Retraites : le match perdant-perdant qui s’annonce

Verra-t-on la contestation de nouveau gagner la rue à l’occasion de la journée de grève d’aujourd’hui ?

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Retraites : le match perdant-perdant qui s’annonce

Publié le 5 décembre 2019
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Par Olivier Maurice.

Qu’on le veuille ou non, ce jeudi 5 décembre 2019 fera écho au samedi 17 novembre 2018 qui a lancé le mouvement des Gilets jaunes.

Les débordements qui ont alors suivi en ont surpris plus d’un et la peur d’une nouvelle flambée de violence à l’issue de la grève annoncée pour la réforme des retraites est dans tous les esprits.

 

L’ombre du mouvement du 17 novembre

Le mouvement de contestation qui a embrasé l’hiver 2018-2019 reste bien incompris, à la fois des pouvoirs publics et des citoyens.

Le flou qui règne sur les tenants et les aboutissants d’un mouvement qui s’est embrasé de façon spontané, qui s’est transformé presque instantanément en tout autre chose et qui est passé en quelques jours d’une atmosphère bon enfant à des violences qu’on avait quasiment oubliées, entretient une ombre sinistre qui plane sur cette journée d’action voulue par les syndicats.

Bien malin celui qui peut prédire l’évolution entre ces deux contestations si semblables par certains côtés mais par d’autres totalement à l’opposé l’une de l’autre.

En dehors de la contestation, peut-on vraiment assimiler les professionnels du rapport de force institutionnalisé dans la gestion paritaire du modèle social français (les syndicats officiels) et un mouvement désordonné d’individus aux profils sociaux économiques qu’on peut difficilement faire plus disparates (les anonymes des Gilets jaunes) ?

Le risque serait de cumuler ces deux contestations en une seule et de ne regarder ce qui va se passer ces prochains jours que sous l’angle habituel de la lutte des classes et de la grogne sociale.

 

Le refus de l’autorité

Le mouvement des Gilets jaunes n’était pas à l’origine un mouvement de revendication, même si cela arrangeait tout le monde (gouvernement, syndicats, partis politiques …) d’y voir un schéma connu dans un modèle connu : celui de la lutte des classes sociales les plus défavorisées pour davantage de redistribution et de pouvoir d’achat.

Les personnes qui se sont retrouvées sur les ronds-points pour l’événement initial appartenaient à toutes les catégories socio-professionnelles et comptaient une bonne part d’artisans, de professions libérales, de commerçants, de petits patrons que tout oppose aux syndicalistes du secteur du transport à l’origine du mouvement de grève.

Le mouvement des Gilets jaunes était à l’origine un mouvement de rébellion contre le pouvoir, un veto populaire contre la manière d’agir du gouvernement.

Il s’agissait bien plus d’une remise en question de la légitimité des mesures prises que d’une revendication sociale à proprement parler.

Ce que scandaient les Gilets jaunes du 17 novembre n’était pas « nous voulons », mais « nous ne voulons pas ». Nous ne voulons pas de taxe carbone sur les carburants.

Ce n’est qu’ensuite que les divers professionnels de l’extorsion du chèque d’argent public ont fait entendre leurs voix, en même temps que les divers groupuscules radicaux.

Le gouvernement a fini par régler le point à l’origine de la contestation en renonçant à l’augmentation du prix des carburants. Mais cela n’avait pas suffi à éteindre le feu.

La réaction a-t-elle été trop tardive ? Peut-être.

Les diverses revendications ont-elles eu le temps de remplacer la contestation initiale ? Sans doute.

Risque-t-il de se retrouver dans la même situation et voir de nouveau la situation lui échapper et dégénérer ? Il y a de grandes chances et c’est cette intuition qui effraie nombre de citoyens qui ont déjà commencé à prendre des mesures de précaution en remplissant leurs placards et les réservoirs de leurs véhicules.

 

La question du pouvoir

Car c’est avant tout la surdité des dirigeants à entendre le niet populaire qui a échauffé les esprits.

Bon nombre de manifestants des ronds-points ont été exaspérés par les manœuvres dilatoires du gouvernement pour tenter d’éviter de revenir sur une mesure totalement électoraliste et se sont alors radicalisés.

Au plus les ministres appelés à s’exprimer s’évertuaient à défendre le soi-disant bien-fondé d’une taxe qui n’avait absolument aucune autre justification que celle de charmer l’électorat écologiste et citadin, au plus les esprits s’échauffaient devant ce monologue et cet exercice de racolage.

Une fois le cœur du foyer bien rouge, une fois l’embrasement parti dans toutes les directions, l’incendie était quasiment impossible à éteindre.

Quand un pouvoir, quel qu’il soit, ne représente plus les intérêts de la majorité, mais ceux d’une minorité, il perd très rapidement toute légitimité.

Emmanuel Macron avait déjà eu droit à un premier rappel à l’ordre au début de son mandat, quand la grande majorité du pays avait, à tort ou à raison, considéré qu’il privilégiait les plus fortunés en supprimant l’impôt solidarité sur la fortune.

Il était alors devenu de facto le président des riches.

Bien davantage que l’argument mille fois répété de justice sociale et de redistribution sous fond de haine du riche, c’est d’abord l’impression qu’il défend les intérêts d’une minorité de copains qui lui a valu ce qualificatif .

D’ailleurs, cette diatribe a fait un flop monumental ainsi que l’ont prouvé les résultats des élections suivantes : aucun des partis (pas même les groupes issus des Gilets jaunes) n’a réussi à fédérer qui que ce soit sur cet argument du nivellement des inégalités qui n’intéresse plus vraiment personne à part les journalistes et quelques économistes justice sociale et de redistribution perdus dans leur entre soi.

Dans un pays où les ravages du nivellement par le bas et les difficultés pour s’extraire de sa condition sociale se font chaque jour plus évidents, la fierté de classe et la haine de l’argent qui agitaient les ouvriers du XIXe siècle a quasiment totalement disparu.

Si on vénère de plus en plus les footballeurs et les stars de la télé-réalité, c’est avant tout parce qu’ils sont riches et peuvent mener une vie qui fait rêver, et que les hommes politiques n’ont pas réussi à offrir aux citoyens.

Mais cette défiance vis-à-vis du gouvernement et du président de la République n’est pas nouvelle. Dès le début de son mandat, l’ombre des scores du premier tour de la présidentielle planait au-dessus de la tête d’Emmanuel Macron et de son gouvernement.

Nul ne peut nier que celui-ci a davantage été élu à cause du rejet de Marine Le Pen que de l’adhésion d’une majorité des Français à son projet.

 

Un nouveau monde

À ce sentiment d’illégitimité s’ajoute un deuxième problème.

Même si on le qualifie de libéral, même s’il revendique faire de la politique autrement, le gouvernement a semble-t-il de grandes difficultés à comprendre que les opinions des citoyens se fondent de nos jours bien moins qu’avant sur des idéologies et des théories, mais sur les intérêts personnels dans une espèce de rapport de consommateur à fournisseur : les contribuables estiment payer trop cher des services de mauvaise qualité que l’État est supposé leur fournir.

Dans cette optique, tout clientélisme, tout privilège, toute action qui semblent donner un quelconque avantage ou favoriser une minorité aux frais des autres sont considérés comme illégitimes et violemment dénoncés.

Les opposants à la réforme ne sont pas, eux non plus, exempts de cette critique, en particulier ceux de la SNCF et de la RATP qui sont également considérés par bon nombre comme des privilégiés.

Le rapport « client-fournisseur » entre les usagers de services publics et ces bastions du syndicalisme n’est clairement pas en faveur de ces derniers.

Le mouvement de grève du 5 décembre est à la croisée des chemins et verra s’affronter d’un côté un pouvoir fortement critiqué pour favoriser des privilèges en tout genre et de l’autre ceux que beaucoup de personnes assimilent à la quintessence du privilégié.

C’est de toute évidence un match perdant-perdant qui s’annonce, match dont la durée ne fera qu’affaiblir les deux protagonistes.

La relative bienveillance des Français face à la défense d’acquis sociaux considérés par beaucoup comme indus risque de s’émousser aussi vite que grandira la colère face à un gouvernement qui quoi qu’il se passe sera tenu responsable de la pétaudière qui se profile devant nous.

Ce match entre défenseurs d’un modèle social d’un autre temps et héritiers d’une gestion catastrophique elle aussi d’un autre temps, semble à beaucoup totalement anachronique.

Il appartient à une époque où les luttes sociales faisaient partie prenantes du dialogue social qui opposait un patronat de droite à un syndicalisme de gauche.

Le temps des cerises et des matins qui chantent.

 

Un match perdant-perdant

Ce temps est passé, et même si elle reste majoritairement silencieuse, une bonne majorité de la population est consciente de l’impasse dans laquelle ce modèle de lutte des classes nous a mené et refuse de plus en plus massivement ce partage du pouvoir entre droite et gauche, entre patrons et ouvriers, entre riches et pauvres…

Les réseaux sociaux ont remplacé les centrales syndicales, la contestation tous azimuts a remplacé le combat pour l’avènement de la dictature du prolétariat, les Gilets jaunes ont remplacé les Gilets rouges de la CGT.

C’est bien plus ce petit jeu entre des représentants des salariés ne représentant plus grand monde et un pouvoir auquel colle étroitement l’étiquette d’élite décalée bien loin des préoccupations des gens qui risquent fort de mettre le feu aux poudres, bien plus que l’hypothétique évolution vers une convergence des luttes (concept totalement anachronique s’il en est).

Nombre de citoyens déjà excédés ont la sombre impression d’être pris en otages par une partie de poker menteur entre deux protagonistes qui font tout sauf s’intéresser à eux.

Gouvernement et syndicats prendraient un gros risque en faisant durer le conflit, celui de ranimer le feu de la contestation contre des institutions qu’ils représentent et qui sont de plus en plus violemment critiquées et décrédibilisés.

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  • Combien de temps pour preparer cette reforme et malgre tout on nous presente un truc flou suffisamment flou pour etre rejete par tout le monde.comme la mesure du 80 , il sembe que tout est fait pour creer le chaos ,macron doit penser que le chaos est un mal necessaire…pourquoi pas !

  • Il faut être dénué ee sens politique et/ou être complètement déconnecté pour lancer une telle réforme alors que le gouvernement est très impopulaire (malgré les sondages qu’il fait publier et qui ne trompent plus grand monde, la multitude de cars de CRS et le bouclage de qyartiers entiers au moindre déplacement de ministres ou du PR le démontrent)

    • la retraite c’est un probleme de fonctionnaires et derrière l’etat il y a le contribuable

    •  » Il faut être dénué ee sens politique et/ou être complètement déconnecté pour lancer une telle réforme alors que le gouvernement est très impopulaire  »

      A vous lire on croirait que la France découvre les grèves. Que les gouvernement sont impopulaires ou non toutes les réformes sont systématiquement rejetées par les syndicats.

      La France c’est le pays de l’égoïsme collectif.

      • Non, je veux dire qu’une telle réforme doit être faite en début de mandat. Si ce n’est pas le cas, il faut proposer un projet clair et le soumettre à référendum,

  • Le socialisme, ça commence avec des mots, ça finit avec des morts.

    La guerre civile permanente se faisait dans les urnes jusqu’à présent. C’est dans la rue qu’elle aura lieu désormais comme en témoignent les manifestations quotidiennes dans les grandes villes.

  • que les fonx reviennent au niveau des gens du privé n’est que justice..
    ceci dit tant que le statut n’est pas abrogé , rien ne changera..la capacité de nuisance restera la meme

  • Il y a 30 ans , Un livre blanc sur les retraites chiffrait avec précision l’état actuel. Rien n’a été fait sur le fond uniquement du rafistolage de surface.
    Pour absorber les variations démographiques il était prévu un fond de resserve, A la place on a creusé la dette.
    Heureusement a la SNCF et a La RATP il y a des penseurs qui trouvent normal de toucher la retraite sur une période plus longue que celle d’activité, c’est sur, ça va le faire !!!

  • La feignasserie qui vit de l’argent des autres est dans la rue!

  • « Dans cette optique, tout clientélisme, tout privilège, toute action qui semblent donner un quelconque avantage ou favoriser une minorité aux frais des autres sont considérés comme illégitimes et violemment dénoncés. » : personnellement, j’ai un gros doute car il s’agit d’une approche réaliste qui n’est pas partagé par les mouvements de gauche, et qui ne correspond pas au clientélisme d’autres mouvements cherchant à récupérer un supposé mécontentement. En fait, c’est l’approche libérale, et ce mot n’est pas bon à prononcer de nos jours.

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