Maroc : l’État responsable des inégalités territoriales ?

Avant de supplier l’État d’intervenir pour réduire les inégalités, il faudrait peut-être songer à lui demander de cesser d’abord de créer des inégalités à cause de son mode d’intervention, de gouvernance ou encore ses lois et ses politiques.

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Drapeau marocain By: Kristian Thøgersen - CC BY 2.0

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Maroc : l’État responsable des inégalités territoriales ?

Publié le 14 mai 2019
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Par Hicham El Moussaoui.
Un article de Libre Afrique

Dans son dernier rapport du 29 avril 2019, Oxfam qualifie le Maroc de pays le plus inégalitaire en Afrique du Nord. Les inégalités de revenu relevées trouvent écho au niveau territorial (3 régions sur 12 concentrent près de 60 % du PIB, et six régions regroupent 74 % des pauvres), avec des déséquilibres très marqués entre le monde urbain et rural, les centres et leurs périphéries, le littoral et l’intérieur du pays, au point d’avoir l’impression d’être dans la continuité du Maroc « utile » et du Maroc « inutile ».

Si l’on en croit les chiffres du Haut Commissariat au Plan, il nous faudrait un quart de siècle pour juste réduire de moitié les inégalités territoriales actuelles. Si Oxfam et d’autres en appellent à l’intervention de l’État afin d’accélérer le processus de convergence territoriale, peut-on un instant considérer que l’État est exempt de tout reproche ? Pas sûr !

Limites de la péréquation étatique

Certes, les gouvernements successifs se sont attelés à réduire les inégalités en activant plusieurs leviers (investissement public, subventions, agences de développement, initiative pour le développement humain INDH, etc.), mais force est de constater que le bilan est très décevant (l’indice de Gini mesurant les inégalités de manière synthétique est resté autour de 0,4 depuis les années 90). La raison tient à la faiblesse de déconcentration et du taux de réalisation des investissements publics, ce qui a consolidé les disparités en termes d’infrastructures entre les différentes régions.

Les agences nationales de développement manquent de transparence et leur gouvernance est défaillante en raison du flou planant sur la définition de leurs attributions. Quant à l’INDH (Initiative Nationale de Développement Humain), elle a été pénalisée par le déficit de compétence des comités locaux, le manque de suivi et de reddition des comptes, conduisant à des aberrations dans l’affectation des ressources entre régions (sur-péréquation des régions riches, et sous-péréquation des régions pauvres).

De ce constat il ressort clairement que la redistribution verticale (inspirée de la théorie de J. Rawls) visant la péréquation territoriale (prenant sur les territoires riches pour donner aux plus pauvres), ne peut permettre de relever le défi de réduction des inégalités, essentiellement pour deux raisons :

D’une part, la défaillance de la gouvernance étatique (détournement, manque de ciblage, pas de reddition de compte, etc.), dilapidant des ressources rares surtout dans un contexte de limitation des marges budgétaires étatiques.

D’autre part, comme l’a bien expliqué Amartya Sen (prix Nobel 1998), la justice territoriale n’est pas qu’une question de redistribution de fonds ; encore faut-il que les territoires aient les capacités de s’en servir, d’où la nécessité de permettre plutôt aux régions de devenir autonomes dans la création de richesses et d’emplois.

L’État générateur d’inégalités

De par ses lois, ses politiques et son mode de gouvernance l’État marocain est une source d’inégalités. D’abord, en dépit des slogans de régionalisation, l’essentiel des décisions reste quand même centralisé, ce qui fait que plus une région est loin du centre, moins elle sera servie en termes de dotations budgétaires. Quand vous ajoutez à cela le régionalisme de certains ministres, dont chacun tire la couverture pour sa région d’origine ou son fief électoral, la répartition budgétaire entre territoires creuse souvent les inégalités car guidée par une logique politicienne.

Ensuite, l’uniformisme réglementaire adopté par l’État marocain ne tenant pas compte des spécificités des territoires, il crée lui aussi des inégalités. À titre d’exemple, en matière de droit de travail, il est injuste de vouloir appliquer le même salaire minimum à Casablanca qu’au sud, puisque ce n’est ni le même coût de la vie ni la même productivité.

Dans le domaine fiscal, appliquer le même taux de TVA élevé (20 %) à tous les Marocains quel que soit leur lieu de résidence ou leur revenu est une grande injustice. Par ailleurs, les communes marocaines n’ont pas toutes les mêmes moyens financiers et les compétences humaines (services juridiques) pour faire respecter les mêmes réglementations.

Ainsi, imposer au nom de la justice l’uniformité réglementaire à toutes les régions sans aucun assouplissement devient une injustice caractérisée. Si l’État est tatillon dans l’imposition des mêmes lois à toutes les régions, il l’est moins quand il s’agit de leur application. Ainsi, le respect de l’état de droit et la performance judiciaire à Casablanca ne sont pas les mêmes que dans d’autres régions.

Cette inégalité dans la qualité judiciaire amplifie les handicaps des régions car en augmentant l’incertitude sur l’exécution des contrats et la protection des droits de propriété, leur attractivité pour les investisseurs s’en trouve réduite, ce qui amplifie leurs handicaps de départ. Un véritable cercle vicieux !

Enfin, certaines politiques protectionnistes ne font que renforcer les inégalités au nom de la souveraineté économique du pays. D’abord entre les régions transfrontalières et le reste du pays, puisque les premières profitent de prix moins élevés que les autres du fait de la contrebande. Ensuite, le protectionnisme impose un surcoût (impôt déguisé) qui pénalise davantage le pouvoir d’achat de la classe moyenne et des pauvres. Ceci ne fait que creuser les inégalités entre les habitants des différentes régions marocaines.

Ainsi, quand le gouvernement marocain taxe à l’importation des matériaux de construction, du matériel médical, il renforce les inégalités territoriales en matière de logement et de santé, puisque le renchérissement de ces matériaux et équipements privera les plus démunis de l’accès aux services de base dans les différents territoires.

Somme toute, avant de supplier l’État d’intervenir pour réduire les inégalités, il faudrait peut-être songer à lui demander de cesser d’abord de créer et/ou amplifier des inégalités à cause de son mode d’intervention, de gouvernance ou encore ses lois et ses politiques. Il est indispensable de sortir de la logique de redistribution afin de se diriger vers une égalité en termes de droits et de libertés tout en levant tous les obstacles créant des écarts de capabilités entre les différents territoires. Ainsi, avant que l’État pense à faire du bien, il doit cesser d’abord de faire du mal.

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