L’obsession identitaire de la gauche réactionnaire

La gauche réactionnaire est malade de l’identité.

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L’obsession identitaire de la gauche réactionnaire

Publié le 25 juillet 2019
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Par Vincent Debierre.

En première ligne des tendances réactionnaires de la gauche contemporaine, la technophobie côtoie l’obsession identitaire. Celle-ci est sans doute, parmi les trois principales tendances analysées ici, celle qui reçoit le plus d’attention étonnée dans les médias1.

La peur et l’hostilité des intellectuels de gauche envers de nombreuses technologies n’étonnera pas grand-monde, et leur hostilité envers nombre de savoirs plus abstraits et fondamentaux est un sujet dramatiquement sous-exploré dans l’espace public francophone. Je reviendrai à ce dernier point dans quelques paragraphes, mais arrêtons-nous pour l’instant sur la popularité croissante des préoccupations identitaires.

Par exemple, celle qui, tout en condamnant les assassinats, reprochait à Cabu et ses camarades de s’en prendre, par leurs caricatures sur la religion islamique, son prophète, ses intégristes divers, etc., à l’ensemble des musulmans français (et plus si affinités).

Ou celle qui assène qu’une plaisanterie faite aux dépens des femmes savonne une pente en bas de laquelle se trouvent le harcèlement et les agressions sexuelles2. Ou encore, celle qui voit un intense racisme dans le fait, pour des acteurs, de porter des masques noirs pour jouer une tragédie grecque3.

 

Paniques morales et anathèmes

Ces anathèmes et ces paniques morales, qui semblent proliférer, sont sous-tendus par une vision spécifique du monde et de l’humain, une fondation constituée de deux piliers.

Tout d’abord, le pilier identitaire à proprement parler, selon lequel les individus doivent être décrits et compris par leur appartenance à divers groupes démographiques4.

Hommes, noirs, chrétiens, bisexuels, etc., autant de  cases dans lesquels nous serions rangés, pas parce qu’elles sont de simples constituants de notre identité, mais bien perçues comme des déterminants inflexibles. De surcroît, nos opinions et nos idées seraient dictées par nos appartenances à ces différents groupes.

Prétendre échanger des idées, des hypothèses, des arguments, vouloir les examiner et les évaluer entre personnes de bonne foi ne sont, dans cette vision des choses, qu’un rêve d’iréniste ou, pire, qu’un mensonge de dominant5.

Car derrière cette apparente discussion, se cache une lutte d’influence entre groupes, une lutte, qui, pour les uns, vise à conserver leurs privilèges, et pour les autres, à s’extraire de leur oppression6. C’est là le second pilier de cette vision fondamentale, le pilier qu’on pourra qualifier de gauche, car il fonde une prétention à prendre la cause des faibles face aux forts, lesquels seraient en lutte permanente.

 

Les origines de la crise identitaire

Beaucoup ont lu dans cette agonistique binaire une déclinaison des thèses marxistes.

L’histoire intellectuelle du mouvement féministe, en particulier à partir de la seconde vague, apporte beaucoup d’eau au moulin de cette lecture, tant les femmes ont été conçues comme opprimées en tant que classe7 par les hommes – une vision particulièrement borgne des données, qui trahit entre autre choses une focalisation sur les classes plutôt aisées de la population.

Mais c’est aussi et surtout aux philosophes du nationalisme allemand, de Fichte à Heidegger, qu’emprunte cette vision des choses8.

La Gegenaufklärung, l’opposition aux Lumières, domina la vie intellectuelle allemande de 1789 à 1939, s’incarnant en particulier dans l’idéologie d’une identité allemande incompatible avec la modernité libérale et cosmopolite, laissée aux Britanniques et aux Français (et aux Américains).

Étroitement liée au postmodernisme des campus américains, lui-même inspiré du poststructuralisme français, lui-même inspiré de la Gegenaufklärung, l’avant-garde universitaire et militante constitue une incarnation contemporaine de ces visions identitaires de la connaissance9.

Si les rejets de la « science blanche » ou « colonialiste » des militants de campus ne sont pas sans rappeler les rejets de la « science juive » dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres, il y a là non seulement la signature d’invariants dans les tentations cognitives humaines, mais aussi celle d’idées tribalistes préservées par les sciences humaines universitaires, puis remobilisées10. En un sens, la gauche postmoderne a réussi ce que Herbert Marcuse, alors élève de Heidegger, avait dans sa jeunesse tenté de faire : combiner la pensée du maître avec celle de Marx11.

C’est là un cocktail détonnant d’idées d’extrême droite et d’extrême gauche. Et si la différence entre l’extrême droite et l’extrême gauche totalitaires est, comme il est parfois avancé, que celle-ci n’attaque que des gens qui ont choisi d’être ce qu’ils sont, comme les grands capitalistes, les aisés récalcitrants à la révolution et les fascistes, alors que celle-là attaque aussi et surtout ceux qui sont ce qu’ils sont par le seul acte d’être nés, comme les juifs, les noirs, etc., alors, ne faut-il pas conclure que, selon cette nomenclature, nous sommes en présence d’une coalition d’extrême-droites identitaires ?

 

Extrême-droite masquée

Les mouvement suivants :

  • le féminisme contemporain qui blâme les hommes et le patriarcat pour tous les maux réels et imaginés12 ;
  • la théorie critique de la race qui déclare tous les blancs irrémédiablement racistes, tous les autres incapables de racisme, et la « blanchité » (whiteness) comme une sorte de maladie sociale causant le pourrissement des institutions et des relations humaines13 ;
  • l’islamo-indigénisme qui s’emploie à exploiter la pitié et la charité afin d’obtenir des éléments de théocratie, et décrit comme phobique et intolérante toute réticence face aux dogmes et commandements islamiques14

 

sont autant de mouvements d’extrême droite qui, du fait de la sociologie réelle ou imaginée des groupes qu’ils prétendent défendre, peuvent se faire passer comme étant de gauche ou d’extrême gauche.

  1. É. Dupin, « Comment la pulsion identitaire divise la gauche », Slate (26/01/2017) (cit. on p. 3) ; Crudo,« Laurent Bouvet : Si la gauche, c’est ça, alors il n’y a plus de gauche », Causeur (23/07/2018) (cit. on pp. 3, 7, 8).
  2. Colombi, Une heure de peine : L’humour est une chose trop sérieuse… (cit. on p. 3) ; Colombi, Une heure de peine : …pour être laissée à des rigolos, (cit. on p. 3).
  3. Eschapasse, « Eschyle censuré à la Sorbonne ! », Le Point (27/03/2019) (cit. on p. 4) ; Joffrin, « Eschyle, le blackface et la censure », Libération (15/04/2019) (cit. on p. 4).
  4. Pluckrose and J. A. Lindsay, «Identity Politics Does Not Continue the Work of the Civil Rights Movements » Areo (25/09/2018) (cit. on p. 4) ; Debierre, Aux origines intellectuelles de la justice sociale intersectionnelle, (cit. on pp. 4, 8, 9).
  5. Wolin, The Seduction of Unreason: The Intellectual Romance With Fas- cism from Nietzsche to Postmodernism (Princeton University Press, 2004) (cit. on pp. 4, 6, 9) ; Pluckrose, « How French Intellectuals Ruined the West: Postmodernism and Its Impact, Explained » Areo (27/03/2017) (cit. on p. 4)
  6. A. Lindsay and M. Nayna, « Postmodern Religion and the Faith of Social Justice », Areo (18/12/2018) (cit. on p. 4)
  7. H. Sommers, Who Stole Feminism? How Women Have Betrayed Women (Simon & Schuster, 1994) (cit. on pp. 4, 5) ; P. Sastre, La domination masculine n’existe pas (Anne Carrière, 2015) (cit. on pp. 4, 5).
  8. Wolin, The Seduction of Unreason: The Intellectual Romance With Fas- cism from Nietzsche to Postmodernism (Princeton University Press, 2004) (cit. on pp. 4, 6, 9) ; R. C. Hicks, Explaining Postmodernism: Skepticism and Socialism from Rousseau to Foucault (Scholargy Publishing, 2004) (cit. on p. 4)
  9. Debierre, Aux origines intellectuelles de la justice sociale intersectionnelle, (cit. on pp. 4, 8, 9)
  10. D. Bloom, The Closing of the American Mind (Simon and Schuster, 1987) (cit. on p. 4)
  11. Wolin, The Seduction of Unreason: The Intellectual Romance With Fas- cism from Nietzsche to Postmodernism (Princeton University Press, 2004) (cit. on pp. 4, 6, 9)
  12. H. Sommers, Who Stole Feminism? How Women Have Betrayed Women (Simon & Schuster, 1994) (cit. on pp. 4, 5) ; P. Sastre, La domination masculine n’existe pas (Anne Carrière, 2015) (cit. on pp. 4, 5)
  13. Donovan, « Yes, All White People Are Racists – Now Let’s Do Something About It », Alternet (14/01/2015) (cit. on p. 5) ; E. Paul, « Listening at the Great Awokening », Areo (17/04/2019) (cit. on p. 5)
  14. J. Miller, Siding With the Oppressor: The Pro-Islamist Left (One Law For All, 2013) (cit. on p. 5) ; J. Palmer, « The Shame and the Disgrace of the Pro-Islamist Left » Quillette (06/12/2015) (cit. on p. 5)
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  • Un article brillant !… C’est le cœur de la situation actuelle qui est décrit là.

  • L’extrême gauche c’est du clientélisme d’abord, cs gens n’ont aucune chance d’arriver au pouvoir

  • N’hésitez pas à mettre plus de points dans vos articles.

  • Brillant et concis.
    Les extrêmes se rejoignent dans la négation de l’individu et l’appel à la lutte contre l' »impur ».
    Un bémol, mais vous êtes bien au courant: l’argument selon lequel l’extrême gauche ne vise que des agents « volontaires » est, bien entendu, spécieux, comme l’ont prouvé les révolutions du 20è siècle, qui ont accablé les familles « contre-révolutionnaires » sur plusieurs générations.

  • « Et si la différence entre l’extrême-droite et l’extrême-gauche totalitaires est, comme il est parfois avancé, que celle-ci n’attaque que des gens qui ont choisi d’être ce qu’ils sont, comme les grands capitalistes, les aisés récalcitrants à la révolution et les fascistes, alors que celle-là attaque aussi et surtout ceux qui sont ce qu’ils sont par le seul acte d’être nés, comme les juifs, les noirs, etc., »

    Il y a une autre différence fondamentale entre ED et EG dans les démocraties occidentales : la première prend toujours parti pour le groupe dominant vs des minorités plus ou moins visibles, la seconde toujours pour les minorités.
    Elles ne se rejoignent que dans l’outrance de certaines positions politiques.
    Cela n’est pas suffisant, à mon sens, pour qualifier l’EG d’extrême droite identitaire.
    Il y a dans ce raisonnement un petit côté « point Godwin qui s’ignore » qui me préoccupe.

  • Un exemple d’extrémisme à l’œuvre tout à fait édifiant :

    https://youtu.be/u54cAvqLRpA

    • Édifiant est le mot… ça fait peur et oui, c’est à l’œuvre en France…

    • @cavaignac bon j’imagine que quand une civilisation en arrive là c’est qu’elle est sub claquante. On va rire quand la suivante prendra les rênes, je doute qu’elle agisse avec subtilité avec les trans et autres bruyantes minorités.

    • C’est hallucinant, aucun respect dans les échanges. C’est du racisme anti-blanc porté à son extrême. Quand on voit les propos d’une responsable de l’UNEF, on y arrive.

  • Excellent article qui donne la bonne vision de ce qui est en train d’arriver.
    Il n’y a que sur le fait d’affirmer qu’il s’agit là en fait d’extrême-droite que j’ai du mal à être d’accord. La défense des opprimés est plutôt le fait de l’extrême gauche, exploiter la pitié et la charité est plutôt d’extrême gauche.
    Quand on regarde la vidéo (édifiante) que Cavaignac partage, on a du mal à voir l’extrême droite s’acoquinant avec un Noir efféminé, des Noirs remontés contre les Blancs, remontés contre la police, etc.
    De toutes façons, l’un et l’autre sont des totalitarismes, qu’ils soient ED ou EG n’est pas bien important, les 2 sont à combattre.

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