Surveillance de masse : l’État lui-même n’applique pas le droit

L’accès des particuliers aux données personnelles est toujours impossible, et les différents services de l’État, quand ils répondent, se renvoient courageusement leur compétence l’un l’autre.

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Surveillance de masse : l’État lui-même n’applique pas le droit

Publié le 17 septembre 2019
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Par Pierre Farge.

À la veille de la parution des mémoires d’Edward Snowden, lanceur d’alerte connu pour avoir rendu publique la surveillance de masse à laquelle se sont livré les États-Unis, Pierre Farge, avocat au barreau de Paris, révèle que la France n’applique pas elle-même la loi créée depuis pour encadrer la collecte de métadonnées, et la protection de la vie privée.

Mettant à l’épreuve le RGPD applicable en France depuis le 25 mai 2018, l’avocat des lanceurs d’alerte a réclamé à l’administration les données le concernant à titre personnel. Après le silence de l’administration, il s’est ainsi heurté au service du ministère de l’Intérieur renvoyant la compétence à la CNIL, et vice-versa ; autrement dit d’un refus de partage des données, au mépris total des nouveaux dispositifs en vigueur.

La preuve ici que l’État n’applique pas lui-même les règles qu’il dispense.

Comme tous les pays du monde, et notamment les États-Unis, la France se défend d’opérer toute surveillance de masse depuis les révélations d’Edward Snowden en 2013 témoignant des abus de la NSA.

Ces révélations ont permis un examen minutieux des pratiques des services de renseignement du monde entier, à l’origine de grandes avancées comme le règlement général sur la protection des données, dit RGPD.

Face aux faibles garanties n’ayant pas force de loi, le RGPD du 27 avril 2016 a été adopté par l’Union Européenne afin de renforcer et unifier la protection des données personnelles dans les 27 États membres. En France, il est applicable depuis le 25 mai 2018.

Son article 15, dispose ainsi que : « La personne concernée a le droit d’obtenir du responsable du traitement la confirmation que des données à caractère personnel la concernant sont ou ne sont pas traitées et, lorsqu’elles le sont, l’accès auxdites données à caractère personnel […] ».

Afin de vérifier l’application de ce nouveau dispositif, comme par déformation professionnelle, j’ai donc, naïvement, adressé, à la CNIL, l’autorité créée à cet effet, un courrier recommandé demandant l’accès à mes données à caractère personnel, susceptibles de figurer, d’une part, dans le Fichier des Personnes Recherchés (FPR), et d’autre part, dans le Fichier des Enquêtes Administratives liées à la Sécurité Publique (FEASP).

Un amiable courrier d’accusé réception m’a tout d’abord informé que : « un membre de notre Commission va procéder aux vérifications demandées, en application de l’article 108 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Je vous précise que, sous réserve de l’accord du responsable de traitement, les données vous concernant pourront vous être communiquées à l’issue de ces vérifications ».

Puis quelques semaines plus tard d’apprendre, dans un retournement de veste, par un nouveau courrier de la même CNIL, qu’elle ne serait tout d’un coup plus compétente pour traiter ma demande, me précisant néanmoins « vous disposez désormais d’un droit d’accès et de rectification direct à ces fichiers auprès du ministère de l’intérieur. Notre Commission a donc transmis votre demande à ce ministère qui a deux mois pour vous répondre ».

Nous restons donc naïvement plein d’espoir devant ces promesses d’un service de l’État d’obtenir ces données auprès du ministère de l’Intérieur.

C’est sans compter le silence de ce dernier, ayant donc nécessité une relance.

Las mais non moins déterminé, nous avons alors reçu un courrier informant que la « communication d’informations contenues dans ce fichier est susceptible de porter atteinte à la sécurité publique et la sécurité nationale. En conséquence, je ne puis communiquer d’information sur votre inscription ou votre absence d’inscription dans ce fichier. Néanmoins, vous pouvez, si vous l’estimez utile, demander à exercer votre droit d’accès par l’intermédiaire (tenez-vous bien) de la CNIL » (!).

En résumé, en pratique, l’accès des particuliers aux données personnelles est donc toujours impossible, et les différents services de l’État, quand ils répondent, se renvoient courageusement leur compétence l’un l’autre.

Un état de fait d’autant plus inadmissible, que non seulement l’administration bafoue le droit en vigueur, et notamment le récent RGPD, mais en plus se comporte aux antipodes des annonces gouvernementales promettant une meilleure protection sur la collecte des données et la vie privée.

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  • C’est logique car ainsi ils conservent le monopole sur les datas. Pouvant ainsi y trouver des informations utiles pour Bercy ou une enquête avant une élection Présidentielle par exemple. De plus si ce fichier était si facilement accessible alors l’on pourrait étaler les beaux parcours de nos élus. Déjà qu’il est impossible de connaître leur dépenses ou leurs gains. De savoir leur rémunération exacte et quels sont leurs avantages en nature, si en plus l’on rend ce genre de fichier accessible…c’est la fin de la politique Française. Cela serait tellement triste !

    • Vous ne pourriez obtenir dans le meilleur des cas que des données vous concernant.
      Le refus de l’administration s’explique surtout par le fait qu’elle n’a pas envie de voir révélés dans la presse, par ex, l’ampleur et les moyens de sa surveillance. Et pour s’expliquer, si elle doit le faire, il lui suffira de prononcer le mot de terrorisme, ça calmera tout le monde pour un temps.
      A ce stade, seule une décision de justice pourrait faire avancer la stricte application de la loi, et plus probablement une condamnation de la justice européenne.

      • Ampleur et moyens que j’estime pour ma part, à totalement dérisoires, tellement l’administration nous a habitué à montrer toute sa maîtrise des outils informatiques.

    • Petite diatribe populiste… alalalala… Vous n’êtes pas au courant que les déclarations fiscales des personnes politiques sont consultables ? Je suis charitable et vous file le lien :
      https://www.hatvp.fr/consulter-les-declarations/

      • Hélas je le sais déjà ! Et même que si l’on essaye il se passe des choses étranges après. Genre un contrôle fiscal ou une crise cardiaque spontanée…allez savoir d’où ça vient. Le budget de l’AN reste un mystère également. L’on attend toujours des chiffres…hélas il n’existe pas de personne compétente pour savoir ce genre d’info. Quand l’on aime….

      • Je ne trouve pas Macron, c’est ballot quand même. Jupiter n’a t’il plus besoin d’argent ou de compte bancaire ? Fusionne t’il sa richesse dans notre pauvreté ? Arf, l’argent gratuit de « c’est l’Etat qui paye » me laisse dubitatif !

        • Vous voulez dire qu’il y a des risques que je me fasse abattre si je consulte ce site ? Flûte…
          Sinon, pour Macron, c’est normal que vous ne le trouviez pas sur le site puisqu’il n’est plus membre du gouvernement.
          (article 4 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique)

  • L’état dans ses oeuvres, toujours pour SON plus grand bien évidemment. Est-ce que ça surprend quelqu’un?

    • Oui la raison d’Etat que Richelieu définissait ainsi :

      « Ainsi la raison d’État est la maxime selon laquelle l’État agit. C’est elle qui dit à l’homme politique ce qu’il doit faire pour conserver la force et la santé de l’État. La raison d’État désigne également les moyens et les buts de l’accroissement de l’État. La raison de l’État consiste donc à se connaître lui-même et son milieu et à choisir en conséquence les maximes de son action. […] Vivre libre et indépendant signifie pour l’État obéir aux lois que lui dicte sa raison d’État. »

  • Je suis même pas convaincu que les données soit exploitable.
    Quand on voit qu’ils sont ^même pas capable de fusionner 3 ministères :Economie santé interieur pour connaitre qui a une carte vitale ou pas le simple doc administratif pur.
    Alors oui les dirigeants et autre politique sont fichés mais pour les autres ca doit etre anarchique et totalement inexploitable

    • Je partage entièrement votre point de vue. Le gouvernement nous a habitué à tellement de nullité dans sa gestion informatique que c’est fort probable. On ne va tout de même pas nous faire croire ici, sur Contrepoints, que l’administration fonctionne bien en France !

  • En même temps, ça serait un peu comme si qu’un futur terroriste faisait cette demande, histoire de vérifier qu’il est ou pas sous surveillance…
    Même si je ne défends pas ce gouvernement, les réponses données sont juste du bon sens.
    Article sans intérêt donc.

    • Pas vraiment!! Ou alors votre « futur terroriste » est profondément débile. Demander ce type de renseignement équivaut également à se signaler auprès des autorités. Qui ne manqueront pas de se renseigner ou de marquer votre dossier au moins comme « empêcheur de surveiller en rond »!

      Par ailleurs, quand on commence à accepter que le droit ne soit pas respecté (pour de « bonnes raisons » bien sûr), vous ouvrez le champ de tous les abus.
      Bcp de personnes pensent comme vous car ils estiment que, eux, n’ont rien à cacher donc rien à craindre. Je ne penses pas que les populations qui ont eu à souffrir d’une dictature voient les choses de la même façon que vous…

      • Ça rappelle B. Hamon qui disait que si l’on ne dit rien de répréhensible, il n’y a pas de problème à être écouté…

      • Ce que je voulais dire, c’est qu’il est normal que les services de renseignement ne partage pas l’information vous concernant (la manière utilisée pour récupérer ces informations importe peu à mon sens).
        Dans ce cas, autant supprimer directement notre département de renseignement !
        Remarque, en bisounoursland, il n’y en a théoriquement pas besoin…

    • Le pb, c’est l’État qui vote des lois qui ne les respectent pas..
      Commentaire sans intérêt.

      • … car cette loi ne peut s’appliquer dans ce cas… D’où mon commentaire.
        Si l’auteur avait demandé ses données au service des impôts, je pense qu’il aurait eu une autre réponse ; et si l’état ne répond pas dans ce cas, alors oui, là il pourrait affirmer que l’état vote des lois qu’il ne respecte pas (et ça ne serait pas la seule)…

        • C’est bien vous n’avez pas lu l’article…
          Je vous rappelle que les terroristes ont les mêmes droits que nous.

          • C’est bien dommage qu’une personne qualifiée de « terroriste » (pénalement) aie les mêmes droits que nous.
            Et je ne vois pas en quoi j’ai mal lu l’article… Il a demandé à la CNIL de lui fournir toutes ses données, inscrites dans des fichiers liés au ministère de l’intérieur…

    • Ah ma bonne dame, le terrorisme, toujours le terrorisme pour justifier l’adoption des lois les plus liberticides qu’aient connues ce pays.

  • Un poil d’humour pour mieux comprendre les (fake) news : https://youtu.be/tzTuZ4iKFEA

  • Quelqu’un est surpris?

  • Il est évident que si l’on veut espionner le contenu du FPR ou du FEASP on interfère avec les enquêtes en cours et on doit s’attendre à une certaine résistance des services concernés.
    Quant au RGPD qui nous emmerde à chaque fois qu’on se balade sur un site quelconque, c’est de la comm, rien de plus.
    Hélas, il n’y a pas et il n’y aura plus jamais de vie privée ni en France, ni ailleurs.

  • En affirmant que l’Etat n’applique pas le droit, l’auteur méconnaît l’article 23 du RGPD : « … le droit de l’Etat membre… peut… limiter la portée des obligations et des droits… lorsqu’une telle limitation respecte l’essence des libertés et droits fondamentaux et qu’elle constitue une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique pour garantir… la sécurité publique… »

    Il faudrait démontrer que le traitement des données n’est pas une mesure nécessaire et proportionnée, ou encore que nous ne vivons pas dans une société démocratique.

    Si la société n’était pas démocratique, la demande d’accès serait recevable et les autorités (non démocratiques) devraient s’y plier. Bref, la démocratie a le droit de surveiller ses citoyens, la dictature non. C’est à la lumière de ce genre de juridisme qu’on comprend la nature de l’UE.

    • Si la CNIL ou le Min. de l’intérieur avaient répondu avec cet article 23, passe encore… mais ce n’est pas ce que l’auteur relate.

      • Plusieurs hypothèses :
        – la CNIL ne connaît pas la loi, ce qui ne serait pas si étonnant puisque ce ne serait pas la première fois. CNIL rime avec inutile.
        – le ministère de l’intérieur n’a pas de temps à perdre à répondre à de vaines questions.
        – la loi est suffisamment floue pour n’être pas applicable, illusion de « droit ».
        – la loi ne concerne que les entreprises, pas les Etats.
        – …

        Ce qui fait le plus rire dans le texte de l’UE, c’est qu’une gentille démocratie a le droit d’agir comme une dictature contre ses citoyens mais une méchante dictature n’a pas le droit d’agir contre ses citoyens. On navigue à vue sur une mer orwellienne, les pétitions de principe faisant fonction de loi. Si le droit n’est pas le même selon que l’on est gentil ou méchant, on ne juge plus que l’intention, pas les actes. Le règne de l’arbitraire.

  • Tiens, mon commentaire demandant à CP quand il allait se mettre en conformité avec ce Réglement Général de Protection des Données n’a pas passé la barrière de la modération. Etrange. Je pense qu’il y a un filtre automatique.
    Je retente ? Si ça me vaut un ban, je suis comme la renouée du Japon.

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