Fraude fiscale : faut-il revoir le contrat social ?

Opinion : à la dureté de la loi fiscale s’ajoutent des moyens d’investigation à la limite des libertés individuelles et une répression qui se renforce régulièrement.

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Prisoner by Mr.Kitsadakron Pongha (CC BY-NC-ND 2.0)

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Fraude fiscale : faut-il revoir le contrat social ?

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 19 novembre 2019
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Par Thierry Foucart.

L’actualité donne deux exemples des conséquences de la politique fiscale française. Le premier est la sévère condamnation de Jérôme Cahuzac suivie de celle des époux Balkany.

Ils montrent que les « riches » et les « puissants » ne sont pas à l’abri d’une peine de prison ferme et risquent d’être ruinés et prouvent le succès de la lutte contre la fraude fiscale, devenue un outil rentable pour remplir les caisses de l’État.

Ces deux exemples ne donnent aucune justification de la fiscalité française et illustrent simplement la volonté de faire respecter la loi.

 

Dura lex, sed lex

L’importance des prélèvements obligatoires est connue de tous. Tous les secteurs économiques sont concernés. C’est la conséquence de l’emprise de l’État-providence sur la vie des individus et du dirigisme économique qui prévaut, particulièrement en France.

Ces prélèvements sont de moins en moins acceptés par les contribuables et les entreprises, génèrent une fraude coûteuse, et l’État est amené à accentuer la lutte contre la fraude fiscale au fur et à mesure que ses besoins financiers augmentent, et que les capitaux qui lui échappent sont importants. On assiste donc à la mise en place de services fiscaux dédiés à la lutte contre la fraude, à un renforcement de leurs pouvoirs et à un durcissement des sanctions encourues.

En 2014, une cellule dédiée au « ciblage de la fraude et valorisation des requêtes » a été créée pour surveiller les entreprises ; sa compétence a été étendue aux particuliers en 2017. Les moyens techniques utilisés pour détecter les fraudeurs sont puissants.

Le projet de loi de finances de 2020 prévoit de les étendre, et d’autoriser en particulier le recueil systématique de données puisées sur les réseaux sociaux comme Facebook et les sites de ventes par correspondance comme Le Bon Coin pour les croiser avec les fichiers administratifs et détecter les informations contradictoires.

Cette expérimentation est prévue pour trois ans. La méthode n’est pas nouvelle. Elle revient à placer tout le monde sur écoute téléphonique pour espionner les opposants politiques, comme cela se faisait dans les pays totalitaires du XXe siècle.

La CNIL s’inquiète de cette méthode d’investigation, qui est « une forme de renversement des méthodes de travail des administrations », et qui « considère que les traitements projetés sont, par nature, susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés des personnes concernées. » Elle « observe ainsi que la collecte de l’ensemble des contenus librement accessibles publiés sur internet est susceptible de modifier, de manière significative, le comportement des internautes qui pourraient alors ne plus être en mesure de s’exprimer librement sur les réseaux et plateformes visés et, par voie de conséquence, de rétroagir sur l’exercice de leurs libertés. »

Inversement, en déclarant que « la lutte contre la fraude fiscale constitue un objectif à valeur constitutionnelle », le Conseil constitutionnel justifie l’utilisation de ces moyens en la contrôlant. L’article 57 de la loi de finances 2020 qui prévoit cette démarche vient d’être voté par l’Assemblée nationale. On peut craindre dans les années à venir la perception de la TVA sur les échanges entre particuliers.

À la dureté de la loi fiscale s’ajoutent ainsi des moyens d’investigation à la limite des libertés individuelles et une répression qui se renforce régulièrement.

 

La lutte contre la fraude fiscale

Les capitaux récupérés sont de six milliards d’euros sur les neuf premiers mois de 2019, supérieurs de 50 % à ceux de la période correspondante de 2018 (quatre milliards d’euros). Ces résultats montrent l’efficacité de ces nouvelles méthodes d’investigation.

Ce succès incite fortement à prolonger la période d’expérimentation des dernières mesures limitée pour l’instant à trois ans, et, plus généralement, à mettre à la disposition des organismes chargés de cette lutte des moyens de plus en plus efficaces mais de moins en moins respectueux des libertés individuelles.

Certaines administrations prélèvent déjà directement et sans préavis sur le compte professionnel, d’un indépendant ou d’une entreprise une somme qu’elles prétendent leur être due ; le signalement des fraudeurs présumés est encouragé, rémunéré sans que l’on se préoccupe des conséquences sur les relations sociales.

Autant la lutte contre la fraude fiscale est un objectif démocratique et indispensable, autant la tendance actuelle à renforcer les moyens utilisés est inquiétante pour la démocratie.

Alors que l’attaque récente contre la préfecture de police de Paris a suscité un débat sur l’obligation ou non de signaler une personne susceptible d’être radicalisée, la question ne semble pas se poser pour la fraude fiscale. Dans le premier cas, il y a un doute, alors que dans le second il n’y en aurait pas.

Cette remarque paraît justifiée dans certains cas : la banque HSBC a été dénoncée par le lanceur d’alertes Hervé Falciani, Jérôme Cahuzac par le site Médiapart, et ont été condamnés. Toutefois, la culpabilité ne peut être déclarée que par un juge ; un particulier, un journaliste ne sont pas en mesure de considérer comme coupables des entreprises ou des individus dont le comportement leur paraît condamnable sans bafouer la présomption d’innocence. L’affaire François de Rugy est un exemple, parmi d’autres, des conséquences que cela peut entraîner.

La nuance évoquée précédemment est très contestable, et témoigne d’un état d’esprit accordant très bizarrement plus d’importance à la lutte contre la fraude fiscale que contre le terrorisme.

Un signalement est une démarche individuelle qui ne devrait être ni rémunérée, ni publique, dont la motivation ne peut être encadrée par la loi. Mais il devrait être systématiquement adressé à l’autorité administrative compétente, habilitée à continuer l’investigation ou à entamer des poursuites.

 

La fraude fiscale est un produit de l’État-providence

La fraude fiscale est condamnable parce qu’elle est le refus d’obéissance à une loi démocratique. On peut aussi l’interpréter comme la contestation du caractère démocratique de la loi de finances, qui s’exprime de deux façons différentes.

La première résulte de la perception négative de la fiscalité par les contribuables. Ils sont soumis à une loi parfois incompréhensible, très instable, ne respectant pas les convictions de chacun, utilisée à des fins contestables. Cela peut être interprété comme du mépris que le pouvoir politique aurait pour l’individu supposé a priori connaître la loi, et on peut y voir l’une des origines du mouvement des Gilets jaunes et de la fraude fiscale condamnée chez les autres, mais pratiquée par tous.

La seconde est l’importance des prélèvements obligatoires, d’environ 45 % du PIB. Pour sept français sur dix, le poids de la fiscalité est excessif : ce sentiment explique la fraude fiscale à l’échelon individuel. Les entreprises aussi sont soumises à des impôts et taxes, ainsi qu’à des réglementations innombrables, qui les pénalisent à l’exportation de leur production et facilitent l’importation de produits étrangers qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes.

Cette opinion négative sur la fiscalité tient-elle compte de ce que ces prélèvements sont reversés sous formes d’allocations, de gratuité, servent à financer des organismes sociaux, l’éducation, l’armée, le logement social etc. ?

Diminuer les prélèvements obligatoires, c’est nécessairement augmenter les dépenses des foyers que l’État-providence a habitués à la gratuité ou à la prise en charge partielle d’un grand nombre de prestations. Augmenter les prélèvements sur les très hauts revenus pour compenser la baisse des prélèvements dans le budget de l’État, comme le préconisent certains, constitue une rupture du contrat social. Ce n’est pas non plus suffisant financièrement, risque de faire partir les « riches » à l’étranger et de tuer la poule aux œufs d’or. Diminuer les prélèvements, c’est donc supprimer des allocations, des aides sociales… sans lesquelles de nombreux foyers ne peuvent vivre décemment.

Le problème concerne tous les secteurs de l’activité économique nourris de subventions et d’exonérations d’un côté, soumis à de multiples charges de l’autre. Il est aggravé par le fait que des taxes prélevées sur un secteur servent de facto à alimenter les avantages fiscaux accordés à un autre, l’exemple typique étant le CICE financé par l’impôt sur les sociétés et redistribué sous certaines conditions.

La prise en charge des citoyens par l’État-providence leur a fait perdre le sens des réalités. Combien ignorent – ou préfèrent ne pas savoir – que l’argent public est prélevé sur les revenus privés ? Que la médecine de ville, l’hôpital, l’école, ne sont gratuits qu’en apparence ? Que toute nouvelle mesure sociale est financée par l’augmentation des prélèvements obligatoires ? Qu’un avantage fiscal, comme une loi de défiscalisation immobilière, est nécessairement compensé par l’impôt ?

 

Le rétablissement du contrat social

Tout le monde bénéficiant d’aides sociales ou d’avantages fiscaux, toute réforme suscite le mécontentement d’une partie de la population. La réforme des retraites, que chacun sait indispensable, provoque des grèves à la RATP et la SNCF dont les employés craignent la disparition de leurs avantages, et simultanément des manifestations des professions indépendantes dont les caisses de retraite excédentaires financent le déficit des régimes spéciaux : les premiers réclament le maintien de leurs avantages que les seconds refusent de financer. Cette situation est générale.

Le résultat est clair. Bastiat l’a expliqué par une formule lapidaire :

« L’État, c’est la grande fiction par laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde. »

Dans un État démocratique, chacun est libre de mener sa vie comme il l’entend, dans le respect de la loi. Cette liberté implique l’autonomie de chacun : imposer aux uns de participer financièrement aux choix des autres, ce qui est le principe même de la redistribution des richesses, c’est une perte de liberté réciproque et une intrusion de l’État dans la vie privée.

Dans un article antérieur, j’ai proposé un financement de l’enseignement supérieur par l’attribution d’un « chèque études supérieures » à tous les étudiants qui les rembourseraient une fois entrés dans la vie active. Les conséquences de la gratuité des universités et de l’absence de sélection sont en effet nombreuses : l’État cherche à sélectionner les étudiants pour éviter les échecs et réduire les coûts induits, tandis que les étudiants revendiquent la liberté de s’inscrire dans la filière de leur choix.

La proposition présente plusieurs intérêts :

  • la responsabilité de l’étudiant dans ses études, liée à l’exercice de sa liberté de choix ;
  • le financement des universités en fonction du nombre d’étudiants ;
  • l’égalité avec l’enseignement supérieur privé financé actuellement par les étudiants ;
  • l’absence d’impact sur les finances publiques, les actifs remboursant le coût de leurs propres études précédentes et non celles de la génération suivante.

 

Cette substitution d’un prêt à un financement public peut être généralisée. Elle consiste à transformer toute aide sociale en crédit remboursable, par un prélèvement sur la succession en cas d’impossibilité. Cela existe déjà (par exemple l’allocation spécifique aux personnes âgées). Les bénéficiaires conserveraient leurs allocations tant qu’elles leur seraient nécessaires, et les rembourseraient suivant leurs possibilités. Personne ne serait mis en difficulté, le recours à l’aide sociale diminuerait peu à peu, et l’aide humanitaire destinée aux personnes en grande difficulté serait préservée.

Elle pourrait être complétée par la suppression progressive des monopoles sociaux et la libéralisation des contrats de protection. Par exemple, la suppression du monopole du Régime Social des Indépendants aurait vite réglé ses dysfonctionnements inénarrables, à la grande satisfaction de quasiment tous les affiliés, et aurait constitué une première expérimentation du passage à un régime libéral.

 

La fin de la démocratie sociale

La rupture de l’État-providence avec le libéralisme politique date de la création de la démocratie sociale juste après la Seconde Guerre mondiale, dans le contexte historique d’un marxisme idéologiquement triomphant et politiquement très puissant. Cette démocratie sociale a pu être bénéfique à l’époque, en assurant la paix sociale et en recueillant une forte adhésion dans la population. Elle est devenue un carcan s’opposant à l’innovation et une idéologie dépassée par la mondialisation.

Dans les années 1970, le Royaume-Uni s’est trouvé dans une situation un peu analogue à celle de la France d’aujourd’hui. Confronté à la toute-puissance des syndicats, soumis parfois à une fiscalité complètement spoliatrice – le taux marginal d’impôt sur le revenu a atteint à un moment donné 90 % ! ­- le Royaume-Uni a dû appliquer, sous la pression du Fonds monétaire international, une politique brutale diminuant à la fois les dépenses sociales et les prestations. Cette politique, mise en œuvre par Margaret Thatcher, a été particulièrement éprouvante pour la population.

La France risque fort de se trouver dans une situation de ce genre si les corps intermédiaires et la population ne comprennent pas la nécessité de sortir d’une prison dorée. Les partis politiques qui s’opposent systématiquement à toute mesure de la majorité pour en tirer un profit électoral jouent un rôle indigne et dangereux : dans une démocratie, l’action politique devrait résulter d’un débat rationnel et désintéressé, et ne pas être l’enjeu d’une polémique stérile qui ne fait que favoriser les uns contre les autres au dépens de tous.

Le président Macron est un social-démocrate keynésien. Il faut le convaincre de la solution libérale et non refuser la loi et l’empêcher d’agir.

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  • « Dura lex sed lex », puis « Fraude fiscale », puis « contrat social », en passant par la liberté par l’autonomie de chacun et l’exemple du « chèque éducation » : c’est un argumentaire pour un revenu universel ?

  • En attendant on peut déjà rectifier le vocabulaire, sortir de la novlangue, et remplacer l’expression frauduleuse « fraude fiscale » par l’expression correcte « résistance fiscale », et soutenir ceux qui ont le courage de la pratiquer au lieu de les vilipender et les condamner (même deux fois dans le cas Balkany: fraude + dissimulation de fraude).

    • vu que l argent de Balkany vient de detournement de fond de la mairie, je doute qu on puisse l eriger en Heros de quoique ce soit

      • Je le croyais comme vous mais apparemment il a été innocenté de cette accusation lors du 2ème procès.
        Donc jusqu’à preuve du contraire je place son action dans la case « illégal mais légitime ».
        Et je vois fort bien à qui le « crime » profite …

  • Le contrat social n’existe pas. Ou alors faites moi voir les signatures…

  • En matière fiscale, le Conseil Constitutionnel, essentiellement composé de politiciens recyclés, se range presque toujours du côté des spoliateurs au mépris de la DDHC qu’il n’invoque que quand cela ne dérange pas la cathédrale Bercy.

  • « Le premier est la sévère condamnation de Jérôme Cahuzac  » qui vis des jours heureux en corse avec sa retraite de ministre??

  • « Favoriser les uns contre les autres au détriment de tous ». Bonne synthèse !

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