Langues étrangères : les résultats décevants des élèves français

À l’oral, 75 % des élèves ne sont pas capables de s’exprimer dans une langue globalement correcte en anglais, contre 73 % en espagnol et 62 % en allemand.

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Langues étrangères : les résultats décevants des élèves français

Publié le 19 avril 2019
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Par Agnès Leroux1.
Un article de The Conversation

On se lamente souvent sur le niveau des jeunes Français en langues étrangères. Qu’en est-il réellement ? C’est la question que s’est posé le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) lors de sa conférence de consensus sur l’apprentissage des langues, organisée en mars 2019, et dont la synthèse et les recommandations viennent d’être publiées ce jeudi 11 avril.

Lors de cette conférence, Pascale Manoïlov a présenté un bilan des performances des élèves français du CM2 à la terminale, en s’appuyant sur les résultats du bac et les évaluations nationales menées tous les six ans en anglais, allemand et espagnol (CEDRE). De quoi remettre en perspective l’évolution de ces enseignements depuis 2005, date à laquelle les programmes se sont adossés au Cadre européen commun de référence sur les langues (CECRL).

Progrès en CM2

En primaire, les résultats attestent d’une progression globale en anglais et en allemand dans les quatre compétences de base. La progression est faible, mais positive, en compréhension et expression à l’écrit. À l’oral, elle est plus importante en compréhension. Évalué pour la première fois en 2016, le niveau d’expression orale est satisfaisant.

Il s’avère que les élèves de CM2 ne rechignent pas à prendre la parole, ce qui est positif. Néanmoins, même s’ils sont compréhensibles, les énoncés qu’ils produisent ne respectent pas toujours la norme linguistique de la langue étrangère, et les pourcentages de réussite grammaticale sont en-deçà de ceux de la réussite globale des activités proposées. Seul un élève sur deux maîtrise la syntaxe des questions et phrases simples, d’après l’évaluation de 2016.

Toutes compétences confondues, les filles ont des résultats supérieurs de dix points à ceux des garçons en anglais, et de cinq points en allemand.

Le nombre d’élèves qui a commencé l’apprentissage d’une langue étrangère au primaire augmente régulièrement, et la progression des compétences en CM2 se répercute sur le niveau au collège, comme le montrent les évaluations effectuées en troisième. On constate une réelle amélioration des performances en compréhension de l’écrit dans les trois langues de 2004 à 2010 puis 2016, et en compréhension de l’oral en anglais.

Malgré cette progression, les résultats en réception des élèves français restent globalement décevants. Ils posent la question de la possibilité d’améliorer les connaissances linguistiques, permettant la reconnaissance puis l’accès au sens, dans une approche qui subordonne l’acquisition syntaxique, lexicale et phonologique à la scénarisation et au projet collectif (approche à visée actionnelle), à raison de trois heures hebdomadaires.

Manque d’expression orale

Au collège, en rédaction et en expression orale, les résultats sont légèrement meilleurs en 2016 qu’en 2010 en espagnol et en allemand, et moins bons en anglais à l’écrit. À l’oral, les graphiques comme les études quantitatives et qualitatives des productions montrent une forte corrélation entre compétence linguistique (grammaticale, lexicale et phonologique) et compétence pragmatique et langagière. Voilà qui pose la question de l’approche actionnelle (où l’usage de la langue n’est pas dissocié des actions accomplies par celui qui est à la fois locuteur et acteur social), prônée par le CECRL, en regard du nombre d’heures d’enseignement.

En Finlande, où les études effectuées montrent de meilleurs résultats tant à l’écrit qu’à l’oral, un accent particulier est mis sur l’apprentissage du lexique, élément de savoir linguistique, et sur l’évaluation en interaction.

Malgré tout, les productions témoignent d’un manque de pratique de l’oral, ce qui est une régression par rapport au constat effectué en fin de primaire. Pascale Manoïlov suggère que le format de l’évaluation CEDRE – soit une prise de parole en continu, assez éloignée de ce qui est pratiqué en classe, où l’interaction doit être privilégiée – pourrait expliquer le faible niveau des performances en regard des années d’apprentissage.

À l’oral, 75 % des élèves ne sont pas capables de s’exprimer dans une langue globalement correcte en anglais, contre 73 % en espagnol et 62 % en allemand.

Grilles de compétences

La continuité de l’analyse de la progression des élèves français en langue étrangère devient difficile en terminale. En effet, la correspondance avec les niveaux du CECRL, malgré l’adossement des Instructions Officielles à celui-ci depuis 2005, semble aléatoire et relative aux conditions d’évaluation, notamment pour l’oral qui se passe en établissements.

Les critères proposés dans les grilles d’évaluation pour le baccalauréat laissent penser qu’un niveau B2 correspondrait à une note d’au moins 18 sur 20, un niveau B1 à une note de 16, et un niveau A2 à une note de 10. Au regard des notes, il semble que le niveau B2 n’est pas atteint dans la première langue vivante étudiée par les élèves (le plus souvent anglais), ni le niveau B1 dans la deuxième langue vivante (le plus souvent allemand ou espagnol).

Certaines analyses plus fines ont cependant été possibles sur l’ensemble des sections générales et les sections technologiques STMG et hôtellerie.

Il apparaît que les résultats en anglais sont moins bons que dans les autres langues, peut-être parce que certaines des langues rares ou régionales sont choisies par des élèves qui les parlent dans le contexte familial, mais aussi parce que l’allemand est le choix d’élèves issus de milieux favorisés et que l’espagnol est une langue romane, proche du français.

On peut néanmoins difficilement comparer les langues entre elles, les pratiques et les publics étant souvent différents. Globalement, les résultats au baccalauréat sont meilleurs à l’oral qu’à l’écrit, et ce quelle que soit la langue observée, et les élèves sont plus performants en expression qu’en compréhension.

Un cadre trop académique

Malgré tout, comme pour l’évaluation effectuée en fin de troisième, l’évaluation orale qui se fait sous forme de prise de parole en continu à partir d’une des quatre notions culturelles au programme, est très éloignée d’une situation réelle de prise de parole. Elle donne certainement lieu à une préparation importante en amont, si ce n’est à l’apprentissage par cœur d’un texte préparé avec l’aide de l’entourage. Ce type d’évaluation favoriserait encore une fois les élèves issus de milieux à catégorie socio-professionnelle supérieure.

Cette critique trouve un écho dans l’évaluation de l’interaction verbale qui prend la forme d’une interrogation orale entre enseignant et apprenant, reproduisant une situation classique où excellent les élèves bien intégrés socialement. Il semblerait que l’adossement des Instructions Officielles françaises au CECRL ait trouvé sa limite dans l’académisme de l’évaluation nationale du baccalauréat.

Finalement, il ressort de cette synthèse une impression d’immobilisme du système scolaire français, qui tente de se renouveler et de donner un nouveau dynamisme à l’enseignement des langues étrangères, tout en n’arrivant pas à se débarrasser d’un cadre très académique et d’une longue tradition d’évaluation normative dans laquelle l’enseignant tient le premier rôle.

Ce cadre figé et lourd pèse sur l’apprentissage des langues étrangères en France et contrevient à la mission première de l’Éducation nationale, en ce qu’il empêche de dépasser les différences sociales originelles entre les élèves. D’autre part, à une époque où l’égalité des genres est un enjeu majeur de société, il est impossible de se réjouir que les garçons obtiennent des résultats constamment inférieurs à ceux des filles d’au moins trois points.

Faut-il s’étonner de ces résultats issus d’un système où l’élève reçoit un enseignement de trois heures par semaine à partir de la classe de cinquième puis de deux heures, s’il ne choisit pas une option « langue étrangère », à partir de la classe de première ? En effet, des évaluations internationales ont déjà montré dans les années 1970 que le nombre d’années et d’heures d’enseignement hebdomadaire d’une langue étaient des conditions essentielles à un apprentissage de qualité.

Sur le web-Article publié sous licence Creative Commons

  1. Maître de conférences habilitée à diriger des recherches en linguistique contrastive anglais-français et didactique des langues étrangères, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières.
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  • Cet éternel débat sur le niveau des langues étrangères en France me fatigue.
    Qu’en est-il de nos voisins ? Il suffit de discuter en anglais avec un Espagnol ou un Italien pour réaliser que le niveau français n’est pas si mauvais que ça.
    J’ai une formation de traducteur. Le niveau en espagnol des Français est catastrophique (et c’est le pays d’à côté !).

    De plus, j’ajouterai que, avant de maîtriser une langue étrangère, il faut déjà maîtriser sa propre langue. Et ce n’est largement pas le cas. Les fautes d’orthographes, de grammaire et de conjugaison sont trop nombreuses et gagnent même les écrits officiels/presse/entreprise.

    Il y a quelques mois, un parterre de personnalités du monde académique néerlandais tiraient la sonnette d’alarme quant au niveau des jeunes étudiants néerlandais dans leur propre langue. En effet, l’anglais a été tellement rendu obligatoire et omniprésent que les jeunes autochtones ne maîtrisent même plus leur langue natale pour s’exprimer.
    La langue est le premier outil véhiculaire de la culture. En l’affaiblissant, on affaiblit la culture. Cela devrait faire réfléchir de ce côté-ci des Flandres.

  • Article auquel il manque fondamentalement les critères permettant de dire que les connaissances linguistiques des jeunes Français sont décevantes : la comparaison des moyens mis en oeuvre en Europe avec ceux de la France et la comparaison des connaissances linguistiques des étudiants de ces pays européens par rapport à ceux de la France. Et il y manque aussi une réflexion sur ce qui est nécessaire comme connaissance et pour qui – dans l’exemple de la Finlande, petit pays dont la langue finnoise est peu répandue, la connaissance d’autres langues paraît indispensable. En est-il de même en France, et pour qui ?

    • « En Finlande … un accent particulier est mis sur l’apprentissage du lexique, élément de savoir linguistique, et sur l’évaluation en interaction. »

      Traduction : en Finlande, au lieu de faire de la « linguistique » et de l’endoctrinement, on apprend bêtement du vocabulaire et la langue orale.

      (Peut-être que les cadres de l’EN devraient réapprendre à parler normalement avant de tenter d’enseigner le français et les langues étrangères).

  • Un petit détail qui fait une grande différence dans les pays nordiques et même dans les pays l’Est de l’Europe (Pologne, Roumanie,..) c’est que les films anglais à la télévision et au cinéma ne sont pas traduit. Les jeunes sont donc en contact avec la langue anglaise quotidiennement et apprennent beaucoup plus facilement.
    A l’argument, « si on met ça en place en France, cela va faire disparaitre la langue française », je répondrais qu’on diffusera toujours les gendarmes et les bronzés à Noël et que Cyril Hanouna et Joséphine ange gardien ne permettent pas forcément de développer un vocabulaire très riche.
    Je rejoins Lucx sur le fait que l’anglais ne sert à rien pour la majorité des français (pas de business à l’international, vacances en France ou en club) donc peut-être qu’on est pas très bon mais est-ce que c’est si grave ?

    • Bah oui c’est grave; vous n’avez toujours pas compris que l’elite en France le veulent ainsi car une population incapable de comprendre l’anglais est coupé de facto de de tout un univers d’idées et d’une façon de raisoner qui pouvait provoquer plus de resistance à la hégémonie que l’elite dans ce pays veulent à tout prix préserver!

      Si le plouc francais de base était capable d’aller bosser quelques années dans un pays anglophone, il comprenderait peut-être que ce n’est pas tout le monde qui dort dans sa voiture car il s’est ruiné en payant les frais medicaux pour sauver son enfant qui s’est cassé la jambe en travaillant dans une mine à l’age de 9ans etc etc.

  • L’Education Nationale, dans son idéologie socialo d’égalitarisme, en baissant continuellement le niveau d’exigence, ne pourra jamais espérer de bons résultats en en quoi que ce soit.
    Comment voulez-vous que nos enfants aient un bon niveau en langues étrangères alors qu’ils ne maitrisent pas le français, leur langue maternelle ? Cette dernière rédigée par nos jeunes en phonétique, ignorant ponctuations et paragraphes, dénonce une méconnaissance évidente de la langue frôlant illettrisme ; constatation faite dans les copies universitaires…
    Dans ces conditions, comment doivent-ils apprendre correctement une/ou des langue(s) étrangère(s) alors qu’ils ne maîtrisent pas la leur ?
    Devant cette navrante constatation, « l’égalité des genres » n’entre pas en ligne de compte, et contrairement à l’idéologie égalitariste prônée par nos politicards et leurs alliés, les milieux « favorisés » s’en sortiront toujours mieux que les autres… c’est le résultat socialiste !!!

    • Le pire est que l’âge venant, je comprend de moins en moins le verbiage quotidien.
      J’en suis arrivé à ne regarder, quand j’ai le temps, que des séries étrangères, la qualité des comédiens du doublage me permettant de comprendre parfaitement les subtilités des dialogues.
      Le débit de parole rapide et les mots avalés par nos ‘jeunes’ comédiens des séries françaises me font très vite décrocher.

      Au point que j’ai découvert et apprécié sur une chaîne allemande  » Art of crime « , une série française qui gagne en clarté avec l’allemand en abandonnant les ‘gimmicks’ récurrents du jeu des acteurs français ‘modernes’…

  • Le mauvais enseignement des langues en France remonte à la 3eme république dont le but était d’éradiquer les langues régionales et les patois au profit du français et de maintenir ses ressortissants à l’intérieur de l’hexagone.( D’ailleurs, dans les années 1970 encore, un jeune diplômé qui souhaitait s’expatrier était considéré comme un mauvais citoyen et les entreprises considéraient l’expatriation comme une récompense.)
    Un accord informel fut donc passé entre la grande bourgeoisie et l’aristocratie dont les rejetons étaient multilingues de quasi naissances leur laissant le monopole des langues étrangères: les meilleurs devenant diplomates ou négociateurs internationaux, les moins bons interprètes.
    A cela, il faut ajouter un enseignement plus littéraire que pratique et une difficulté à admettre que le français avait perdu son caractère de langue internationale!
    Parler allemand à partir du « Bodin et Isler » dans les années 60, faisait rigoler les jeunes allemands…….
    Tout français devrait apprendre 3 langues dès sa naissance:
    Le français, l’anglais ou le globish pour se débrouiller jusqu’à nouvel ordre dans le monde entier et une langue de coeur.
    Rien que le fait d’entendre plusieurs langues très jeune facilite l’apprentissage des autres langues, sans jamais oublier qu’une langue est d’abord faite pour parler, comprendre et se faire comprendre.

  • J’ai eu l’occasion d’assister le mois dernier à une remise de diplômes d’ingénieurs d’une prestigieuses faculté et d’une non moins prestigieuse école ayant des cours communs, la filière dispensant uniquement des cours en anglais comptait …8 étudiants, oui vous avez bien lu 8 ! et cerise sur le gâteau, ils étaient tous étrangers : russes, ukrainiens, asiatiques, indiens. Pas un seul étudiant français. Il y a effectivement un léger malaise !

  • Le gamin n’a pas d’orthographe, pour ne pas parler de la grammaire : « c’est pas grave, ses parents non plus et ça ne les empêche de rien ».
    Le gamin ne comprend pas l’anglais, ni d’ailleurs une autre langue : « c’est pas grave, ses parents non plus et ça ne les empêche de rien ».
    Le gamin est nul en maths : « c’est pas grave, ses parents non plus et ça ne les empêche de rien ».

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Les auteurs : Nathalie Sayac est Professeure des universités en didactique des mathématiques, directrice de l’Inspe de Normandie Rouen-Le Havre, Université de Rouen Normandie. Eric Mounier est Maitre de Conférences en didactique des mathématiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC).

 

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