectifs sanitaires pour le déconfinement, comme cela a été le cas pour le confinement (éviter les manifestations, se soustraire à la reddition des comptes, prélarer 2022…)

  • Après son hold-up sur la droite et sur la gauche, E. Macron depuis son élection n’a eu de cesse de tuer toute opposition. C’est dans ce contexte qu’il faut lire son appel à l’unité nationale.
    Cet individu a le profil et les méthodes d’un dictateur.

  • Cela fait plus d’un mois que nous sommes officiellement « en guerre » alors que le problème a commencé il y a plus de 2 mois et que les simples mesures de bon sens commencent à peine à apparaître.

    Qui plus est, le problème n’a toujours pas été posé clairement. A quoi peut servir une « union nationale » contre un ennemi invisible dont on n’a même pas défini la nature, et donc que l’opinion ne saisit pas le problème. Les enjeux ne sont pas compris, les solutions encore moins, les conséquences et le « monde d’après » sont de la bouffonnerie.

    Sauf disparition miraculeuse avec l’été de la pandémie, on n’est même pas au début de la lutte. Et on ne le sera pas tant qu’on n’aura pas posé clairement et de manière pragmatique le problème, car il faut non seulement changer de manière brutale les habitudes sociales, mais aussi innover dans un monde sclérosé où l’on a fait de mauvais choix depuis plusieurs années.

    L’ennemi n’est pas un virus, mais nos habitudes, nos schémas mentaux, nos organisations hiérarchiques (aussi bien politique, administrative que dans le monde du travail) qui sont inadaptée au problème présent. L’ennemi c’est l’administration, les grands pontes qui s’arque-boutent sur les traditions et façons de faire du passé, tout comme des généraux qui préféraient la cavalerie aux chars ou voulaient cantonner l’aviation militaire à l’observation pour l’artillerie.

    • Oui, tout a fait. Mais il y a pire que cela: que dire des médias (et des politiciens) qui font tout pour que la population ignore que des traitements existent et que la bonne vieille antibiothérapie appliquée en cas de grippe aurait dû être utilisée au lieu de laisser les gens chez eux avec du paracétamol en attendant que la maladie s’aggrave?
      Pourra-t-on mettre politiciens et « autorités de santé » en face de leurs responsabilités?

      • « que dire des médias (et des politiciens)  »
        Simplement qu’ils font partie du problème et non de la solution !

        Bien sur, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Mais tant qu’on n’ouvrira pas les yeux on se cognera aux réverbères sans progresser. Les media nous enfoncent dans la crise car ils dictent l’action politique et comme ils ne se remettent pas en question, ils dictent de fausses soltuions.

        • Si l’audience de CP augmente, c’est probablement que beaucoup se posent des questions sur le discours des media. Cela ne peut constituer une force politique, mais cela montre le problème.

          Si on veut innover pour trouver des solutions, les media doivent eux-mêmes innover, c’est à dire se remettre en question : cesser de nous bassiner avec des chiffres sans signification (ou stupides), cesser de jouer à « l’unité nationale » ou alternativement au catastrophisme puis à l’optimisme, cesser de jouer les perroquets sur le « monde d’après », cesser de confondre le détail et le fond, et oublier leur parti-pris bobo-écolo-socialo-bizounours …

  • De parler de « guerre » dans le contexte actuel est grotesque, voir insultant pour les combattants d’hier et d’aujourd’hui.

    Comme si cela ne suffisait pas, certains parlent de « première ligne », alors que cette notion a disparu il y a plus d’un siècle avec la fin des guerres de positions.

    Décidément, certains ont toujours un siècle de retard…

    • Exactement ! Il ne leur vient pas à l’idée que la notion de guerre peut elle-même avoir évoluée en nature, en moyens et en ennemi.

    • Le simple fait que l’on n’a pas vu (ou voulu voir) venir la menace montre que la crise actuelle a peu à voir avec les « guerres ».

    • En fait, si on voulait comparer la « guerre contre le virus » aux grandes guerres, on en serait plutôt à la « drôle de guerre » : on observe le virus derrière notre ligne Maginot du confinement.

  • Les commentaires sont fermés.

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