« Réguler la concurrence » : l’exemple américain

Le politique aime réguler : cela lui donne l’illusion de maîtriser ce qui lui échappe. Mais son objectif n’est pas de favoriser la concurrence.

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« Réguler la concurrence » : l’exemple américain

Publié le 17 juin 2019
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Par Erwan Le Noan.
Un article de Trop Libre

Le 4 juin, la présidente démocrate de la Chambre des Représentants des États-Unis, Nancy Pelosi, a écrit un tweet offensif contre les géants de la tech : « L’ère de l’autorégulation est finie ». Dans le même temps, et alors que le Congrès annonçait l’ouverture d’une enquête, la presse annonçait que les autorités gouvernementales en charge de la concurrence, la Federal Trade Commission et le ministère de la Justice, s’étaient réparti les cibles : Amazon et Facebook pour la première, Apple et Google pour le second.

L’union d’une partie des Démocrates et des Républicains sur le sujet est doublement révélatrice.

D’abord, d’un moment politique hostile au big business : les uns et les autres inscrivent leurs démarches dans une perspective de confrontation directe entre les champs économique et politique. Leur message sous-jacent semble guidé par la volonté d’affirmer qu’en démocratie, c’est la représentation politique qui impose ses choix, fussent-ils irrationnels, et non le marché qui dirige. Après quelques décennies de disruption par la mondialisation et la révolution digitale, c’est la revanche du politique.

Ensuite, parce que cette offensive est profondément incohérente. Là où les uns valorisent les petites entreprises dans une perspective conservatrice de préservation du tissu économique d’hier, les autres défendent des arguments où perce une défiance générale vis-à-vis de l’économie capitaliste. Là où Elizabeth Warren, sénatrice Démocrate classée très à gauche, rêve de démanteler les géants du web (qui selon elle menaceraient la démocratie), le Président Trump, lui, ne cache pas son hostilité à Amazon et autres qu’il accuse de promouvoir la cause progressiste.

Dans ce débat, l’émotion et la passion ont souvent remplacé le raisonnement construit. Et pour cause : la popularité des géants d’Internet s’est récemment effondrée aux États-Unis (Google perdant 13 places et Facebook 43 dans le classement des marques préférées des Américains).

Le temps politique n’est cependant pas celui du marché et souvent la réaction des régulateurs intervient à contretemps.

Autorité politique

En remettant toujours plus en cause l’équilibre économique antérieur, les GAFA suscitent les craintes et le ressentiment. Ce n’est pas nouveau : à la fin du XIXe siècle, le chemin de fer et le télégraphe ont bouleversé le commerce américain. Alors que les boutiquiers dénonçaient la concurrence de la vente par correspondance, les bouchers de Chicago s’indignaient de ce que la viande pouvait désormais arriver de loin par train. Ces inquiétudes, retentissant sur les élus, ont conduit à l’émergence du droit «antitrust». Là aussi, le politique réaffirmait son autorité.

Le temps politique n’est cependant pas celui du marché et souvent, la réaction des régulateurs intervient à contretemps. Plusieurs auteurs ont ainsi expliqué que lorsque la Standard Oil de Rockefeller a été démantelée, sa part de marché avait déjà baissé (de 88 % en 1898 à 65 % en 1911).

Aujourd’hui, le même phénomène pourrait être à l’œuvre : les derniers résultats de Google ont montré un ralentissement dans son activité publicitaire, Amazon attaquant le marché et étant devenu aux États-Unis le premier moteur de recherche pour les produits de consommation.

Le politique aime réguler : cela lui donne l’illusion de maîtriser ce qui lui échappe. Si son objectif était réellement de stimuler la concurrence, il devrait aussi s’intéresser à lever les barrières à l’entrée des marchés et stimuler la compétitivité, par la fiscalité, l’enseignement et l’innovation.

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  • Le politique aime réguler : cela lui donne l’illusion de maîtriser ce qui lui échappe.

    Le politique s’est transformé en illusionniste. Par conséquent l’électeur, fasciné, ne lui échappe plus.

  • Le Probleme c est que pour bien focntionner le capitalisme necessite la concurrence. et que les grosses societes elles preferent justement eliminer la concurrence (par ex en rachetant leurs concurrents ). SI Facebook a achete Instagram par ex c est bien pour eliminer un concurrent potentiel

    donc il y a bien un moment ou il faut agir si on ne veut pas se retrouver avec une societe en quasi monopole

    • Enfin, je pense que si Facebook a acheté Instagram, c’est parce que ce dernier était à vendre. La vente des entreprises par leurs propriétaires n’est pas une obligation.

    • C’est parce qu’il existe deux marchés parallèles : le marché économique (prix, innovation, fusion-acquisition) et le marché politique (lobbying, connivence, corruption). Un peu comme les 2 faces d’une personne. Dans le marché politique il y a aussi la concurrence des électeurs (salariés, fonctionnaires, chômeurs, artisans, étudiants, retraités).
      Des règles claires, c’est à dire une constitution basée sur les libertés individuelles, une séparation des pouvoirs et un pouvoir politique décentralisé, et vous limiterez les débordements/dysfonctionnements majeurs. Autrement dit limité l’Etat au régalien.

      • C’était le cas pourtant aux premiers temps des USA, mais l’état fédéral a réussi à empiéter sur tout sous l’impulsion de la gauche. Obama est allé jusqu’à réglementer l’accès aux WC des transgenres (comme quoi le ridicule ne tue pas un intellectuel) !

      • @indivisible: Comme si la justice n’était pas déjà utilisée comme levier pour garder son monopole…

    • Il n’y a de moment où il faut agir que si l’action est susceptible de corriger les défauts existants plus que d’en créer de nouveaux.

  • Si ces phénomènes nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs.

  • Cet article a le mérite de poser clairement la question des frictions qui meuvent exister entre l’autorité politique et le pouvoir économique.
    Au sein d’un pays, Etats-Unis ou autre, une saine concurrence est souhaitable comme facteur d’émulation et de progrès, sans doute avec une limite qui interdit les positions dominantes durables.
    Au niveau international, on ne peut méconnaître que les plus grosses entreprises peuvent acquérir un pouvoir qui surpasse celui des Etats, se traduisant par des connivences, voire de la corruption pour influencer les lois. Quid de la démocratie?

    • A priori, la corruption est partout un crime. A la Justice de faire son travail … Ah, on me dit que bien souvent la Justice est dans la main des politiques … En effet c’est embêtant.

      • Si il y a corruption c’est qu’il y a des corrompu, c’est eux les vrai responsables pas les corrupteurs qui ne cherchent après tout qu’à obtenir des avantages de la part de ceux qui ont le pouvoir de les leur donner. supprimons se pouvoir et il n’y aura plus de corruption.

  • Il faut relire deux manchettes collectors au hasard pour apprécier cet article :
    – celle de Libération : Un an après l’élection de Trump : derrière l’euphorie, une économie vulnérable
    Par Vittorio de Filippis – 3 novembre 2017 :
    « Sans aucune stratégie économique, Trump profite de la bonne santé héritée des années Obama. Mais le risque d’une énième crise financière plane toujours. »
    – celle du Monde : Donald Trump : un an de croisade commerciale, mais peu de résultats visibles Par Marie de Vergès – 27 mars 2019 qui entend dresser le « Bilan d’une année d’escalade protectionniste aux résultats encore peu probants. »
    Penser que Trump ne comprend rien à la concurrence, revient à le classer dans la catégorie des hommes politiques, qui eux ne comprennent effectivement rien à la concurrence.
    Son souci principal , issu de a pratiqué des affaires, est de tordre le cou à la compétitivité et à la concurrence déloyale, qu’elles proviennent de traités inéquitables avec des partenaires extérieurs, ou de positions dominantes monopolistiques de groupes américains.
    Cela prend plus de temps pour le faire, que de livrer des colonnes de recommandations, mais cela est en train de se faire, et qu’il s’agisse des chinois ou des patrons d’empire des GAFA, tous commencent à rire jaune

    • « profite de la bonne santé héritée des années Obama. »
      En novembre 2017, il était possible de dire cela, mais en oubliant les prédictions sombres sur l’immédiat de la présidence Trump, ou des perspectives calmes de croissance, prédites par le NYT. Cependant, la croissance et les emplois étant là, on ne peut nier un effet Trump qui dépasse l’élan d’Obama.

      « un an de croisade commerciale, mais peu de résultats visibles. »
      Il faut comprendre que le Monde picore les infos qui l’intéresse et omet beaucoup. Certes, le déficit américain ne s’est pas relevé, mais ils oublieront que (encore une fois) les prédictions catastrophiques ne se réalisent pas, et que ce qui était impossible durant Obama, s’avère être possible.

      Le problème des titres de tels journaux, c’est qu’on ignore les problèmes laissés par Obama, ainsi que la formidable évolution du reste du monde, auquel réagit les US.

      Clinton aurait brisé son plafond de verre, mais elle serait très vite tombé entre 2 murs de réalité, local et international.

    • Comme si Obama était responsable de quoi que ce soit dans la bonne santé économique des USA… lui qui à passé son temps à essayer de la saboter.

  • Il y a une grande différence entre Trump et nos (ir)responsables politiques: lui, sait ce qu’est une entreprise et ce qui lui est nécessaire pour réussir

  • Un point doit retenir notre attention: ce n’est pas un hasard si ce ont régulièrement les GAFA qui sont visées: ces entreprises ont un rôle majeur dans la communication et l’information. Or, en démocratie, qui contrôle l’information contrôle l’opinion publique, ce qui constitue un atout de pouvoir considérable.
    Certains politiciens, ou plus généralement certains pouvoirs, cherchent donc, pour cette raison, à limiter l’influence de ces entreprises, d’autres cherchent à s’en servir comme alliées. Ou jouent sur les deux tableaux suivant les circonstances.
    Le rôle politique de ces entreprises, dès lors qu’elles cherchent à « réguler » internet (pourquoi?) montre l’imbrication du politique et de l’économique…

    • @La petite bête: « …ces entreprises ont un rôle majeur dans la communication et l’information.  »

      Pas que : Ils représentent aussi l’essentiel de la progression du SP500 depuis quelques années. Ils attirent désormais l’essentiel des fonds, qu’ils utilisent pour le faire fructifier, et quoi de mieux que de protéger leurs propre monopole, pour représenter un socle de confiance.

      Bref, peu étonnant que Facebook s’intéresse à faire sa propre monnaie…

  • Le marché concurrentiel, c’est la régulation.

    C’est une régulation qui déplaît car elle ne laisse pas de place à l’arbitraire politicien et qu’elle sape la hiérarchie sociale imposée de force pour assurer le fonctionnement d’une société collectiviste (hauts fonctionnaires, membres du parti, capitalistes de connivence) Lorsque la concurrence régule, les bénéficiaires de la politique ne sont plus rien. Le politique jusqu’alors tout puissant se trouve dépouillé de son pouvoir. C’est trop horrible !

    Réguler la concurrence revient à affirmer qu’on veut réguler la régulation, ce qui est le comble du politicien collectiviste, manipulant avec ses petits doigts boudinés les leviers de la machinerie miraculeuse du socialisme « scientifique ».

    Réguler la régulation est une prétention politique insensée. C’est plutôt la politique qu’il convient de réguler, fermement : retraite spirituelle, silence et frugalité.

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