Mon beau saumon, roi des poissons

Élevé en cage en Norvège ou en Écosse, la saumon ne remonte plus les rivières. Par contre, il franchit des milliers de kilomètres en camion avant d’être salé et fumé ou frais consommé. Suivons son nouveau périple économique.

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Mon beau saumon, roi des poissons

Publié le 23 décembre 2019
- A +

Par François Lévêque1.
Un article de The Conversation

Noël, c’est sapin et saumon fumé. Mais les tranches fines rose pâle ou orangées sur canapés ou plats de fêtes sont une coutume récente. Elle s’est imposée avec la domestication du saumon de l’Atlantique (Salmo Solar), il y a à peine un demi-siècle. Élevé en cage en Norvège ou en Écosse, il ne remonte plus les rivières. Par contre, il franchit des milliers de kilomètres en camion avant d’être salé et fumé ou frais consommé.

Suivons son nouveau périple économique de l’aval à l’amont. Il nous révélera les courants du commerce international et du développement industriel.

Un marché mondial, des prix de 1 à 10

Du saumon fumé, il y a en a aujourd’hui pour tous les goûts et toutes les bourses. Nature, mariné à l’aneth ou même à la betterave (original). Salé à sec ou par injection de saumure (qui ramollit la chair). Blanc, rose, ou carotte (coloré par un pigment). Tranché à la machine, ou au couteau (mieux). D’Irlande, d’Alaska ou des îles Féroé (rare). Sauvage (top), bio ou d’élevage (peut être très bon aussi). Faites votre choix. Quant au prix, il s’échelonne cet hiver entre 16,55 euros/kg chez Leclerc et 179 euros/kg chez Petrossian, une maison de caviar.

Le saumon est fumé depuis des temps immémoriaux. Il se conserve mieux ainsi. Il était autrefois si abondant qu’en Bretagne, sous l’ancien régime, les domestiques demandaient à ne pas avoir de saumon plus de deux ou trois fois par semaine. Sa disparition de nos rivières à la saison de reproduction l’a retiré des tables des moins fortunés et, fumé, il est devenu un plat de luxe. Mais son élevage aquacole à grande échelle comme un vulgaire poulet de batterie l’a rendu meilleur marché. En plaque sur un carton doré, ses tranches fumées ont conquis les supermarchés.

Les Français gros producteurs et gros consommateurs

Ces derniers réalisent d’ailleurs les deux tiers des ventes dont la moitié sous leur marque de distributeur. Le saumon fumé sauvage ou d’élevage bio représente moins de 10 % des volumes vendus. Deux ménages sur trois achètent du saumon fumé dans l’année et ce quatre fois en moyenne. Les fêtes de Noël sont la principale occasion d’en manger avec un triplement des ventes en décembre.

La France est le champion d’Europe du saumon fumé (y compris devant les pays scandinaves qui le consomment frais). Avec parfois des initiatives improbables comme la recette de sushi au saumon fumé, sans parler de l’importation de croquettes pour chien au… saumon fumé !

Nos voisins d’outre-Rhin sont également de gros consommateurs mais l’Allemagne importe son saumon fumé. Contrairement à la France qui bénéficie d’une industrie de transformation. Nous n’avons pas de saumon mais nous avons des fumoirs. Il y en a même un à Montreuil dans la proche banlieue parisienne (c’est là que j’achète mon saumon de Noël). Il y a aussi des sociétés de fumaison beaucoup plus grandes et connues comme Labeyrie. Artisanales ou industrielles, elles font venir par camion le saumon frais qu’elles transforment, et plus rarement par avion.

Trois courants et quatre mots

Ce secteur traditionnel a épousé le courant de l’économie contemporaine du commerce et de l’industrie dans trois de ses directions. Primo, hyperdifférenciation des produits et hypersegmentation des marchés, nous venons de le voir.

Deuxio, compétition des pays à bas salaires. Elle ne vient pas ici de la Chine, mais de la Pologne avec une main-d’œuvre moins chère et des usines neuves. Une paire d’entreprises y domine la production et l’exportation.

Tertio, internationalisation et consolidation industrielles. Un Monopoly du saumon fumé s’est joué en France au début des années 2010. Marine Harvest, premier producteur de saumon fumé au monde, a acquis maisons et hôtels de saumonerie en Bourgogne et en Bretagne. Thaï Union Frozen, le plus grand producteur mondial de thon en boîte, a racheté MerAlliance. Delpeyrat, une société française de foie gras (La Comtesse Dubarry, c’est elle) s’est lancée dans le saumon fumé par acquisitions en Normandie et en Haute-Loire, etc.

Quittons maintenant l’océan de consommation pour nous intéresser à la production du roi des poissons. Un dernier mot tout de même pour rappeler son cycle de vie si particulier. Il naît en eau douce, descend vers la mer, y vit quelques dizaines de mois, retourne à l’embouchure du fleuve qu’il a quittée, remonte la rivière de son enfance, s’y reproduit et… meurt.

Les spécialistes des poissons migrateurs disent que le saumon est anadrome, amphibiotique, potamotoque et thalassotrophe. Voilà quatre mots pour vos parties de Scrabble ou vos mots croisés de vacances de Noël dont je vous laisse découvrir la signification précise.

Une production multipliée par 200 depuis 1980

L’histoire de l’aquaculture du saumon est en accéléré celle de l’agriculture depuis les chasseurs-cueilleurs jusqu’à aujourd’hui. Vraiment en accéléré car il a fallu 30 ans contre 10 000 ans. En 1980 la production s’élève à 12 000 tonnes. Trois décennies plus tard, elle atteint 2,4 millions de tonnes. Au cours de cette période la taille des cages qui retiennent les saumons a été multipliée par dix, et celle des fermes aquacoles par cinquante. Que s’est-il passé ?

En une phrase, les techniques de l’élevage des poulets et des cochons ont été appliquées à l’aquaculture. Génétique, antibiotique, vaccin, alimentation industrielle, mécanisation, logistique, etc. Tous les piliers d’agriculture intensive ont été transposés.

En termes économiques, cela donne : économies d’échelle, c’est-à-dire diminution du coût du kilo de saumon avec la dimension des cages et des fermes ; gains de productivité, c’est-à-dire diminution de la quantité de travail et de capital pour produire un kilo de saumon – ces gains sont tellement ahurissants qu’ils ont fait l’objet de multiples articles académiques. D’où une diminution spectaculaire du coût unitaire et, en parallèle, du prix par le jeu de la concurrence. Ils ont été divisés par cinq entre 1985 et 2005.

Hausse des coûts, hausse des prix

Mais depuis cette date, le coût remonte. La technologie devenue mature, la productivité stagne. Le prix des aliments pour nourrir les saumons en cage devient le facteur clef de l’évolution du coût du kilo de saumon. Or le prix de la farine de poisson, du soja, du tournesol et autres sources de protéines et graisses a grimpé depuis le milieu des années 2000.

Le durcissement des réglementations environnementales est également de la partie. Il était d’ailleurs sans doute temps et dans l’air du temps. La pollution aquacole est conséquente et la production de saumon doit aussi rimer avec développement durable.

Si le coût remonte, le prix remonte. Logique. Cependant, depuis plusieurs années il grimpe beaucoup plus haut que le coût. Sur la bourse de Bergen, il a atteint 6,3 euros/kg en 2018 contre 3,6 euros/kg en 2012. Évidemment si le prix augmente plus que le coût c’est que le profit augmente. Et pourquoi augmente-t-il ? Deux raisons se conjuguent : rareté et pouvoir de marché. La production a pratiquement cessé de croître, en particulier en Norvège. Pour des raisons de protection de l’environnement, les autorités publiques y ont quasiment plafonné les autorisations d’élevage du saumon. Ailleurs aussi très peu de nouvelles capacités se sont ajoutées aux existantes et celles-ci tournent à plein régime. Or la demande de saumon est faiblement sensible au prix. Elle est restée soutenue.

Un petit nombre de sociétés dominent le marché

De plus, la concurrence s’essouffle. Les entreprises aquacoles en place sont dorénavant protégées par de solides barrières à l’entrée qu’elles soient d’origine technologique, financière ou réglementaire. La concentration s’est accrue partout. Un petit nombre de sociétés dominent le marché et influencent les prix.

Elles contrôlent la plus grande partie de la production tant au Canada ou en Norvège qu’en Écosse ou au Chili. Elles sont d’ailleurs souvent implantées dans plusieurs de ces pays.

Parmi elles, une se détache, Marine Harvest, déjà citée pour sa première place mondiale dans la fabrication de saumon fumé. Elle occupe également ce rang dans la production de saumon de l’Atlantique avec des fermes salmonicoles en Europe et aux Amériques et le quatrième dans la fabrication d’aliments pour l’aquaculture. Elle dispose d’une trentaine d’usines de transformation dans le monde et commercialise ses produits dans 70 pays.

On retrouve là une autre direction du courant du développement industriel contemporain : la place croissante d’entreprises superstars dans les marchés. Dans tous les secteurs ou presque, quelques entreprises se détachent des autres que ce soit en termes de pouvoir et de part de marché, de gain de productivité, de présence dans le commerce international et même de salaire moyen. Marine Harvest en fait partie. Comme quoi le saumon mène à tout.

Ce périple dans le monde économique de Salmo Solar aura peut-être entaché votre vision romantique et imaginaire du saumon fumé. Mais ne le dédaignez pas pour autant. Ne faites pas comme le Héron de la fable de La Fontaine qui, après avoir méprisé tant de beaux poissons, finit par manger un limaçon.

Sur le web-Article publié sous licence Creative Commons

  1. Professeur d’économie, Mines ParisTech.
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  • Et pour ne pas s’embêter à choisir le meilleur ,cherchez le mot congelé , en tout petit dans un coin, a fuir absolument !
    Mon dernier saumon , bon ,pas cher , marque repère chez Leclerc.

  • comme le poulet ,le caviar , le foie gras ou la truite … quand on veut donner « accès » a un produit a tout le monde .. on fabrique de la merde..
    moi pour les poissons , c’est sauvage ou rien..
    Les bons produits sont rares et donc chers ! mangez en moins mais prenez le meilleur ou abstenez vous
    c’est valable pour tout le reste

    • Étonnant que vous aimiez les sauvages……..

      • je vis dans la natre

        • Je reprend un paragraphe de l’article :
          En termes économiques, cela donne : économies d’échelle, c’est-à-dire diminution du coût du kilo de fonctionnaire avec la dimension des cages et des fermes ; gains de productivité, c’est-à-dire diminution de la quantité de travail et de capital pour produire un kilo de fonctionnaire – ces gains sont tellement ahurissants qu’ils ont fait l’objet de multiples articles académiques. D’où une diminution spectaculaire du coût unitaire et, en parallèle, du prix par le jeu de la concurrence. Ils ont été divisés par cinq entre 1985 et 2005.
          Je n’y comprend plus rien ! comment cela se fait-il que les agents de l’état soient si chers ?

      • Même au marché sur le port de Bergen, le saumon sauvage est rarissime. Il est assez facile de se faire du saumon à l’aneth
        Je comprends parfaitement vos goûts aristrocratiques, c’est en général multiplié par 3
        Les élevages en Norvège sont en pleine mer.

  • « Qui ramollit la chaire » chute.

  • Il y a aussi des journalistes ou des nutritionnistes déclarés spécialistes qui nous disent que les saumons d’élevage sont parfois meilleurs car les sauvages sont suspectés d’être contaminés au mercure. On peut très bien s’en passer en préférant les huîtres….quand on ne nous alerte pas d’un problème sanitaire.

  • Pourquoi la France fume du saumon (plutôt mal d’ailleurs) ?

    Le résultat de la TVA d’une époque.

    Le saumon frais avait une TVA alimentaire d’environ 5 à 6%, alors que le fumé était à 33,33%, il était alors préférable de l’importer frais et de le fumer en France.

    Si je dis que l’on fume mal, c’est pour deux raisons: les régions concernées n’ont pas trop la culture du fumage (je fume moi moi même mes produits en Alsace comme mes ancêtres, et j’ai mon opinion).

    On nous propose des saumons de Norvège, d’Irlande ou d’ Ecosse , mais fumés pareils en France, je met au défit de les distinguer à la dégustation.

    Pour avoir mangé cette délicatesse dans les Iles Britanniques , je ne me retrouve pas dans la texture et le gout de nos produits fumés en France…

    Allez, je vais me faire des ennemis:
    même le saumon fumé en Pologne* que l’on trouve en premiers prix (en choisissant de belles tranches, pas du tout venant) est au niveau des grands industriels français.

    * voir le code sanitaire

    • Étonnant , je ne savais pas , 33% de TVA sur le fumé alors qu’il s’agit d’un système de conservation comme les autres…le hareng saur ou la morue et la truite sont aussi a 33% ?

      • – étaient à 33% –

        Pour autant que je me souvienne, parmi les produits festifs, seul le saumon fumé, considéré comme produit de luxe, était à 33%, avec le caviar et peut être le foie gras (et surtout les voitures)

        Une autre époque…

        Quand à votre saumon marque repère, malgré l’achat chez ‘l’épicier de Landerneau’, je me demande si le code sanitaire ne commence pas par ‘Pl’, ce qui serait un comble pour un breton.

        De plus la majorité des marques distributeur fumées en France sont produites par des fumeries appartenant au thailandais ‘Thai Union Group’ maison mère de ‘Petit navire’.

        • Exact , petit navire ou océan machin mais , c’était le seul paquet non issu de saumon congelé une ou deux fois !
          L’année dernière je me suis fait arnaquer avec ça ,mefiance sur les grands conditionnements et pas forcément moins cher que le bon !

  • Article intéressant, merci CP de faire parfois du journalisme (provocation de Noël, bisou)
    Perso, le saumon fumé à 50 euro/kg, ça fait cher et ça ne vaut pas toujours le coup/coût mais j’aime bien de temps en temps.
    A éviter : le saumon fumé premier prix : gonflé d’eau, fumé très vaguement et insipide.
    Là je file chez un poissonnier qui le fume lui-même, dont certains à la bière (Belgique oblige).

  • Pour la petite histoire, le n°1 mondial du saumon, Marine Harvest appartenait au n°1 mondial de production d’aliment pour saumon, Nutreco/Skretting. Mais les actionnaires de Nutreco ont décidé de vendre Marine Harvest, après une période de mévente des saumons, Skretting demeurant fournisseur attitré de MH.
    Sauf que désormais, Marine Harvest produit lui même ses aliments (premier poste de coût), laissant son ancien actionnaire sur le bord de la route.
    Une décision actionnariale que l’on ne peut pas qualifier de lumineuse.

  • Les commentaires sont fermés.

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