La France qui taxe et la France qui paye

L'analyse statistique des dernières élections européennes apprend beaucoup de chose sur la sociologie et le sentiment rejet du peuple français.
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La France qui taxe et la France qui paye

Publié le 12 septembre 2019
- A +

Par h16.

En décembre 2015, par les bons soins d’un de mes lecteurs, Nasier Ockham que je remercie au passage, nous pouvions bénéficier d’une analyse factorielle des correspondances (AFC) des résultats de vote des régionales.

Pour rappel, l’AFC est une analyse statistique non dirigée permettant de trouver de façon systématique les corrélations (ou leur absence) entre les agrégats qui se dégagent des différentes dimensions de données qu’on lui fournit.

L’analyse de l’époque avait largement montré que la France semblait se découper en deux populations caractérisées essentiellement par leur localisation géographique, l’une des grandes villes, des métropoles et leurs banlieues et l’autre des villes moyennes et des campagnes, et que la représentation politique ne semblait plus s’occuper que de l’une de ces populations sans sembler être capable de s’occuper de l’autre, cantonnée alors à un vote de rejet ou un non-vote.

Dans une France qui se voudrait apaisée et qui a grand besoin de cohésion sociale, ce constat picotait quelque peu.

Depuis, de nouvelles élections, les européennes de mai dernier, ont eu lieu et on dispose maintenant de l’ensemble des votes par cantons de façon assez précise, mon aimable lecteur m’a gentiment proposé de réitérer l’opération d’analyse automatique avec ce nouveau paquet de données fraîches. Ce billet est l’occasion de vous livrer notre analyse.

En pratique, les férus de chiffres et ceux qui voudront éplucher les détails techniques auront tout intérêt à lire le PDF ci-joint. Le billet suivant se contente d’en faire un résumé synthétique et de dresser les conclusions que je pense fort éclairantes sur l’état du pays.

Le premier constat de cette nouvelle analyse, c’est qu’elle confirme les données de la précédente : l’opposition urbain-rural reste une structure majeure du vote observé ; deux dimensions de l’AFC permettent d’expliquer plus de 75 % du vote observé. Si l’on choisit un axe horizontal pour la première dimension, on verra sur la gauche des cantons et départements correspondants à ceux qui sont plutôt opposés à la politique actuelle du gouvernement, alors que s’étaleront sur la droite ceux qui y sont plutôt favorables. De la même façon, verticalement, on trouvera plutôt des cantons de la France conservatrice (droite traditionnelle, pour schématiser) vers le haut, et les cantons de banlieues vers le bas.

Graphiquement, cela donne ceci :

Conformément à cette répartition spatiale dans ces deux dimensions, on peut raisonnablement libeller les axes comme proposé sur la figure ci-dessus. En ajoutant les deux diagonales, on complète les autres tendances observées. Au final, on obtient une « France de Bobos » qui s’oppose à la « France Matraquée », une « France conservatrice » opposée à une « France en otage », celle des banlieues pourries. Entre la « France matraquée » et la « France conservatrice », on trouve une « France du rejet », qui s’oppose à une « France urbaine », laquelle relie la « France en otage » à celle des bobos et des quartiers chics. La dernière diagonale apparaît comme l’archétype du système Macron, qui s’oppose à la France des revenus modestes, qu’on pourrait libeller « France déclassée ».

Au vu de ce graphique, on peut assez facilement noter que c’est la France urbaine qui a dominé le vote européen. La gauche traditionnelle est en pratique maintenant complètement éparpillée le long de l’arc de cercle figuré sur le graphique, avec LFI tout à gauche de l’arc, RLRM de l’autre côté et les partis EEES et EECO au long de cet arc, comme le montre le graphique suivant (avec les libellés des partis) :

Autant la démonisation du Rassemblement National (RN) est une stratégie d’éclatement de la droite qui semble avoir assez bien fonctionné, autant l’analyse statistique montre que l’emphase actuelle du discours écologique des marcheurs macroniens n’est pas autre chose qu’une stratégie d’éclatement de la gauche… Et qu’elle fonctionne pour le moment pas trop mal.

L’analyse statistique permet aussi de montrer que la gauche actuelle représente moins les ouvriers que les employés et les professions intellectuelles supérieures ou intermédiaires. Dans cette optique, les partis « néo-écolos » (du socialisme écologique) ne répondent plus du tout à une logique de lutte des classes ouvrière, mais sont en fait une logique d’urbains qui fantasment la nature et l’écologie, et survivent au biberon d’un étatisme omniprésent.

L’autre point important soulevé par l’analyse réalisée est celui de la formation d’un groupe finalement pas si hétéroclite des Français qui rejettent le système.

Par ceux-là, on entend aussi bien ceux qui votent Rassemblement National (PLP en l’occurrence pour ces européennes) que ceux qui votent blancs, nuls ou s’abstiennent carrément. Car oui, ces trois derniers groupes d’électeurs sont statistiquement très proche du PLP : contrairement aux images d’Épinal des médias qui présentent le vote RN quasi-exclusivement comme un vote de racistes et de xénophobes, il s’agit avant tout d’un vote de rejet des autres partis : cet ensemble est statistiquement plus proche des abstentionnistes où dominent les ouvriers, que de LFI qui est censé se préoccuper du sort de ces derniers. Autrement dit, il apparaît statistiquement que l’opinion des ouvriers est davantage le rejet du système, que l’adhésion au discours de LFI.

Or, et c’est à mon avis crucial pour comprendre ce qui se passe sociétalement en France actuellement, ce « groupe du rejet » est largement majoritaire dans l’opinion puisqu’il représente 63 % des opinions.

Oui, vous avez bien lu : le rejet, qui était déjà important lors des précédents élections et qui, en 2015, était déjà visible dans la précédente analyse que nous vous avions fournie ici, est encore plus massif. Depuis, Hollande est parti, Macron est arrivé, et les Gilets jaunes sont passés et l’analyse réalisée ici montre que la situation sociale française s’est largement dégradée.

Dans un prochain billet, nous reviendrons sur ce qu’on peut dire de plus sur ce rejet et sur ce qu’il entraîne mécaniquement pour la base électorale sur laquelle s’assoient la plupart des politiciens, et par extension l’État français. Mais indépendamment de cette étude plus poussée, on comprend déjà que ces statistiques illustrent le gouffre maintenant béant entre une caste favorisée, minoritaire mais qui seule trouve une représentation pertinente dans les différentes institutions de l’État, et le reste du peuple qui n’est plus effectivement représenté mais qu’on continue de ponctionner sans vergogne.

On imagine mal que cette situation va pouvoir perdurer encore longtemps.


Fichiers de l’analyse :
Fichier original du vote des européennes sur le site gouvernemental
Dataset RData AFC européennes utilisable dans R ; pour information, les colonnes 1-58 sont les données démographiques (il y a tout, la parité H/F, les tranches d’ages, etc) ; les colonnes 59-73 sont les votes au deuxième tour des régionales de 2015 (voir le billet de 2015) ; enfin les colonnes 74-114 sont les votes au 2ème tour des européennes de 2019 (voir ce billet pour les sigles et nom des variables).
Résultats bruts
script R de base
—-
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  • Les résultats obtenus ici étant déduits de ceux des élections, il est étonnant qu’au plus haut niveau de l’État, pourtant pas avare du pognon des autres quand il s’agit d’analyser une tendance, on se concentre sur la frange « urbaine » qui trouve son compte dans les politiques suivies et qu’on ignore quand-même ce qui est en-train de devenir une majorité. Silencieuse… pour l’instant.
    Est-ce que ça pourrait être parce-que cette majorité est fragmentée ?

    • Dans l’esprit de nos élites, l’avenir se trouve dans l’urbanité. Il ne faut pas comprendre autrement la dernière réforme des régions, sous Hollande, que beaucoup ont cru à tort écrite sur un coin de table, et uniquement consacrée au regroupement régional.
      La logique réelle à l’oeuvre est celle d’une métropolisation du territoire avec une montée en puissance de la dizaine de métropoles du pays ; cela explique pourquoi on n’a pas fusionné Auvergne et Limousin par exemple, mais raccroché le Limousin à Bordeaux et l’Auvergne à Lyon…
      Les anciennes « petites » régions devraient donc continuer à s’appauvrir au profit de leur puissante voisine.
      Le pouvoir s’exerce depuis les métropoles et de plus en plus au profit de ses seuls habitants.
      Que la France des Gilets jaunes s’en soit prise aux bastions urbains que sont devenus Paris, Bordeaux, Toulouse, Strasbourg… qui sous couvert de lutte contre la pollution mènent une lutte sans merci contre les vieux véhicules (ceux des pauvres donc) après les avoir chassé des centres villes du fait d’une politique immobilière défavorable aux classes moyennes ne peut donc surprendre personne.
      Au sein même des villes, j’ai constaté aussi que les nouveaux plans de circulation font la part belle aux beaux quartiers en déviant le trafic vers des rues excentrées plus populaires.
      Comme l’affirmait avec humour Warren Buffet il y a quelques années : – Il y a bel et bien une guerre des classes mais c’est ma classe, la classe des riches, qui la mène, et c’est nous qui la gagnons !
      En France, pays fortement imposé, le gagnant n’est pas le plus souvent le riche. En revanche, le bobo urbain, pas forcément très riche, mais aisé, est clairement celui pour qui le pouvoir a les yeux de Chimene… Le pouvoir lui même étant aux mains d’urbains aisés, la tendance naturelle de ceux-ci est d’être plutôt imperméable, par méconnaissance sinon cynisme, aux soucis des petites gens.

    • « Au plus haut niveau de l’Etat » on cherche, on incite même cette fragmentation. Leur seul intérêt c’est de garder le pouvoir et, pour ce faire, tous les moyens sont bons.
      Surtout ceux maintes fois éprouvés, genre divide et impera.

  • le probleme c’et que les élections européennes sont pratiquées a la proportionnelle pure.. ce qui donnera des résultats différents avec des Elections uninominales a 2 tours ..
    et poussera a accroître l’insatisfaction de ceux qu’on pompe pour alimenter le club des bobos..
    forcement çà va mal finir

  • ok ok mais LA question va bientôt se (re)poser.
    Pour qui voter? Comment voter?

    • Blanc ou le principal opposant (qui ne fera pas pire, malgré les peurs…) ?

    • Ne rien « veauter », glissez le billet de vote de notre auteur préféré. Le système étant médiocre et corrompu changer les gens à sa tête ne changera rien. Lorsque le corps et la tête sont malades un médecin donne du xanax. Votez xanax ?

    • Voter RN pour foutre en l’air les autres partis et ensuite voter contre le RN pour foutre en l’air le système. Par exemple dans la séquence présidentielle/législatives. On peut aussi voter RN aux élections intermédiaires pour assécher le financement des autres. Il faut développer la précarité des partis politiques et mettre à nu le RN en le mettant à l’épreuve du pouvoir : le verrou du système politique qu’il constitue depuis 81 sautera alors.

      • +100 ,7
        c’est ce que ne comprennent pas les gens..
        pour se débarrasser définitivement du FN il faut qu’il aille au pouvoir, montre qu’il est dans l’impossibilité de faire quoi que ce soit de positif..
        A partir de là la reconstruction démocratique pourra commencer , avec la reforme du code électoral , et la fin
        du diktat marxiste ..

        Paradoxalement c’est le fait de ne pas pouvoir etre élu qui fait la puissance du FN ..
        d’ailleurs le cinoche de MLP a la derniere présidentielle était cousu de fil blanc.. surtout rester dans l’opposition , grassement payés , sans aucune responsabilité bien tranquille dans la perpétuelle opposition..
        si le RN etait elu, l’administration sera coincée

  • Alors ça, ça c’est de l’information avec un I majuscule!

  • L’analyse est bonne: en ne votant pas une majorité d’électeurs permet à une minorité de s’imposer. L’abstention est donc une forme inconsciente d’acquiescement ou de résignation.

    • Pour pouvoir voter, encore faut-il disposer de partis exprimant les idées majoritaires. En interdisant l’existence de tels partis, par d’incessantes manipulations médiatiques et judiciaires, il n’y a plus de représentation possible de la majorité et cette dernière ne vote plus.

      On touche là à la limite de la démocratie représentative qui démontre, parce qu’elle est si aisément corrompue, son manque d’efficience par rapport à la démocratie directe, beaucoup plus robuste. Un pouvoir sans légitimité, quand bien même il serait élu selon les règles, est forcément précaire.

  • Merci à h16 pour ce nouvel est excellent article..!
    Un point me questionne toutefois: On imagine mal que cette situation va pouvoir perdurer encore longtemps.
    Cette phrase me renvoi à un précédent article de notre ami h16 sur une loi qui interdisait désormais de faire des statistiques ou de collecter des données sur nos amis les juges…
    Et bien justement, je crains que la situation ne dure encore longtemps, car à fait équivalent sur une incivilité de type: ‘dégradation volontaire’ je pense qu’on serait surpris de voir qu’un jeune sauvageon de banlieue (qui vote bien, lui…) s’en tire avec une admonestation ou un rappel à la loi, alors qu’un gilet jaune (qui vote mal…) va se prendre la peine maximum…
    Donc le système de nos nantis d’Énarques qui marchent main dans la main avec nos bien-aimés juges rouges a je le pense, de beaux jours devant lui… A coup de matraquage fiscal et désormais de matraquage tout court, sur une population désarmée et sans défense que les ‘médias bobos subventionnés’ ne cessent de traiter de parasites et d’immondes pollueurs… (salaud de travailleurs!) en effet, qu’elle alternative pour cette France qui travaille, qu’on prive d’emblée de plus de 50% de son ‘salaire complet’ et que l’on matraque de taxes jusqu’à ce qu’elle n’ait plus de quoi faire un plein d’essence, ayant ‘lâché’ 75% du fruit initial de son travail…

  • Analyse intéressante.
    Qualifier de France matraquée (par l’impôt) les petites villes et la France rurale me semble cependant un contresens. Ces zones ne sont pas les plus imposées, au contraire. Mais dans un système public rigidifié et inefficace elles n’en tirent pas parti. On pourrait dire la France oubliée, ou maltraitée

    • La France rurale paye les mêmes impôts que les autres sauf que…
      Ils payent l’essence en plus alors que les transports en commun sont largement subventionnés.
      Les services d’urgence mettent 4 fois plus de temps à intervenir puisqu’on ferme les antennes locales au profit des grandes villes.
      Ils payent une taxe foncière plein pot
      Etc… Etc…
      Les ruraux sont les serf des urbain.

      • Au bout d’un moment il faut accepter les « packages » qu’impliquent sont lieu de vie:
        Il vaut mieux faire une crise cardiaque en plein centre ville de Toulouse qu’au fin fond du Béarn, c’est un problème plus technique que politique … Tout comme il vaut mieux respirer l’air du Béarn que l’air de Toulouse …
        Il faut que les 2 acceptent les implication de leur mode vie: une certaine pollution à Toulouse et une certaine precarité medicale dans le Bearn

    • dhuneau : c’est vrai, en tout cas, en ce qui concerne la taxe foncière.

    • Assez d’accord avec dhuneau:
      La France rurale est majoritairement modeste, elle reçoit peu et paye assez peu: au fond elle est laissé de côté. Le schéma urbain est différent car ses pauvres ne paient pas plus que les ruraux mais reçoivent beaucoup plus (directement ou indirectement). Il s’agit d’une symbiose en réalité: ces pauvres urbains servent de serf au aisés urbains qui consentent aux ponctions pour cela.

      Le vrai truc sur lequel les ruraux ont à se plaindre, c’est l’avalanche de normes/contraintes pondues par les urbains qui s’abattent sur eux, tout cela renchérit énormément leur vie, au fond la vie modeste à la campagne devient de plus en plus difficile surtout par ce biais là

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