Royaume-Uni : cap sur le Brexit dur ?

Le peu de solutions juridiques pour garantir la frontière irlandaise rend paradoxalement le Brexit dur plus probable qu’une renégociation de l’accord de sortie.

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Royaume-Uni : cap sur le Brexit dur ?

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 7 juillet 2019
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Par Frédérique Berrod1.

La question peut paraître incongrue tant le Brexit est un sujet permanent de discussion politique depuis le référendum du 23 juin 2016. Pourtant, les atermoiements du Parlement britannique ont fini par écœurer les plus fins commentateurs, qui ne savent plus au fond si le Brexit va un jour avoir lieu.

Les élections des députés au Parlement européen ont poussé Nigel Farage hors de la retraite politique qu’il s’était octroyée, sans pourtant jamais renoncer à son mandat de député européen. Avec sa victoire dans les urnes, il revient, et avec lui le Brexit dur, au centre du jeu politique national.

Mais la démission de Theresa May, le 7 juin dernier, a ressuscité un autre personnage, Boris Johnson, qui redevient après trois ans un potentiel prime minister. Le Royaume-Uni reste décidément bien singulier : après avoir demandé le Brexit par référendum, demande confirmée par le gouvernement et le Parlement, les manifestants pro- et anti-Brexit ont envahi en mai 2019 les mêmes rues de Londres, comme si le Brexit était toujours incertain. Au point de rendre crédible pour quelques jours l’hypothèse d’un second référendum !

Les cartes sont à nouveau rebattues et, selon toute vraisemblance, le Brexit est devenu une priorité politique outre-Manche. Enfin, serait-on tenté de dire !

Le Brexit dur ou pas, un choix britannique

Demandé par référendum il y a trois ans, le Brexit entre en réalité depuis quelques semaines dans sa phase de lancement politique.

Les résultats du référendum avaient finalement surpris tout le monde, les Britanniques les premiers. Ils ont dû se mettre en ordre de bataille à marche forcée pour négocier le Brexit. Theresa May, tiède partisane du « Remain », a finalement mis une opiniâtreté peu commune à faire de la revendication politique du « Leave » une réalité juridique. Elle a négocié l’accord de Brexit avec l’Union européenne.

Elle a oublié sans doute de travailler à une majorité politique dans son parlement pour dépasser son propre parti divisé par le Brexit, finalement tout autant que le peuple britannique. Sa tactique a consisté à s’arc-bouter sur le référendum pour obtenir un accord de sortie de l’Union, en pensant que les parlementaires voteraient ensuite cet accord sous la contrainte du risque de désordre.

Partisans du Brexit dur (ce qui veut dire sans accord), soft (donc négocié avec les 27 États membres restant dans l’UE pour être organisé), du non-Brexit, du deuxième référendum se sont succédé dans l’enceinte surannée du Parlement britannique, sans parvenir à trouver d’autres solutions que de sacrifier Theresa May. Celle-ci n’a pas vu venir le danger tant elle était sûre d’avoir négocié le meilleur accord possible).

S’il y avait une leçon à tirer de cette farce tragi-comique, c’est que le débat politique ne peut plus être résumé au sentiment d’une urgente solution inéluctable. Le Brexit peut être négocié ou non, selon des modalités différentes, et ces options auraient dû faire l’objet d’une discussion politique au Royaume-Uni avant d’enclencher des négociations internationales avec l’Union européenne.

Les institutions européennes ont aussi porté le Brexit comme un fardeau. Ne voulant pas croire d’abord dans la possibilité de mettre un jour en œuvre l’article 50 TUE, elles ont ensuite réussi à défendre une unité des 27 États toujours membres de l’Union pour négocier le Brexit puis, dans un deuxième temps qui n’en finit pas de commencer, la future relation de l’Union avec un pays devenu tiers.

Elle a réussi, grâce à l’énergie de Michel Barnier, à mener à terme la négociation des 600 pages du traité de sortie. Mais elle est depuis dans l’expectative d’une décision britannique. L’Union européenne ne peut rien faire d’autre qu’attendre, comme d’ailleurs tous les citoyens et toutes les entreprises qui s’interrogent sur ce que sera le Brexit sans que personne n’apporte de réponse claire. L’incertitude politique devient le principal effet du Brexit, faisant monter la crise économique et politique.

Pour Boris Johnson, la voie est ouverte

La démission de Theresa May ouvre la voie au retour de Boris Johnson. Jouant d’une image de trublion politique, il construit très consciencieusement son arrivée au poste de premier ministre. Il clame haut et fort qu’il va renégocier l’accord du Brexit. Pour ce faire, il faudra non seulement que les Britanniques proposent concrètement une autre solution politique de sortie de l’Union que celle trouvée à grand-peine par Madame May avec 27 partenaires, mais aussi que les trois questions « préalables » au Brexit trouvent une issue différente de celle négociée dans l’accord de sortie. Ces trois questions sont la facture du « divorce », le devenir des citoyens européens au Royaume-Uni et la nécessité politique de maintenir ouverte la frontière entre les deux Irlandes.

Dans le même temps, au mois de mai, le Royaume-Uni a dû organiser des élections européennes. Le Brexit Party est arrivé en tête avec 30,74 % des voix. Le Brexit est donc toujours majoritaire parmi les électeurs. Les Liberal Democrats, largement anti-Brexit, arrivent en deuxième position avec moins de 20 % des votes, ce qui confirme aussi la division du pays. Le comportement des députés britanniques lors de la première séance du nouveau Parlement européen était donc déterminant.

Le parti du Brexit emmené par Nigel Farage s’est illustré, le 2 juillet 2019, en tournant le dos lors de l’Ode à la joie au Parlement européen. Difficile d’être plus clair : ces députés britanniques majoritaires en leur pays veulent le Brexit et se sentent déjà hors du jeu européen, sans plus vouloir montrer un quelconque sentiment d’appartenance collective. Le fait d’avoir dû organiser des élections au Parlement européen au Royaume-Uni a permis de faire émerger le Brexit, quelles qu’en soient les conditions, comme une option politique certaine. Reste encore et toujours à en dessiner les modalités.

La question irlandaise renforce l’hypothèse du Brexit dur

Pour renégocier un accord, il faudrait que Boris Johnson, s’il devient premier ministre, apporte un singulier changement politique. S’il refuse de payer la facture du divorce, il cristallise les oppositions des 27 qui auront beau jeu de refuser toute nouvelle négociation.

Il lui faut surtout trouver une nouvelle issue à la question de la frontière irlandaise, explosive au sens figuré comme au sens propre. Cette question ne peut être ignorée par Londres dans une renégociation de l’accord avec l’Union. L’Irlande exige que cette frontière reste ouverte, ce qui fut une condition de la paix du « Good Friday Agreement ». Theresa May avait promis une frontière invisible sans jamais avoir proposé de plan crédible pour y parvenir.

Les autres options juridiques sont finalement peu nombreuses : un statut spécial peut être négocié pour que l’Irlande du Nord reste dans une union douanière, de manière à éviter un retour du sentiment de frontière. C’était bien tout le sens du backlash, qui fit pourtant l’objet de toutes les critiques à Westminster.

On voit mal ce que Boris Johnson pourrait faire de différent, sauf à octroyer l’impensable, à savoir réunifier l’Irlande, pour que sa partie nord reste dans l’Union européenne. Le peu de solutions juridiques pour garantir la frontière irlandaise rend paradoxalement le Brexit dur plus probable qu’une renégociation de l’accord de sortie.

Les travaillistes n’ont d’ailleurs pas réussi à rallier des votes majoritaires pour éviter cette option. Boris Johnson refuse strictement tout nouveau référendum. Le Brexit sans accord avec l’Union est donc le nouvel horizon politique du Royaume… si, et seulement si, le Parlement parvient à trouver une majorité en ce sens, majorité par hypothèse transpartisane. La rupture bête et brutale devient crédible, alors qu’elle avait servi de repoussoir au gouvernement May.

La fin de l’influence britannique dans l’Union européenne

C’est bien aussi ce que montrent les derniers Conseils européens qui ont longuement débattu des propositions de noms pour les postes de présidents de la Commission et du Conseil européen, de directeur de la Banque centrale européenne et du Haut représentant pour les affaires étrangères. La première ministre britannique, sur le départ dans son pays, n’a pas pu peser dans les négociations, mettant finalement le Royaume-Uni hors jeu avant même le Brexit.

La sortie de l’Union européenne est donc inéluctable et enfin claire. Reste une inconnue : avant ou après Halloween. Le cauchemar d’un choix démocratique n’est pas encore tout à fait terminé.

Sur le web-Article publié sous licence Creative Commons

  1. Professeur de droit public, Sciences Po Strasbourg — Université de Strasbourg.
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  • Un bon constat, mais juste un constat de plus…

    Pas plus qu’ailleurs le moindre début de solution à ce bordel sans nom !

    Ce n’est pas un reproche, qui serait en mesure d’entrevoir les modalités d’une issue ?

    • Le ton est tout de même « pro-UE » !

      Illustrer la crise économique et politique provoquée par le Brexit avec un reportage de Ouest-France sur les agriculteurs écossais est significatif. L’accord avec le Mercosur fait bien pire et pourtant The conversation n’en fera pas son thème principal.

      Autre exemple, pour le « backlash », une fermeture des frontières avec la GB serait défavorable à l’Irlande. Le Backlash a été justement imposé par l’UE pour faire pression sur les accords. Mais les anglais pourraient laisser la situation pourrir pour les irlandais, qui pourrait exiger la solidarité européenne. Et d’ailleurs, il existe une solution par la mise en place d’une frontière exclusivement maritime…

      Encore : L’Allemagne a un bénéfice commerciale important : voudra-t-elle le perdre ?

      Le problème ne vient pas de l’absence de modalités, mais de la volonté de l’UE de faire payer le Brexit.

  • Les anglais, majoritairement, veulent récupérer leur indépendance et leur liberté vis à vis de cette europe technocratique non élue.
    Ils sont, je crois, prêts à en payer le prix (6-12 mois de récession), tant il est vrai que la liberté n’a pas de prix.

  • En tout cas, le UK n’est pas sorti de l’auberge dans laquelle il s’est fourré.
    DesUnited Kingdom, DUK ❓

  • « Celle-ci n’a pas vu venir le danger tant elle était sûre d’avoir négocié le meilleur accord possible). »
    Vous êtes gentil. May était une remainiste. Les négociations qu’elle a menées avec l’EU pour conserver une ouverture entre les 2 Irlandes revenaient à accepter que l’EU impose au RU certaines de ses directives et réglementations. En gros, le RU, bien que sorti de l’EU, aurait du continuer à en respecter les règles. En particulier, l’EU voulait empêcher le libre-échange du RU avec le reste du monde. Belle tentative de « remainisation » rampante mais ratée. Cela n’est pas passé. Si la majorité a voté le Brexit, ce n’est pas pour se voir toujours imposer les règles européennes sans les quelques maigres avantages qu’ils pouvaient en retirer.
    L’EU est plus mal que le RU dans cette histoire. Une frontière a l’étanchéité que les Etat veulent bien lui donner. Si le RU et l’Irlande ne mettent à la frontière que leurs douaniers myopes, presbytes et astigmates, la frontière entre les deux Irlandes restera très proche de ce qu’elle est actuellement. Et l’EU n’aura pas vraiment de leçon a donner quand on voit la passoire qu’est la frontière européenne en Méditerranée et en Mer Egée.
    L’Irlande pourrait même devenir la plaque tournante de la fuite des capitaux de l’EU vers le paradis fiscal anglais que le RU ne manquera pas de cultiver…

  • Cet article raconte une histoire qui a peu à voir avec la réalité.

    May a tout fait pour que le brexit n’ait pas lieu. Elle y était farouchement opposée. Elle a négocié pour échouer, pour faire échouer son propre pays, parce qu’en bonne pseudo-démocrate, elle était contre la décision de la majorité.

    Les choses sont claires : il n’y a rien à négocier. Il n’y a pas de facture du brexit, ou plutôt si, l’UE doit rembourser la GB de ses engagements financier dans les institutions européennes puisqu’elle n’y participe plus. Enfin, la frontière irlandaise ne pose de problème qu’à l’Union européenne, pas à la GB. Si l’Europe renonce à ses barrières douanières, il n’y a vraiment rien à négocier. C’est un boulevard qui s’ouvre pour les brexiteurs, tandis que les extrémistes de l’EURSS sont en panique.

    « Le cauchemar d’un choix démocratique » : l’aveu, enfin. Tout est clair.

  • Pour les anglais ça ressemble à l’affaire Dreyfus, les uns contre les autres, les pour et les contre , et nous on attend la fin de l’histoire.

  • La ligne du parti conservateur depuis Cameron est la ligne « One Nation », soit un saupoudrage plus ou moins malhabile d’étatisme compassionnel, un vrai bordel idéologique incompréhensible pour tous les électeurs. C’est à peu près aussi efficace politiquement que du Sarko. Les impôts n’ont jamais été aussi élevés. Le prochain leader va enterrer cette notion et revient à des doctrines plus libérales, en tout cas, en ce qui concerne l’économie, la libre entreprise et la propriété privée. Un comble que CP ne le mentionne pas. Sachant que le prix de l’échec de ce futur gouvernement Tory serait un gouvernement Corbyn, marxiste, autoritaire et antisémite. Le Brexit n’est pas le débat. No deal, c’est tout, et ca va tanguer. Le post Brexit est le débat, avec le paradoxe que si Corbyn accède au pouvoir, l’UE sera presque complétement dépourvue de moyens pour contrer sa dérive autoritaire. A ce titre, les postures psycho rigides des technocrates EU, le traitement infligée actuellement à la Suisse, sont tous autant de très mauvais signaux. Nous sommes en train de tourner le dos a la raison.

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