On peut rire de tout… mais pas avec la loi Avia !

Actuellement, ce ne sont pas moins de 12 organisations non gouvernementales qui ont lancé un appel contre la loi Avia. Toutes sont unanimes à propos de la dangerosité que cette loi représente pour la liberté d’expression.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
Clowns by Buttontree Lane (CC BY-NC-ND 2.0)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

On peut rire de tout… mais pas avec la loi Avia !

Publié le 1 février 2020
- A +

Par Yannick Chatelain.
Un article de The Conversation

« On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui » avait coutume de dire Pierre Desproges. Il en est de même avec les algorithmes. Notre langue est extrêmement complexe. Les algorithmes ont beau être conçus par des êtres humains, ils sont soumis à des biais algorithmiques et n’échappent pas à notre époque.

Le développeur lui-même intègre dans ses algorithmes ses propres croyances et biais cognitifs… Ils sont donc, dès leur conception, « trop humain ». Ils se mettent par la suite à apprendre avec ces biais. Ces algorithmes n’ont pas le sens de l’humour, encore moins celui de l’humour noir. Ils ignorent parfaitement ce que peut être l’ironie.

En revanche, nous pouvons affirmer qu’ils ont d’excellentes aptitudes pour réagir, en matière de censure, à une lecture au premier degré ! Alors, pour paraphraser Pierre Desproges, on pourrait dire : « On peut rire de tout, mais certainement pas avec des algorithmes ! »

Loi Avia : le curseur de la censure remonté ?

La phrase culte de Coluche : « Je ne suis pas raciste mon chien est noir ! », moquant naturellement le racisme, n’a aucune chance de faire rire aux éclats un algorithme.

Néanmoins, au regard d’un curseur de la censure poussé vers le haut, ou d’une personne travaillant pour une plateforme et ne comprenant pas l’ironie, ou détestant Coluche, nous pouvons émettre l’hypothèse que sous la loi Avia visant à lutter contre les contenus haineux sur Internet qui a été adoptée à l’Assemblée nationale le 22 janvier dernier, ce type de phrase n’aura plus lieu d’être publiée !

La loi Avia contre la haine sur le web fait polémique (Le Figaro Live, 21 janvier 2020).

Dans la configuration proposée de cette loi, il est à redouter que la censure gagne en puissance. Au regard du délai de retrait d’un contenu signalé par la police désormais imposé par la loi aux plateformes (une heure), au regard du montant des amendes encourues si ce délai n’est pas respecté – la loi prévoit une amende pouvant s’élever jusqu’à 1,25 million d’euros –, au regard de la subjectivité humaine, un fonctionnaire de police se faisant juge de ce qui est licite ou illicite.

En termes de maîtrise du risque, l’approche la plus pragmatique d’une plateforme n’est-elle pas de déplacer le curseur de la censure automatisée à son plus haut niveau ?

Comme le rappelle, le site la Quadrature du Net :

« Alors que la loi exigeait initialement de retirer les contenus illicites en 24 heures, elle impose désormais aux plateformes de retirer en une heure les contenus que la police lui signalera comme relevant du terrorisme ou d’abus sur mineurs. La police décidera seule des contenus relevant du terrorisme – sans le contrôle d’un juge. »

Les termes « séditieux » et « subversifs » ont été régulièrement utilisés par le pouvoir, et par le ministre de l’Intérieur lui-même pour disqualifier des Gilets jaunes. On pourrait penser que le hashtag #GiletJaunes, sous une telle loi, aurait rapidement pu faire l’objet d’une censure. Il eut été facile pour la gouvernance d’invoquer la naissance d’un mouvement de sédition, et d’exiger la censure proactive de ce hashtag afin d’empêcher les citoyens se revendiquant de ce dernier de pouvoir s’organiser sur les plateformes.

Une loi russe promulguée par le président Vladimir Poutine sanctionne « toute offense faite à l’État ». À la lecture de ce qui précède, ce type de censure ne peut-elle pas s’immiscer de façon insidieuse par « la petite porte loi Avia » ?

Loi Avia : inspirée par le modèle russe ?

Le Runet mot valise, composé de « ru » (code pour la langue russe et le domaine de premier niveau de la Russie) et d’Internet, date de 1997. Il désignait alors la communauté russophone présente sur Internet ainsi que les sites web. Depuis, de l’eau a coulé sous le Zolotoy Bridge de Vladivostok, le Runet a évolué et, sous la gouvernance de Vladimir Poutine, il a pris un sens bien différent.

Sous couvert de « souveraineté numérique, le Runet ne va pas en effet dans le sens de la liberté. Ses dernières évolutions en témoignent. Ce que le sénateur Andreï Klichas appelle « loi sur la sécurité et la résilience d’Internet en Russie » n’est pas perçu de la la même façon par les opposants à la gouvernance Poutine, qui évoquent de leur côté une « loi de l’isolation d’Internet » ou, par analogie avec le Grand Firewall de Chine (GFC), de l’édification programmée d’un « rideau de fer numérique ».

Le 4 novembre 2019, le projet « internet souverain » ou « loi Runet » est entré en vigueur.
L’article 282 donne une idée des marges de manœuvre du potentiel de censure qu’il véhicule de par sa clarté. L’article interdit la diffusion de contenu « extrémiste ». Entendez par-là les déclarations néo-nazies (jusque-là tout va bien), mais aussi les appels à manifester contre le gouvernement !
Le mérite de l’article est sa clarté pour ce qui concerne toute velléité de s’organiser sur les réseaux pour protester. Si des opposants russes avaient par exemple pour projet devenir des #GiletsRouges… ils savent désormais ce à quoi il s’exposent. 

Le projet de loi Avia, porté par la députée LREM Laëtitia Avia, intègre – en l’état – des dispositions qui se rapprochent dangereusement de la philosophie du nouvel Internet 100 % russe contrôlé par Moscou. Cette proposition de loi constitue un « outil » supplémentaire qui pourrait permettre de museler un peu plus l’Internet français, notamment en excluant le juge comme on l’a vu.La Russie est une république fédérale, démocratique sur le papier ; cependant nombre d’analystes, comme Marie Mendras, chercheuse au CNRS, au CERI et enseignante à l’Institut d’études politiques de Paris, considèrent qu’il existe une dérive du pouvoir actuel tout en pointant que le régime n’est à ce jour « ni démocratique, ni autoritaire ». A-t-elle pour autant valeur d’exemple dans ses pratiques de l’arbitraire ? Dans sa politique relative à la « souveraineté numérique » ?

L’unanimité des experts !

Actuellement, ce ne sont pas moins de 12 organisations non gouvernementales qui ont lancé un appel contre la loi Avia. Du Conseil national du numérique à la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, en passant par la Quadrature du Net, tous sont unanimes à propos de la dangerosité que cette loi représente pour la liberté d’expression. Que l’intention soit bonne ne peut occulter le fait que, dans la forme proposée et ses dispositions, elle risque de la mettre en péril.

À nos députés éclairés par toutes les analyses qui leur ont été communiquées par les experts et les ONG concernées de trancher… et de faire preuve de courage. On peut espérer qu’ils n’ouvrent pas la boîte de Pandore !

Sur le web-Article publié sous licence Creative Commons

Voir les commentaires (19)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (19)
  • La liberté est consubstantielle de la responsabilité..
    et qui dit responsabilité dit sanction des contrevenants a la regle..
    Le net permet a tout un chacun d’interpeller tout le monde sans contrainte aucune c’est très bien.
    Ceci dit que se passe t il quand les frontieres sont dépassées ou que les mal-comprenants réagissent? que se passe t il quand les bornes sont franchies? que se passe t il quand on se trompe sur la réalité de la loi?

    Il serait bon que les plateformes fassent accepter un règlement général explicitant
    les responsabilités de chacun , le site sur lequel je m’exprime est il responsable d’un éventuel dérapage? ou suis je responsable des effets de ce que j’écris dans le cadre de la liberté d’expression?
    c’est tout le probleme! on veut un monde libre? responsabilisons les gens!

    • Comment faites-vous pour responsabiliser les gens si vous leur ôtez la liberté? Ils ne pourront plus constater les conséquences de leurs actes… Or c’est la constatation des conséquences d’une liberté mal employée qui apprend la responsabilité.

      • « Une loi russe promulguée par le président Vladimir Poutine sanctionne « toute offense faite à l’État ». »

        Et le règlement qui a permit à Ferrand de mettre à l’amende un député portant un gilet jaune, ce n’est pas un bon exemple ?
        Et celui sorti tout dernièrement, opportunément avec le Brexit, interdisant de brandir un drapeau dans l’assemblée européenne, ce n’est pas non plus un bon modèle ? Il a été appliqué / provoqué par Farrage à la fin de son discours et cela a suffit pour que la présidente réagisse immédiatement tant elle attendait le moment de fermer son micro.

        La loi Avia est terrible, mais ce n’est qu’un pas de plus. Pas besoin d’aller chercher des exemples chez les « méchants habituels ».

      • @La petite bête: On n’apprend pas toujours – avec mesure – des conséquences d’une liberté mal employée.
        Et c’est la signification de l’adage « nul n’est censé ignorer la loi », c’est à dire bien prévenir des conséquences des actes. Sauf que la mise en oeuvre de la loi risque d’être partisane.

    • Quelles responsabilité? la responsabilité n’entre en lice que lorsque des dommages directs sont occasionné. le seul moment ou la responsabilité peut être engagé c’est lorsque des accusation précises et nominatives sont proférés et encore uniquement si cela concerne des affaires matériels. par exemple si j’accuse quelqu’un de vol.

  • Ah ! Parce que vous pensiez que la liberté d’expression existait encore en France ?
    Allez faire un tour aux Etats-Unis, pourtant déjà cadenassés…
    Vous écrivez « La Russie est une république fédérale, démocratique sur le papier »; ne pourrait-on écrire « La France est une république inégalitaire et irresponsable, démocratique sur le papier » ?

  • Les états, quels qu’ils soient, n’ont pas finis de mettre le net sous contrôle, c’est un processus qui ne fait que commencer, tous les prétextes seront bons (le terrorisme évidemment …) et ce sera toujours dans le meme sens ne nous faisons aucune illusion. Et plus l’état est puissant et dominant plus vite le processus se déroulera, il est déjà bien enclenché dans certains pays. L’état Français figurera donc en bonne place dans cette compétition c’est certain.
    On peut d’ailleurs faire le parallèle avec le réseau des chemins de fer qui a été le vecteur de communication et de développement déterminant au 19° siècle. Totalement privé au début, que ce soit en Angleterre, en France ou dans les autres pays d’Europe, le réseau ferré est devenu un élément de plus en plus stratégique pour les états, notamment sur le plan militaire et tous les chemins de fer , sans exception, se sont retrouvés progressivement controlés par les états au milieu du 20° siècle. En France, C’est en 1938 que l’état a pris le contrôle , via la SNCF, de l’ensemble des réseaux ferrés en France.
    L’importance stratégique croissante du net est évidente et croissante, les états feront tout pour le controler. Et sur ce point ils s’entendront, qu’ils soient Russes, Chinois ou Français car leurs intérêts sont les memes sur ce sujet. La « gueguerre » contre les « GAFA » s’inscrit totalement dans ce processus, un processus long, sans doute, mais inexorable.

    • Les GAFA seront les alliés du gouvernement pour appliquer la censure. Ce sont les sites de la « réinformation » qui sont visés. Ceux dont Cédric O. a dit que « nous voulons les voir disparaître »

  • foutu, quand vous avez vu de smillions de gens pensant défiler au nom de la liberté d’expression…en acceptant la condamnation des rares qui osaient simplement dire je ne suis pas charlie.

    on ne veut pas voir non plus ceux qui dansent aux attentats de charlie..

    même les musulmans modérés n’osent pas s’exprimer..

    on ne peut plus débattre de la situation de l’islam, cette loi n’est m^me pas d’inspiration socialiste pour pour moi, elle est inspirée par a trouille.

    les agents de l’etat espèrent que dans le lot des condamnations ridicules, les propos extrémistes musulmans seront aussi condamnés. Car personne n’ose adresser le problème.
    pourtant un débat public sur serait important dans la communauté musulmane..

    mais des événements comme les grooming gangs vont peut être changer la donne..on voit où peut mener la politique de l’autruche..

  • Si vous voulez lutter contre les initiatives liberticides de Mme Avia, méfiez-vous, elle a la dent dure.

    Désolé, impossible de résister à ce calembour, rendu indispensable par le titre de l’article.

  • La conclusion ne m’évoque pas l’héroïne mythologique Pandore, mais le refrain de « Pandore ou les deux gendarmes », dont il me semble bien que la dernière occurrence répond de manière réflexe à une flatulence du supérieur hiérarchique ou de son cheval :
    — Brigadier, répondit Pandore, Brigadier, vous avez raison !

  • Je pense qu’il est inutile de convoquer une comparaison avec la Russie (je préfère pour ma part les témoignages de gens qui vivent là-bas plutôt que les messages délivrés par des journalistes) pour se rendre compte des dangers de cette loi.
    Criminaliser les sentiments est un signe majeur de toutes les dictatures. Voilà où nous en sommes.
    Ne pas distinguer l’opinion de ce qui relève de la menace est grave. Contourner l’autorité judiciaire – même défaillante – l’est encore davantage.
    Nous ne sommes plus un Etat de droit, mais de plus en plus un Etat policier. Et malheureusement, beaucoup de Français ne s’en rendent pas compte.
    Merci à tous ceux qui ont voté LREM…

  • Cette mesure se mettra peut-être en place mais on trouvera toujours un moyen de la contourner.
    Par exemple on pourrait, à l’aide de google translation, traduire son texte en Anglais ou dans une autre langue pour le publier, il ne serait donc pas neutralisable par une recherche automatisée en Français, puis le retraduire en Français.

    • certes mais on ne peut pas accepter de devoir contourner la loi… la technique s’adaptera au contournements.. course à échalote absurde..qui m^me quand on la gagne ne change rien au problème de fond..la loi est mauvaise.

  • « sans le controle du juge » aucune confiance en Ce Juge de plus il a tellement de choses à faire ….

  • La seule chose « amusante » dans cette histoire, c’est que la loi Avia n’est, in fine, que la conséquence extrême de l’attitude, des actions et du comportement de toutes ces associations, ONG et organisations gauchisantes toujours prêtes à stigmatiser et à couper la parole de tout ce qui ne pense strictement comme elles!

    Leurs réactions indignées n’existent que parce que cette loi risque également de les toucher. C’est là leur définition de la « liberté d’expression ». La maxime apocryphe de Voltaire « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. » ne fait absolument pas partie de leur schéma de fonctionnement!!
    Si cette loi avait la capacité de ne toucher que les paroles, idées et personnes que ces associations et ONG abhorrent (en gros tout ce qui n’est pas de gauche ou critique le gauchisme sous toutes ses formes ainsi que les religions non chrétiennes et le communautarisme…etc), il n’y aurait aucune action et aucun mouvement de protestation de la part de ces groupements qui jubileraient de pouvoir faire si facilement taire ceux qui ne pensent pas comme elles.

    Personnellement, je n’ai que mépris pour bcp des auteurs de ce mouvement de protestation même si ce mouvement est nécessaire et bienvenu mais… très tardif! Je pense cependant que ce mouvement n’ira pas bien loin.
    Comme le disait Einstein (il y a plsrs versions) : »Ce n’est pas avec ceux qui ont créé les problèmes qu’il faut espérer les résoudre. »
    Qq amendements et modifications superficielles de la loi permettant de préserver ces assos bien-pensantes des foudres de la censure, suffiront à les faire rentrer dans le confort de leurs coquilles construites de certitudes « progressistes ».

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Les libéraux s’accordent généralement sur la nécessité d’un minimum de restrictions à la liberté d’expression, pour condamner en particulier l’injure, la diffamation, la menace, etc. Mais en pratique, les défis sont immenses.

 

L’inviolabilité de la conscience

Il y a un quiproquo, un tour de passe-passe continuel chez les partisans de la législation contre la liberté d’expression : est-ce l’expression de la pensée, ou la pensée elle-même, qu’ils veulent atteindre ? Car la liberté de penser est directement fondée sur la natu... Poursuivre la lecture

Trop longtemps le drame de l’Europe centrale a été celui de petites nations mal assurées de leur existence historique et politique. Tandis que, après 1945, l’Occident ne la voyait plus que comme une partie de l’Union soviétique.

C’est dans ce contexte que le grand écrivain Milan Kundera, pourtant connu pour sa relative discrétion, a tenu un illustre discours au congrès des écrivains tchécoslovaques en 1967 à la veille du Printemps de Prague, puis écrit un p... Poursuivre la lecture

La société française est malade. Elle souffre d’un mal insidieux dont les symptômes se laissent à peine voir. Ils sont pourtant bien-là et ces derniers jours, deux « polémiques » s’en sont fait l’écho.

C’est Guillaume Meurice, d’abord, convoqué par la police pour « provocation à la haine » après une blague de mauvais goût dans lequel l’humoriste avait comparé, au micro de France Inter, Benyamin Nétanyahou (Premier ministre israélien) à un « nazi sans prépuce ». C’est ensuite le rappeur Freeze Corleone, qui a vu son concert annulé par l... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles