D’autres plateformes sont possibles : la piste coopérative

Les plateformes s’adaptent aux réalités du marché, loin de l’effervescence des grandes entreprises.

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D’autres plateformes sont possibles : la piste coopérative

Publié le 7 avril 2019
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Du collaboratif au coopératif

Si la critique est aisée, la construction d’alternatives l’est beaucoup moins. Pourtant, des initiatives émergent. Le mouvement international de coopérativisme de plateformes, initié en 2014 par Trebor Scholz à la New School de New York, promeut ainsi la création de plateformes plus éthiques et équitables. L’enjeu est simple : pourquoi les usagers des plateformes délèguent-ils l’intermédiation à des entreprises tierces captant la valeur économique de leurs échanges alors qu’ils pourraient gérer ces plateformes eux-mêmes ?

Pour ce faire, la solution serait d’adopter le modèle coopératif. Autrement dit, de créer des plateformes possédées par leurs utilisateurs et appliquant un fonctionnement démocratique, où chaque copropriétaire dispose d’une voix, indépendamment de ses apports en capital. De plus, l’obligation de réinjecter une part des bénéfices dans le projet et l’impossibilité de réaliser une plus-value à la revente des parts permettent d’échapper à la spéculation financière.

De nombreuses expériences voient le jour à travers le monde. Par exemple, Fairmondo, marketplace allemande de produits équitables, propose à ses utilisateurs de prendre une part dans la coopérative. Bien que non exhaustive, la liste dressée par le Platform Cooperativism Consortium donne un aperçu du périmètre du mouvement.

Dans leur volonté de constituer des alternatives à une économie de plateforme concentrée voire oligopolistique dans certains secteurs, les créateurs de plateformes coopératives font face à de nombreux défis, notamment en matière de gouvernance, de modèles économiques et d’infrastructures technologiques.

Multiples challenges

À partir de nos travaux de recherche-action au sein du réseau français de plateformes coopératives Plateformes en communs et l’analyse de différents cas étrangers, nous avons identifié un certain nombre de caractéristiques et limites de ces plateformes alternatives.

Fairmondo, marketplace allemande de produits équitables. Capture d’écran.

 

Si elles partagent une opposition commune aux grandes plateformes commerciales, il n’existe pas de modèle type de plateformes coopératives, mais plutôt une multitude d’expérimentations encore jeunes aux structures et modes de fonctionnement très divers. Tandis que certaines sont nées dans la continuité de mobilisations anti-uberisation, à l’instar de Coopcycle, d’autres ont été imaginées par des entrepreneurs du numérique en quête de sens, ou par des organisations de l’économie sociale et solidaire (ESS) en phase de modernisation.

Les challenges sont donc nombreux pour ces plateformes coopératives qui affichent de hautes ambitions sociales et économiques et ne disposent pas de voies déjà tracées. Nous nous focalisons ici sur trois enjeux principaux : trouver des modèles économiques et financiers pérennes, fédérer des communautés, mobiliser des soutiens et des partenaires.

Pérenniser les modèles économiques

Dans un contexte de forte concurrence, les plateformes alternatives n’ont pas le droit à l’erreur. Pour attirer les utilisateurs, elles doivent proposer des prestations de qualité, les maître-mots étant une offre exhaustive, une mise en relation efficace, une simplicité d’utilisation et une esthétique attrayante. Il est cependant difficile pour les plateformes coopératives d’attirer des investisseurs car leur lucrativité est, dans la plupart des cas, limitée par des statuts coopératifs ou associatifs. De plus, certaines optent pour une logique d’ouverture de leurs actifs, mettant par exemple leur code informatique en accès libre.

D’autre part, si les créateurs de plateformes numériques alternatives sont des entreprenants, leurs modèles économiques relèvent pour l’heure davantage de l’itération que du business plan. Beaucoup de plateformes coopératives, encore en émergence, reposent ainsi majoritairement sur un travail bénévole (permis par des revenus extérieurs : emploi en parallèle, épargne personnelle, allocations chômage, minima sociaux) qui risque de s’épuiser si la plateforme ne parvient pas à dégager des rémunérations et/ou à attirer de nouveaux contributeurs.

Rassembler une communauté

L’importance de créer une communauté engagée autour de la plateforme est donc primordiale tant pour des questions de fonctionnement quotidien que de développement, et ce d’autant que l’économie de plateformes repose sur des effets de réseau : plus une plateforme réunira de personnes ou d’organisations, plus elle en attirera de nouvelles, car elle offrira de vastes débouchés aux utilisateurs. Il est donc difficile pour des plateformes alternatives de percer dans des secteurs où existent déjà des acteurs dominants.

Les plateformes coopératives tentent de se différencier en constituant des communautés ayant leur mot à dire sur le fonctionnement de la plateforme. Certaines d’entre elles, comme Open Food France, spécialisée dans les circuits courts alimentaires, vont jusqu’à élargir leur communauté de coopérateurs aux partenaires publics, privés et aux consommateurs finaux. Une façon pour ces derniers d’exprimer des aspirations sociétales à travers leurs choix économiques.

« Les plateformes digitales et leur stratégie d’effets de réseaux », interview de Thierry Isckia, professeur à Institut Mines-Télécom Business School (2019).

Les fondateurs des Oiseaux de passage, plateforme coopérative qui proposera prochainement des services touristiques ancrés dans les territoires, ont également opté pour un sociétariat élargi. Ils ont ainsi choisi le statut juridique de Société coopérative d’intérêt collectif, qui permet à plusieurs catégories de parties prenantes (professionnels du tourisme, habitants, touristes) de prendre des parts dans une entreprise partagée.

Ces plateformes coopératives adoptent ainsi une logique d’écosystèmes à travers l’inclusion de tous les acteurs gravitant autour d’elles. Cependant, pour l’heure, l’engagement des utilisateurs reste faible et les porteurs de projet sont bien souvent surmenés.

Éviter la récupération du mouvement

Encore très jeunes, les plateformes coopératives peinent à recueillir les soutiens dont elles ont pourtant cruellement besoin. En matière financière, leurs modèles non stabilisés peinent à convaincre même les organisations publiques et d’ESS, qui préfèrent se tourner vers des plateformes commerciales plus solides et rentables. L’autre obstacle est d’ordre politique. Dans la bataille contre l’uberisation, les plateformes coopératives se présentent comme des alternatives, là où, pour l’heure, les pouvoirs publics semblent privilégier une approche de dialogue social avec les plateformes dominantes.

Quasiment livrées à elles-mêmes, les plateformes coopératives compensent ce manque de soutien en tentant d’unir leurs forces à travers des réseaux de pairs, à l’image du Platform Cooperativism Consortium à l’échelle internationale ou de Plateformes en Communs en France. En s’unissant, les plateformes coopératives sont parvenues à attirer l’attention notamment des médias, mais aussi d’un de leurs plus emblématiques « ennemis ». En mai 2018, le Platform Cooperativism Consortium annonçait ainsi l’obtention d’une bourse d’1 million de dollars de la part de… la Fondation Google. Une bourse visant essentiellement à soutenir la création de plateformes coopératives dans des pays émergents.

L’annonce a évidemment créé des remous au sein du mouvement, d’aucuns dénonçant une contradiction symbolique inacceptable, d’autres faisant état de craintes sur une possible récupération du modèle par Google. En tout état de cause, cet événement illustre l’absence de soutien pour le mouvement, relégué à conclure des partenariats résolument contre-nature.

Il semble donc essentiel à la survie des plateformes coopératives, et plus généralement à l’existence d’alternatives aux plateformes qui écrasent aujourd’hui le marché, que les institutions publiques et de l’ESS soutiennent activement les projets émergents, par exemple à travers des dispositifs de financement (notamment d’amorçage), des structures d’accompagnement spécialisées, des partenariats commerciaux, des prises de participation, voire même une coconstruction de ces plates-formes à partir des besoins du territoire. Sans volonté politique et innovation de pratiques, la domination sans partage des plateformes globales semble inéluctable.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

  1. Professeure associée en management, Institut Mines-Télécom Business School.
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  • Il serait peut-être plus intéressant de faire un grand ménage dans la fiscalité, le droit du travail et les subventions (en supprimant simplement ces dernières) plutôt que de demander de l’aide aux institutions publiques

  • Remplacer la rentabilité par la subvention n’est aucunement une solution. Ces plateformes doivent chercher, et trouver, une autre façon de vivre faute de quoi elles ne survivront pas.

  • Les commentaires sont fermés.

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