L’Europe au milieu des zombies

On a voulu faire d’un tas un tout et voilà l’Europe coincée dans la Douât. À quelques jours d’élections qui sentent le soufre, l’Europe nous confie 13 angoisses existentielles.

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Source : https://unsplash.com/photos/NMk1Vggt2hg

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L’Europe au milieu des zombies

Publié le 24 mai 2019
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Par Karl Eychenne.

Côtoyer les zombies

L’Europe doute, s’interroge sur son avenir et son passé. L’Europe est en transit, dans un espace taillé sur mesure : la Douât, ce passage où vivent les entités plus vraiment vivantes mais pas encore mortes. Autres habitants de cet espace ? Les zombies, le chat de Schrödinger, l’économie japonaise, etc. Remarquons qu’il n’existe pas de libre arbitre dans cet espace : l’autorité divine est assurée par le sorcier dans le cas du zombie, la commission européenne dans le cas de l’Europe.

Shooting dogs1

L’Europe se montre trop souvent incapable de prendre des décisions majeures pour son avenir (climat), régler des conflits passés (Crimée), ou présents (migrants). Par contre, elle vote à l’unanimité des textes trop vagues pour être clivants, ou règle des petits problèmes : « les bananes ne doivent pas avoir de courbure anormale pour être vendues ». Pour justifier une telle sclérose des autorités européennes, on invoque l’Europe à 28, mais une Europe à 6 aurait-elle fait mieux ?

Le Horla

L’Europe se balade, elle croit voir au loin une silhouette un peu maladroite, gauche, et peu sûre d’elle. Elle se rapproche et s’aperçoit qu’en fait c’est elle et qu’elle est en face d’un miroir. Ainsi, l’Europe réalise qu’elle n’est probablement pas comme elle s’imaginait : belle, riche, et forte. À moins que cela soit pire encore : l’Europe ne se reconnaît plus du tout dans le miroir, se croyant hantée par un être invisible qui la force à dépérir : « et je n’osais plus avancer, … sentant bien pourtant qu’il était là, mais qu’il m’échapperait encore, lui dont le corps imperceptible avait dévoré mon reflet ».

Quel prix suis-je prêt à payer pour vivre une minute de plus en Europe ?

Un prix élevé selon les marchés ! Si j’ai le choix entre 1 minute de bonheur certain et immédiat en Europe ou 1 minute de bonheur à venir et incertain en Europe, je préfère toujours la première solution. À moins que l’on me donne davantage de minutes de bonheur à venir et incertain pour compenser : ce nombre de minutes supplémentaires nécessaires, on appelle cela le taux d’actualisation, en finance c’est le rendement proposé par les marchés. Or, ce rendement est historiquement faible en Europe. Il est même négatif dans le cas du taux d’intérêt sans risque allemand ! cela signifierait alors que j’accorde davantage de valeur à l’Europe de demain qu’à l’Europe d’aujourd’hui…

Un passé qui bouge encore

La fabrique de l’Histoire est une arme tranchante. Confiée à la colère des peuples, elle peut produire de faux souvenirs ou faits alternatifs ; c’est alors que commencent les problèmes : le passé friable est un terreau formidable pour certaines plantes carnivores, comme les démocraties dites illibérales. Mais la défense s’organise : ainsi, selon Viktor Orbán (Premier ministre Hongrois), l’Europe a plus souvent été meurtrie par les empires que par les nationalismes.

L’imparfait du contrefactuel

« Une minute de plus, le train déraillait ». Ainsi définit-on ce temps qui n’existe pas, mais qui permet de réécrire l’histoire : l’imparfait du contrefactuel. À quoi ressemblerait l’Europe aujourd’hui, sans les empires et les nationalismes ? On se plait à imaginer que l’Europe serait devenue la plus grande puissance mondiale : sa part dans le PIB ne serait pas de 15 % comme aujourd’hui, mais de 30 %, 50 % ? Scientifiquement ? L’Europe avait tout d’une grande avant qu’Albert Einstein, John Von Neumann, ou Kurt Gödel ne partent. Mais l’exercice a ses limites, et aucune valeur scientifique.

Amnésie du futur

L’Europe semble incapable de s’imaginer un futur. Il est vrai que les amnésiques sont également affectés par un déficit de perspectives. Quand même, en supposant que l’Europe survive, à quoi pourrait-elle ressembler ? … en 2050 ? Une perte d’au moins 9 % de sa part dans le PIB mondial, elle passerait de la 3ème à la 4ème place (avec ou sans le Royaume-Uni), mais bien loin de la Chine, l’Inde et les États-Unis. Culturellement, technologiquement, politiquement ? Au rythme où vont les choses, l’Europe risque de n’être qu’une forme de poil à gratter des autres grandes nations.

Étoile du matin ou étoile du soir

Tout le monde a une vague idée de ce que représente l’Europe, mais si l’on demande à chacun de la définir, on entend : « c’est un continent, c’est un État comme les autres, c’est une nation, c’est un pays… non, c’est un archipel » (Édouard Glissant). Ainsi, le même signifié (Europe) pourra avoir plusieurs signifiants (continent, État, pays, etc.). Dans la même veine, le logicien Frege rappelait que l’on pouvait définir Vénus comme l’étoile du matin ou l’étoile du soir. Ainsi, l’Europe ne se résumera pas au signe, ni à une monnaie ; l’Europe est ineffable.

Mozart ou Wagner

Officiellement, c’est Beethoven et le final de sa Neuvième et dernière symphonie qui représente l’hymne européen. Mais l’Europe mélomane ne manque pas de prétendants : ainsi les premiers petits pas sereins de l’histoire européenne sont un peu du Mozart qui résiste au temps : « le silence qui suit Mozart, c’est encore du Mozart » (Sacha Guitry). Les heures sombres sont, elles, davantage associées à Wagner, dont l’œuvre d’art totale fut récupérée par Hitler : « quiconque désire comprendre le national-socialisme doit d’abord connaître Wagner »…

L’Europe et le microbiote

L’Europe est un super-organisme : l’holobionte. Et comme tous les super-organismes, elle est composée d’un ensemble de petites entités : le microbiote. Se pose alors la question à 1 million de dollars de la démarche scientifique : peut-on expliquer le tout par les parties (réductionnisme), ou expliquer les parties par le tout (holisme) ? L’Europe transcende-t-elle la somme de ses parties ? Ou bien se subsume-t-elle seulement à elle ? Tant qu’il y aura des élections européennes, ce seront les Européens qui décideront de l’avenir de l’Europe : le microbiote donc.

Mais qui nettoie le parc ?

Toutes ces institutions, ces fonctionnaires, sont-ils utiles à l’Europe ? Un Européen a-t-il besoin de tant de formalités pour vivre en Européen ? Cette question fut aussi celle posée à la ville de New York lorsque l’on s’aperçut qu’une grève d’une grande partie des agents chargés de l’entretien des parcs n’affecta pas leur bonne tenue. En fait, il fallait compter sur le geste civique des passants, qui sans aucune compensation financière ou contrainte, entretenaient le parc, contribuant au bien-être général. Peut-être l’Européen n’a-t-il pas besoin qu’on lui dise comment être Européen ?

La quatrième blessure narcissique

L’Europe se croyait le centre du monde, elle ne l’est pas (révolution copernicienne). Elle se croyait intemporelle, elle ne l’est pas non plus (révolution darwinienne) ; elle se croyait pleinement consciente d’elle-même, mais même pas (révolution freudienne). Enfin, les crises financières et politiques suggèrent même une quatrième blessure narcissique, la pire : son inconsistance (théorème d’incomplétude de Gödel) ; une forme de ver dans le fruit de l’Union européenne qui la condamne.

La Blockchain au secours des généraux européens

Paradoxe des généraux byzantins revisité : des généraux européens doivent régler un conflit. Ils ne peuvent communiquer qu’avec le soutien de diplomates. Cependant, un certain nombre d’entre eux peuvent se révéler malveillants. Le problème est donc de trouver un algorithme pour s’assurer que les généraux loyaux parviennent à se mettre d’accord… la Blockchain : technologie de stockage et de transmission d’informations, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle.

  1. Film faisant référence aux soldats de l’ONU qui furent autorisés à tirer sur des chiens dépeçant les cadavres durant le génocide Rwandais, alors que ces mêmes soldats ne furent pas autorisés à tirer sur les extrémistes.
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  • Le combat des indiens contre les cowboys ,le fusil battit l’arc.
    La technologie a remplace l’homme pour dominer!….mais aujourd’hui tout le monde possede la technologie ,ce qui fait la différence est le nombre d’humains dans un groupe et sa cohérence pour tenir le fusil….l’europe est foutue et sa tentative d’augmenter sa population artificiellement échouera.

    • Les romains ont dominé un territoire immense en infériorité numérique et sans technologie particulière. C’est leur organisation politique et militaire qui le rendit possible.

      L’Europe est foutue, elle échouera, c’est évident elle décline vous voyez bien bla bla ! Pure spéculation de comptoir.

      Je constate que malgré deux terribles guerres, l’Europe s’est reconstruite et tient toujours la route économiquement.
      Je constate qu’un projet européen est souhaité par tout le monde, et que les nombreuses discordes prouvent la liberté des Etats. En fait on ne sait pas trop à quoi elle ressemblera mais elle s’unira d’une manière ou d’une autre.
      Je constate que le projet européen et la mondialisation forment petit à petit une âme europénne.
      Je constate que les concurrents de l’Europe ne sont pas à l’abri de convulsions de croissance.

      On en reparlera un jour..

      • On en reparlera un jour mais pas avec la langue de moliere…

      • Si c’est pour reproduire à l’échelle continentale les mêmes erreurs politiques, économiques, culturelles et sociales des pays qui la composent, autant s’abstenir.

        D’ailleurs, l’article fournit un exemple édifiant du néant européen : « L’Europe se montre trop souvent incapable de prendre des décisions majeures pour son avenir (climat). » Comment ne pas rire (jaune) à la lecture de cette prose affligeante ? Si l’Europe n’a d’autre projet que l’hystérie climatique, son avenir est effectivement sombre. Ce n’est pas avec ce genre de proposition délirante qu’on fera baisser l’abstention dans les urnes, la majorité des électeurs n’étant pas tout à fait stupide.

        Les (ir)responsables politiques feraient quand même bien de se préoccuper de l’abstention provoquée par la vacuité de leurs programmes. Face aux pouvoirs devenus illégitimes par l’abstention, la suite normale est en effet la sédition, puis bientôt la sécession.

        • Bof ! votre argument sur l’abstention n’est pas crédible et prouve surtout que vous n’avez pas fait de recherche sur la question. Réaction viscérale donc ! Je vous laisse faire l’effort.

          Selon un sondage tout récent de La Tribune/BVA sur les Français et l’union eurpéenne on a :
          – 21% sont très attachés
          – 32% sont attachés
          – 26% ne sont pas attachés
          – 14% ne sont du tout attachés

          Ce n’est pas encore la sédition et encore moins la sécession.

          C’est marrant cette propension de certains, lorsqu’il n’aime pas quelque chose, à s’imaginer que cette chose va disparaître. Mais si je vous le dis !

          • Etre attaché à l’Europe veut tout dire et son contraire. Vous faites une confusion du même ordre que certains politiciens entretiennent entre notoriété et adhésion. On peut être favorable à l’Europe sans que ce soit l’Europe que vous espérez.

            • A vous suivre les 53% attachés à l’Europe le seraient par le simple fait d’en entendre parler, des moutons en sommes, alors que les 40% non attachés à l’Europe le seraient par défaut d’adhésion, des bergers en quelques sortes. Drôle de lecture ! C’est comme le peuple stupide lorqu’il vote à gauche et écolo, et lucide lorsqu’il s’oppose à l’Europe.

              Vous êtes viscéralement contre l’Europe et de fait vous prenez tout ce qui vous tombe sous la main comme arguments.

              Moi je suis favorable à l’Europe mais je suis incapable de dire à quoi elle devrait ressembler, hormis une dictature, c’est au-delà de mes capacités.

              • « Vous êtes viscéralement contre l’Europe »

                Bien au contraire ! Viscéralement anti-socialiste, vous pouvez le dire. Oui à l’Europe, mais la bonne. Oui à l’Europe qui élève le monde par ses valeurs universelles contre la barbarie, sûre de sa civilisation et fière de son héritage chrétien bimillénaire. Mais certainement pas l’Europe hideuse et dépravée de la construction actuelle, ouverte au moindre délire prétendument progressiste, en réalité régressif. Quand on voit par exemple comment les pays européens ont pour la plupart lâchés les USA et la GB à propos de l’affaire Diego Garcia à l’ONU, on se passera sans effort de cette Europe dépravée.

                Les cris d’alarme et les appels à la raison de nombreux citoyens du monde, effrayés de voir l’Europe se déliter et renier ses valeurs, se multiplient actuellement. Parce qu’ils savent que si l’Europe sombre dans la déchéance, ils seront les premières victimes de la barbarie qui n’aura plus aucune opposition, plus aucun frein à son expansion.

                • Les radicaux répondent aux radicaux ! Je ne me situe pas du tout sur le même barreau de l’échelle. C’est comme ça !

  • Waouhh !

    j’ai relu trois fois et j’en ai pris plein la gueule.

    Je crois que je vais aller me dégourdir les jambes au bord du Rhin pour me changer les idées…

    Mais ça ne date pas d’hier :

     » Immer mehr werden in unseren Tagen die Schäden zum Ausbruch kommen, wo man am Körper Europa’s auf die Symptome curirt hatte, während der Sitz des Uebels in der Tiefe lag.  »

    (Nous allons, de nos jours, de plus en plus voir éclater les dégâts causés par les traitements des symptômes du corps de l’Europe, alors que le siège du mal était dans les profondeurs.)

    Karl Gutzkow, De l’arbre de la connaissance, 1869

  • Sortir de l’Europe? Je ne le crois pas Mais sortir la Grande Bretagne de l’Europe ça « Oui » car le parti de Nigel Farage est le seul « Party » qui veut détruire l’Europe.

  • Les commentaires sont fermés.

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