Coronavirus et copropriété : trop de bla bla et beaucoup de tracas ! (1)

Une ordonnance prise dans le cadre de la crise du coronavirus est en train de fragiliser le secteur tout entier.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Coronavirus et copropriété : trop de bla bla et beaucoup de tracas ! (1)

Publié le 7 avril 2020
- A +

Par Nafy-Nathalie.

Vous vous rappelez cette chanson de Princess Erika : « trop de blabla » ? Hé bien la gestion gouvernementale du coronavirus en copropriété ressemble un peu au refrain de ce tube de la fin des années 1980.

Trop de blabla il me dit ce gouvernement là
Trop de tracas j’ai donné déjà
Trop de tracas il me cause ce gouvernement là
Trop de bla bla j’ai donné déjà

C’est consternant et surtout dommage.

Dans ce billet, j’ai choisi de n’évoquer que l’ordonnance 2020-304 et les contrats de syndic. Un autre billet à venir abordera l’ordonnance 2020-321 et les modalités de réunion des immeubles en copropriété et délibération.

Notions de base sur la copropriété

La copropriété étant un domaine complexe et réglementé, je me permets de vous donner rapidement quelques informations sur le fonctionnement des immeubles afin de vous permettre de comprendre la problématique.

Une assemblée générale (AG) de copropriété est une réunion à laquelle est convoquée l’ensemble des copropriétaires afin d’approuver les comptes, voter les budgets de fonctionnement et les travaux, renouveler le syndic et ainsi de suite.

Le formalisme de la réunion est très encadré légalement. Ainsi la réunion doit se tenir dans les 6 mois qui suivent l’arrêté des comptes dans la ville de l’immeuble, impose un délai de 21 jours francs de convocation, celle-ci doit se faire en recommandé.

Les syndics renouvelés d’AG en AG le plus souvent ont des mandats dont la durée habituelle se termine entre 6 mois et 9 mois après la date de fin d’exercice. Il faut être syndic pour pouvoir convoquer valablement une réunion.

Une interdiction de tenir des réunions

La crise du coronavirus a conduit à l’interdiction de rassemblements et avec elle l’impossibilité de tenir des centaines de milliers d’assemblées générales de copropriété. Le risque était donc grand d’avoir donc des centaines de milliers d’immeubles dépourvus de syndic et donc sous le coup de l’administration judiciaire.

Les professionnels ont alerté le gouvernement qui a indiqué avoir pris la pleine mesure de l’ampleur du problème et dans la foulée.

Un administrateur provisoire pour sauver les immeubles !

Toujours défiants du syndic, alors que la crise du coronavirus commençait à battre son plein, le gouvernement a cherché un moyen de gérer la difficulté sans prolonger les mandats du syndic.

Le ministère de la Justice a même trouvé bon de rappeler, le 14 mars 2020, dans une circulaire relative à l’adaptation de l’activité pénale et civile des juridictions aux mesures de prévention et de lutte contre la pandémie COVID-19, l’article 47 du décret du 17 mars 1967 permettant à toute personne intéressée de faire désigner un administrateur provisoire par le président du tribunal judiciaire pouvant assurer l’intérim de la copropriété jusqu’à la possibilité sanitaire de réunir une assemblée générale.

Magnifique ! Réconfortant au possible, n’est-ce-pas ? Que l’on soit professionnel ou copropriétaire d’ailleurs, cela n’est guère enthousiasmant.

Des centaines de milliers de copropriétés allaient donc se trouver sans syndic et dans l’attente de la nomination d’un administrateur provisoire étant donné les délais de la justice en temps normal encore allongés du fait de travailler au ralenti avec le confinement.

Et comble de l’ironie, l’administrateur provisoire ne peut être, selon le site du gouvernement, que :

  • un administrateur judiciaire,
  • une personne physique ou morale dotée d’une expérience de trois ans en gestion de copropriété ou dans le conseil des syndicats de copropriétaires et titulaire d’un diplôme juridique de niveau master 2,
  • le mandataire ad hoc qui s’est occupé de l’immeuble, sur décision motivée et après consultation du conseil syndical.

Avec la précision qu’il doit être indépendant du syndic, du syndicat de copropriétaire et des créanciers.

Compte tenu des délais de traitement de la justice en temps normal, délais encore allongés par cette période de crise, impossible d’imaginer avoir un administrateur provisoire rapidement et surtout, qui aurait pu tenir ce rôle ?

Les administrateurs judiciaires sont submergés. Il semble difficile de leur confier en plus la gestion de centaines de milliers d’immeubles. Leurs honoraires ne sont pas donnés non plus en général.

Les copropriétaires, quant à eux, ne seront pas forcément motivés par le fait d’endosser cette fonction. S’ils avaient la volonté de gérer leurs immeubles, il y aurait moins de professionnels.

Il est fort probable que, si rien d’autre n’avait été fait, les gestionnaires se soient souvent trouvés à devoir assurer l’administration provisoire des immeubles qu’ils gèrent avec la problématique de leur rémunération pour cette mission alors que, durant la même période, ils sont toujours salariés d’un syndic qui, lui, ne perçoit pas d’honoraires.

Le report des mandats comme solution !

Les syndicats professionnels de l’immobilier se sont inquiétés à juste titre. Ils ont pris rendez-vous avec le ministre du Logement et ont demandé qu’enfin des mesures d’urgence sérieuses soient prises, comme notamment le report des fins de mandat.

Les syndicats sont ressortis confiants ; ils auraient même mâché le travail aux fonctionnaires du ministère et proposé un texte. Nous étions sauvés ! Le gouvernement allait maintenant agir comme il le fallait.

Dans le milieu de la copropriété chacun ne parlait plus que de cela : report des mandats de syndic jusqu’au 31 décembre, puis de six mois. Rien n’était sûr mais rien n’interdisait non plus d’être confiants et satisfaits.

Jean-Marc Torrollion, le président de la Fnaim indiquait même dans une interview à Capital :

« C’est une solution souple, qui ne remet pas en cause la souveraineté de l’assemblée générale des copropriétaires, en permettant de reporter les réunions qui n’ont pu se tenir avant le 30 juin, vraisemblablement jusqu’à la fin de l’année, déclare-t-il à Capital. Le mandat du syndic pourra donc être maintenu jusqu’à cette échéance. »

Du côté du ministère du Logement de Julien Denormandie, tout semblait également aller dans le même sens et pour le mieux. On évoquait un délai de plusieurs mois laissé aux copropriétés pour se réorganiser. Rien n’était précis mais ce n’était pas grave. On restait optimistes et il n’y avait pas de raison de ne pas l’être. Le cabinet du ministre expliquait d’ailleurs :

« Pour l’instant, l’ordonnance est en train d’être rédigée et nous n’avons pas encore fixé cette date butoir. Mais nous voulons laisser du temps à tout le monde pour reprendre pied après cette crise ».

On attendait donc avec impatience la fameuse ordonnance qui est enfin parue le 25 mars dernier et qui s’est révélée pleine de surprises. Les annonces de prolongation au 31 décembre 2020 ont en effet disparu sans laisser de traces en emportant avec elles le temps qui devait être accordé pour une bonne gestion des réunions post coronavirus.

Son article 22 est édifiant :

« Par dérogation aux dispositions de l’article 1102 et du deuxième alinéa de l’article 1214 du Code civil et de la loi no 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, le contrat de syndic qui expire ou a expiré pendant la période définie à l’article 1er est renouvelé dans les mêmes termes jusqu’à la prise d’effet du nouveau contrat du syndic désigné par la prochaine assemblée générale des copropriétaires. Cette prise d’effet intervient, au plus tard six mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire mentionné à l’article 1er. Les dispositions du précédent alinéa ne sont pas applicables lorsque l’assemblée générale des copropriétaires a désigné, avant la publication de la présente ordonnance, un syndic dont le contrat prend effet à compter du 12 mars 2020. »

Pour vous épargner les recherches afin de comprendre le texte, je vous précise simplement que l’ordonnance se cantonne à reporter les mandats de syndic expirants entre le 12 mars et 24 juin 2020.

Et une ordonnance de plus qui fait flop !

La haine du syndic, la crainte de ce qu’il pourrait faire, si pour une fois une loi lui était favorable, semble avoir guidé le ministre du Logement. Il ne faudrait pas en effet, comme il l’indique, que les mandats des syndics ne se poursuivent trop longtemps sans le vote des copropriétaires.

Quel mandat expire durant cette période ? Quasiment aucun.

Les immeubles dont les arrêtés sont fixés au 30 juin ou au 30 septembre 2019 sont déjà normalement convoqués et leurs réunions sont tenues. S’il y a des exceptions, c’est à la marge.

Les immeubles dont les arrêtés sont fixés au 31 décembre 2019, qui représentent la plus grande majorité des immeubles, sans doute plus des deux tiers ont commencé à être convoqués à partir de février pour des réunions en mars. En effet, le temps de préparer les comptes, de saisir les charges sociales (fin janvier), de permettre aux conseils syndicaux de vérifier les comptes, de préparer les ordres du jour, la période de tenue d’assemblée générale ne peut commencer que début mars au plus tôt.

La France se trouve donc avec la plus grosse partie de son parc de copropriétés à convoquer en mai au lieu de mars à fin mai, et à tenir ses réunions en juin au lieu de mars à fin juin.

Quid de la sécurité juridique des immeubles ?

Elle est fragilisée par cette ordonnance.

En effet, comment les syndics vont-ils parvenir à concentrer une période de convocation de 4 à 5 mois en un mois ? Comment vont-ils faire pour convoquer en même temps, tous cabinets confondus, leur masse d’immeubles avec la problématique de la réservation des salles de réunion, sur une période réduite ?

Beaucoup de salariés de la copropriété sont actuellement au chômage ou malades. Ils ne peuvent pas travailler sur la sortie des comptes ou établir les ordres du jour. Ils n’obtiennent pas de devis des entreprises qui ne travaillent pas ou de manière très limitée, ne gérant que l’urgence.

En période normale d’assemblée générale, souvent un gestionnaire doit travailler entre 70 et 100 heures par semaine. Imaginez un peu quel sera l’impact du raccourcissement de la période de convocations et tenues des réunions sur sa vie et sa santé.

La période d’assemblées générales s’annonce de surcroît quasi inutile puisque, hormis pour la régularisation des mandats de syndic, il y a de fortes chances que les ordres du jour soient vides, la situation limitant grandement la possibilité d’obtenir des devis. Les gestionnaires vont faire de l’abattage de réunions qu’ils devront recommencer rapidement avec les documents qui leur manquaient pour avancer sur leurs projets.

Certains syndics prévoyants ont des contrats s’étendant jusqu’au 30 septembre et, si cette situation leur permet de souffler un peu plus, cela ne leur donne pas non plus beaucoup d’air puisqu’il n’y a plus de réunions entre le 15 juillet et début septembre, au retour des vacances d’été.

Il est probable que beaucoup d’immeubles ne seront pas convoqués avant la fin des mandats des syndics, malgré toute leur bonne volonté, parce que matériellement cela sera tout simplement impossible.

Insécurité renforcée par ordonnance

Certains syndics devront convoquer hors délai ou à faire partir la convocation durant leur mandat avec une réunion qui se tiendra alors qu’ils ne seront plus syndics. Il y aura des risques importants pour eux et une impossibilité de s’en extraire.

En effet quand vous n’êtes plus syndic, vous ne pouvez plus gérer les immeubles, votre gestion n’étant plus garantie par vos assurances. Vous ne pouvez plus payer les factures, encaisser les fonds. Mais dans le même temps, si vous ne tenez pas la réunion dans les délais, et que survient un accident, même si vous ne gérez plus l’immeuble, votre responsabilité peut être engagée dans la mise en insécurité juridique de la copropriété.

Les cabinets vont devoir faire le choix entre le maintien de leur gestion avec le risque de l’insécurité juridique ou prendre le risque de l’insécurité économique en confiant la gestion des immeubles non convoqués à temps, sans avoir l’assurance d’en récupérer la gestion, à des administrateurs provisoires.

Il y a plus qu’à espérer un état d’urgence allongé d’au moins 6 jours pour sortir de là.

Toute cette volonté de protéger le copropriétaire du syndic pour rien !

Le gouvernement qui a volontairement maintenu en insécurité juridique des millions de logements pour éviter qu’ils ne soient victimes du vilain syndic, se retrouve maintenant bien marri.

En effet, il semblerait que ce voyou de syndic pourrait toujours sévir.

Ainsi une association de défense des consommateurs, l’association Consommation, logement et cadre de vie, dite CLCV, attire l’attention dans un communiqué du 30 mars, repris par le quotidien Le Monde que ce texte « ne manquera pas de susciter des interrogations, voire des litiges ». En effet, le renouvellement du contrat, « dans les mêmes termes » ne désigne pas « une prolongation de la durée du mandat », mais « un renouvellement du dernier contrat approuvé par les copropriétaires jusqu’à la prochaine assemblée générale censée se réunir d’ici à la fin de l’année ».

Le syndic dont le mandat aura été reconduit du fait de la crise pourra demander une rémunération d’une année pleine pour une durée de gestion inférieure à six mois.

La CLCV s’inquiète mais elle ne devrait pas. Les syndics sont loin de faire honneur à la publicité qui leur est faite. Il est peu probable qu’ils profitent de la situation car ils ont de l’honneur, de la déontologie et les cabinets ne grossissent durablement que grâce à leur réputation. Celle-ci est leur meilleur argument commercial. Un syndic qui s’amuserait à profiter de la période et des défauts de l’ordonnance pourrait mettre la clef sous la porte très rapidement.

Bravo au gouvernement !

Ceci dit, difficile de ne pas féliciter le gouvernement en prenant la mesure de la situation et qu’à six jours près nous aurons :

  • des copropriétés encore plus fragilisées par l’ordonnance supposée les protéger
  • des cabinets de syndic en insécurité juridique ou financière
  • les salariés d’un secteur entier en risque de surmenage ou de chômage.

En observant les motifs de l’article 22 de l’ordonnance du 25 mars 2020, impossible de ne pas sourire. Son intention était :

« … d’assurer une pérennité dans la gestion des copropriétés, leur conservation et la continuité des services essentiels à leur fonctionnement normal, conformément à leur destination. »

Sans commentaires.

Voir les commentaires (3)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (3)
  • Derrière les ministres (et leurs cabinets) qui passent comme des étoiles filantes, il y a des directeurs d’administration ou des chefs de services qui restent, renforcés pour ne pas dire enkystés par l’emploi à vie.

    C’est ceux-là qu’il convient de cibler pour faire avancer un texte dans le sens souhaité, sinon le blocage peut durer indéfiniment. Eux savent introduire dans un texte la nuance, le mot qui va bien pour le rendre inapplicable en pratique, malgré la bonne volonté affichée au niveau supérieur. Et n’oublions pas les circulaires d’application internes et autres notes de service qui peuvent également conduire une administration à faire le contraire de ce qu’un texte de loi prévoit, gagner du temps, sauter gracieusement d’une échéance à l’autre, attendre patiemment le prochain remaniement ministériel.

    Qui détient réellement le pouvoir ? Tant qu’on ne s’intéresse pas à l’Etat profond, à son organisation, à ses réseaux d’influence, à ses intérêts de connivence, rien ne change et l’élection n’est qu’illusion. La crise du virus chinois illustre amplement cette forme de nuisance étatique en dépit de l’urgence, au mépris des morts qui s’accumulent.

  • Ce qui démontre, encore une fois, que plus les lois, décrets, réglementations…etc s’empilent, plus le fonctionnement de la société se ralentit. Ce qui induit d’autres lois, décrets et règlements entrainant encore plus de lourdeurs et de difficultés que d’amélioration des problèmes induits par les lois précédentes.
    Cela jusqu’à la paralysie quasi-complète du système qui devra consacrer la majorité de ses ressources à résoudre les problèmes de fonctionnement interne. Et l’administration deviendra Reine.

  • C’est le summum de la connerie.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Le gouvernement a été cette semaine confronté à un nouveau psychodrame : la fin programmée au 1er janvier 2024 de la dérogation permettant d’acheter n’importe quel produit alimentaire avec un titre-restaurant.

En effet, Bercy n’avait pas prévu de reconduire cette dérogation, adoptée durant la crise liée au Covid-19 alors que les restaurants étaient fermés : bronca immédiate parmi l’ensemble des partis d’opposition et des salariés maintenant habitués à faire leurs achats alimentaires quotidiens avec ces chèques subventionnés. Le gouvern... Poursuivre la lecture

Initiée par un économiste danois qui voulait vérifier si, oui ou non, le confinement à la chinoise avait sauvé beaucoup de vies, une étude vient de paraître à Londres. Exploitant un large corpus de données internationales, ses conclusions sont tranchées :

nulle part, le confinement du printemps 2020 n'a eu d'influence majeure sur la mortalité induite par la Covid-19 ; en revanche, les confinements ont eu un effet désastreux sur l'économie, et perturbent durablement les populations concernées.

 

Les auteurs en déduisent ... Poursuivre la lecture

La dégradation de la note de la dette publique française par l’agence Fitch illustre des décennies d’irresponsabilité budgétaire. L’État français supporte ainsi la troisième dette la plus élevée en proportion du revenu national parmi les grandes économies. Et n’a pas équilibré ses comptes une seule fois en 48 ans, un record historique.

« C’est quand la marée se retire qu’on voit qui se baignait sans maillot ».

L’expression prêtée à l’investisseur Warren Buffet s’applique aussi aux États endettés en période de remontée des taux d... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles