La prime de rentrée des investisseurs

L’investisseur n’a jamais été aussi fébrile depuis 5 ans. En témoigne la remontée brutale de la prime de risque sur l’ensemble des marchés d’actions. Et pour cause, l’incertitude économique, politique et monétaire atteint aujourd’hui son paroxysme.

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Charging Bull - New York City By: Sam valadi - CC BY 2.0

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La prime de rentrée des investisseurs

Publié le 27 août 2019
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Par Karl Eychenne.

Si l’on devait découper l’incertitude ambiante des marchés, on obtiendrait par ordre d’importance :

  • La guerre commerciale animée par le couple Trump-Xi JinPing
  • L’essoufflement du cycle économique confirmé par les indicateurs avancés
  • Le nouveau tournant accommodant des Banques Centrales américaine et Européenne
  • La montée du risque économico-politique Italien
  • Les tensions géopolitiques notamment en Iran et Hong-Kong
  • L’endettement de la planète envers les générations futures : financier, environnemental

Habituellement, les marchés financiers sont animés par une, deux, voire trois incertitudes en même temps. Mais aujourd’hui les incertitudes s’accumulent, et nous ne sommes pas loin de la goutte d’eau qui fait déborder le vase. En théorie financière, il existe une variable dans laquelle on range traditionnellement toutes les incertitudes : c’est la prime de risque. Aujourd’hui, cette prime aurait atteint des niveaux qu’elle n’avait plus connu depuis 5 ans, c’est-à-dire la crise de la dette souveraine.

Alors, quelle rentrée nous promettent les marchés d’actions ? La hausse de la prime de risque doit-elle être interprétée comme une anomalie dont la normalisation anticipe une hausse des actions ? Ou bien, cette hausse de la prime annonce-t-elle au contraire une ère glaciaire en termes de performances ?

La preuve que la prime de risque a monté

Les marchés d’actions ne profitent pas des taux bas :

  • Lorsque vous allez voir votre banquier pour souscrire un crédit immobilier, votre principal objectif est qu’il vous propose le taux d’intérêt le plus faible possible. Et pour cause, plus faible sera le taux et plus grande sera la valeur du bien que vous pourrez acheter. Cette relation entre le taux d’intérêt et le prix du bien se retrouve pour tous les actifs financiers. Warren Buffet l’a même popularisée en disant que le taux d’intérêt agissait comme une force de gravité sur les prix des actifs : plus il est faible, et plus le prix de l’actif doit monter.
  • Or, si un mouvement est bien spectaculaire, c’est la baisse des taux d’intérêt. Ces derniers atteignent aujourd’hui des niveaux historiquement faibles, notamment en zone euro où ils sont même passés en territoire négatif en Allemagne et en France. Mécaniquement, on aurait donc pu s’attendre à un effet positif sur les marchés d’actions, ce qui a probablement été le cas puisqu’il ne faut pas oublier que les marchés d’actions sont quand même en hausse de près de 13 % depuis le début de l’année, et ce malgré une croissance des bénéfices faiblarde.
  • Mais, en fait les marchés auraient dû monter bien davantage. Ainsi, d’un point de vue théorique, une baisse de 1 % des taux justifie une hausse des actions de près de 30 % en zone euro, et 50 % aux États-Unis ! (la sensibilité est égale à l’inverse du rendement des dividendes, qui est de l’ordre de 3,5 % pour le marché euro, et 2,5 % aux États-Unis). Si on prend le cas de la France : les taux d’intérêt à 10 ans ont baissé de 0,7 % à -0,3 %, ce qui aurait théoriquement pu justifier une hausse de 30 % du marché contre 16 % enregistrée. Si on prend le cas des États-Unis, les taux 10 ans sont passés de 2,65 % à 1,45 %, ce qui aurait théoriquement pu justifier une hausse de près de 60 % du marché contre 15 % !

Quand l’investisseur se mue en assureur :

Évidemment, la relation décrite ci-dessus entre les taux d’intérêt et les actions est bien trop naïve, et on se doute bien que si les taux d’intérêt ont baissé autant, c’est parce que l’environnement économico-politique devenait plus incertain. Ainsi, si les marchés d’actions n’ont pas monté autant qu’ils le devaient avec la baisse des taux, c’est que quelque chose d’autre les a retenus : la hausse de l’incertitude. L’investisseur a considéré que le risque était devenu trop important, et qu’il n’était plus dans une situation où il puisse supporter une forte correction des marchés. Dans ces conditions, l’investisseur se mue en assureur : puisqu’il estime que l’incertitude est plus forte que la normale, il exige une prime plus élevée pour se protéger ; c’est ce qu’on appelle la prime de risque.

La prime de risque est l’excès de rendement que réclame un investisseur pour accepter de détenir un actif risqué (action ou obligation de crédit) plutôt qu’un actif sans risque (emprunt d’État). En effet, théoriquement l’investisseur ne souhaite pas détenir des actifs qui varient dans le même sens que la croissance économique ; il préfère que son épargne financière lui permette de se protéger contre les aléas de la vie, et donc qu’elle soit investie plutôt dans des actifs qui ne varient pas comme la croissance économique. Donc pour que l’investisseur accepte quand même d’épargner en actifs risqués, il faut lui promettre un rendement plus élevé que l’actif sans risque : c’est la prime de risque.

Or, aujourd’hui cette prime aurait monté tellement vite et haut qu’elle aurait dépassé l’impact théoriquement favorable de la baisse des taux d’intérêt : d’où la correction des marchés d’actions sur la période récente. Mais a-t-on des ordres de grandeur de cette prime ? Son niveau par rapport aux crises récentes telles que la crise de la dette souveraine ou la crise des Subprimes ?

La prime de risque n’est pas cotée sur les marchés, comme le prix d’une action ou d’une obligation : il est donc difficile de la quantifier. Mais elle peut se déduire du prix des autres actifs et des anticipations sur la croissance. Il existe ainsi plusieurs méthodes pour déduire cette prime de risque, qui se ressemblent plus ou moins : toutes consistent à actualiser le flux de dividendes ou bénéfices futurs anticipés de l’entreprise. Certes, il existe toujours quelques débats théoriques (Equity Risk Premium puzzle).

Aujourd’hui, la prime de risque du marché euro serait de l’ordre de 6,5 %, soit des niveaux proches de ceux de la crise de la dette souveraine en 2012 et des Subprimes en 2008 ; au cours des 30 dernières années, cette prime aurait plutôt évolué autour de 4,5 %. En France, cette prime serait de 6 %, soit des niveaux supérieurs à ceux des deux précédentes crises, contre 4 % en moyenne.

Même son de cloche pour les autres pays de la zone euro, le Royaume-Uni, ou le Japon. Seuls la prime de risque des États – Unis resterait légèrement inférieure à 4 %, contre 5,1 % et 5,8 % durant les deux précédentes crises, mais de toute façon supérieure à sa moyenne de long terme à 3,5 %.

Les primes de risques élevées sont-elles une aubaine pour investir ?

Sur les marchés, les phases d’exubérance sont traditionnellement suivies de phases de raison : on peut appeler cela de la normalisation ou de l’arbitrage. Ainsi, lorsque les primes de risque atteignent des niveaux historiquement élevés, les investisseurs peuvent considérer que la situation ne va pas durer, et en profiter pour racheter le marché ; inversement lorsque les primes sont historiquement faibles. Évidemment,  toutes les phases critiques ne se ressemblent pas et les retournements surviennent plus ou moins tard.

D’une certaine manière, on peut alors considérer que les primes de risque aident à prévoir partiellement le marché à moyen terme. On peut effectivement vérifier un tel pouvoir prédictif sur l’ensemble des marchés développés, même sur la période récente, et pour des horizons de 6 à 12 mois.

Ce pouvoir prédictif peut alors être considéré comme une anomalie qui sera un jour ou l’autre complètement corrigée : les variations de primes sont alors jugées irrationnelles (thèse notamment défendue par le prix Nobel R. Shiller) ; ou bien comme quelque chose de tout à fait normal puisqu’il vient rémunérer un risque jugé trop important à un moment donné : les variations des primes de risque sont alors jugées rationnelles (thèse défendue notamment par le prix Nobel E. Fama).

Mais la difficulté du cycle économique actuel c’est qu’il ne ressemble à aucun autre. Ainsi, on peut très bien concevoir que la prime reste élevée longtemps, comme un nouveau standard. D’ailleurs, les taux d’intérêt ne font-ils pas déjà cela ? Cela fait longtemps que les modèles de taux ne justifient plus les niveaux actuels, et pourtant les taux d’intérêt continuent de baisser. Nous serions dans un de ces moments de l’histoire de la pensée économique où le « cette fois c’est différent » chahute les forces de rappel des modèles standards, et invite à les revisiter… ce qui est d’ailleurs déjà le cas pour les taux d’intérêt.

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  • Regardez l’évolution du Dow Jones et du CAC 40 depuis 2000 et nul ne pourra ignorer que c’est l’Etat « Socialo Bobo qui tue la France

    • Ne pas oublier que la « part dividendes » des actions n’est pas intégrée dans le calcul du CAC40 alors qu’elle l’est pour celui du Dow Jones ! en gros, comparer la valeur du CAC40 d’aujourd’hui à celle d’il y a 10 ans n’a pas de sens : car il faut lui ajouter la part dividendes pour pouvoir comparer !
      En fait c’est le CAC GR (avec dividendes réinvestis) qui fait foi : cet indice a doublé en 10 ans mais il faut reconnaître que le Dow Jones à plus que doublé lui !

      • Oui, mais pour l’investisseur lambda français, le « gross return » du CAC GR est une parfaite vue de l’esprit, entre ce qu’il paie sur les dividendes et ce qu’il paie sur les plus-values, il n’est pas loin de retomber en pratique sur le CAC nu…

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