Médias : Google n’est pas le problème

Le problème pour les médias, ce n’est pas Google, c‘est internet dans sa globalité, qui bouscule le secteur.

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Médias : Google n’est pas le problème

Publié le 1 novembre 2019
- A +

Par Vladimir Vodarevski.
Un article de l’Iref-Europe

Google et les droits voisins, nouvel épisode de la guerre déclarée par la presse au célèbre moteur de recherche. Mais aussi, Reworld Media attaqué pour sa reprise de la filiale française de Mondadori, ce qui a provoqué une fuite de nombreux journalistes de Mondadori, 60 % peut-on lire. Deux événements qui se télescopent, symboles des mutations des médias sous l’effet d’internet.

D’un côté, des médias en perte de vitesse qui veulent être rémunérés pour l’indexation par Google, principal pourvoyeur d’audience, de quelques lignes de leurs articles, se plaignant des pertes de revenus que génère internet. De l’autre, un groupe qui reprend des titres de presse pour les relancer, en mettant l’accent sur le numérique, mais sans abandonner les versions imprimées, le print comme on dit. Deux mondes qui s’affrontent, l’ancien et le moderne. C’est une transformation de grande ampleur qui a touché les médias, ce n’est pas simplement une crise de la presse.

La presse, journaux et magazines, a été frappée par la concurrence d’Internet. C’est le cœur de son modèle qui a été atteint : la publicité. Journaux et magazines étaient des supports publicitaires. Ils étaient financés essentiellement par la publicité, et développaient des rubriques, art de vivre, automobile, finances personnelles, pour attirer encore plus de pub. Ils gagnaient beaucoup avec les petites annonces dans les secteurs de l’immobilier, des ressources humaines, de l’automobile. Des journaux gratuits d’annonces étaient distribués dans les boîtes aux lettres.


Internet a chamboulé le marché publicitaire. Des sites de petites annonces se sont développés sur le web, dans tous les domaines, et notamment les plus lucratifs, comme les ressources humaines, l’immobilier. Les agences immobilières ont désormais leurs propres sites. Les journaux de petites annonces sont remplacés par le site Le Bon Coin et ses concurrents. Les comparateurs de voyages accaparent la publicité pour les hôtels et tour operators.

Quelques chiffres

Quelques chiffres résument la situation de la presse papier, quotidienne ou magazine. Tous types de presse confondus, les recettes tirées de la publicité sont passées d’un pic de 4 828 420 000 euros en 2007 à 2 220 969 000 euros en 2016, soit moins que le chiffre de 1985 qui s’élevait à 2 553 776 000 euros. Les recettes de ventes sont, elles, passées d’un pic de 6 064 626 000 euros en 2004, à 4 821 687 000 euros en 2016.

Une crise des médias

Cependant, tous les médias sont touchés par cette évolution. Internet concurrence aussi la télévision, la radio. Ainsi se sont développées des sociétés comme Deezer ou Spotify, pour écouter de la musique n’importe où. Il y a Youtube, bien sûr. Même la télévision payante est concurrencée, par Netflix, Amazon Prime et Apple.

Par ailleurs, l’information, ou le divertissement, ne se trouvent plus uniquement sur des médias conventionnels. L’information médicale sera recherchée sur le site Doctissimo, les infos mode et beauté sur des blogs d’influenceuses. Sans compter l’accès aux sources de l’info, au travers de sites comme l’INSEE ou d’autres sites ministériels. Il n’est plus nécessaire, pour les professionnels ayant besoin d’un renseignement sur une entreprise, sur un taux d’intérêt, de s’abonner à des revues coûteuses.

On trouve également des infos et, surtout, des analyses pertinentes et fiables, sur des sites de think tanks, de blogs de sociétés, ou, même, de simples blogueurs. De nouveaux sites d’information apparaissent également, financés par des dons, comme Contrepoints, qui permettent des comparaisons avec l’info des sites des anciens médias. Pour peu qu’on lise l’anglais, les ressources sont pléthoriques. Et fiables, et de qualité.

Il y a ainsi un développement global de la concurrence, qui a aussi touché les encyclopédies aussi bien que le vénérable Quid, remplacées, notamment, par Wikipedia. Davantage de concurrence, cela signifie davantage de difficultés à attirer les revenus publicitaires, qu’il faut partager avec de nouveaux acteurs. Et plus de difficultés à émerger aussi.

Quand les mêmes dépêches AFP sont reprises sur tous les sites, difficile de monétiser l’info. Ce sont les mêmes paragraphes des dossiers de presse de l’INSEE, ou d’un constructeur automobile qui lance un nouveau modèle, ou la présentation des résultats financiers d’une société cotée, ou le dernier communiqué catastrophique de Greenpeace, qu’on voit apparaître simultanément ici et là. Ce qui oblige les médias à se distinguer par autre chose pour monétiser une audience, ou à réduire les coûts, ou à inventer un nouveau modèle économique.

Rien ne change, tout change

Malgré tout, le modèle économique évolue en gardant des bases anciennes. Par exemple, les médias spécialisés dans l’automobile, qu’ils soient papier ou sur internet, ne sont pas très différents. Ils proposent des essais organisés par les constructeurs à la sortie de leurs modèles, mesurent les chiffres de consommation réelle, présentent des photos de véhicules qui ne sont pas encore sur le marché. Ce qui change, c’est que sur le net, on peut placer une pub qui propose directement un rendez-vous pour un essai dans une concession, ou un lien pour configurer un modèle. Ou encore pour choisir directement une assurance.

Dans la mode, le maquillage, les blogueuses influenceuses ont pris le pouvoir. Cependant, les féminins classiques publient aussi nombre d’articles sur les mêmes sujets. La stratégie des marques est de fournir des échantillons aux influenceuses pour qu’elles en parlent. Cette forme de publicité s’est développée, mais elle existait déjà. Des produits étaient gracieusement envoyés aux magazines féminins, pour les… influencer ! Le groupe Reworld Media, ou encore Infopro, proposent des articles écrits pour des marques, du même genre que les encarts dans la presse traditionnelle. Une autre pratique très courante, depuis longtemps, est de passer de la pub en rapport avec le thème de l’article, par exemple une pub pour un voyagiste dans un reportage sur des destinations de vacances.

L’obsession d’un média est toujours d’attirer le chaland. Autrefois, en choisissant de gros titres, parfois racoleurs, pour donner envie de lire l’article ; ou par une photo sensationnelle en première page. Aujourd’hui, le problème est toujours le même. Le style et l’image servent à attirer le chaland. La technique a changé. Les sites font appel à des spécialistes en SEO, search engine optimization, technique qui consiste à écrire, concevoir un site, pour maximiser la probabilité qu’il apparaisse en tête des résultats dans les moteurs de recherche. Avec une photo choc, c’est encore mieux. Rien ne change, tout change.

Les frontières s’estompent

Par contre, les frontières entre les médias s’estompent. Vous aurez des vidéos sur le site du Figaro.fr, ou sur le site automobile Caradisiac, comme sur une véritable télévision. Vous aurez des articles sur le site de BFM, et pas seulement de la vidéo. Vous aurez de la télé à la demande sur le site de TF1, avec le replay, vous aurez aussi la possibilité de regarder des épisodes d’une série en avance. Bref, en matière éditoriale, si les médias gardent leurs caractéristiques dominantes, ils chassent également sur de nouveaux territoires, mélangeant les styles.

Du point de vue publicitaire, les frontières ont également disparu. Vous aurez de la publicité vidéo au milieu d’un article du Figaro.fr, comme au milieu d’une vidéo Youtube, le format vidéo étant celui qui se développe le plus. Cette publicité se veut plus ciblée. Elle cherche à toucher les individus en fonction de leurs goûts et affinités. On peut même, parfois, choisir sa pub pour lire un article sur un site.

Google n’est pas le problème, c’est internet qui bouscule le secteur

L’univers des médias évolue donc et ils doivent s’adapter. Il faut de nouvelles compétences, en SEO, pour attirer l’audience sur internet. Il faut de bons prestataires pour la publicité ciblée. Il faut un bon contenu pour concurrencer le contenu gratuit. Bref, il faut beaucoup investir pour produire de l’info et la diffuser auprès de gens qui ne la paieront pas.

Dans le monde des médias, certains jettent l’éponge, comme Lagardère, Mondadori France, ce qui permet à un groupe comme Reworld Media de se constituer, en rachetant des actifs à un prix raisonnable, sinon bas, pour relancer les marques. D’autres groupes s’adaptent. Le groupe Figaro a, lui, récupéré via sa filiale Figaro Classified le business des annonces, en immobilier et ressources humaines, perdu par le quotidien. Le Groupe Le Figaro a aussi repris la société CCM Benchmark, qui possède des sites d’information spécialisés, comme le Journal du Net. Le quotidien Le Figaro est ainsi la marque amirale du groupe, mais le business est en fait très diversifié. De même, TF1 possède, entre autres, les sites Doctissimo et Marmiton, stars du web.

Comme on le voit, le problème pour les médias, ce n’est pas Google, c‘est internet dans sa globalité, qui bouscule le secteur. La publicité, l’information, se retrouvent sur d’autres sites, blogs, lettres spécialisées, think tanks, etc. Google favoriserait même plutôt les médias, puisque dans sa rubrique « actualités », il les met en valeur, alors même que des analyses pertinentes peuvent se retrouver ailleurs. Les médias doivent s’adapter. Le nouveau monde est déjà là.

Sur le web

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  • « L’univers des médias évolue donc et ils doivent s’adapter. »
    oui mais voila , l’adaptation nécessite une certaine
    mobilité intellectuelle qui a été noyée dans le biberon des subventions d’etat

  • J’espere que nos nouveaux medias numeriques auront (ont) droit a des subventions pour perpetuer la tradition francaise …mediapart touche ?

  • En effet les médias doivent s’adapter. Comme beaucoup d’autres secteurs. Mais quand on a pris l’habitude de vivre sous subventions de l’Etat on se croit indispensable et au-dessus de tout le monde. Et on pleurniche si d’autres se sont réveillés avant. On n’a pas entendu les patrons de boutiques de location de K7 vidéos et DVD crier au scandale contre Netflix.

  • Effectivement le problème ne vient pas de google ou d’internet, mais des medias.
    De même le problème n’était pas deezer (ex radioblogclub) mais les majors de la musique qui voyaient leur monde et leurs marchés captifs s’écrouler, avec l’irruption d’une nouvelle façon d’écouter la musique.
    On pourrait aussi parler de la photo argentique et de Kodak qui est passé a 2 doigts de la faillite.
    Nos medias n’ont pas compris que Google actualités est une chance pour eux d’acquérir de la visibilité, avant d’être un concurrent. I

  • Ils devraient payer Google au lieu de vouloir que Google les paie. Est-ce que l’industriel qui affiche sa pub sur les panneaux Decaux se fait payer ?

  • L’arrivée d’internet est une opération aussi importante que l’invention de l’imprimerie au 15eme siècle.
    Nos graveurs de pierre et moines copistes modernes ont raison de se faire du mouron…

  • Les commentaires sont fermés.

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