Municipales : le miracle local de Plan-de-Cuques

Comment cette bourgade de la banlieue de Marseille, 12 milles âmes, quasi-sinistrée en 1989, est-elle devenue un paradis fiscal local ?

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Municipales : le miracle local de Plan-de-Cuques

Publié le 4 mai 2019
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Par Jonathan Frickert.

Oubliés du Grand débat dont ils ont pourtant été les principaux piliers, les maires constituent aujourd’hui les élus en lesquels les citoyens ont le plus confiance et ce d’autant plus dans la période de troubles politiques que connaît le pays depuis plusieurs années. Des élus de confiance que nous renouvellerons d’ici quelques mois.

L’occasion de nous intéresser à un miracle local déjà cité par Agnès Verdier-Molinié dans son dernier livre et tout récemment par Nicolas Doze sur BFM : Plan-de-Cuques.

Comment cette bourgade de la banlieue de Marseille, 12 mille âmes, quasi-sinistrée en 1989, est-elle devenue un paradis fiscal local ?

L’incroyable gabegie des collectivités locales

Fin 2018, la Cour des comptes a rendu son rapport annuel consacré aux finances des collectivités locales.

Si le magistrat financier a salué un certain redressement sur la période 2014-2017, celui-ci semble bien fragile. Les dépenses locales ont cessé de progresser mais les dépenses de fonctionnement, elles, on repris la tangente. La contractualisation des effectifs se fait attendre et seule la baisse des dotations constitue un frein à la gabegie.

Les dépenses des collectivités représentent 70 % des investissements publics et 25 % sont consacrées aux frais de personnel.

Pourtant la cause est identifiée depuis longtemps par la Cour des comptes. Si les médias parlent régulièrement des projets pharaoniques de certains exécutifs, la question des frais de fonctionnement reste bel et bien toujours au cœur du sujet.

Dans ce contexte, une irréductible commune du Sud de la France a néanmoins su tirer son épingle du jeu.

Un village au bord de la faillite

Plan-de-Cuques est une petite bourgade d’environ 12 000 habitants – soit le nombre de Parisiens quittant la capitale chaque année – située au nord-est de Marseille.

Si la rue principale est agrémentée de petits commerces et que plusieurs personnalités nationales y ont grandi, la municipalité reste avant tout une cité- dortoir qui ne profite pas vraiment du rayonnement touristique de son principal voisin, d’autant qu’à quelques kilomètres de là se situe également la commune d’Allauch, dont Plan-de-Cuque a pris son indépendance à la fin des années 1930. Une anecdote représentative de la simplicité des solutions qui nous intéressent ici et qui seront apportée 60 ans plus tard.

En 1989, la ville est sinistrée. Elle est la plus endettée de France par habitant (6000 euros), mais également la plus imposée – avec une taxe d’habitation et une taxe foncière respectivement à 42,60 % et 40,20 %.

Alors qu’aujourd’hui, le pays connaît une défection grandissante des élus municipaux, en 1989, la ville voit arriver un nouveau maire, Jean-Pierre Bertrand : sans étiquette, cadre commercial, aujourd’hui disposant du profil classique d’élu de petite ville pouvant tenir plusieurs dizaines d’années et où l’enjeu politique est moindre. Il dira plus tard y être allé en raison « des impôts élevés ».

L’externalisation, outil au service d’une saine gestion des deniers publics

Élu en 1989, Jean-Pierre Bertrand s’est depuis vu décerner l’Ordre du mérite en 1995, la Marianne d’or de la fiscalité en 2006 et il y a deux ans, il fût décoré de la Légion d’honneur. Des récompenses qui ne sont toutefois pas que nationales puisqu’en 2005, l’agence de notation Moody’s a attribué la note de Aa1 à la commune, soit la deuxième meilleure note après le fameux triple A.

Réélue sans discontinuer depuis 1989, l’équipe municipale sait que ces honneurs n’ont rien d’immérités : en 2018, Plan-de-Cuques est la ville la moins imposée de France dans sa catégorie. Les taxes d’habitation et foncière sont les plus basses de France avec un taux compris entre 13 et 29 % soit 2 à 3 fois moins qu’en 1989, et continuent de baisser régulièrement de 1 à 2 %. La ville dispose également d’un endettement par habitant quasi-nul.

En 2015, le montant des dépenses par habitant de la cité était de 939 euros contre 1660 pour les villes de même taille, soit 43 % de moins.

À titre de comparaison, la même année, Fos-sur-Mer, à une soixantaine de kilomètres, dépensait plus de 4000 euros par habitant.

Aussi, entre 2001 et 2018, les effectifs municipaux ont été divisés par 3, passant de 245 à 75 agents, travaillant chacun 1607 heures par an soit 35 heures par semaine.

Entre 2000 et 2016, le budget des personnels a diminué de 32 % lorsque, on l’a vu, il ne cesse d’augmenter au niveau national. En imaginant que l’État français soit géré comme Plan-de-Cuques, Agnès Verdier-Molinié estime que ce sont 80 milliards d’euros qui auraient été économisés uniquement sur des dépenses de fonctionnement.

Quelles sont donc les clefs d’une telle gestion ? Nous nous sommes posés la question. Cette recette n’a rien d’extraordinaire et passe par trois catégories de solutions :

— La première est tout simplement financière. En votant un plan financier en 2005, le conseil municipal s’est engagé dans une baisse des dépenses associée à une mise en réserve des excédents et à un auto-financement des investissements. Le régime sec s’est traduit par un objectif zéro emprunt, suivi et approuvé par les habitants au vu des résultats électoraux de la municipalité sortante.

— La deuxième vague de mesures relève de la simple parcimonie avec par exemple le passage d’un éclairage public traditionnel à un éclairage à LED ; une mesure économique qui permet à la ville de se targuer d’une fibre écologique.

— La troisième mesure phare réside dans un mot que beaucoup exècrent : externalisation, et ce appliquée aux deux domaines que sont l’école et les espaces verts ; une autonomie de certains services qui rappelle l’indépendance de la commune dans les années 1930.

En effet, la surveillance de la récréation relève de la compétence de sociétés privées, tout comme les aides maternelles et la gestion des espaces verts.

L’externalisation consiste à confier l’exploitation d’une activité à une personne privée ; elle peut concerner aussi bien les investissements, tels que la construction d’édifices, que la gestion de services publics spécifiques, comme ici les espaces verts. L’activité devient soumise à une obligation de résultat incluse dans une annexe au contrat que ne permet pas le management classique.

Cependant, l’externalisation pose d’évidentes questions de reclassement des agents publics du service en question. L’exigence de reprise par le prestataire des collaborateurs suit le même régime que celui des transferts d’entreprise.

La mairie dispose aujourd’hui de réserves financières dont l’équipe municipale s’enorgueillit à raison.

Une ville vivante

Mais les lecteurs de Contrepoints le savent : nombreuses sont les mauvaises langues, en particulier à gauche, qui viendront nous expliquer que cela s’est sans doute payé par une casse sociale et culturelle.

Plan-de-Cuques est pourtant loin d’avoir à rougir, notamment en prenant appui sur un tissu bénévole développé et des investissements immobiliers importants. La ville dispose du deuxième club de tennis de Provence et du premier club de handball de la région, ainsi que d’un complexe aquatique, de deux gymnases dont un complexe sportif.

La ville est dotée d’un centre culturel d’un kilomètre carré et dispose du principal marché de Provence et organise chaque année une dizaine de manifestations réunissant en moyenne 5000 participants chacune, dont certaines aux abords d’un parc avec une fontaine qui confirme les trois fleurs de la ville au label Village fleuri.

Cette liste n’est pas exhaustive, et les cofinancements commune-métropole-département ont évidement été légion, mais semble t-il guère plus qu’ailleurs.

Cette réussite a fait progressivement disparaître l’opposition au sein de la municipalité. Aux deux derniers scrutins, le maire a été réélu au premier tour avec 66 puis 75 % des voix.

Une success story face au modèle français

« Ici, c’est la France, on adore l’échec ! » lança dans un de ses spectacles l’humoriste canadien Sugar Sammy. La situation financière des collectivités françaises peut s’y résumer.

En effet, plus une ville économise, et plus baissent sa dotation et sa péréquation. Si le second financement est logique – sans être nécessairement juste – compte tenu de l’idéologie égalitariste française, la baisse des dotations l’est bien moins.

On en a parlé plus tôt : si les collectivités subissent une augmentation de leurs compétences et une diminution de leurs financements, dépendant largement de l’État central, s’ajoute ainsi à cela une sanction pour les municipalités les mieux gérées, toujours au nom de l’égalité des territoires faisant que l’État compense la mauvaise gestion des uns avec l’argent de la bonne conduite des autres.

Plus que les autres collectivités, la commune subit de plein fouet cette accumulation, doté du fameux « dédoublement de fonction mayorale », à la fois collectivité territoriale et administration déconcentrée entraînant donc les coûts des deux fonctions.

Le problème est donc toujours celui de l’État central. La fin de la taxe d’habitation, bonne nouvelle pour le contribuable, relève pourtant d’une triste erreur de méthode, puisqu’elle a été décidée à Paris par calcul électoral. Au milieu de cette libéralité se trouvent les communes qui voient une source de recettes disparaître. Une situation qui n’a pas manqué d’entraîner une levée de bouclier dès le début du mandat.

De la même manière, Plan-de-Cuques peut se targuer de ne pas avoir besoin de gros effectifs de sécurité, mais la situation pourrait être bien meilleure si l’État honorait son travail régalien le plus élémentaire en fournissant les personnels de police nationale. Une situation que l’absence de problèmes sécuritaires graves fait oublier, pour l’instant…

Après avoir laissé planer le doute plusieurs mois, comme le font de nombreux élus, le maire sortant quittera ses fonctions l’année prochaine en raison de son âge mais également de la perte d’autonomie des collectivités. Sauf surprise, le prochain édile de Plan-de-Cuques devrait être le centriste Bruno Genzana, disposant déjà du soutien du patriarche après avoir été candidat malheureux à Aix-en-Provence.

Fort d’une situation financière admirable, l’élu aura ainsi la lourde tâche de continuer sur cette lancée tout en faisant face à de nouvelles baisses de financements.

Le succès de Plan-de-Cuques inspirera peut-être d’autres municipalités et candidats aux prochaines élections qui, comme Jean-Pierre Bertrand, seront las des bévues de leur comptabilité locale.

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  • Un bien bel exemple de saine gestion.
    Pour donner un petit coup de pied au cul des maires, supprimer tout lien financier avec l’État pourrait être une bonne idée, et simple à mettre en œuvre.

  • C’est ce qui s’appelle gouverner avec intelligence. Bravo au maire et à son équipe!

  • Pour le sans doute parisien J. Frickert, une ville de 12 000 habitants auprès de Marseille est une  » PETITE BOURGADE ». Quand une ville de 12 000 habitants est auprès de Paris, c’est  » une  » VILLE DE BANLIEUE » . Ah, ces parisiens, ils ont une ville spéciale: après la cour de Versailles, la plus belle ville du monde. Comment voulez-vous qu’ils n’énervent pas les  » provinciaux » (encore un mot inventé par Paris et ses parisiens)

    • Perdu !
      Je suis moi-même d’une « petite bourgade » alsacienne.
      Mais bien essayé ;).

    • Vous pouvez nous donner le lien vers l’article dans lequel J. Frickert parle d’une « ville de banlieue » de 12 000 habitants ? C’est drôle comme, souvent, ce sont ceux qui fustigent de soi-disant donneurs de leçons qui se trouvent être des donneurs de leçons !

    • Chere Eva, si cette question sémantique est le seul problème de l’article c’est que dans l’ensemble il est finalement excellent.

  • A diffuser à tous les maires de France ….

  • Bravo pour sa saine gestion de la ville.
    Ce maire a quand même déclaré en 2016 que « (…) manque de ressources de la ville, “qui ne possède pas d’entreprises et reste l’une des plus pauvres de France” insiste le maire avec aplomb. Il ajoute qu’elle est aussi “la plus pauvre financièrement du département”. » A noter cependant que « le taux de pauvreté à Plan-de-Cuques en 2012 était de 7,4 % contre 15,1 % à Septèmes, pourtant proche en termes de recettes budgétaires. À Marseille, ce taux de pauvreté atteint 25,1 %. »
    source : https://marsactu.fr/a-plan-de-cuques-lepineuse-question-logements-sociaux/

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