Économie : que nous enseigne la tragédie des biens communs ?

Qu’est ce que la Tragédie des biens communs ? Pour répondre à cette question, nous devons nous intéresser à son concepteur, Garrett Hardin.

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Économie : que nous enseigne la tragédie des biens communs ?

Publié le 16 août 2019
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Par Marius-Joseph Marchetti.

Garrett Hardin est un ancien biologiste qui chercha avant tout à expliquer que la surexploitation d’une ressource peut être directement liée à sa non-attribution. Cela concerne plus spécifiquement les biens dont il est difficile d’attribuer un droit de propriété, et qui sont ce que les économistes nomment communément des biens rivaux (une fois qu’un animal est chassé par un individu, il ne peut plus l’être par un autre individu, une fois qu’un poisson est pêché par un individu, il devient indisponible aux autres, etc.).

Le paradoxe de Hardin a plusieurs noms. On le connaît surtout sous l’expression de « la tragédie de la vaine pâture » ou The Tragedy of the Commons ; traduit en français, plus explicitement par « La Tragédie des biens communs ».

La tragédie des biens communs, nommé originellement « Tragédie de la vaine pâture », est décrite ainsi par Garrett Hardin dans son célèbre article « The Tragedy of Commons »1.

Chacun se trouve coincé par un système qui le pousse à accroître sans fin les effectifs de son troupeau personnel — dans un monde qui, lui, est limité. L’épuisement des sols, la ruine de tous est la destination vers laquelle on s’achemine inéluctablement dès lors que les hommes restent libres de poursuivre leur propre intérêt dans une société qui pratique la liberté d’accès aux ressources communes.

La tragédie des biens communs énonce que lorsque nous sommes dans un système de propriété privée, le bénéfice de ladite propriété revient exclusivement à une personne désignée, la législation garantissant à cette personne l’exclusivité et la capacité de transférer son bien à d’autres ; le bien possédé sera ainsi géré efficacement, ou le plus efficacement possible. L’intérêt personnel du propriétaire le conduit à privilégier une utilisation des ressources de telle sorte que la valeur sociale retirée de sa gestion soit la plus grande.

L’expression de « tragédie de la vaine pâture » vient de l’exemple le plus souvent cité par les économistes traitant la théorie des droits de propriété : celui des prés communaux.

L’exemple décrit par Henri Lepage 2 est celui d’un pré où chacun peut laisser paître ses bêtes, sans limite aucune. Il existe un nombre limité de bêtes que ce pré peut accueillir jusqu’à une valeur dite optimale, au-delà de laquelle l’ajout d’un animal se révèle contre-productif. Or, le pré appartenant à tout le monde, chacun est incité à être un « passager clandestin », c’est-à-dire à faire supporter le coût d’une bête supplémentaire aux autres usagers.

Chacun se retrouve donc avec une valeur sous-optimale, inférieure au cas dans lequel chacun se serait vu attribuer une part du pré. C’est ce que l’on appelle la tragédie des biens communs, et qui interroge les économistes sur la manière de protéger l’environnement.

Mieux définir et protéger les droits de propriété

La tragédie des biens communs peut caractériser non seulement des ressources naturelles, comme dans le propos originel de Hardin, mais également tous les biens dits publics. Nous en donnerons deux autres exemples, le système politique (et notamment la démocratie) et la monnaie.

Comme le rappelle avec justesse Philipp Bagus3, il existe plusieurs manières d’empêcher ou de restreindre la surexploitation de toute propriété publique : la plus simple d’entre elles est de privatiser ladite propriété, de manière à ce que des droits de propriété soit mieux définis et protégés.

Il existe deux autres méthodes : la restriction volontaire (par la persuasion et l’éducation), ou par la réglementation publique.

Hardin nomme les biens publics réglementés managed commons, ou biens communs gérés. L’exemple type de bien commun géré, les bancs de poissons, nous est apporté par Philipp Bagus. La réglementation de ce bien commun se matérialise par l’introduction d’un quota de pêche à respecter et à ne pas dépasser pour chaque pêcheur, et comme le fait remarquer Philipp Bagus, « chacun d’entre eux reçoit un droit de monopole qu’il utilisera complètement4».

Le cas de la démocratie a été abordé par Hans-Hermann Hoppe5, et nous l’avons traité dans une synthèse de son premier chapitre de Démocratie, le Dieu qui a échoué.

Dans une démocratie, l’accès au gouvernement est ouvert à tous du fait de la fameuse égalité devant la loi, qui devient vite contraire à l’idée de base de l’égalité de droit. Une fois entré dans la sphère étatique, le nouveau gouvernant a accès à toute la propriété du pays via l’utilisation de l’appareil coercitif qu’est l’État. Les bénéfices de cette appropriation sont internalisés par le gouvernement, tandis que les coûts sont externalisés et subis par toute la population. Puisque d’autres personnes arriveront à la fin de leur mandat, les gouvernants sont incités à consommer la ressource avant les prochains mandataires du pouvoir public. Les ressources du pays, entre les mains du gouvernement, sont un exemple type de bien rival.

Dangers sur le système bancaire international

Le deuxième cas qui correspond clairement à une tragédie des communs est notre système bancaire à réserves fractionnaires. C’est du moins ce que soutient Philipp Bagus dans son ouvrage consacré à l’euro.

Le système bancaire moderne est caractérisé par des droits de propriété qui ne sont, ni bien définis, ni protégés. Les principes généraux du droit traditionnel ne sont pas non plus respectés. 6 Ce respect en demi-teinte des dépôts entraîne une incitation pour les banques à étendre toujours plus le crédit, pour engranger davantage de profits. Elles chercheront à l’étendre autant et aussi vite que possible.

Dans un système de banque libre, cette expansion est naturellement limitée par le comportement des autres banques et de leurs clients, et notamment grâce au clearing, procédé de compensation visant à liquider les dettes et les créancesentre deux banques. Elles peuvent cependant conclure des accords et former des cartels s’accorder sur une expansion simultanée du crédit. Cependant, cette expansion est limitée par la nature même du cartel, qui est instable. En effet, ses membres sont fortement incités à rompre leur accord et ce d’autant plus vite que les autres membres ont la même incitation pour engranger tous les bénéfices d’une baisse du prix, ou dans ce cas, d’une réduction de l’expansion du crédit.

Or, plusieurs choses réduisent ces limites naturelles. Selon Huerta De Soto, la situation de tragédie des biens communs se produit vraiment lorsqu’une Banque centrale est créée, et qu’une monnaie voit son cours forcé, puisque sautent les limites du système bancaire à réserve fractionnaire. Il reste cependant des limites : la réglementation des prêts par la Banque centrale et, enfin, la peur du risque ultime, l’hyper-inflation. L’exploitation des droits de propriété mal définis doit donc se faire finement et avec parcimonie.

Voilà donc, sommairement, ce que nous pouvons vous dire sur la tragédie des biens communs et comment elle se manifeste dans notre monde.

  1. Garrett Hardin, « The Tragedy of the Commons », Science, 13 décembre 1968, numéro 162.
  2. Henri Lepage, Pourquoi la propriété, Collection Pluriel, 1985, p.88-89.
  3. Philipp Bagus, La tragédie de l’euro, L’Harmattan, 2012.
  4. Ibid, p.111.
  5. Hans-Hermann Hoppe, Democracy : The God that failed (Rutgers, NJ: Transaction Publishers, 2001).
  6. Sur ce sujet, voir Hernando De Soto, Money, Bank Credit and Economic Cycles, ou en français Monnaie, Crédit bancaire et Cycles Économiques.
Voir les commentaires (16)

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  • commun====>>> a personne >>>>>> fonctionnaires====>>> predateurs

  • Je ne peux pas fréquenter la piscine municipale car trop de monde, je ne vais plus au Louvre car queue infernale composée souvent de touristes venus pour des selfies, je ne vais pas sur les plages surpeuplées de gens qui s’y installent dès le matin et y demeurent jusqu’à la nuit tout ça pour uniquement bronzer.

    Les biens communs, non, merci!

    • Toutes les personnes de la piscine municipale ont payé un droit d’entrée qu’elles estiment juste et elles sont ok pour fréquenter un endroit surpeuplé. Démarche libérale comme quand un magasin propose un produit X à un coût Y. Libre à chacun de l’acheter.
      Idem pour la plage, les gens font un calcul coût/bénéfice entre être en promiscuité et faire bronzette.
      Rien à voir avec des biens communs, vous n’aimez juste pas les gens (et je suis comme vous…)

  • J’ai souri face à la naïveté du propos.
    Selon lui, dans son exemple, chaque proprio de pré carré va gentiment laisser paitre le nombre optimal de bêtes sur sa propriété.
    Fin de l’histoire ? Que nenni ! Chacun va essayer d’augmenter ce nombre de bête par divers procédés pour augmenter son profit. Il va faire la guerre à son voisin pour s’accaparer son pré.
    Si les prés étaient communs, chacun est responsable de tout, et les passagers clandestins sont gentiment mais fermement combattus par la société (paradigme du contrôle social, très fort dans les sociétés plus traditionnelles où les liens interpersonnels sont forts).
    Dans les prés privés, celui qui a un souci mourra sous l’oeil de vautour de ses voisins.

    • Désolé, mais c’est n’importe quoi.
      Vous faites encore l’amalgame éculé du libéralisme avec une société sans loi. Comme c’est pratique pour justifier les débords étatiques.
      Une société libérale (je ne parle pas de l’anarcho-libéralisme) implique un Etat. Mais un Etat réduit à ses fonctions régaliennes ce qui implique le respect du Droit et de la Propriété. Vous savez cette Propriété que notre Etat français socialisant tend à réduire comme peau de chagrin pour mieux imposer sa volonté 🙂 .
      Dans un Etat libéral de Droit, l’individu qui essaie de « s’accaparer » le pré du voisin se fera condamner bcp plus surement que lorsque l’Etat français essaie de s’approprier le bien d’un de ses citoyens.

      « Chacun va essayer d’augmenter ce nombre de bête par divers procédés pour augmenter son profit. »
      Surement mais dans le cadre de la Loi. Et sans utiliser de procédés qui pourrait altérer la valeur de son bien dans le futur sous peine de perdre de l’argent à moyen terme. S’il la fait, il dévalorise son bien. Tant pis pour lui car libéralisme implique responsabilité.

      « Si les prés étaient communs, chacun est responsable de tout, et les passagers clandestins sont gentiment mais fermement combattus par la société »
      Cela, c’est la théorie. Celle défendue par nos socialistes. Dites-moi, dans notre France bien socialisante, il n’y a aucun « passager clandestin »? 🙂 Vraiment aucun? Vous me faite rire avec le « fermement combattus par la société ». La France est un parfait contre-exemple.

      « paradigme du contrôle social, très fort dans les sociétés plus traditionnelles où les liens interpersonnels sont forts »
      Exact. Mais cela ne s’applique qu’à des sociétés de faible effectif, jusqu’à 150-200 individus d’après ce dont je me souviens (nombre de Dunbar). Au-dessus, cela ne fonctionne plus.
      https://www.contrepoints.org/2014/02/18/157023-linteret-general-et-le-nombre-de-dunbar

      • Votre libéralisme n’est également pas tenable au-delà d’un faible nombre de personnes.

        • Donc la DDH de 89 est une absurdité car elle s’adresse aux Hommes et non un petit groupe d’une centaine d’individus?

        • Non, bien au contraire.
          Le libéralisme est ce qui a permis le développement de l’Europe au XIXè siècle (soit des 10aine de millions de personnes) et qui continue à permettre le développement de 100aine de millions voire de milliards de personnes de par le monde. Le gauchisme et le socialisme ont également entrainé des centaines de millions de personnes mais vers la paupérisation, la misère et la tyrannie.

    • Quand les prés sont communs, personne n’est responsable de rien.

      Quand les prés sont privés, au-delà de l’entraide naturelle entre voisins et des services régaliens de base, on a recours aux assurances privées pour couvrir les risques. Merci qui ? Merci la finance (celle-là même qui est outrageusement vilipendée par ceux qui n’ont rien compris au film ou qui, par pur cynisme, font semblant de ne pas comprendre).

  • Curieux billet qui ne relate pas l’erreur commise par Hardin qui confond bien commun (« res communes » en droit romain et bien en libre accès(«res nullius» en droit romain), et son indifférence face à l’alternative propriété privée/régulation publique.

    Encore plus curieux, ce billet ne souffle mot des travaux de Elinor Ostrom qui a magistralement démontré qu’entre propriété privée et propriété publique vient s’intercaler un type de propriété historiquement avéré, perdurant jusqu’à aujourd’hui : la propriété commune (bien approprié par une communauté de propriétaires ; propriété assortie de règles d’usage strictes et de sanctions en cas d’abus.

    • ? L’article parle des biens communs en régulation publique.
      Quant à la propriété commune, c’est bien une forme de propriété privé. Le nombre de propriétaire est simplement plus important mais chacun d’entre eux y a mis de l’argent et va veiller au bon usage de son bien sous peine de perte.
      Que ce soit un bien commun ou en libre accès, le problème est le même: il ne coute rien à celui qui l’utilise. L’altération de ce bien n’affecte pas (sauf une perte de jouissance du bien) l’utilisateur qui n’y a rien investi.

      • « L’article parle des biens communs en régulation publique ».
        Exact ! Il s’agit des ressources halieutiques dont l’exploitation est régulée par … l’Etat!

        « Quant à la propriété commune, c’est bien une forme de propriété privée ».
        Oui et non ! Vous connaissez les trois attributs du droit de propriété : le fructus, l’usus et l’abusus. Les libéraux considèrent que ces trois attributs doivent rester entre les mains du privé; les socialistes, dans les mains de l’Etat. Mais ce n’est pas comme cela que « marche » un bien commun dans le sens d’Octrom et de bien d’autres à sa suite. Un bien commun repose sur un « trépied »: une communauté, une ressource et des règles que se donne cette communauté pour « gérer » cette ressource, ce qui entraine ceci :
        + un bien commun a toujours un propriétaire (privé ou public) qui, des trois attributs en question, n’en garde que l’abusus;
        + Les deux autres attributs sont confiés à la communauté en question pour lui permettre de gérer la ressource en autogestion.
        C’est dire cette communauté est, collectivement, « propriétaire » du fructus et de l’usus, la « propriété » de l’abusus étant réservée au propriétaire du sol dans son sens le plus basique (géographique) du terme.

        « Que ce soit un bien commun ou en libre accès, le problème est le même ».
        Vous commettez la même erreur que Hardin : confondre res nullius et res communes ou, plus précisément, vous rabattez, fautivement, les res communes sur les res nullius, pour pouvoir (comme nombre de libéraux) discréditer la théorie et la pratique des biens communs, du Bien commun ou du Commun, qui prennent une ampleur extraordinaire dans le monde entier.

        • Le problème du démembrement de propriété pose le problème de l’irresponsabilité de chaque partie prenante vis-à-vis des composants de la propriété dont elle n’est pas propriétaire. Par exemple, celui qui profitera de l’usus ne s’intéressera pas au fructus, le propriétaire du fructus n’ayant que faire de l’abusus.

          En dehors des démembrements familiaux (et fiscaux), des règles strictes de communauté sont nécessaires qui réduisent la portée de la propriété de chacun, tellement strictes en réalité que le concept de propriété privée est dénaturé et qu’on revient rapidement à une situation équivalente à la tragédie des biens communs.

          L’idée de propriété intermédiaire entre privé et public peut paraître séduisante à première vue. Mais en dernière analyse, c’est le plus souvent une illusion.

  • Les commentaires sont fermés.

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