Reggae 70’s : 1972-1976, l’explosion (5)

1972 est l’année de la révélation du reggae au monde. Cinquième épisode de notre série musicale de l’été.

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Robert Nesta Marley by Nino Eugene La Pia(CC BY-NC 2.0)

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Reggae 70’s : 1972-1976, l’explosion (5)

Publié le 28 juillet 2019
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Par Selecta Nardus.

Deux grands coups de semonce font de 1972 l’année de la révélation au monde du reggae.

Le reggae a enfin son film culte

Un film d’abord, The harder they come, de Perry Henzell. Le héros, inspiré du criminel populaire Rhyging, est un campagnard qui tente sa chance comme chanteur à Kingston. Arnaqué par un producteur, il sombre peu à peu dans le crime et le trafic. Évidemment, le film tient plus du nanar que du chef d’œuvre du 7ème art. Il a quand même remporté un franc succès, particulièrement aux États-Unis, grâce à Jimmy Cliff, acteur principal pas si mauvais et surtout grâce à la bande originale du film.

Que des tubes, dont « You can get it if you really want » et le « Rivers of Babylon » des Melodians, enregistré deux ans plus tôt. La chanson éponyme « The harder they come » est probablement l’une des meilleures de Cliff, qui s’est ensuite englué dans la world music. Après 1972, en dépit de son statut de star, Jimmy Cliff n’a plus fait grand chose de potable. Le navrant « Reggae night » est tout sauf un reggae et « Hakuna matata », un gloubi-boulga mondialiste pseudo-africain.

Le reggae avait donc son film et sa B.O. pour se propager partout dans le monde. Il lui fallait encore une tête d’affiche. Pas Cliff, donc. Pas non plus John Holt et Ken Boothe, trop soul et marqués rocksteady, ni Horace Andy, Max Romeo ou Toots, trop « yardies » pour percer le marché mondial.

À la recherche de la star reggae…

Chris Blackwell, Jamaïcain blanc fasciné par les rastas, est patron de Island Records. Ce label, diffusant mondialement la musique jamaïcaine dans les années ska (notamment le tube « My boy lollipop »), s’était ensuite tourné vers le rock. Revenu à ses premières amours, Blackwell veut faire du reggae la nouvelle musique du moment. Il a un nom en tête. Robert Nesta dit « Bob » Marley. Celui-ci est pourtant passé à côté de la période rocksteady et early reggae. En revanche, ses enregistrements géniaux avec Lee « Scratch » Perry ont fait de Marley et des Wailers le groupe n° 1 à Kingston en 71/72.

Blackwell passe à l’attaque. Voilà donc les albums « Catch a fire » de 1972 puis « Burnin » l’année suivante. Le premier est un peu trop remixé et « occidentalisé » dans les studios d’Island. Il comprend toutefois le futur tube « Stir it up » et des pépites comme « Concrete Jungle » et surtout « Midnight Ravers », merveille harmonique des trois Wailers, Bob, Peter et Bunny. L’album est salué par la critique mais se vend peu.

Il faut attendre « Burnin » pour que la mayonnaise prenne. L’ album est beaucoup plus brut. La chanson « Burnin’ and lootin’ » est le sommet des gémissements « wailersiens » de Marley. Le « Put it on » met encore en valeur le trio vocal. Mais l’album contient aussi les tubes « Get up Stand up » et « I shot the sheriff », ce dernier repris immédiatement par Eric Clapton. Le coup de pouce de ce dernier fait exploser les ventes.

Marley est devenu une star (au détriment de Peter et Bunny qui vont tous les deux le quitter). Blackwell a réussi son coup : la Jamaïque, petite île de moins de deux millions d’habitants, a placé sa musique presqu’au même rang que le tout-puissant rock. Et pour toute une décennie.

La porte s’ouvre donc pour les meilleurs artistes yardies du moment, qu’Island et Trojan se chargent de diffuser. Ken Boothe cartonne avec sa version du « Everything I own », Lee Perry produit le « Curly Locks » de Junior Byles et John Holt sort son suberbe « Strange Things ».

Mais déjà, la machine s’enraye. La cause ? Les diffuseurs veulent trop jouer sur la corde « musique des îles » et recyclent la britpop des sixties en version contretemps sucré. Ils ne respectent guère le reggae et prennent le public pour des gogos. Ça ne marche plus. Qui veut entendre une énième version bâclée des Beatles ? Trojan, ex-label chéri des skinheads, qui avait tenté d’élargir son public à d’autres horizons capillaires, essuie un cinglant échec.

Les Rastas prennent le pouvoir

Heureusement, dans le même temps, le Reggae se perfectionne et se « yardise » toujours plus à Kingston. Les thématiques politiques sont omniprésentes et les rastas prennent le pouvoir. Les dreadlocks poussent et sont affichées fièrement, comme celles du deejay Big Youth. Les débuts du reggae roots en ce milieu de décennie sont marqués par l’hymne rasta des Abyssinians, « Satta Massa Gana ». Face B ignorée par Coxsone en 1969, qui n’a pas eu de nez pour une fois, elle devient un hymne reggae et rasta sur l’album éponyme de 1975, un des meilleurs de la décennie.

Horace Andy sort aussi plusieurs classiques dans cette période, tout comme Max Romeo, dont le grandiose « Chase the Devil », enregistré chez « Scratch » Perry.

Les futurs grands noms du reggae roots font leurs premières armes avant de prendre le pouvoir. Burning Spear consacre tout un (excellent) album à Marcus Garvey. Dans le style « flying cymbal » caractéristique des débuts du genre, Johnny Clarke rappelle que « None shall escape the judgement ». Les Gladiators font leurs premières armes « roots ». Gregory Isaacs sort son premier album, trop méconnu, qui contient plusieurs perles comme le « Financial endorsement ».

Deux producteurs tirent leur épingle du jeu dans cette nouvelle ère, Bunny Lee et Joe Gibbs, remplaçant les patrons des sixties, Duke Reid (mort en 1975) et Coxsone, pas encore enterré mais perdant son leadership.

Grâce au talent de King Tubby et de Lee « Scratch » Perry puis Augustus Pablo (pas encore au melodica), un nouveau genre naît, le dub, reggae instrumental remixé/ bidouillé, qui met en avant le socle basse/batterie.

Un studio retient l’attention, celui de Channel One, grace au duo Sly and Robbie (le premier à la batterie, le second à la basse), pièce maîtresse de l’album roots de référence « Right Time » des Mighty Diamonds. Leur renommée sera mondiale et les fera jouer sur les deux albums reggae de Gainsbourg, pour Bob Dylan, les Stones et Joe Cocker.

La période 1972/1976 du reggae correspond à son explosion mondiale et à son évolution progressive vers le reggae roots qui va ensuite dominer la fin de la décennie. Voilà une selection représentative de quelques chansons incontournables de cette période. À siroter avec un verre de rhum Captain Morgan. Kick it selecta !

  • Jimmy Cliff – You can get if you really want
  • The Melodians – Rivers of Babylon
  • Bob Marley and the Wailers – Midnight Ravers
  • Bob Marley and the Wailers – Burnin’ and Lootin’
  • Ken Boothe – Everything I own
  • Junior Byles – Curly locks
  • John Holt – Strange things
  • Toots and the Maytals – Redemption song
  • Big Youth – Screaming Target
  • The Abyssinians – Satta Massa Gana
  • Horace Andy – Skylarking
  • Max Romeo – Chase the devil
  • Burning Spear – Live good
  • Johnny Clarke – None shall escape the judgement (+ King Tubby version)
  • The Gladiators – Eli Eli
  • Gregory Isaacs – Financial endorsement
  • Cornell Campbell – Natty dread in a greenwich farm
  • The Mighty Diamonds – Them never love poor Marcus
  • Augustus Pablo – King Tubby meets rockers uptown
  • Lee « scratch » Perry – Dread Lion

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  • Bonjour,
    Je trouve un peu sévère votre jugement vis-à-vis de Jimmy Cliff. Vous semblez oublier l’excellent album « Spécial ». Pour le reste, je suis d’accord avec votre analyse, qui prend quand même quelques raccourcis parfois…
    Cordialement

    • Merci pour votre commentaire.

      Comme annoncé au premier article, ces billets ne sont pas exhaustifs. Pour ne rien rater, je recommande la lecture de « Bass Culture » de Lloyd Bradley, gros pavé de référence. Vous avez raison de défendre Jimmy Cliff. Il a été un authentique champion du ska au début des années 60 et a joué un rôle décisif pour l’essor du reggae avec « The harder they come ». C’est ensuite que ça se gâte selon moi. il a pris un virage « World » et s’est éloigné du reggae et de la Jamaïque. L’album « Special » n’est pas mauvais (« Peace officer » s’écoute), mais ce n’est pas ma tasse de thé.

  • Et Peter Tosh,il sent le pâté?

    • Pas d’inquiétude, je parle de lui dans l’article de dimanche prochain. Et pour patienter, vous pouvez l’écouter dans la playlist du jour avec ses deux compères (« Midnight ravers »)

      • Hein ? La playlist du jour ? Quelle playlist ? où ça ?
        Je découvre votre site et je n’ai pas encore tout exploré…
        Votre article auquel j’ai réagi m’a été transmis par un proche et je l’ai lu avec beaucoup d’intérêt. Aujourd’hui, je me replonge dans votre journal suite à une autre recommandation d’un autre proche. Je kiffe toujours autant ! Du coup je fais un don et je télécharge l’appli sur mon smartphone.

        • Ok, je viens de découvrir la playlist en fin d’article. Je croyais trouver une playlist avec un player (on peut rêver 😉

  • Les commentaires sont fermés.

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