Les exilées de la liberté

Selon Roxana Nicula, pour défendre la liberté et être plus efficaces face aux collectivistes de toutes sortes, il faut travailler avec les instruments politiques actuels, y compris avec des partis qui s’opposent en principe aux idées libérales et libertariennes.

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Les exilées de la liberté

Publié le 4 décembre 2019
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Par Radu Nechita.

Lors de la conférence organisée par Atlas en novembre 2019, Roxana Nicula a accordé une interview à l’équipe de Contrepoints. Il s’agit de la présidente de Fundación para el Avance de la Libertad, think tank fondé avec quelques amis, il y a quelques années.

Convaincue que la réflexion doit être suivie d’actions, elle a considéré nécessaire de s’impliquer dans la création d’un parti ayant le courage de proposer des politiques ouvertement libérales et de les appliquer ensuite, une fois gagnées les élections.

Roxana a retenu notre attention avec la présentation du film Venezuela : El Exillio Feminino, qui décrit la tragédie de quatre femmes vénézuéliennes qui avaient fui leur pays, naguère le plus riche de la région, aujourd’hui ruiné par les politiques socialistes de Chàvez et Maduro.

Parmi ces femmes, l’histoire de Laided Salazar semblait lui tenir un peu plus à cœur. Nous avons voulu en savoir plus et comprendre d’où venait toute la passion de Roxana dans la défense de la liberté et la dignité humaine des femmes vénézuéliennes.

La liberté, synonyme de propriété privée

Il n’avait rien de particulier ce beau jour de printemps de 1991 et tout aurait pu laisser penser que cette famille allait pique-niquer là, dans ce champ, au milieu de nulle part. Ou plus exactement, dans les Sous-Carpates roumains, ce qui revient au même pour bien d’entre nous. Tout à coup, la plus âgée des femmes s’agenouille et embrasse la terre, les larmes aux yeux.

« J’avais seulement 15 ans lorsque j’ai compris toute la souffrance cachée derrière le geste de Safta, mon arrière-grand-mère, une femme qui m’avait toujours impressionnée par son fort caractère. C’est à ce moment que j’ai perçu ce que c’est que de vivre dans une société libre, fondée sur la propriété privée de nos biens, de nos corps, du résultats de nos initiatives et innovations : tout simplement la possibilité de vivre notre vie. Cette image m’a accompagnée ensuite toute ma vie. Et c’est à ce moment que j’ai senti le désir de dédier ma vie à la défense de la liberté. Et pour moi, la liberté est synonyme de propriété privée », se souvient Roxana Nicula.

Roxana Nicula
Photo de la collection privée de Roxana Nicula

C’était la terre que Safta avait été obligée de céder au kolkhoze trois-quatre décennies auparavant, comme l’avaient fait quelques millions d’autres paysans roumains, l’alternative étant la déportation ou l’exécution.

« C’était pourtant une simple paysanne, sans éducation : elle a appris à lire et écrire en même temps que mon père, pendant qu’il était à l’école primaire. Vous voyez bien la menace qu’elle représentait pour le régime ! En réalité son crime était celui d’être la veuve d’un ancien maire libéral du village. »

Avant la chute du mur de Berlin, la vie de Roxana était celle de millions d’autres jeunes qui n’avaient aucun espoir de voir un jour la fin du régime communiste. À l’époque, le but était simplement de survivre sans y perdre complètement toute dignité et humanité.

« Oui, j’ai fait partie de la génération de sacrifice, j’ai grandi dans la Roumanie de Nicolae Ceausescu, qu’il voulait calquée sur le modèle de la Corée du Nord. J’ai connu les privations, les aliments rationnés, les files d’attente. En tant qu’élève, j’ai participé comme tout le monde aux soi-disant travaux patriotiques dans l’agriculture collectivisée, qui n’étaient que des travaux forcés. En même temps, j’ai eu la chance de grandir dans une famille qui connaissait et qui m’a expliqué la valeur de la liberté, de la propriété et de la responsabilité individuelles. Évidemment, j’ai été instruite de ne pas en parler en dehors de notre famille. Ultérieurement, j’ai compris aussi pourquoi ma sœur et moi n’avions pas le droit d’inviter des amis chez nous, dans notre appartement de 45 mètres carrés : parce que nous avions une des plus grandes bibliothèques du quartier, qui contenait beaucoup de livres interdits par le régime communiste. »

Rétrospectivement, l’on peut considérer que Roxana a tenu de son mieux la promesse qu’elle s’était faite. Après la chute du régime communiste, elle a commencé des études en droit, à l’Université de Bucarest et elle s’est impliquée aussi dans la vie politique.

Compte tenu de ses valeurs personnelles et familiales, il lui est paru tout naturel de s’orienter vers le Parti National-Libéral Roumain, qui depuis sa création (1875) et après sa refondation (1990) a été une des forces réformistes du pays. Son implication et sa passion ont été remarquées et sa carrière semblait toute tracée, probablement vers les plus hautes sphères de la politique roumaine.

Le destin en a voulu autrement

Ou peut-être, il s’agissait tout simplement d’une autre forme de passion : elle est tombée amoureuse de Juan, un ami de la liberté venu d’Espagne à Bucarest, pour la Conférence Internationale IFLRY (International Federation of Liberal Radical Youth), édition 1997.

Lorsqu’elle a essayé de lui rendre visite ultérieurement, elle a été refoulée à la frontière par des fonctionnaires qui avaient des instructions expresses de prévenir le « risque de mariages » des Espagnols avec des « extracommunautaires ». Une fois rejetée sa première demande de visa, il était évident que toute éventuelle demande ultérieure allait subir le même sort.

Afin de revoir celui qui deviendra son mari, Roxana a dû attendre encore un an et traverser clandestinement la frontière espagnole, déjouant ainsi la vigilance « justifiée » des douaniers espagnols.

Avec son mari, ils ont fondé la Fundación para el Avance de la Libertad, un think tank d’orientation libérale classique, qui promeut la liberté économique et sociale.

Elle est également co-fondatrice du Partido Libertario, le parti libertarien espagnol (2009).

« Cela perturbe un peu certains de nos amis libéraux de la droite conservatrice, tout comme les progressistes pour qui la liberté individuelle concerne seulement les choix de vie, autres que ceux économiques au sens strict. »

Parmi les accomplissements et les initiatives de son association, elle mentionne notamment la publication d’un indice de compétitivité fiscale, réalisé en collaboration avec deux autres associations : Unión de Contribuyentes (Espagne) et Tax Foundation (États-Unis). Roxana mentionne également les publications régulières de l’association, écrite « dans un style semblable à celui du Reader’s Digest », afin de toucher le grand public.

En ce sens, la Fundación para el Avance de la Libertad a commencé à aider ceux qui risquent leur vie pour la défense la liberté individuelle dans des environnements particulièrement hostiles (Nicaragua, Venezuela, Russie etc.).

La réussite la plus récente et un des projets très chers à Roxana est le support accordé à Laided Salazar. Les mass media hispanophones en ont beaucoup parlé. Une femme, capitaine-médecin, major de sa promotion, a eu l’audace ou l’inconscience de douter de certaines politiques de Nicolás Maduro, notamment la répression des manifestations étudiantes de 2014. Elle a été condamnée à huit ans de prison pour rébellion, sans que le tribunal militaire attende la présentation de preuves.

Laided a été emprisonnée pendant deux ans, suivis par deux ans d’assignation à domicile obligatoire. Elle a été soumise à des mauvais traitements assimilables à des crimes contre l’humanité. Enfermée dans l’obscurité totale, avec seulement 5 minutes de lumière naturelle par jour (que ses gardiens fixaient souvent après le coucher du soleil). Affamée, assoiffée et dépourvue de soins médicaux. Soumise à des tortures psychologiques déguisées en « rééducation ». Obligée de choisir entre recevoir des colis ou la visite d’un membre de sa famille. Attendre sept mois avant de revoir Rafael, son fils.

Son histoire devient publique seulement une fois transmise hors des murs de la prison, en l’écrivant avec de l’encre sympathique. Son état de santé devient critique. Le régime craint qu’elle ne meure en prison, raison pour laquelle il modifie sa peine en domicile obligatoire, sous la surveillance de quinze gardiens.

Après un an d’assignation à domicile forcée, Laided et Rafael arrivent à tromper la vigilance de leurs cerbères et traversent clandestinement la frontière vers la Colombie.

Les risques assumés étaient dans ce cas beaucoup plus grands que ceux assumés par Roxana deux décennies plus tôt : les garde-frontières vénézuéliens avaient ordre de tirer à vue sur les clandestins et la frontière n’était pas une simple ligne sur le sol mais une rivière.

 

Pour des raisons de mobilité, les deux fugitifs avaient pris le minimum d’objets personnels. Rafael n’a eu le droit d’emporter qu’un seul jouet. Il a choisi sa X Box, qu’il a soigneusement tenue au-dessus de sa tête, afin de la protéger de l’eau.

Leurs têtes sont mises à prix par le gouvernement de Maduro, qui ameute ses agents dans le pays voisin, dont le ELN (Ejército de Liberación Nacional / Armée de libération Nationale), un groupe de guérilla marxiste colombien, classé comme organisation terroriste par la Colombie, le Pérou, les États-Unis, et l’Union européenne. Malgré les changements fréquents de domicile, le gouvernement colombien les informe qu’il n’était plus en mesure d’assurer leur sécurité.

La Fundación para el Avance de la Libertad

C’est à ce moment qu’entre en scène la Fundación para el Avance de la Libertad, qui utilise tous les moyens légaux pour que les deux fugitifs obtiennent les documents d’identité et les visas – toujours ces fichus visas ! – pour pouvoir entrer en Espagne.

« Leur arrivée a été et, probablement, restera longtemps mon plus beau cadeau de Noël » confie Roxana, en se remémorant les interminables heures d’attente dans l’aéroport de Madrid, le 25 décembre 2018.

Roxana Necula
Photo de la collection privée de Roxana Necula

« Pendant leur vol trans-Atlantique, une fois que leur vie était sauve, mon mari et moi pensions à la suite des événements et à l’avenir de Laided et Rafael. L’idée qu’ils quittaient une maison conspirative seulement pour être enfermés et passer les fêtes dans un camp de réfugiés nous est semblé tout simplement inhumaine. Sans aucune hésitation, nous avions pris la décision de les inviter chez nous, dans notre appartement ».

 

Parce que l’épreuve de Laided n’est pas singulière et les autres cas pas aussi connus par les médias, l’équipe de Fundación para el Avance de la Libertad a décidé de faire un film qui peut être visionné ici, en espagnol, sous-titré en anglais.

Il donne la parole à quatre femmes qui, à l’instar de quatre millions de leurs compatriotes, ont dû prendre le chemin de l’exil pour fuir la répression et le désastre économique organisés par leur propre gouvernement.

Elle nous invite vivement de le partager sur tous les réseaux sociaux.

Irresponsabilité collective ou responsabilité individuelle

Les histoires personnelles de Roxana et de Laided, ainsi que celles de leurs pays d’origine ont plusieurs points communs.

Tout d’abord, comme l’a remarqué à maintes reprises Roxana, c’est l’importance cruciale des droits de propriété, non seulement pour le bon fonctionnement de l’économie ou la prospérité matérielle, mais surtout pour la dignité humaine. Ce n’est pas un hasard si la propriété privée a été la cible principale de tous les régimes totalitaires, par des nationalisations ou par des réglementations qui vidaient ce droit de tout contenu.

Un autre point commun est le rôle essentiel des idées dans l’évolution des événements. Les crimes dans les pays d’Europe de l’Est ou l’effondrement économique du Venezuela n’auraient pas été possibles sans la complicité active des intellectuels du monde occidental.

On reconnaît les étapes : les influencers vantent les mérites des démocraties populaires ou les succès du chavisme.

Ensuite, les mêmes ignorent ou accusent de mauvaise foi ceux qui mettent en garde contre les risques des mesures populistes, contre ceux qui apportent des témoignages du désastre.

Puis, finalement, après un éventuel silence gêné, ils alternent les excuses (ce n’était pas du vrai socialisme/chavisme), les accusations (c’est la main des Américains) et les nouveaux projets révolutionnaires (les révoltes du Chili).

Dans le pays d’adoption de Roxana et de Laided, la bataille des idées fait rage aussi. Le public hésite entre centralisation ou autonomie, irresponsabilité collective ou responsabilité individuelle, repli sur soi ou ouverture vers le monde etc. Ces deux femmes courageuses ont choisi depuis longtemps leur camp : celui de la liberté.

Roxana conclut :

« Pour défendre la liberté et être plus efficaces face aux collectivistes de toutes sortes, pour proposer des petites et de grandes réformes, il faut travailler avec les instruments politiques actuels, y compris avec des partis qui s’opposent en principe aux idées libérales et libertariennes.
Cependant, les partisans des libertés individuelles et de l’économie de marché ont la responsabilité de construire les alternatives politiques fondées sur ces principes.
Pourquoi ?
Parce qu’il faut être conscient que les partis qui n’ont pas des principes libéraux vont nous trahir à la première occasion. S’ils doivent négocier des alliances compliquées, ils renonceront toujours à tout ce qui tient à la liberté car cela ne fait pas partie de leurs fondements.
Toutefois, nous devons apprendre quelque chose des collectivistes : poursuivre nos idées avec fierté et confiance dans leur application pratique, sans leur dilution jusqu’à disparition dans des politiques de type social-démocrate.
C’est seulement ainsi que nous pourrons donner l’exemple et attirer des millions d’adeptes, par des faits et des émotions. Et l’exemple doit toujours commencer avec soi-même
 ».

Roxana Necula
Photo de la collection privée de Roxana Necula

P.S. À cette heure, Laided et Rafael continuent d’être les invités de Roxana et de Juan. Rafael a réussi à dépasser partiellement les traumas subis pendant ces années : il a recommencé à parler et, peut-être, à avoir confiance en d’autres personnes.

 

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  • Je sais qu’ici, personne ne sait ce qu’est l’angoisse perpétuelle de vivre dans un pays social(commun)iste et de s’enfuir avec la peur de la mort . . .

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