Les Gilets jaunes désespérés sont les plus beaux

La phase classique des manifestations des Gilets jaunes est terminée. Mais ils ne baissent pas les bras. Car la cause de leur révolte est légitime. OPINION

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
Paris, Gilets Jaunes - Acte IX By: Olivier Ortelpa - CC BY 2.0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Les Gilets jaunes désespérés sont les plus beaux

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 24 juin 2019
- A +

Par Philippe Bilger.

Je suis inconséquent, j’en ai conscience, mais qu’on me comprenne bien : cette multitude de samedis où les Gilets jaunes ont protesté pour démontrer qu’ils existaient et qu’on ne les ferait pas rentrer dans la boîte de leurs territoires perdus, ne me manquent pas. En revanche je continue à juger légitime leur révolte initiale et leur cause dans son principe.

Mais c’est la fin de leur contestation classique.

Avec son lot de violences, où j’inclus les tensions, les insultes et le harcèlement subis par les forces de l’ordre, et les violences illégitimes perpétrées par celles-ci et qui feront l’objet de renvois devant le tribunal correctionnel, voire d’instructions criminelles quand les enquêtes diligentées par l’IGPN auront livré leurs conclusions validées ou non par le Parquet.

Une minorité de Gilets jaunes souhaite que s’ouvre une nouvelle phase à partir d’aujourd’hui, qui reviendrait à mener une politique de blocages partout : raffineries, grandes surfaces, entreprises et administrations.

On peut y voir le souci d’inventer des modalités de lutte plus opératoires mais, plus profondément, une tentative sans doute désespérée de ne pas laisser mourir la flamme, comme un chant du cygne s’efforçant encore de se faire entendre. Peut-être le désir aussi de ne pas laisser s’éteindre, entre eux, une fraternité qui n’était pas que celle de la misère ou des fins de mois difficiles mais tenait aussi à la conscience d’une humanité retrouvée, restaurée dans sa dignité et son utilité.

Parce que, si je n’ai jamais sous-estimé les réponses quantitatives que le pouvoir leur a concédées et, avant, le Grand débat national qu’ils ont imposé au président, aussi habile qu’ait été son exploitation par ce dernier, je constate qu’il ne s’est pas agi d’un pactole pour les Gilets jaunes — l’état de la France n’aurait pas été en mesure de l’octroyer — mais qu’on a tenté de les combler avec de la générosité verbale, une surabondance d’excuses démocratiques, une certaine reconnaissance pour n’avoir menacé qu’avec le vent du boulet…

Ils n’ont pas pu ignorer, en même temps que l’expression d’un grand ouf de soulagement, qu’on se repentait, qu’on n’avait pas compris, qu’on n’avait rien vu venir. Même l’épouse du président a apporté sa pierre à cette contrition générale, pour elle-même et pour nous persuader encore davantage de la sincérité et de la lucidité tardive, l’effervescence apparemment dissipée, d’Emmanuel Macron. Il y a un peu de condescendance dans cette désolation républicaine offerte avec profusion parce qu’elle ne coûte rien.

On perçoit à chaque instant, dans les discours, dans l’assurance retrouvée, dans les mesures projetées, que le pouvoir a repris la main, qu’une page atypique et donc plus inquiétante que les conflits orthodoxes, a été tournée.

Car, pour le reste, même là où leurs revendications citoyennes avaient du sens — non pas réduire la démocratie représentative mais l’amplifier avec l’instauration d’un RIC qu’il aurait fallu aménager — ils n’ont pas été entendus. On s’est contenté de leur tendre un RIP pour les apaiser, rendu immédiatement plus facile mais rapidement corseté pour éviter à l’avenir la mésaventure liée à la privatisation très discutée d’ADP.

C’est donc peu, infiniment peu qui résulte de ces sept mois. Je ne crois pas que le début des blocages, si le mot d’ordre est respecté, suscitera comme un second souffle et en tout cas je doute que l’État, les Gilets jaunes à terre, se préoccupe de leur sort à venir. Il ne reprendra pas sur son métier une tâche que tout lui désigne comme terminée.

Les Gilets jaunes manqueront à très peu de monde si on exclut leurs irréductibles partisans mais je m’étonne d’éprouver une sorte d’inquiétude crépusculaire à l’idée que le pouvoir oublie vite, trop vite, les leçons que leur France a enseignées — d’abord celle que le bas et le haut n’ont aucun sens en République et que la politique est de servir équitablement, au regard de leurs besoins respectifs, le premier comme le second.

Sur le web

Voir les commentaires (12)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (12)
  • Merci Monsieur Bilger pour ce très beau texte plein d’empathie, d’humanité et d’intelligence du problème. Pourra-t-il redonner un peu d’espoir à ceux des GJ qui ont abandonné le combat ?

  • Les prix des énergies peuvent à nouveau s’envoler avec les taxes qui vont vite rattraper le temps perdu de la révolte des gilets jaunes.
    Les français qui souhaitent se déplacer sans utiliser les wagons à bestiaux étatiques vont continuer à se faire tabasser fiscalement et réglementairement à la grande satisfaction des bobos de centre ville en général et parisiens en particulier. Les fachos verts prévoient de limiter l’accès à l’avion et à la voiture. Bref, c’est trop cher et trop dur de monter un mur tout autour du pays, mais si nous sommes assignés à résidence…
    Un peu de patiente, et nous allons bientôt entendre parler de camp de vacances pour l’été : travail au champs pour connaître la nature, travail de restauration pour conservation du patrimoine, etc.
    Déplacements en train tout confort avec wagons « chevaux 8, hommes 40 ».

    • Aucun problème de fond n’a été résolu, mais les médias aux ordres sont chargés de la propagande: tout va bien…

  • A étouffer les révoltes pacifiques (ce qui était le cas au début), on prépare les révolutions violentes.

    • Et alors ? Il y a aussi beaucoup de gens qui ont gros à gagner dans une révolution violente, ou au moins qui le croient. D’ailleurs la révolte pacifique s’est étouffée toute seule, en oubliant qu’il fallait défendre les baisses de taxes indépendamment de la richesse des bénéficiaires et refuser l’écologie punitive. Contrairement à ce qu’on leur prête complaisamment, les gilets jaunes initiaux ne savaient pas ce qu’ils voulaient, ils ne savaient que ce dont ils ne voulaient pas. Ils en étaient tellement faciles à manipuler que même Macron y est parvenu. Ils ne sont pas légitimes pour une action violente, et se sont décrédibilisés pour toute réforme pacifique.
      CPEF.

  • C’est fou, vous n’avez toujours pas compris qu’il n’y a aucun rapport entre les gilets jaunes que vous voyez dans la rue, et le libéralisme. Ceux qui manifestent sont pour 95% animés par des idées d’extrême gauche sur le plan économique au moins et demandent plus de redistribution, de « justice » fiscale, moins de capitalisme, etc… Alors certes le mouvement initialement est parti d’un raz le bol de gens pauvres qui se voyaient imposés d’une taxe supplémentaire, mais ce n’était pas les taxes le problème, c’était qu’on les taxes eux.
    En aucun cas il ne s’agit d’un soubresaut libéral. Souvenez vous quand même qu’une des premières revendications était le retour à l’ISF.

    • Non, ça c’est ce qu’ont dit les médias rappelés à l’ordre par l’Elysée suite à ce que disaient les premiers GJ sur les plateaux télé: moins d’impôts et de taxes et plus de démocratie.
      Ce qui a coagulé l’extrême gauche sur le mouvement initial.

      • Mouvement initial qui n’a pas mis sur ses banderoles ni écrit sur ses gilets sur les ronds-points autre chose que ce que les médias disaient, sur ordre prétendez-vous. Je ne remets pas en doute les intentions de certains, mais ils ont toujours représenté une infime minorité bien qu’ils ne veuillent pas le reconnaître. Et les résultats sont là, +4 points de popularité pour Macron ce matin…

    • Ramener les demandes des GJ à celle d’une mouvance de gauche est très réducteur.
      Il y a eu trois phases dans le mouvement :
      1. Une fronde anti-taxes qui est partie d’un ras le bol des automobilistes (le PM a bien « préparé » les choses avec le 80 km/h, suivi du CT durci et de la taxe carbone sur des prix déjà hauts)
      2. Une demande de justice fiscale et sociale
      3. La volonté de pérenniser le pouvoir démocratique, de la rue diront certains, avec le RIC
      Le mouvement des GJ est multiforme et très large politiquement (de l’EG à l’ED). On a pu y voir des petits patrons excédés par les prélèvements fiscaux, des mères célibataires, des ouvriers, toutes sortes de gens qui tirent le diable par la queue. Leur point commun n’est pas le gauchisme mais d’être les victimes d’une fracture territoriale, les oubliés des politicards urbains et bobos, les petites gens qui vivent dans l’angle aveugle de la République…
      L’insurrection a surgi du monde rural et peri-urbain et a pris pour cible les métropoles et leur tendance à vivre en vase clos (prix de l’immobilier, politique autophobe, etc) et la première d’entre elles, Paris, qui cumule de ce point de vue toutes les tares.
      Ca n’est pas une révolte gauchiste, une exigence libérale, ou encore une revolution démocratique. C’est tout cela à la fois et bien plus que cela.
      C’est le symptome d’une France malade, dans sa politique, dans sa prise de décision, dans son autisme technocratique…
      A entendre les dernières déclarations d’un Macron qui se livrait sur le mouvement des GJ, j’ai l’impression que ni lui ni son gouvernement n’a vraiment pris la mesure du problème (on voit d’ailleurs revenir des decisions qui avaient été mises sous le tapis au plus fort de la crise). Rien n’a donc vraiment été réglé.

      • on appelle ça du mécontentement…à mon opinion, cela traduit un problème français..les gens ne réalisent pas que l’etat est le problème.
        une impasse.

  • C’est dans une revue très libérale que Monsieur Bilger demande à l’état d’intervenir pour répondre aux demandes souvent contradictoires des GJ.

  • * Beau texte mais 1 blogeur -Trouble Fait – a déjà ficelé 1 vidéo pour répondre sur le devenir des Gilets Jaunes :  » Macron fabriquerait son échafaud ? En bon pompier pyromane, Macron se plaint de la violence des Gilets Jaunes, alors qu’il ne leur laisse aucune autre alternative. Ce dilemme « Macron ou le chaos » est un pari risqué qui pourrait, un jour, lui être défavorable » … https://www.youtube.com/watch?v=n55adOzVUoc&fbclid=IwAR3aznSXBstwmIVgMLvvZ_qZh5ac3gGduRDdkNHLiTGwUpp2ZZ2-w8UMOpw

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don
7
Sauvegarder cet article

Notre nouveau et brillant Premier ministre se trouve propulsé à la tête d’un gouvernement chargé de gérer un pays qui s’est habitué à vivre au-dessus de ses moyens. Depuis une quarantaine d’années notre économie est à la peine et elle ne produit pas suffisamment de richesses pour satisfaire les besoins de la population : le pays, en conséquence, vit à crédit. Aussi, notre dette extérieure ne cesse-t-elle de croître et elle atteint maintenant un niveau qui inquiète les agences de notation. La tâche de notre Premier ministre est donc loin d’êtr... Poursuivre la lecture

Le fait pour un gouvernement de solliciter et d’obtenir la confiance de l'Assemblée contribue à la prévisibilité, la stabilité et la sincérité de l’action publique, et cela devrait être reconnu comme indispensable.

Le 30 janvier dernier, Gabriel Attal a prononcé son discours de politique générale, sans solliciter la confiance de l’Assemblée, avant qu’une motion de censure soit soumise, puis rejetée le 5 février. Le gouvernement Attal, comme le gouvernement Borne avant lui, a donc le droit d’exister, mais sans soutien de la chambre.

... Poursuivre la lecture
8
Sauvegarder cet article
« Je déteste tous les Français »

Le 3 février dernier, un immigré malien de 32 ans, Sagou Gouno Kassogue, a attaqué au couteau et blessé grièvement des passagers de la Gare de Lyon. Finalement maîtrisé par l’action conjuguée des passants, des agents de sécurité et des membres de la police ferroviaire, l’homme en garde à vue a été mis en examen pour tentative d’assassinat aggravée et violence avec armes aggravée.

Les premiers éléments de l’enquête dévoilés par le préfet de police de Paris révèlent les discours conspirationnistes d’un in... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles