Vox : les raisons du succès du populisme en Espagne

Fondé en 2013 à partir d’une scission du PP, Vox est en train de s’imposer parmi les principaux mouvements politiques espagnols.

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Flag of Spain by Sasha Popovic (CC BY-NC-ND 2.0)

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Vox : les raisons du succès du populisme en Espagne

Publié le 16 novembre 2019
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Par Nicolas Klein.
Un article de Conflits

Le dimanche 10 novembre 2019 au soir, au siège du parti Vox, à Madrid, les militants et dirigeants de la formation ne boudaient pas leur plaisir. Avec plus de 3,6 millions de suffrages exprimés (soit un million de plus que lors du scrutin national du 28 avril) et 52 députés (sur 350), le parti classé à l’extrême droite par la plupart des médias représentait un peu plus de 15 % des votants et réalisait le meilleur score de son histoire (voir les résultats en détail Congrès/Sénat).

Vox entrait ainsi dans l’histoire récente de notre voisin ibérique en devenant la première force politique de cette nature à compter autant dans le jeu national. Depuis la mort de Francisco Franco, le 20 novembre 1975, l’électorat espagnol penchait nettement à gauche et, en dehors de Blas Piñar lors des élections générales du 1er mars 1979, aucune personnalité de « droite radicale » n’était parvenue à se faire élire aux Cortes Generales (le Parlement espagnol). Plus encore : Vox a obtenu deux sénateurs sur les 208 dont le siège était à nouveau soumis au vote des électeurs espagnols.

Les affaires semblaient pourtant mal parties pour Vox, formation fondée le 17 décembre 2013 par des dissidents du Parti populaire (PP, démocratie chrétienne) et divers activistes de droite, dont la journaliste Cristina Seguí, l’ancien otage de l’ETA José Antonio Ortega Lara et le philosophe José Luis González Quirós. Après une première crise, le jeune dirigeant politique basque Santiago Abascal (né à Bilbao en 1976) devient président de la formation début 2014. Son idéologie, clairement marquée à droite, a peu évolué depuis lors : volonté de recentraliser l’administration espagnole ; rejet des lois sociétales et de toute loi mémorielle ; allègement substantiel de la fiscalité et diminution du poids de l’État dans l’économie ; accroissement des aides à la natalité et à la famille ; un certain euroscepticisme ; lutte contre l’immigration ; combat contre le séparatisme et le terrorisme basque.

La présence du PP et le manque de médiatisation ne permettent pas à Vox d’émerger entre 2013 et 2018. Lors du scrutin européen de 2014, la tête de liste, Alejo Vidal-Quadras, ne parvient même pas à se faire élire. Aux élections régionales de 2015, aucune des listes présentées par la formation ne dépasse 1,30 % des voix et, au scrutin général de la même année, Santiago Abascal n’obtient que 0,23 % des suffrages exprimés. En 2016, les élections générales ne lui sourient pas davantage avec 0,20 % des voix.

Le tournant de 2018

C’est avec le scrutin régional andalou du 2 décembre 2018 que tout bascule. Dès le mois d’octobre, de nombreux observateurs signalent qu’à la faveur de la crise séparatiste catalane, du mécontentement face aux partis traditionnels et de l’érosion d’un pouvoir socialiste qui gouverne la communauté autonome sans discontinuer depuis 1978, l’extrême droite a de grandes chances de faire une percée. Pourtant, en dehors de la toute dernière semaine de campagne, aucun sondage ne prédit le résultat final : 11 % des suffrages exprimés, soit 400 000 votants (contre 18 000 en 20159) et 12 sièges sur 109. Aux côtés du bon score de Citoyens (21 élus), cette poussée permet à la droite de conquérir le palais de Saint-Elme (siège de la présidence régionale andalouse) pour la première fois en quarante ans.

Les succès s’enchaînent ensuite pour la formation de Santiago Abascal. Aux élections générales du 28 avril 2019, elle fait son entrée au Congrès des députés avec 24 élus (soit 10,26 % des bulletins valides). Le même jour, Vox engrange 10,44 % des suffrages lors des élections régionales anticipées dans la Communauté de Valence, soit 10 sièges sur 99.

Lors du scrutin européen du 26 mai suivant, la liste conduite par l’avocat catalan Jorge Buxadé rafle trois sièges. Par la même occasion, la formation s’impose dans de nombreuses mairies et communautés autonomes, permettant par exemple à la droite de conserver la région de Murcie et la Communauté de Madrid ou de reconquérir la capitale.

Le choc et les questionnements

Beaucoup pensaient le pays immunisé contre l’extrême droite ou la droite « populiste ». Les longues années du régime de Franco (1939-1975) ont entraîné un profond rejet de la droite en général au sein de la population. Même la crise économique de 2008, avec son cortège de nouveaux chômeurs et de coupes budgétaires, n’a pas semblé affecter ce qui était considéré jusqu’à peu comme une « exception espagnole » dans le domaine.

Le charisme propre à Santiago Abascal, notamment à la télévision, n’est pas étranger à ce succès, tout comme les problèmes économiques que subissent encore nombre de ses concitoyens, la peur d’une « submersion migratoire », les tensions liées à l’indépendantisme catalan ou la forte présence de la formation sur les réseaux sociaux. Néanmoins, il faut prendre en compte plusieurs autres facteurs d’ordre sociologique et géographique afin d’un peu mieux comprendre le vote Vox.

La première phase : les migrants et les riches ?

Les élections régionales andalouses de décembre 2018 donnent l’occasion aux commentateurs politiques de s’intéresser une première fois à ce sujet. Deux tendances se dégagent d’emblée.

En premier lieu, Vox réalise ses meilleurs scores là où le rejet de l’immigration est le plus prononcé. C’est notamment le cas de la province d’Almería, située à l’est de la communauté autonome, célèbre pour sa « mer de serres » où sont cultivés les fruits et légumes qui se vendent dans toute l’Europe. Les communes d’El Ejido, Níjar, Roquetas de Mar, Balanegra, Adra ou Almería sont ainsi son terrain de jeu favori. Ces produits frais nécessitent souvent une main-d’œuvre bon marché et corvéable à merci, phénomène auquel s’ajoute la lassitude d’une partie croissante de la population face à cette présence étrangère. Outre celle d’Almería, les provinces de Cadix, Málaga et Grenade sont en première ligne face à l’arrivée des pateras, ces embarcations de fortune sur lesquelles s’entassent des immigrés venus du Maroc, d’Algérie, d’Afrique subsaharienne et du Proche-Orient. Sur place, le sujet est donc brûlant.

Paradoxalement, certaines zones bien plus aisées, où la population immigrée représente une part infime des travailleurs, donnent aussi leur vote à Vox en décembre 2018. C’est le cas, à Séville, de la vieille ville, de l’arrondissement de Los Remedios et de celui de Palmera-Bellavista. L’on retrouve le même phénomène à Cordoue, El Puerto de Santa María, Algésiras, Marbella, Mijas et Benalmádena, toujours dans des quartiers où le niveau de revenus est sensiblement supérieur à la moyenne andalouse.

Faut-il pourtant en déduire que Vox (parti au discours libéral très marqué) est surtout une formation de quadragénaires urbains ayant réussi leur vie et de citoyens excédés par l’immigration ? Le constat serait simpliste. Dès 2018, Santiago Abascal et les siens commencent à séduire les quartiers pauvres de Séville (Polígono Sur, Los Pajaritos-Amate).

Dans les villages de montagne de la province de Málaga (Sedella, Monda, Teba), dont le maire est d’extrême gauche, la défense du mode de vie traditionnel (tauromachie, chasse) mobilise bien plus que le rejet de l’immigration. Notons aussi que, au début de l’année 2019, les électeurs les plus jeunes se tournent vers Vox dans les sondages.

La deuxième phase : la confirmation chez les jeunes et dans les quartiers défavorisés

Le travail de terrain de Santiago Abascal en vue des élections régionales andalouses de 2018 commence au mois d’octobre. Il ne se concentre pourtant pas que dans cette communauté autonome. Dans les jours qui précèdent son congrès de Vistalegre, à Madrid, le parti commence à recruter dans les arrondissements du sud de la capitale, là où vivent les populations les plus modestes et où se trouvent de nombreux immigrés. C’est le cas d’Usera, Latina, Carabanchel, Puente de Vallecas, Villaverde et Villa de Vallecas.

Dans tout le pays, et en particulier à Madrid, des électeurs aux revenus faibles, déçus du Parti socialiste ouvrier espagnol (environ 300 000) et de Podemos (de 50 000 à 10 000) se reportent sur une liste de Vox le 10 novembre dernier. La crainte d’un afflux massif de migrants permet bien entendu à la formation de se hisser en tête dans la ville autonome de Ceuta, mais, dans la banlieue méridionale de la capitale espagnole, les raisons sont fondamentalement économiques. Tout autour de Madrid apparaît ainsi un « anneau vert » (anillo verde) – tout comme l’on parlait jadis d’une « ceinture rouge » (cinturón rojo). On le remarque dans des communes ouvrières comme Móstoles, Getafe, Parla et Fuenlabrada mais également dans des villes et villages à la limite avec la province de Tolède ou de Guadalajara (Castille-La Manche) : Humanes de Madrid, Arroyomolinos, Chinchón, Navalagamella, Cubas de la Sagra, Colmenar de Oreja, Paracuellos de Jarama, Meco, Fuente el Saz de Jarama, Algete, etc. Autant de communes où Vox arrive en tête, parfois avec plus de 30 % des suffrages exprimés, comme à Campo Real.

La crise de 2008 (qui a reporté de plusieurs décennies le décollage de certaines de ces bourgades), le rejet de la classe politique traditionnelle et la peur de l’éclatement de l’Espagne sont trois facteurs essentiels dans ce mouvement électoral. Bien entendu, toute la population des zones ouvrières traditionnelles ne se rue pas sur des bulletins de vote au nom d’Abascal. Néanmoins, les nouveaux quartiers aux revenus faibles et la petite classe moyenne menacée d’appauvrissement sont très sensibles à son discours.

Il en va de même dans le Levant (à l’instar de Catral et Dolores) et en Andalousie (comme à Coín, Lucena et Lepe), où le vote en faveur de ce parti progresse nettement entre le 28 avril et le 10 novembre. Dans les cinq communes les plus pauvres d’Espagne en termes de produit intérieur brut par habitant, Vox arrive en tête (Níjar, Alhaurín el Grande, Vícar, Isla Cristina) ou en deuxième position (Los Palacios y Villafranca).

Dans ces communes (mais aussi à Barbate, Sanlúcar de Barrameda et Arcos de la Frontera), c’est en grande partie la jeunesse qui propulse Santiago Abascal à de tels niveaux. Il faut dire que face à l’absence de perspectives professionnelles et au discrédit des formations classiques, nombre d’Andalous veulent essayer de nouvelles solutions. L’Andalousie en général a beaucoup souffert de la crise de 2008 et n’a toujours pas rattrapé le retard accumulé sur le reste de l’Espagne.

La province d’Almería, en particulier, cumule un certain nombre de failles : mauvaises connexions avec le reste de la communauté autonome, sentiment d’abandon, développement rendu difficile par l’orographie, taux de chômage élevé, etc.

Le cas particulier de la région de Murcie

Dans la partie méridionale du Levant (principalement la région de Murcie), la structure économique de base (petits patrons, autoentrepreneurs, travailleurs précaires) favorise aussi l’essor de la droite « populiste ». À San Pedro del Pinatar, Carthagène, Mazarrón, San Javier, Fuente Álamo de Murcia, Alhama de Murcia, Torre-Pacheco ou encore Totana, le cocktail entre rejet de l’immigration, pauvreté et peur du lendemain est très fécond pour Santiago Abascal.

À ces problèmes s’agrège l’inquiétude environnementale. Les inondations de septembre 2019 et l’asphyxie du Mar Menor constituent une profonde source d’angoisse que ne savent tarir ni le PSOE, ni le PP. À Murcie, la tiédeur des dirigeants conservateurs – qui n’ont pas su défendre le principe des transferts hydriques depuis des communautés autonomes mieux pourvues – détourne une partie de l’électorat conservateur traditionnel vers Vox.

La région de Murcie apparaît donc comme le grand bastion de ce parti et il s’agit d’ailleurs de la seule communauté autonome où il arrive en tête (quasiment 28 % des suffrages exprimés et trois députés) en 2019. Ce n’est pas un hasard si le président régional, Fernando López Miras (PP), a pu être reconduit dans ses fonctions le 26 juillet 2019 grâce aux voix de Citoyens et de Vox. Cette dernière formation compte d’ailleurs bien faire de la région son laboratoire en vue d’une expansion nationale encore plus poussée. Expansion qui lui reste à confirmer au cours des scrutins à venir et, si c’est le cas, viendra le temps difficile de l’exercice du pouvoir. Être dans l’opposition est beaucoup plus facile que d’être confronté aux réalités du gouvernement.

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  • Vox est assez libéral sur le plan économique et assez conservateur sur le plan sociétal. Les attaques de Vox contre les socialistes de Sanchez et les communistes de Iglésias sont carrément inimaginable pour un français, les syndicats et les associations subventionnées ne sont pas épargnés. Profiteurs, parasites, menteurs, fainénants, voyoux Chaviste et Castristes tout y passe. A noter que Vox est largement soutenu par les réfugiés cubains et vénézuéliens nombreux en Espagne.

  • les raisons sont le meme qu’ailleurs , y compris chez nous..
    la faillite de la social democratie

  • On oublie un peu vite que le Franquisme a existé pendant 36 ans et que si il a pu se maintenir pendant autant de temps, c’est qu’il existait une partie de la population qui lui était favorable qui en réalité n’a pas complètement disparue aujourd’hui comme en témoigne la persistance d’une commémoration annuelle, Place de l’Orient à Madrid.
    Il faut ajouter que ce vote peut aussi être une réaction temporaire ou durable à la décision politique récente du transfert du cercueil du Général Franco hors de son tombeau de la vallée de los Caidos.

  • « À ces problèmes s’agrège l’inquiétude environnementale. Les inondations de septembre 2019 et l’asphyxie du Mar Menor constituent une profonde source d’angoisse »

    Ah, enfin, on parle de « vrais » problèmes environnementaux, que les milliers d’éoliennes espagnoles ne résoudront pas, tandis que les subventions dépensés là, si.
    Et je doute que l’Etat soit le seul à blâmer ici.

  • C’est quoi en fait le populisme ? C’est quand les politiques écoutent le peuple ? Ça ne s’appelle pas démocratie cela ?

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Auteur : Catherine de Vries, Professor of Political Science, Fellow and member of the Management Council of the Institute for European Policymaking, Bocconi University

 

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