Comme prévu, la presse a perdu

La Presse croyait pouvoir forcer Google à la payer pour l'indexer gratuitement. C'est raté, et comme prévu, c'est en train de tourner au vinaigre.
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Comme prévu, la presse a perdu

Publié le 28 octobre 2019
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Par h16

Depuis plusieurs années, ces quelques billets sont l’occasion de suivre les cheminements souvent malaisés de la législation française et européenne en matière de droit d’auteur, droits voisins et droits relatifs : copieusement tabassée par des parlementaires généralement peu au fait des nouvelles technologies et généreusement cornaqués par des lobbys industriels et autres sociétés d’ayants-droit qui comprennent bien l’intérêt de verrouiller leurs marchés dans des lois toujours plus contraignantes, cette législation n’a pas cessé d’empiler des textes inopérants voire contre-productifs.

Ainsi, malgré le travail remarquable de certains eurodéputés comme Julia Reda que j’évoquais dans un précédent billet, les lois se suivent et se ressemblent toutes dans leur aspect décalé avec la réalité opérationnelle.

Les derniers exemples en date ont largement prouvé l’invraisemblable inadéquation entre les technologies modernes et les législateurs, nerveusement auto-investis d’une mission de régulation de marchés qui se régulaient très bien sans eux. Le RGPD a ainsi illustré de façon éclatante l’imbécillité de cette législorrhée compulsive qui s’est emparée des députés français et européens : exactement comme prévu et malgré les avertissements de l’ensemble des acteurs concernés et technologiquement au fait, le règlement a été voté, appliqué, et son résultat est à peu près nul voire négatif puisque non seulement, l’Européen moyen n’est pas du tout mieux protégé au sujet de ses données personnelles, mais sa situation est même globalement moins bonne puisque, maintenant bombardé de fenêtres encombrantes demandant son accord explicite pour piller ses données, ce dernier s’empresse de les valider sans y porter plus attention, donnant ainsi un blanc-seing automatique à tous les sites web de France, de Navarre et du reste du monde.

J’ai aussi relaté les dérives, pourtant évidentes dès les discussions parlementaires, des articles 11 et 13 de la directive européenne sur les droits d’auteurs et droits voisins : outre les complications parfaitement inutiles que ces articles entraînent dans la mise en place des sites web et des technologies de l’information, la façon dont la directive fut produite puis prestement (très prestement) traduite en droit français ne pouvait entraîner qu’une seule réaction des concernés.

La directive entendait trouver un moyen d’obliger les grandes firmes internet (lisez « Google ») à payer pour l’utilisation de courts extraits de la presse, ou à rémunérer la mise en place de liens HTML. Ce qui devait arriver arriva : Google, appliquant à la lettre la loi votée, proposa de supprimer tout lien, tout extrait vers les articles de presse, sauf accord explicite de reprise gratuite par les organes concernés.

Devant cette réaction de la firme américaine, et se rendant probablement compte de leur propre imbécillité avec leur loi toute pourrie, inopérante et à rebours de leurs propres intérêts, les autorités politiques s’étaient immédiatement adaptées à la nouvelle donne en faisant amende honorable et… Bien sûr que non : l’attitude parfaitement prévisible autant que légale de Google est parfaitement insupportable pour toute l’habituelle coterie d’idiots inutiles en charge de ces législations, de la culture ou des sociétés de presse ou d’ayants-droit. Pour Franck Riester, cinquième roue du carrosse républicain de la Culture et vaguement en charge d’émettre des petits couinements lorsque les choses ne se passent pas comme nos élites l’ont prévu (souvent, donc), tout ceci est intolérable et Google viole l’esprit de la loi (mais bien sûr !).

En substance, tout se déroule comme prévu (c’est-à-dire mal) pour les organes de presse : une grosse partie d’entre eux voyaient la mise en place de cette loi comme un moyen de « faire payer Google » pour qu’enfin la présence de leurs beaux articles finement ouvragés dans le kiosque de Google News leur rapporte financièrement. Las : le service de Google étant gratuit, la firme américaine a donc proposé d’y mettre fin, sauf à souscrire à ses conditions (i.e. l’absence de rémunération).

C’était parfaitement logique, attendu, et cela a évidemment déclenché une violente crise de rage chez tous ceux qui, jusque là douillettement protégés par des monopoles franco-français illusoires, ont refusé mordicus de s’adapter enfin à l’ère numérique. Crise qui s’est évidemment exprimée dans une tribune parfaitement pathétique, mélange de pleurnichements grotesques sur ce qui aurait dû être et de cris d’orfraie sur la méchanceté de la réalité qui refuse de se plier à leurs rêves idiots, un groupe de journalistes, photographes, vidéastes et autres petits soldats de l’arrière-garde d’un vingtième siècle analogique qui n’en finit pas d’agoniser en soubresauts comiques.

On attend avec gourmandise la réaction des autorités politiques qui ne manqueront pas d’ajouter leurs âneries comme une cerise sur ce gâteau pitoyable, alors même que, pendant ce temps, plusieurs dizaines de sites et d’organes de presse ont d’ores et déjà accepté le marché proposé par Google : son portail d’information continuera donc d’afficher les informations de ces sites exactement comme avant, et il n’y aura ni rémunération de Google vers ces sites, ni l’inverse.

Pour les pétitionnaires et les rageux, c’est déjà un échec.

Du reste, si le bon sens semble avoir déserté depuis longtemps le cerveau de certains organes de presse, et de certains journalistes, il en reste heureusement qui, les pieds sur terre, ont bien compris l’apport considérable que Google et les moteurs d’indexation ont fourni gratuitement à leur cœur de métier et se réjouissent de continuer leur collaboration comme elle se déroulait jusqu’à présent.

L’échec de la presse ne sera pas le seul. Les mêmes maux, les mêmes idées idiotes provoquant les mêmes effets, les mêmes comportements imbéciles se retrouvent dans des domaines connexes : la Tribune de l’Art nous relate ainsi, logiquement dépitée, le combat complètement rétrograde de la CGT Culture pour s’opposer vertement à toute ouverture publique des fonds d’images du patrimoine national, quand bien même cette pratique est déjà monnaie courante pour un nombre grandissant d’institutions et de musées dans le monde entier.

Là encore, on retrouve – comme pour les lobbyistes de la presse – la même incompréhension des dynamiques de marché, des intérêts en jeu et cette idéologie anticapitaliste sous-jacente à toutes les réflexions françaises. Et comme pour le cas précédent, on sait déjà que ces combats d’arrière-garde, parfaitement contre-productifs (puisque contre le public lui-même) seront amplement perdus.

Si ces péripéties doivent nous apprendre quelque chose – outre le décalage des politiciens et des législateurs avec la réalité, qu’on retrouve maintenant dans toutes les lois qu’ils nous pondent – c’est l’incroyable vanité de ces individus qui croient pouvoir décider pour les autres ce qui est mieux pour eux. Et leurs excitations irréfléchies, leurs appels hystériques à la loi, la régulation, l’interdiction montrent surtout leur peur panique de perdre avec la montée des outils numériques leur parcelle de pouvoir qu’ils avaient sur l’accès à l’information ou l’accès à la culture : les petits gardiens de la vraie information garantie authentique, les contrôleurs de la culture officielle adoubée par l’intelligentsia ne peuvent supporter qu’on se passe d’eux.


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  • Voila ce qu’il en coute d’élire des idiots….et si ils sont idiots ,on sait a quoi ou a qui on le doit….l’education nationale ,l’usine de la mediocratie nationale…vous entrer avec un bon qi et vous sortez sans le i , rien que le q pour penser.

  • On les sent d’humeur combatives pour taxer ce qui est gratuit.
    Le feront-ils, croiseront-ils les skis à pleine vitesse, se prenant une gamelle mémorable?
    Ils en sont bien capables.
    Taxer le gratuit, et ainsi plus de limites. Imaginez le pognon de dingue qu’ils vont pouvoir prélever, en autre pour leurs Royales agapes… Allez, vlan, Homard Géant au menu :mrgreen:

    • Le gratuit n’existe pas ,par consequent il faut mettre un prix a tout ca..quand c’est gratuit , c’est le client qui paie , vous et moi ..surtout vous je ne paie jamais rien je suis un parasite quand je le peux alors ne crions pas victoire , l’état va encore augmenter les subventions des pleureurs et cela sort de notre poche

      • Est-ce véritablement un problème ?
        Personnellement, avoir accès à un Facebook gratuitement ou un Google News gratuitement, cela ne me dérange pas, et j’assume le fait qu’il y aie des pubs. Si je ne veux plus de pubs, je paierai pour…

  • Pareil pour fesse bouc:

     » LA REPONSE DES EDITEURS A FACEBOOK

    Les éditeurs de l’Alliance de la Presse d’Information Générale (APIG), du Syndicat des Editeurs de la Presse Magazine (SEPM) et de la Fédération Nationale de la Presse d’information Spécialisée (FNPS), tiennent à dénoncer l’attitude de Facebook qui refuse la mise en œuvre de bonne foi des droits voisins des éditeurs de presse.

    Depuis vendredi, Facebook a décidé unilatéralement et sans aucune concertation préalable de modifier les modalités d’affichage des extraits et des photos des articles de presse, lorsque l’information est postée par les internautes. Désormais n’apparaissent plus que le titre et le lien vers l’article.

    Malgré les déclarations de ses dirigeants affirmant leur volonté de rémunérer les contenus de presse et d’engager des discussions avec les éditeurs pour mettre en œuvre un nouvel espace dédié aux actualités, force est de constater que Facebook refuse, comme Google, de respecter l’esprit et la lettre de la nouvelle loi sur les droits voisins. Il préfère, sans préavis, dégrader l’affichage des articles de presse plutôt que d’engager des négociations loyales sur la rémunération des droits voisins des éditeurs de presse.

    Du fait de sa position dominante, le réseau social se permet, comme Google, d’imposer aux éditeurs de presse et aux journalistes une règle unilatérale au mépris de la loi votée démocratiquement, de la souveraineté nationale et européenne.

    Les premières victimes de cette attitude sont les internautes eux-mêmes qui n’ont plus la même visibilité des articles postés sur leur réseau et donc un accès dégradé à l’information de qualité.

    A l’heure où les phénomènes de bulle informationnelle sont dénoncés et que les fake news et autres instruments de désinformation prolifèrent sur les réseaux sociaux, cette attitude vis-à-vis des éditeurs de presse constitue une grave atteinte à la démocratie, à la liberté d’informer et de s’informer.

    Les éditeurs décideront des suites à donner dans les jours qui viennent.  »

    Mon passage préféré ?

    « au mépris de la loi votée démocratiquement, de la souveraineté nationale et européenne. « 

    • @Leipreachan
      Bonjour,
      « Mon passage préféré ?
      « au mépris de la loi votée démocratiquement, de la souveraineté nationale et européenne. »
      J’avoue ! c’est fandard !

  • Mouahahahaha, Merci H16 pour l’extrait de « The party » !
    Est-ce un hommage à mon pseudo ? :o)
    Bon, et puis comme d’hab, hein, cette chronique devrait être affichée au sénat, à l’assemblée nationale, au ministères inutiles, etc…

  • « Google viole l’esprit de la loi » Ce qui est parfaitement idiot comme affirmation, la directive européenne telle que votée étant par essence un compromis, car nombreux Etats-membres et euro-députés ne voulaient justement pas faire taxer les liens proprement-dit, et n’acceptèrent que sous conditions que les liens, sans reprise du contenu au-delà de quelques mots, resteraient libre.

    Mon petit conseil pour Google:
    Partant, si la loi française va au-delà de ce que prévoit la directive, comme le suggèrent Macron, Riester & cie, c’est qu’elle aurait dû être notifiée à la Commission européenne. Comme pour la loi allemande pré-datant la directive, vous pouvez faire annuler cette loi française (qui s’étend au-delà de ce que la directive prévoit) par la CJUE.

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