Points bonus pour les boursiers ou l’égalitarisme en mode délire

Les boursiers, sur critères sociaux des classes préparatoires, devraient se voir attribuer des points de bonification lors des épreuves d’admissibilité des concours. Nouvelle usine à gaz et problèmes en perspective.

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Points bonus pour les boursiers ou l’égalitarisme en mode délire

Publié le 21 octobre 2019
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Ne croyez surtout pas que le défi de l’enseignement supérieur consiste à fournir les meilleures formations aux meilleurs étudiants dans une multitude de domaines en évolution constante, très variés et adaptés à toutes sortes de profils pouvant aller de l’Intelligence artificielle aux métiers du tourisme – pour citer deux exemples d’aptitudes très différentes – afin de leur ouvrir une vie d’adulte autonome sur le plan économique comme sur le plan personnel, car ce n’est absolument pas le cas.

Depuis que les Gilets jaunes ont fait porter une partie de leur colère sur les « élites » trop parisiennes, trop technocratiques, trop formatées et trop concentrées vers le haut de l’échelle sociale qui nous gouvernent, il n’est plus question que d’une chose : la sélection à l’entrée de la petite dizaine d’écoles les plus prestigieuses qui les forment doit refléter exactement la composition sociale de la France et le nombre de boursiers sur critères sociaux admis aux concours doit absolument augmenter. Ils sont actuellement 38 % dans tout l’enseignement supérieur et seulement 11 % à Polytechnique, ça ne peut plus durer !

Déjà en avril dernier, lors de sa conférence de presse de sortie du Grand débat, Emmanuel Macron avait frappé fort en annonçant la disparition de l’ENA dans sa forme actuelle. Sans s’interroger sérieusement, hélas, sur les raisons de la détestation de cet organisme de formation. S’il l’avait fait, peut-être aurait-il entrevu le plomb bureaucratique, le formatage collectiviste, la fausse excellence – ou, pour le dire plus positivement, l’excellence complètement gaspillée – d’un établissement entièrement créé pour satisfaire les besoins d’un État tentaculaire conçu comme l’alpha et l’oméga de toutes les activités humaines. Or ceci ne prend pas la tournure de régresser.

Début juin, la ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal emboîtait le pas du président en confiant une mission « ouverture sociale » à huit établissements supérieurs de renom (les quatre écoles normales supérieures, Polytechnique, HEC, ESSEC et ESCP Europe. Argument de la ministre à l’époque :

Il est temps d’avoir, dans nos grandes écoles, une représentation plus ressemblante de notre société, dans sa diversité géographique et sociale.

Autrement dit, il est temps d’en passer par des « obligations » d’égalité via une pratique extensive de la discrimination dite un peu vite positive.

Il est temps que l’État prenne des mesures afin d’obliger tout sous-ensemble de la population, tel que Conseil municipal, comité de direction d’une entreprise, diplômés d’une école, personnes nominées pour un prix, etc. à avoir une représentation proportionnelle aux diversités observées dans la population générale. Il est temps de faire advenir cette égalité « réelle » qui passionne les Français et qui semble se dérober devant l’égalité acquise dans la loi.

Peu après, Frédérique Vidal avait le plaisir de voir que Sciences Po Paris ouvrait le bal dans son concours d’entrée par l’introduction de quotas de boursiers et la suppression de ses épreuves écrites considérées comme un scandaleux marqueur de discrimination sociale. Là encore, on évita soigneusement de se poser les bonnes questions : compte tenu de notre modèle social et de notre monopole de l’Éducation nationale, qui plus que l’État français influe sur le niveau d’instruction et sur la vie socio-économique et culturelle de ses citoyens ?

Dans ce contexte hyper-étatisé, le nouveau mode de sélection à l’entrée de Sciences Po Paris, loin de viser le seul critère de l’excellence auquel l’établissement devrait se cantonner strictement, ne se réduirait-il pas en réalité à une sorte de cache-misère destiné à masquer la décrépitude mille fois recensée de l’Éducation nationale ainsi que l’échec de politiques publiques coûteuses sur le plan de la prospérité ?

Pour rappel, le chômage des jeunes Français en avril 2019 dépassait les 20 %, contre 5,3 % en Allemagne, et 6,2 % aux Pays-Bas.

Lundi 14 octobre dernier, nouveau pas dans le délire égalitariste, nouveau pas dans l’aveuglement satisfait de ce qui ne marche pas en France, nouveau sourire béat de tous ces bien-pensants qui s’imaginent œuvrer pour le bien commun mais qui, en réalité, prennent « les autres » pour un troupeau indistinct de faibles d’esprit qu’il faut intégralement contrôler sur la base des critères sociaux définis par le pouvoir en place en dehors de toute référence aux talents particuliers de chacun :

Les huit grandes écoles chargées de la mission « ouverture sociale » par la ministre ont rendu leurs rapports. Parmi bon nombre de propositions déjà évoquées (et souvent déjà mises en œuvre sous une forme ou sous une autre) portant sur la diversification des filières d’entrée ou sur du tutorat auprès des élèves des quartiers défavorisés, elles préconisent de plus que les boursiers sur critères sociaux des classes préparatoires se voient attribuer des points de bonification lors des épreuves d’admissibilité des concours (les écrits) :

Le nombre de points pourrait être basé, par exemple, sur le statut de boursier de l’enseignement supérieur, ce qui permettrait de le moduler en attribuant un nombre de points plus élevé pour les niveaux de bourses plus élevés.

Selon Alain Joyeux, président de l’association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales (Aphec), les collègues enseignants qu’il sonde depuis lundi « sont choqués, ahuris, ils sont plongés dans l’incompréhension face à une telle mesure. »

On peut les comprendre.

Il y a d’abord rupture évidente d’égalité devant la sélection par concours qui a assuré l’excellence des grandes écoles française depuis leur création. On cherche en vain une excellence similaire du côté des universités qui se signalent plutôt par des échecs en série en première année de licence. C’est dire le niveau des bacheliers à leur sortie de l’Éducation nationale.

Il y a ensuite assurance d’un effet de seuil au détriment parfaitement injuste des élèves des classes moyennes qui se situent juste au-dessus des critères sociaux d’obtention d’une bourse. Il y aura enfin à coup sûr tous les détournements possibles pour bénéficier de ce coup de pouce non académique, comme ce fut le cas pour la carte scolaire et comme c’est le cas de toutes les réglementations et interdictions purement idéologiques.

Sans compter que, comme dans toute discrimination « positive », s’installera inévitablement un doute sur la valeur académique effective des bénéficiaires de ce système de bonus. Une injustice de plus. Un mépris de plus vis-à-vis d’élèves qui sont entrés en prépa mais qu’on juge incapables de réussir par eux-mêmes, par leur travail, par leur opiniâtreté et par leurs capacités intellectuelles.

Je serais à la tête d’une démocratie libérale, ma fierté ne résiderait pas dans le fait d’avoir le plus de boursiers sur critères sociaux possibles dans l’enseignement supérieur – ou de consacrer le plus d’argent possible à indemniser les chômeurs – mais au contraire dans le fait de n’en avoir aucun !

Non pas en raison de la méchanceté mesquine que le politiquement correct mal informé attribue volontiers aux libéraux, mais parce que, la prospérité économique et la qualité éducative ayant été restaurées par une politique de recul des interventions de l’État et de restitution aussi bien de rayon d’action que de richesses prélevées par l’impôt aux particuliers et aux entreprises qui les ont produites, il n’y aurait plus lieu de prévoir des mesures compensatoires à grande échelle.

Mais à voir nos dirigeants et leurs thuriféraires se féliciter chaque fois qu’ils mettent au point un nouvel emplâtre censé compenser les dégâts de leurs politiques antérieures, on se demande vraiment si l’État français n’a pas pris acte de sa médiocrité fondamentale dans tout ce qu’il touche – et c’est beaucoup – et tente dorénavant seulement de la masquer.

Si l’on ne peut faire baisser le chômage et améliorer le pouvoir d’achat, montrons au minimum combien nous aimons les personnes dont on a accru les difficultés, et comme nous protégeons bien les plus défavorisés d’entre nous !

Rien d’admirable là-dedans. Seulement une manipulation vicieuse qui écrase les talents individuels. Et qui, malheureusement, tourne maintenant au délire.

Comme le disait Raymond Aron, « l’égalitarisme doctrinaire s’efforce vainement de contraindre la nature, biologique et sociale, et il ne parvient pas à l’égalité mais à la tyrannie. »

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  • En matière de stupidités et d’insultes faites aux citoyens, les gouvernements se suivent et se ressemblent hélas dans la constance, la bêtise crasse, l’indignité et l’incompétence.
    Quel incroyable mépris pour les boursiers qui s’échinent en classes prépas !
    A quand les poêlées de pièces brûlantes lancées au bon peuple au plus grand amusement de nos chers dirigeants ?
    L’exceptionnellement pacifique personne que je suis a parfois des envies de ressortir la fourche devant tant de crétinerie.

    • Les socialistes ont besoin de pauvres à aider sinon, il n’existent plus…

    • C’est en effet une insulte aux boursiers… Déjà qu’ils sont stigmatisés avec leur bourse, si en plus, on leur permet d’avoir l’entrée avec un effort moindre que les autres, ils seront encore plus stigmatisés sur le marché du travail…
      Car n’oublions pas que généralement, le plus dur dans ces écoles, c’est le concours d’entrée…

  • le plus ridicule est que ça ne va pas marcher..toutes personne riche fera en sorte que son gosse ait une meilleure formation..ça conduit juste à ce que les diplôme perdent leur valeur..
    et si ça marchait alors vous enlèveriez les dernières motivations aux gens de bosser pour assurer l’avenir de leur gosses..et on a un pays façon communiste…(où d’ailleurs le fils de macron aurait quand m^me droit à une meilleure formation)..

    • Est-on vraiment sûr qu’un pays « façon communiste » soit le meilleur exemple pour décrire la catastrophe de l’Education ?
      Imaginez vous qu’une Chine « façon communiste » aurait pu progresser aussi vite et devenir l’atelier du monde sans avoir une éducation capable de supporter une telle économie ?

      • De la même façon, pas sûr que l’exemple de la Chine soit le bon… car :
        1- elle a amorcé un virage vers l’économie de marché il y a une trentaine d’années, ce qui fait qu’elle n’est plus qu’en partie communiste
        2- les pays asiatiques en général ont une tradition d’excellence en matière d’enseignement, qui se traduit en partie en Chine avec les excellents résultats PISA de Shanghai (mais seulement de Shanghai)
        3- remarquons quand même que l’excellence d’un enseignement se traduit par la qualité de la recherche, laquelle se traduit par le nombre de prix Nobel (ou de médailles Fields en maths) ; et là, la Chine… est très en retard.

      • La chine est devenu l’atelier du monde grâce aux investissements massifs et aux technologie de l’occident (obtenue par espionnage pour une bonne partie). si ils avaient du sortir seul de leur merde les chinois serait encore en train de crever par millions dans les rizières.
        Les chinois n’ont rien inventé depuis la poudre à canon…

        • Et alors ? La grande force de la Chine est le respect pour les lettrés et autres « sages ». Ce qui n’empêche pas de chercher à en tirer avantage et à les flouer, mais quand même. La grande force de la France est l’irrespect envers les savants, la préférence marquée pour les esbrouffeurs et les grandes gueules, et la recherche qui ne trouve jamais rien, et qui si par hasard trouvait consacrerait ses efforts à réclamer des royalties avant que quiconque s’en serve…

  • La limite est mince entre les bonnes politiques d’inclusions, nécessaires, et les mauvaises politiques de forçage… Et là le gouvernement franchirait allègrement le Rubicon. Très bon article.

    • La limite n’est pas mince du tout.

    • C’est quoi les politiques d’inclusion? Le gouvernement n’a pas à se mêler d’inclusion, juste à faire respecter le droit et les droits naturels avant tout.

      • c’est le contraire des politiques d’exclusion :-). S’assurer que chacun puisse être acteur de la société selon ses envies et moyens.
        A votre tour de me définir les droits naturels.

  • Langage orwellien: la discrimination positive est négative pour les individus et surtout pour le pays…

  • Bienvenu en Françamérique

  • La lutte contre l' »élitisme » continue par ceux qui ne comprennent pas que l’objectif de ces écoles est de produire des compétences de haut niveau dans l’intérêt du pays.
    Une action qui va sans doute réjouir les grandes écoles et universités étrangères.

  • Au concours de Polytechnique, il y a 11% de boursiers parmi les admis pour 25% de boursiers parmi les candidats alors qu’on a déjà supprimé depuis longtemps l’épreuve prétendument socialement sélective (le résumé de français).
    Cela veut dire que, pour des raisons que j’ignore, les boursiers sont statistiquement moins qualifiés que les autres. Si on leur donne un coup de pouce c’est donc qu’on les considère comme des handicapés intellectuels et qu’on accepte délibérément de baisser le niveau.
    Allons au bout de cette logique, recrutons les polytechniciens par tirage au sort et vive la démocrature!

    • Un polytechnicien sur deux a au moins l’un des deux parents enseignant. A moins que cela ait changé, car c’était le cas pour les 4 décennies précédentes.(*)
      Donc à tous ceux qui se plaignent qu’il n’y a pas assez d’enfants de ceci ou de cela, il suffit de rappeler : « que MM. les enseignants commencent à se restreindre »…
      (*) L’explication couramment avancée est la motivation supérieure des parents à voir leur progéniture faire l’X, et à lui enseigner les trucs bien conformistes mais appréciés du jury qui vont lui faciliter la réussite au concours.

  • La discrimination dite « positive » est aussi positive pour ceux qui en bénéficient que le vol est positif pour ceux qui en bénéficient.
    Pas de bol, la médaille a un revers : autant le vol est négatif pour le volé, la discrimination est négative pour les candidats recalés alors qu’ils auraient été reçus en l’absence de ladite « discrimination positive ».
    En fait, la « discrimination positive » est encore une expression de la novlangue progressiste : comment dire une chose et son contraire dans une même expression. Rien cette incongruité devrait alerter toute personne de bon sens.

    • Bah! c’est comme la justice « sociale », il y a justice ou il n’y en a pas, tout les qualificatif qui suivent ne font en fait que détruire la notion même de justice.

  • ça se passait exactement comme cela en Allemagne de l’est, les fils/fille de commerçants devaient avoir de meilleurs note que les fils/filles d’ouvriers, l’égalitarisme dans toute sa stupide splendeur…

    • Là, c’est plutôt une erreur de vocabulaire que font (volontairement) nos dirigeants : faire l’amalgame entre équité et égalité…

  • Continuez comme ça! Reste encore à réserver dans ces écoles 50 p/c de places pour les boursiers dits des classes défavorisées et encore appliquer un malus de quelques points aux trop bon élèves.

  • Lorsque j’ai vu passé un article sur ce sujet dans les médias, j’ai cru à un article du Gorafi…
    Je ne sais pas ce qui fait le plus peur : la personne qui a fait cette proposition (le plus sérieusement possible et en toute sincérité j’imagine), ou les médias qui n’ont pas défoncé la proposition dès qu’ils en ont eu connaissance…

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Les auteurs : Nathalie Sayac est Professeure des universités en didactique des mathématiques, directrice de l’Inspe de Normandie Rouen-Le Havre, Université de Rouen Normandie. Eric Mounier est Maitre de Conférences en didactique des mathématiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC).

 

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