Cyberpunk 2077 : polémiques ridicules et débats d’avant-garde

Les parangons de bien-pensance trouvent toujours un motif pour appeler à l’entassement de bois vert en vue du bûcher. Aujourd’hui, Cyberpunk 2077, le jeu de CD Projekt qui promet de révolutionner le genre.

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Keanu Reeves, John Wick Red Carpet, Fantastic Fest 2014 Austin, Texas 2014-19.jpg By: Anna Hanks - CC BY 2.0

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Cyberpunk 2077 : polémiques ridicules et débats d’avant-garde

Publié le 27 juin 2019
- A +

Par Dern.

L’E3, Grand-Messe annuelle du jeu vidéo mondial, vient de se terminer et peu de sorties prévues ont été aussi commentées que celles du déjà culte Cyberpunk 2077. Ce jeu vidéo produit par le studio CD Projekt, le Polonais qui nous a déjà donné The Witcher 3, est inspiré du jeu de rôle Cyberpunk 2020, sorti lui en 1990. Keanu Reeves, apparu dans la bande-annonce du jeu, est déjà devenu un mème en ligne, obnubilant internet pendant plus d’une semaine entière, ce qui relève de l’exploit.

Ce jeu de rôle et le jeu vidéo qui en découle correspondent parfaitement aux canons du genre cyberpunk, dont ils portent le nom. Dans un futur presque apocalyptique, l’humanité en sursis se modifie et s’augmente par le truchement d’une technologie transhumaniste, largement dispensée par des mégacorporations de plus en plus riches et totalitaires. Cette vision pessimiste du futur dépeint des problèmes tels que la pollution, la violence endémique, le décalage qui s’accentue entre classes dirigeantes et piétaille, ou la surpopulation dans des métropoles de plus en plus bondées.

La technologie y avance plus vite que la réflexion autour de ces augmentations, et on fait changer ses yeux comme on achèterait un nouveau portable.

Tous les univers cyberpunks sont gangrenés par l’ultra violence, et les notions aussi humanistes que les droits de l’Homme ou les droits en général n’ont pas droit de cité. Ces univers incarnent la lutte pour la survie dans une ambiance désenchantée, sans religion ni même la perspective d’un futur meilleur grâce à la science, qui n’a rien apporté de bon pour l’Homme (ou le cyborg) de la rue.

L’esthétique de la laideur

Pour vous donner une idée de l’environnement esthétique, il faut vous référer à des œuvres bien connues qui ont pu parfaitement dépeindre l’ambiance régnant dans ces dystopies pas si futuristes que ça : les films Blade Runner, Total Recall, plus récemment la série Altered Carbon ou le manga Akira.

Dans tous les cas, l’adaptation visuelle de ce genre, que ce soit au cinéma ou dans les jeux-vidéo s’est toujours assortie d’une attention extrême à l’esthétisme. Ne risque-t-on pas d’en arriver à rechercher inconsciemment ce type de société dysfonctionnelle par volonté de développer l’esthétique afférente ? La laideur de la société contraste avec les visuels époustouflants dont nous gratifie le genre cyberpunk et ses adaptations.

Le genre en lui-même amène une réflexion profonde sur les peurs de notre époque, comme un facteur de réflexion à l’échelle d’une société. Après tout, chaque temps véhicule ses peurs latentes et des dérives qui peuvent devenir réellement impactantes si on leur laisse prendre trop d’ampleur.

L’univers prometteur

Le jeu Cyberpunk 2077 brosse le portrait d’une société dans laquelle tout est permis, et, plus extrême encore, peu de choses sont impossibles. Changer de sexe ? La routine. Pirater à distance les implants bioniques de ses adversaires ? Classique. Il existe juste une petite contrepartie : la cyberpsychose. À trop se faire implanter et modifier, on devient paranoïaque et violent. Le héros que vous incarnez, V, et celui incarné par Keanu Reeves, Johny Silverhand, vont tout tenter pour faire tomber les Mégacorps qui ont la main sur Night City, la ville où se déroule l’intrigue, et qui profitent de ces modifications que s’appliquent les habitants.

De quoi susciter des problématiques lourdes, des questionnements profonds sur notre société et des remises en cause sur certaines de nos visions parfois angéliques du progrès pour le progrès.

Mais tout ceci ne compte pas vraiment. Il fallait que le Camp du Bien vienne illuminer ce débat passionnant pour notre avenir proche de l’une de leurs dernières trouvailles.

Polémique autour d’une femme transgenre

La polémique a débuté autour d’une affiche de publicité présente dans les screenshots sortis du jeu. L’une des publicités faisant la promotion d’une boisson aux multiples goûts met en scène une femme transgenre. Comme tout ce qui s’affiche sur une publicité, et de surcroît comme beaucoup de personnes dans cet univers, la femme transgenre est ultra sexualisée. Mais voilà qui n’a pas plu aux défenseurs de la Vertu moderne : il ne suffit pas de banaliser le transgenrisme, il faut le faire d’une certaine manière qui leur convient.

Le sujet du crime

Alors même que le jeu vous permet de changer de sexe et que cet acte n’a aucune incidence sur la manière de jouer, les parangons de bien-pensance trouvent toujours un motif pour appeler à l’entassement de bois vert en vue du bûcher. Pensons bien que s’il n’y avait pas eu de personne transgenre représentée, la polémique aurait été au moins aussi conséquente.

La créatrice de cette image publicitaire, Kasia Redesiuk, s’est exprimée sur le sujet : « Personnellement, pour moi, cette personne est sexy. J’aime l’apparence de cette personne. Cependant, ce modèle est utilisé – leur beau corps est utilisé – à des fins corporatives. Il est affiché comme un objet, et c’est le plus terrible. »

Puis elle poursuit en explicitant que justement, cette hyper-sexualisation est afférente à l’univers cyberpunk et permet de banaliser justement le transgenrisme :

« Cyberpunk 2077 une dystopie où les mégacorporations dictent tout. Elles tentent d’influencer la vie des gens. Elles créent ces publicités très agressives qui utilisent et abusent des besoins et instincts de nombreuses personnes. L’hyper-sexualisation est donc omniprésente, et dans nos publicités, il existe de nombreux exemples de femmes hyper-sexualisées, d’hommes hyper-sexualisés et de personnes hyper-sexualisées. »

« Tout cela pour montrer que l’hyper-sexualisation dans les publicités est tout simplement terrible. C’était un choix conscient de notre part. »

On assiste bien à une dénonciation des pratiques des grands groupes publicitaires, mais la Team Progrès a fait une alliance tacite avec la Team Premier Degré et a trouvé le moyen de s’offusquer de cette prise de position. Sans doute inconsciemment à travers leur grille de lecture idéologique, le Camp du Bien nous empêche d’avoir accès aux thématiques profondes et réelles que nous propose le jeu Cyberpunk 2077.

La création, la fiction et la réalité

La deuxième polémique ayant agité le jeu est venue par un certain Matt Cox, rédacteur au très connu Rock Paper Shotgun, un célèbre site chroniquant les sorties de jeux PC. Matt Cox ayant manifestement beaucoup trop de temps libre a étudié avec soin la dernière démo jouable à laquelle il a pu participer. Il décrit sa répulsion devant le nom d’un gang, appelé les Animaux, et le décrit comme raciste de par ce nom et le fait qu’il contienne certaines personnes de couleur… Et qu’il arrive que l’on doive en abattre car ce sont des antagonistes dans le jeu.

Quelle est la part de réalité à laquelle une fiction ne peut déroger ? Le genre cyberpunk ne peut se détacher d’une part de lien avec la réalité, puisqu’il est censé décrire notre futur. Mais la réalité à laquelle il doit fidélité est surtout la sienne : le souci de cohérence interne de l’univers est encore plus important que ses attaches avec notre monde moderne. Aussi, y importer nos propres problématiques toutes entières est incorrect et ne nous permet pas d’analyser l’univers en question.

En tous cas, le créateur du jeu original, Mike Pondsmith, un Afro américain lui-même, a tranché la question : « Concernant le gang des Animaux, le truc c’est qu’ils s’imaginent être des ANIMAUX PUISSANTS, DANGEREUX, ET SAUVAGES. Je pensais que le nom de « Lady Sasquatch » [de la cheffe de gang] aurait donné une indication. P*****, pour qui vous prenez-vous pour ME dire si ma création est bien adaptée ou non ? »

Voilà qui devrait, espérons-le, clore le débat pour un petit moment.

Non aux faux débats

Le cyberpunk en général et le jeu de CD Projekt en particulier, sont vecteurs de problématiques passionnantes et profondes, et nous devons refuser que des inquisiteurs viennent nous polluer avec des questionnements pour savoir si oui ou non la femme avec un pénis sur une affiche de publicité est bien mise en valeur selon leurs canons ou non.

Le genre cyberpunk est un appel à prendre garde aux dérives et tendances lourdes de la société. Mais il semble falloir remettre quelques pendules à l’heure.

Car tout ce qui est dit ou fait dans une fiction cyberpunk n’est pas forcément un message. À vouloir décortiquer jusqu’à la moelle chaque pixel que nous propose le jeu cyberpunk, à tout lire selon une grille de lecture actuelle et unique, on se ferme à toutes les problématiques que veut apporter le jeu et son histoire.

Les nouveaux Inquisiteurs

Pire, à s’offusquer de ce qu’on croit lire entre les lignes, on se transforme en personne de doctrine et on quitte le champ du débat d’idées. « Donnez moi six lignes de la main du plus honnête des hommes, disait le Cardinal Richelieu, et je trouverai de quoi le faire pendre ». On pourra toujours trouver motif à condamner ou s’insurger lorsque l’on répond à ce que l’on croit être un impératif moral.

 

Aujourd’hui, lorsque l’on fait de la création visuelle (oui, le Camp du Bien critique plutôt les visuels que les livres, plus embêtants à cause de toutes ces petites lettres), il faut avoir le cœur bien accroché et être prêt à répondre à toutes les accusations de blasphèmes.

Ou envoyer valser cette nouvelle religion et tous ses Inquisiteurs de malheur. En attendant, nous avons des questions à nous poser : le cyberpunk est-il notre futur annoncé, ou pouvons-nous changer le cours des choses – et comment ?

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  • Le futur ?
    Quelle horreur !

  • « le cyberpunk est-il notre futur annoncé, ou pouvons-nous changer le cours des choses – et comment ? »

    Non, notre futur c’est Idiocratie mélangée à la sauce dictature marxiste

    • Vu la promotion du marxisme social par les megacorps à la Alphabet ou Facebook, les deux propositions ne sont pas mutuellement exclusives.

  • En fait très rares sont les auteurs (et les autres) en mesure d’imaginer un futur.
    Du coup ils ne font que transposer le présent dans le futur; et comme le présent ne présente pas pas le visage le plus amical…

    Il s’agit donc pour les auteurs/créateurs de prendre quelques comportements isolés dans la société et de les attribuer à l’ensemble de la population.

    Je pense au petit recueil de William Gibson, ‘Fragments de Rose en Hologramme’, dont les textes ont été écrits entre 77 et 85, qui a révélé aux nombreux lecteurs que ce qui semble être des lubies de quelques uns peut devenir un jour la normalité, surtout avec le recul…

    Seulement voilà, il ne suffit plus que les auteurs se réfugient dans le futur pour laisser libre cour à leur imagination, les cons étendent leur nuisance au delà du temps.

  • Ca donne de plus en plus envie d’y jouer à ce jeu.
    Et qu’il rencontre un énorme succès.

  • Très bon article. C’est toujours frustrant quand des critiques ne cherchent pas à comprendre la vision du créateur. N’oublions pas qu’un jeu est avant tout un divertissement.

  • J’ai toujours pas compris, l’expression le « Camp du Bien » désigne qui exactement ? La Gauche ? Tout libéral, moi le premier, est d’accord pour dire que la Gauche c’est de la merde, qu’elle est en grande partie régressive, puritaine, intolérante, autoritaire, contreproductive, etc… Mais posons-nous cette question : est-ce que c’est seulement la Gauche qui s’oppose de façon hystérique plutôt que constructive aux pubs où apparaissent des personnes ( en l’occurence des personnes transgenres ) «sexualisées» /«objectivisées» ?

    Dern (l’auteur de l’article) sait très bien que non, mais refuse une fois de plus de critiquer la Droite aussi farouchement qu’il critique la Gauche. Dern sait pertinement que les conservateurs (rappel : même si le conservatisme dont les islamistes se réclament n’est pas occidental, cela n’en demeure pas moins un conservatisme) sont eux aussi catégoriquement opposés à de telles pubs, qu’ils deviennent eux aussi hystériques/impossible à raisonner face à elles, mais Dern préfère jour après jour fustiger un « Camp du Bien » qu’il ne prend jamais la peine de clairement définir.

    Le point important dans l’article est la phrase : « Pensons bien que s’il n’y avait pas eu de personne transgenre représentée, la polémique aurait été au moins aussi conséquente. » Posons-nous, après avoir soigneusement décortiqué cette phrase, une nouvelle question : est-ce que des conservateurs ou des islamistes se seraient lamentés qu’il n’y ait pas de personne transgenre représentée ? Bien sûr que non ! Ils auraient au contraire jugés que cette absence est une excellente chose, même dans le cas où elle rend l’oeuvre moins réaliste.

    On résume : pendant que Dern se plaint, à juste titre, que la Gauche est intolérante parce qu’elle n’accepte de voir des transgenres ou des minorités ethniques que sous certaines conditions (en l’occurence : les transgenres ne doivent pas être «objectivisés» ), Dern feint d’ignorer que la Droite quant à elle en est encore au stade de se demander si voir des transgenres (reconnaitre le fait qu’ils existent) est acceptable.

    • Ou sont les réactions indigné de la droite contre la présence de transgenre dans cyberpunk 2077? a bien des égards la droite et les conservateurs sont plus tolérant que la camps du bien et ne cherchent pas, pour la plupart, à imposer leurs vue sur la société mais tout simplement l’inverse, ne pas se voir imposer une morale et des comportement qui’ils réprouve (et c’est leur droit le plus total). On appel le camps du bien ainsi parce qu’il est tout simplement impossible de s’opposer à leur agissements sans être diabolisé…

  • Les commentaires sont fermés.

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