Les USA et la Chine tomberont-ils dans le piège de Thucydide ?

Les rapports de force entre la Chine et les États-Unis ne sont pas sans rappeler les affrontements entre Athènes et Sparte. Quels éclaircissements pouvons-nous en tirer pour notre époque ?

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Les USA et la Chine tomberont-ils dans le piège de Thucydide ?

Publié le 26 avril 2019
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Par Aliénor Barrière.

Avant que Donald Trump ne parte à l’assaut de l’Amérique à grands coups de « Make America great again », un autre homme a porté cette ambition pour son pays. Il s’agit de Xi Jinping.

Pour ce faire, il a annoncé des objectifs très clairs et des délais : en 2025, la Chine convoite la place de puissance dominante sur les principaux marchés dans dix technologies de pointe, notamment l’intelligence artificielle et les ordinateurs quantiques. En 2035, la Chine prévoit d’être le leader en innovation dans toutes les technologies de pointe. Et en 2049, pour les cent ans de la République populaire de Chine, d’être numéro un mondial, point. Ce qui inclut notamment l’armée populaire de libération, à laquelle Xi Jinping a demandé de se préparer à « une lutte militaire globale qui sera une nouvelle base de départ ». Tout un programme, donc.

Ainsi, alors que les États-Unis vivent leur identité de leader mondial depuis un demi-siècle, l’équilibre entre les puissances pourrait être remis en cause par la volonté d’un homme ? Quoi qu’on en pense, Xi Jinping se donne largement les moyens de ses ambitions en impulsant à son pays une des plus formidables croissances que notre Histoire ait connu : entre 1978 et 2014, le nombre de Chinois vivant avec moins de deux dollars par jours est passé de 9 sur 10 à moins de 1 sur 100.

Un progrès spectaculaire que viennent encore accroître de nombreuses prouesses technologiques, et qui se répercute directement sur le PIB : en 2004, le PIB chinois représentait la moitié de celui des États-Unis. En 2014, il l’égalait, et en 2024, si la Chine maintient sa trajectoire, elle les dépassera de 50 %.

On se retrouve donc avec une puissance américaine solidement ancrée sur la surface du globe, et une puissance chinoise qui lui impose sa renaissance à marche forcée. L’issue d’un tel enchaînement a été théorisée par Thucydide, c’est la guerre.

LA DYNAMIQUE DU PIÈGE DE THUCYDIDE

Le politologue Graham Allison a inventé l’expression « piège de Thucydide » pour exprimer ce phénomène polémologique : « Le piège de Thucydide est une dynamique dangereuse qui se met en place quand une puissance montante menace de remplacer une puissance hégémonique, comme Athènes, ou l’Allemagne il y a cent ans, ou la Chine aujourd’hui, et son impact sur Sparte, ou la Grande-Bretagne il y a cent ans, ou les États-Unis aujourd’hui ».

Effectivement, sous bien des aspects, l’Athènes de Périclès présente des similitudes frappantes avec la Chine de Xi Jinping. Un pouvoir aux mains d’un seul homme, qu’il soit Président ou Premier des citoyens. Les volontés du peuple réduites à peau de chagrin, que ce soit dans un État autoritaire ou dans un système politique basé sur l’esclavage qui ne compte que 14 240 citoyens pour 400 000 Athéniens.

Car il ne faut pas oublier que la démocratie athénienne n’avait de démocratie que le nom ; Périclès ne disait-il pas : « Cet Empire vous ne pouvez pas y renoncer, même si actuellement, par crainte et amour du repos, vous accomplissez cet acte héroïque. Considérez-le comme une tyrannie : s’en emparer peut paraître une injustice, y renoncer constitue un danger » ?

L’ÉMERGENCE INQUIÉTANTE D’UNE PUISSANCE

Et bien entendu, la similitude qui nous intéresse le plus aujourd’hui : l’ascension et l’ambition fulgurante d’une puissance. Celle d’Athènes a été portée par Périclès qui voulait en faire l’école de la Grèce. À la fin des guerres médiques, les cités grecques formèrent la Ligue de Délos afin d’affranchir les cités encore aux mains des Perses et de se protéger de toute nouvelle attaque de leur part. Cette organisation militaire de défense repose sur une flotte commune.

Athènes ayant la flotte la plus importante, elle avait le commandement des opérations militaires, et donc la libre disposition des finances. Comme de nombreuses cités n’avaient pas de bateaux de qualité suffisante à apporter à la Ligue, elles remplacèrent l’apport de navires par le versement d’un tribut à Athènes. Peu à peu, seule cette dernière et trois autres cités (Samos, Chios et Lesbos) s’acquittèrent de leur contribution en navires. Les cent cinquante autres étaient devenues tributaires de la cité de Périclès.

Ce dernier décida alors de transférer à Athènes le trésor de la Ligue, qui était auparavant sur l’île sacrée de Délos. Dès ce moment-là, Périclès entreprit des travaux colossaux dans sa cité, dont le plus bel exemple est bien sûr le Parthénon, qu’André Bonnard voit comme ce qui lie indissolublement sa politique de grands travaux à la nécessité d’exploiter les Grecs de l’Empire pour en faire les frais. Aux récriminations des uns et des autres, Périclès répondait que tant qu’Athènes garantissait une protection efficiente sur la mer Egée, elle était libre de disposer à son aise des fonds versés par les autres cités.

UN RAPPORT DE FORCE INTENABLE ?

Cette utilisation des tributs, ainsi que les répressions sanglantes de Périclès sur les cités qui cherchèrent à se délier de lui, entraîna une inquiétude croissante chez les Lacédémoniens, qui arriva à son comble lorsque Périclès révéla son projet d’union panhellénique, vers 446 avant Jésus-Christ. Ils refusèrent de participer au congrès, car sa convocation par Athènes impliquait de fait sa suprématie.

Pour Thucydide, c’est bien « l’essor d’Athènes et la crainte qu’elle a instillé à Sparte qui ont rendu la guerre inévitable ». Périclès lui aurait sûrement donné raison, lui qui haranguait les Athéniens ainsi : « Convaincus que le bonheur est dans la liberté et la liberté dans le courage, regardez en face les dangers de la guerre ».

Graham Allison a donc observé les cinq derniers siècles, et a identifié seize situations où une puissance hégémonique est concurrencée par une puissance émergente. Dans douze cas, cet état de fait a entraîné la guerre. Il remarque également que généralement les deux États ne souhaitent pas la guerre ; c’est toujours un élément tiers qui joue le rôle de détonateur, conduisant mécaniquement les puissances à l’affrontement. En Grèce, ce fut par des cités telles que Mégare, il y a cent ans par l’assassinat de l’Archiduc Frantz Ferdinand et aujourd’hui, le nord-coréen Kim Jong-Un pourrait tout à fait jouer ce rôle.

Malgré les efforts répétés de Donald Trump pour enrayer ce détonateur, les relations américano-coréennes se sont heurtées à un mur lorsque la question de la dénucléarisation du pays asiatique a été abordée lors du sommet de Hanoï. C’est donc vers l’ancien « pays frère » russe que Kim Jong-Un se tourne aujourd’hui, asseyant encore davantage la Russie dans le grand concert des Nations.

À l’heure du redéploiement des États sur la scène internationale, faut-il alors suivre Xi Jinping et créer une nouvelle forme de relation entre les grandes puissances ? Écoutons une ultime recommandation de Thucydide : « Mettez le bonheur dans la liberté, et la liberté dans la vaillance ».

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  • Excellent article.

  • Intéressant !
    On aimerait en savoir davantage sur ces seize situations. Un livre à lire donc !

  • L’histoire n’est pas un eternel recommencement , on ne reagit pas de la meme facon dans un monde de millions d’habitants isoles et dans un monde de milliards d’individus interconnectes ,

    • Eh. La psychologie d’H. Sapiens a remarquablement peu évolué.

    • @reactitude
      C est ce que pensait les gens en 1914
      Personne n avait prevu une boucherie de 4 ans alors que les economies et meme les pays etaient interconnecte comme jamais

      • Les pays ,pas les peuples , la tele n’existait pas , le p’tit peuple faisait la fete dans des guingettes au bord de l’eau…

        • Sur l’interconnexion: nous sommes hyperconnectés avec les gens qui nous ressemblent, partagent nos opinions etc. Perso je pense que nous somme de moins en moins connectés « for realz ».
          Accessoirement je peux vous garantir que du côté Chinois la notion de peuple-nation ne va pas disparaître demain. Il est difficile pour les gens d’ici de comprendre à quel point les Chinois sont marqués par le souvenir du siècle d’humiliation et à quel point ils sont fiers (non sans quelque raison) de leur nation/ peuple/ civilisation.
          Pour les US c’est moins sûr, l’empire semble décidé à se déchirer en interne.
          Ce qui serait désastreux serait que les US tentent d’isoler la Chine au point que ses besoins vitaux (nourriture et énergie) soient perçus comme menacés.

          • Les chinois ne sont pas un bloc homogene, il ont plus de 40 minorites (donc certains comme les tibetains et les ouigours n aiment peu les hans)
            Et meme pour les hans, c est pas le grand amour entre les gens du sud et du nord (difficile de dire si c est comme entre les marseillais et les parisiens ou plus profond)

            Mes interlocuteurs chinois ne m ont jamais parles du sciele d humiliation ou des traites inegaux du XIX sciecle. Au contraire, etre europeen (blanc) est vu tres positivement. On m a demande plein de fois si on pouvait se prendre en photo avec moi

            Sinon c est sur qu ils peuvent etre fier du chemin parcouru en 30 ans. Reste a savoir si la locomotive ne va pas derailler (dans les annees 80 on pensait que le japon allait depasser les USA. aujourd hui ils en sont a recuperer de l explosion de leur bulle immobiliere dans les annees 90)

            • Oh oui, on est vu très positivement, mais n’est-ce pas parce qu’au lieu de négocier difficilement entre Chinois du nord et du sud, ils peuvent enfin se mettre d’accord pour un bon profit aux dépens de cet étranger que nous sommes et restons ?

            • Et la bulle en Chine va forcément exploser bientôt ! Les financiers le prévoient.

  • On croisera donc les doigts en espérant que les armes nucléaires empêcheront une guerre totale comme elles l’ont fait pendant la Guerre Froide.

    • @Pangzi : N’ayez aucune crainte. Tant que les dirigeants n’auront pas trouvé de moyen de se mettre à l’abri, nous aurons la paix.

  • Pas tres rejouissant comme article. Une guerre entre les USA et la chine est heureusement peu probable etant donné que les 2 sont dotes d armes nucleaires et donc de quoi reduire la terre en une planete inhabitable pour TOUS (donc pas de gagnant comme a l epoque de la grece antique ou 1914).
    Il y a certes des fous furieux comme Mao qui pesent en sortir vainqueur (il pensait qu il y avait tellement de chinois qu un certain nombre survivrait et donc que le communisme vaincrait une guerre nucleaire avec les USA)

  • « en 2004, le PIB chinois représentait la moitié de celui des États-Unis. En 2014, il l’égalait »

    Cette phrase est incompréhensible. Selon les estimations officielles du FMI pour 2018, le PIB américain est de 20500 milliards de dollars contre 13500 pour la Chine. Par ailleurs, on sait la valeur des statistiques chinoises. Les mensonges statistiques s’accumulant dans le temps, il n’est pas impossible que le PIB chinois soit en réalité inférieur à 10000 milliards. Quant à son évolution prochaine, il faut compter avec les manipulations monétaires, les pollutions ou encore les révoltes intérieures, entre autres phénomènes indésirables qui pourraient bien freiner les ambitions des dirigeants chinois.

    Cela ne veut pas dire que la Chine ne sera pas demain une grande puissance. Mais sans doute pas avec ce pouvoir, car la dictature rouge apparaît être le principal handicap de la Chine actuelle.

    • entre 23 et 25 000 milliards pour la chine d’après wiki. Mais le PIB ne veut plus dire grand chose étant donné que tout le système est bidonné à grand coup de dettes. Il faudra attendre la prochaine grosse crise économique qui apurera le bousin pour être vraiment fixé sur la valeur réelle de chacun économie.

      • On ne peut se fier à Wiki car il n’est pas rédigé par des spécialistes et comme le souligne Cavaignac les communistes falsifient les chiffres. Le frein réside plutôt dans le fait que la Chine extorque 500 milliards aux USA et qu’elle perdrait cette manne si elle entrait en conflit avec eux!
        Quant au progrès scientifique il ne se décrète pas par l’état, la France en sait quelque chose. C’est plutôt un état d’esprit et une culture baignant dans un environnement favorable!

      • Les montants de 23 à 25 mille milliards font référence aux PIB en PPA qui ne sont pas les PIB réels mesurés mais des indices de comparaison des niveaux de vie. Les PPA n’ont d’ailleurs de sens que rapportées au nombre d’habitants.

        Calculés à partir d’hypothèses discutables, les comparaisons en PPA ne valent qu’entre pays ayant des niveaux de vie proches, pour ne pas dire des styles de vie semblables. Bref, ça n’est valable qu’entre pays occidentaux. Quand on voit que les PIB réels de la Chine et de l’Inde doivent être artificiellement multipliés par presque 2 et 5 respectivement pour obtenir les PIB en PPA, on comprend que la comparaison est dénué de sens.

        Sinon, d’accord avec vous à propos des dettes.

  • Ce sujet a fait l’objet d’un petit livre de Monique Mund-Dopchie, paru début 2019 aux éditions de l’Académie royale de Belgique, dont la référence est donnée sur la page web
    https://academie-editions.be/accueil/370-thucydide-et-les-relations-internationales.html

  • Si tout se terminait en fonction du rapport de forces, les Suisses ne sortiraient pas des cavernes et des fissures des Alpes. Il n’est pas facile de négocier avec plus fort que soi, mais ça reste une option, et tant que derrière les rodomontades, il y aura la possibilité de deals gagnant-gagnant entre USA et Chine, et les autres, ne nous affolons pas.

    • On l’a bien vu lorsque la suisse à « accepter » de supprimer le secret bancaire sous la menace de l’UE. Très difficile de négocier avec plus fort que soit, la plupart du temps on se couche…

  • Sauf qu’entretemps l’humanité a inventé la bombe. La guerre totale entre puissances nucléaires ne peut être rentable. Elle ne peut donc avoir lieu qu’en présence d’un dirigeant à la fois suffisamment fou pour l’envisager et suffisamment fort pour être capable d’en imposer la décision sans se faire destituer.

  • Je rêve que la Chine copie Hong Kong.
    Ce pays deviendrait très rapidement le plus puissant économiquement du monde.

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