L’image d’un trou noir : « Seeing the un-seeable »

Pour la première fois les hommes ont obtenu une image d’un de ces monstres autour desquels les étoiles de nos galaxies tournent dans une ronde infernale jusqu’à ce qu’elles se fassent anéantir en leur sein.

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Trou-noir de la galaxie M87 ; Crédit : Event Horizon Telescope collaboration et al.

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L’image d’un trou noir : « Seeing the un-seeable »

Publié le 12 avril 2019
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Par Pierre Brisson.

« Voir l’impossible à voir » ; c’est ainsi qu’a été synthétisée par la National Science Fondation américaine (NSF)1, la prouesse réalisée par l’Event Horizon Telescope (« EHT ») ce 10 avril, l’obtention de la première image d’un trou noir.

Pour la première fois en effet, grâce à leurs merveilleuses machines et beaucoup d’informatique, les hommes ont obtenu une image d’un de ces monstres autour desquels les étoiles de nos galaxies tournent dans une ronde infernale jusqu’à ce qu’elles se fassent anéantir en leur sein.

Un exploit technologique hors du commun

Les « merveilleuses machines » ce sont les huit télescopes du réseau EHT (Event Horizon Telescope array)2 qui, « couvrant » la quasi-totalité de la surface de la Terre pour former un télescope virtuel géant, ont collecté les émissions radio millimétriques (1,3 mm) reçues de ce monstre en avril 2017 et avril 2018, puis les ont combinées ensemble par interférométrie à très longue base (VLBI). La prouesse a consisté non seulement à collecter les données (5 pétaoctets !) mais à les assembler ensuite dans des corrélateurs pour en mettre en évidence les caractères significatifs et en extraire une synthèse visible. Il a fallu dix ans pour constituer le réseau EHT, en adaptant divers télescopes3 du Groenland à l’Antarctique en passant par Hawaï, Mexico, l’Arizona, l’Espagne, le Chili, pour leur permettre de travailler ensemble. Il a fallu une conjonction climatique assez extraordinaire sur Terre (la vapeur d’eau pose problème !) pour que tous les instruments puissent, tous ensemble, sur seulement deux fois une semaine, collecter l’information (le déplacement du télescope au cours de l’observation du fait de la rotation de la Terre, a permis de remplir un peu plus la surface du télescope virtuel). Il a fallu ensuite deux ans pour concentrer les données dans des centres de traitement en les transportant physiquement depuis les observatoires (le nombre de données rendait impossible la transmission par Internet !) puis les traiter. Le résultat final, obtenu après de multiples contrôles et vérifications, est une image de définition jamais égalée, de 20 μas – 20 microsecondes d’arc (on pourrait lire un journal à New-York en étant à Paris). C’est pour cela qu’on peut dire que le travail de synthèse est au moins aussi remarquable que le travail de collecte.

L’image que vous voyez en titre d’article surprend par son caractère attendu. Un trou noir ressemble à un trou noir tel qu’on l’imaginait par la théorie, un disque obscur entourée d’un halo de lumière. On peut dire cependant qu’il fallait la vérification. Les théories ont besoin d’être confirmées et l’image est une base qui peut conduire à de nouvelles réflexions.

L’explication du trou noir est que l’accumulation de matière par gravité en un seul lieu est telle que la force d’attraction qu’elle génère empêche même la lumière de s’en échapper ; elle « courbe l’espace-temps ». On ne voit pas le trou noir mais les conséquences qu’il a sur son environnement. Le halo est constitué des photons qui avec gaz et matière déchirée et broyée des astres voisins, accélérés dans leur chute à des vitesses proches de celle de la lumière, sont entraînés comme dans le trou d’un évier par force giratoire jusqu’à disparaître lorsqu’ils atteignent l’Horizon-des-Événements, c’est-à-dire cette distance fatidique du centre de gravité, jusqu’à laquelle cette force gigantesque s’exerce (rayon de Schwarzschild) empêchant toute émission (avec quelques nuances possibles, théorisées par le célèbre Stephen Hawking). C’est un élément essentiel de la structure de notre univers, peut-être le moteur de nos galaxies.

La cible d’observation que l’on voit aujourd’hui est le trou noir du cœur de la galaxie Messier 87 (M87) distante de 53,5 millions d’années-lumière. Il a été choisi parce qu’il est particulièrement gros, une masse de 6,6 × 109 M (6,6 milliards de masses solaires) et un diamètre de 38 milliards de km qui, dans notre système solaire, s’étendrait jusqu’à Pluton alors que le trou noir de notre Voie Lactée, SgrA  (Sagitarius A) ne devrait avoir que quelques 22 millions de km (et seulement 4,3 millions de masses solaires), et aussi car cette galaxie contient très peu de poussière. SgrA est donc plus difficile à observer Mais l’EHT y travaille également et on devrait pouvoir contempler son image prochainement.

L’observation confirme les prédictions d’Albert Einstein sur la gravité et l’espace-temps (la « relativité générale ») et l’on doit à cette occasion s’émerveiller encore une fois de la force conceptuelle extraordinaire de cet homme qui avec son seul cerveau a pu théoriser l’inimaginable.

Les astrophysiciens du monde entier vont maintenant travailler sur cette image, l’affiner en utilisant des longueurs d’ondes submillimétriques (plus précises) et des méthodes multi-messagers (autres émissions que les ondes électromagnétiques), pour progresser dans la compréhension de son interface avec l’environnement immédiat. On pourra sans doute bientôt expliquer comment se forment les jets de plasma qui s’en échappent à une vitesse relativiste ou comment se forment les halos de neutrinos et de rayons X complétant ceux de lumière et de matière.

Pour aller plus loin, on envisage aussi d’utiliser les télescopes spatiaux. Dans cet esprit (mais évidemment plus tard !), des capteurs installés sur Mars de façon à y former comme sur Terre un télescope virtuel planétaire, nous donneraient des capacités encore plus extraordinaires. Puisque la collecte de données est déconnectée de leurs traitements, on pourrait synchroniser la collecte du réseau martien avec celle du réseau terrestre puis transmettre les données sur Terre pour compléter celles qu’on y aurait collectées.

C’est pour demain et nous vivons une époque formidable !

Liens :

https://www.nsf.gov/news/news_summ.jsp?cntn_id=298276

https://physicsworld.com/a/the-story-behind-the-first-ever-image-of-a-black-hole/

https://www.space.com/first-black-hole-photo-by-event-horizon-telescope.html?utm_source=notification

https://www.nsf.gov/news/special_reports/blackholes/

___

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  • Et sans doute..que ce trou noir n’existe plus depuis des annees ,une image fantome , vous croyez aux fantomes ?

    • Il existe encore. Cependant un trou noir finit par s’évaporer à cause du rayonnement (extraordinairement faible) de Hawking. Ne m’en demandez pas plus. Je n’ai rien compris à ce concept.

      • De toute facon nous ne connaissons de l’univers que ce qui est detectable par nos sens.il est probable qu’il en existe un autre qui nous echappe encore .le physiciens ont encore beaucoup de boulot devant eux avant de comprendre le role du trou noir de sa naissance a sa mort.

      • « Assez » simple : l’idée est que des paires temporaires de particules quantiques se trouvant à la limite horizon , l’une des particule franchit cette limite. L’une part ou reste sous l’horizon, l’autre se trouve de l’autre coté et file vers l’espace.

        • Les particules et les antiparticules sont toutes deux massives et donc devraient être attirées par le trou noir. Une expérience au CERN doit vérifier si l’antimatière réagit de la même façon que la matière à un champ gravitationnel .
          Où alors l’une des particule remonterait le temps. Elle s’échapperait alors du champ gravitationnel. Pour utiliser une métaphore, c’est comme si vous passiez un film à l’envers d’un objet qui tomberait au sol.
          Ou bien la probabilité que l’une des deux particules s’échappe du trou noir en suivant un chemin assez compliqué n’est pas nulle.
          Je ne sais pas ce qui est correct et je n’ai aucune autre explication

      • allons demander à Macron, ce surhomme omnipotent qui en sait un rayon sur les trous noirs vu qu’ils les a créés dans mes fonds de poche et mon portefeuille.

      • C’est l’horizon des événements , d’ailleurs c’est marqué sur la photo au dessus.

  • Karl Schwarzschild fut le premier à trouver une solution aux équations de la relativité générale. Cette solution permettait de calculer le rayon de l’horizon d’un trou noir. Einstein n’y croyait pas et il publia un article dans lequel il affirma que cette solution (de ses propres équations) ne correspondait à aucune réalité physique.
    https://www.sciencesetavenir.fr/espace/astrophysique/einstein-n-a-jamais-cru-a-l-existence-des-trous-noirs_23200
    Il est aussi amusant de signaler que G.Lemaître ( physicien astronome et chanoine qui était le meilleur spécialiste de la relativité générale après Einstein) avait été le premier à imaginer l’existence du Big Bang qu’il désignait sous l’appellation « atome primitif ». Einstein était hostile à cette idée parce que selon lui elle faisait trop penser à…la Genèse…

  • Finalement un trou noir ressemble à un … trou noir. C’est un scoop ! LOL

    • « asshole in the dark » arfff

    • Et relativement où que l’ on vive, c’ est toujours un peu le trou du cul du monde.

    • Je crains que vous n’ayez pas bien compris. L’auteur de l’article a signalé que cela ressemblait ce qu’on s’attendait vu que c’est la première fois qu’on dispose de ce type d’image.
      Si vous aimez les films de S.F, je me permets de vous conseiller « Interstellar ». K. Thorne (spécialiste de la relativité générale et prix Nobel) y a contribué en tant que conseillé.

    • En fait, plus sérieusement : oui, c’est un scoop. On a une observation qui semble confirmer la théorie – même si cette « observation » est en fait la recréation jugée la plus probable d’une image globale à partir de données extrêmement fragmentaires.
      Mais « l’image » qu’on se faisait d’un trou noir avant cette photo était purement théorique, construite à partir des équations de la Relativité Générale, si j’ai tout bien compris.

      •  » Mais « l’image » qu’on se faisait d’un trou noir avant cette photo était purement théorique, construite à partir des équations de la Relativité Générale, si j’ai tout bien compris.  »

        Exact. On avait des  » preuves  » de leurs existences que de façons indirects . Il y a quelques années les scientifiques en avaient une quasi certitude de leurs existences avec la détection pour la première fois des ondes gravitationnelles suite à la fusion de deux trous noirs centraux suite à la fusion de deux galaxies . Ne restait plus que la preuve visuelle pour confirmer définitivement la preuve de leur existence. Et maintenant c’est fait.

    • Le scoop, c’est le traitement des données et des signaux de multiples prises de vues. Une grande expertise, 4 méthodes dont au moins 2 qui donnent les mêmes images.

  • Et tout ça sans le recours à l’argent public…

  • Les commentaires sont fermés.

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Une traduction d'un article du Risk-Monger.

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