Leader libérateur : attention danger !

Un leader doit non seulement se mettre au service du collectif, de la raison d’être de l’entreprise mais aussi aider à l’émergence d’une organisation destinée à lui survivre. Il n’est ni héros, ni irremplaçable.

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Leader libérateur : attention danger !

Publié le 3 mars 2020
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Par Bernard Marie Chiquet, fondateur d’iGi Partners.

Comme a pu l’écrire David Marquet, auteur du fameux livre Turn the ship around,  « on n’a jamais vu quelqu’un faire quelque chose de formidable parce qu’on lui avait demandé de le faire ». Pour y parvenir, il convient de permettre à chacun d’exprimer sans frein ses talents et d’assumer ses responsabilités. Et ce qui est vrai pour chaque collaborateur l’est tout autant pour le patron et le manager.

Pour autant, alors que les tenants de l’entreprise libérée appellent de leurs vœux l’émergence d’un manager héroïque, celui que Isaac Getz appelle le « leader libérateur », il me semble essentiel de mettre la lumière sur une conception du management et de l’organisation qui n’est pas sans comporter quelques dangers pour l’entreprise.

Indéniablement, l’entreprise doit se réinventer. Pour ce faire, elle doit pouvoir s’appuyer sur un management régénéré, libéré du carcan de l’organisation conventionnelle et, surtout, investi d’un rôle, d’une ambition et d’une envergure inédits. Un management à l’énergie libérée. Un management au service du collectif et du self-management. Un management au service du leadership de chacun plutôt qu’au détriment des autres.

Renverser le leader libérateur

La tentation est forte pour beaucoup de patrons de céder aux attraits du management tel que présenté par Frédéric Laloux ou Isaac Getz, les deux figures de proue respectivement de l’entreprise opale et de l’entreprise libérée. Conçu comme un leader libérateur, le patron, porté par son expertise et ses intuitions, est celui que l’on suit, celui qui sait ce qui est bon pour l’organisation et ses collaborateurs. Chacun lui accorde pleinement sa confiance.

Le message adressé au patron est simple et clair : « transforme-toi et l’entreprise se transformera », à l’image de l’intuition qui le guide. Libre de tout cadre, de tout contre-pouvoir, tout repose sur son intuition et son talent supposés. Ce leader libérateur devient une sorte de « super-manager » qui n’est, parfois, pas loin de prendre les traits d’un gourou.

Or, opter pour un management héroïque c’est immanquablement mettre en péril l’existence même de l’entreprise en liant son évolution à la présence de cette figure “héroïque”. Une situation qui ainsi pu être observée dans des entreprises comme Poult ou Harley Davidson. D’incarnation de l’entreprise libérée par l’entremise de leurs patrons, celles-ci se sont vues doublement ébranlées par leurs départs et un retour à l’organisation conventionnelle.

Le management héroïque est un vrai danger parce qu’il repose sur une double erreur. Pour changer et se réinventer, l’organisation ne peut se passer d’un cadre qui offre des règles claires et explicites à tous. Ensuite, la transmutation qu’implique l’abandon du modèle conventionnel, ne peut être portée et ne concerner que le patron ou le management. Le leader libérateur reste une figure illusoire et seule une organisation qui offre à tous autonomie et responsabilités, des garde-fous évidents, permet de tendre vers une entreprise vraiment libérée. Une entreprise qui saura déraciner les victimes et renverser les héros.

Vers un management constitutionnel

Si vouloir faire du patron un leader libérateur est une erreur et préfigure souvent un retour douloureux vers l’organisation conventionnelle, l’intention n’en demeure pas moins intéressante. Mais si le patron doit impérativement être l’instigateur et le moteur de cette organisation qui se réinvente, il ne peut en être l’unique inspiration. Il doit non seulement se mettre au service du collectif, de la raison d’être de l’entreprise mais aussi aider à l’émergence d’une organisation destinée à lui survivre. En somme, il n’est ni héros, ni irremplaçable.

Alors qu’avec leur leader libérateur, les tenants de l’entreprise libérée font le lit d’un leadership basé sur une illusion et une dépendance au patron libérateur, l’holacratie, fondée sur une Constitution et le management constitutionnel qui en résulte, offre à tous un cadre “autorisateur” et protecteur d’où peut émerger puissance et leadership véritable.

Construite sur un corpus de règles et de processus explicites et connus de tous, le management constitutionnel de type holacratie donne vie à une organisation où nul n’empiète désormais sur l’autorité ou le rôle de l’autre. Elle invite chacun, l’organisation, au Powershift – un changement de posture dans l’exercice du pouvoir tant des managers que des collaborateurs – plutôt qu’à faire naître un leader libérateur. Appuyée sur une Constitution, elle est source d’un leadership véritable où chacun peut espérer tendre, à son rythme, vers le self-management. Le patron et le manager y ont un rôle majeur. Ils ont vocation à définir et affecter les rôles, prioriser. Ils sont aussi ceux qui modèlent cette nouvelle façon d’exercer le pouvoir induite par les règles constitutionnelles, qui peuvent ainsi accompagner et guider les collaborateurs pour que chacun  progresse à son rythme vers le self-management.

Alors que dans un cas tout repose sur le développement personnel d’un leader « éclairé », créant ainsi une nouvelle forme de dépendance, dans l’autre, tout est basé sur un système, un management et un self-management constitutionnels c’est-à-dire selon des mécanismes connus, compris et appliqués par tous : dirigeant(s), managers et employés. Car, quand bien même le développement personnel du patron demeure une des clés de réussite du processus de transmutation, opter pour un modèle constitutionnel de type holacratie c’est faire le choix de transformer l’exercice du pouvoir, au profit de chacun et du collectif, qui plus est, de manière durable.

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  • Jobs, Gates, Musk, Bezos, Zuckerberg, Buffet : six noms, six approches du « grand timonier », six succès, dont deux ont survécu au départ de leur « héroïque » moteur

  • En principe, il y a de nombreuses personnes qui sont appelées à diriger.

    Les bons managers le sont pour leurs qualités,
    les mauvais le sont par décret administratif…

  • Le n’ai pas lu exactement cela dans les livres d’I. Getz.
    C’est vrai qu’en le lisant je me suis demandé comment les entreprises « libérées » survivaient au leader libérateur, estimant que ce devait être un vrai sujet. Toutefois je minorerais la dimension « gourou » . L’idée est précisément de laisser plus d’autonomie à chaque personne de l’entreprise, en faisant confiance et responsabilisant chacun ! Pas en essayant de se référer constamment à ce que voudrait supposément le gourou !

    Certes, pour arriver à transformer une entreprise enfermée dans un cardan de règles, procédures et contrôles administratif, la démarche est tellement lourde que le charisme personnel d’un leader qui arrivera à infuser ce nouvel esprit est sans doute utile, peut-être nécessaire. Votre joli (intellectuellement) projet de « constitution » a-t-il déjà été mis en oeuvre, avec quel succès ? Il ne me paraît d’ailleurs pas contradictoire avec la démarche « libératrice », et est peut-être une réponse au problème de la pérennisation du modèle après un départ (risque d’un Harley post-Teerlink).
    FAVI a l’air de toujours bien se porter depuis le départ de JF Zobrist, il me semble…
    Bref, je crois que vous faites un mauvais procès à la démarche (côté I.G. ; je ne connais pas les ouvrages de F. Laloux et éviterai donc d’en parler). Que le charisme du leader soit une composante nécessaire à la réussite des transformations qu’il décrit n’implique pas qu’il soit constitutif de la structure (dont le principe est d’ailleurs de n’être pas figée) nouvelle de l’entreprise considérée.

  • C’est joli sur le papier. J’aimerai bien voir les résultats réels de cette approche au niveau bilan, efficacité et qualité de vie. Il y a des entreprises cotées qui utilisent cela ?

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