Eschyle et le Blackface : haro sur l’héritage antique !

La nouvelle défaite culturelle au cœur de la Sorbonne pose le bilan de ce qui reste de l’enseignement d’Eschyle aujourd’hui.

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Foto353.jpg By: Patrik Tschudin - CC BY 2.0

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Eschyle et le Blackface : haro sur l’héritage antique !

Publié le 29 mars 2019
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Par Aliénor Barrière.

« La démesure en fleurissant produit l’épi de la folie, et la récolte est une moisson de larmes ». Si Eschyle avait été à la Sorbonne cette semaine, il aurait sûrement été déçu du peu de cas que certains de nos contemporains font de ses enseignements. Toute l’œuvre de sa vie, en effet, aura servi une cause : le contrôle des passions, le rejet de l’hybris, cette terrible démesure qui avilit l’homme. Car sans mesure, point de justice.

L’éducation à la justice par la tragédie

Chez les Grecs, cette éducation à la justice se fait par le biais de la tragédie. Ce genre littéraire, né au milieu du IVe siècle avant Jésus-Christ, a pour but d’accorder les Hommes et les dieux en les humanisant.

En effet, les tragédies sont toujours le théâtre d’un conflit ; un conflit entre un homme, qui est en quelque sorte le champion de l’Humanité, et une puissance divine qui s’acharne contre lui. Cette mise à l’épreuve perpétuelle fait office de catharsis pour l’auditoire, qui peut ainsi se libérer de ses propres passions en voyant le héros les surpasser pour se réconcilier enfin avec le divin. Cet apprivoisement du divin par les Hommes passe par la reconnaissance de la Justice.

Dans les tragédies grecques, les hommes, comme les dieux, sont à la recherche du comportement juste. À ceci près que seuls les Hommes payent leurs injustices, puisque nul ne peut faire payer la leur aux dieux. Les Hommes et les dieux vont ainsi mûrir simultanément petit à petit, et cette maturation est d’autant plus facilitée que les dieux sont de plus en plus affublés de caractères humains.

La tragédie est donc l’outil permettant de concilier le Destin et la Justice divine. « Ainsi la poésie d’Eschyle, toujours courageuse à nourrir l’art dramatique des conflits les plus redoutables qui puissent opposer les hommes au monde dont ils font partie, puise ce courage renouvelé dans la foi profonde du poète en l’existence d’un ordre harmonieux auquel collaborent enfin les hommes et les dieux1 ».

Un héritage bafoué

Après deux mille ans à mûrir la sagesse grecque, la scène qui s’est déroulée à la Sorbonne lundi 25 mars est surréaliste. Le désormais bien connu Conseil représentatif des associations noires de France (Cran) a mis fin à la représentation de la plus ancienne tragédie d’Eschyle, Les Suppliantes, à cause de la non moins connue « propagande afrophobe, colonialiste et raciste » occidentale. À grands coups d’épreuves de force et d’injures, les étudiants et les associations ont forcé les comédiens à quitter la scène.

Un tel déchaînement de passions a été suscité par le recours aux black faces, c’est-à-dire le fait que des individus blancs se griment en individus noirs. Ces derniers y voient là une appropriation culturelle, descendant directement de la colonisation.

Paul-Victor Desarbres, maître de conférence en littérature à la Sorbonne, nous explique :

Philippe Brunet, le metteur en scène de la pièce, a voulu baser sa mise en scène sur des pratiques théâtrales antiques. Qu’est-ce que cela implique ?

Brunet a fondé une compagnie, Demodocos, pour promouvoir des mises en scènes qui font revivre le théâtre antique. Il s’agit à la fois de reconstituer certains éléments clés des représentations pour autant que cela est possible, et à la fois d’en faire revivre surtout l’esprit. C’est un théâtre qui crée pour nous une distance à laquelle nous ne sommes pas habitués : les personnages sont costumés, masqués. Leur apparence est très stylisée, comme conçue pour être distinguée de loin. Il n’y a pas la dimension psychologisante qui marque le théâtre actuel. On peut avoir l’impression que les acteurs sur scène s’adressent au public et déclament plutôt qu’ils ne font semblant de se parler entre eux. Comme dans la tragédie antique, le chœur (groupe de personnages) chante une partie du texte en grec avec une mélodie conçue selon les principes de la musique grecque antique. À travers cette poésie orale et visuelle, on effectue comme un voyage en Grèce antique – dépaysement garanti.

Dans Les Suppliantes, des jeunes filles préfèrent « fuir sous la conduite des étoiles » plutôt que de perdre leur liberté. Comment s’exprime le paradoxe entre le message porté par le texte d’Eschyle et l’obstruction violente faite envers la liberté d’expression ?

Les Suppliantes ou Danaïdes sont des exilées qui ont fui l’Égypte et le mariage que veut leur imposer leur oncle Egyptos. Accompagnées de Danaos, elles demandent asile dans la cité d’Argos. Après quelques hésitations, le roi accepte de les protéger, mais un héraut survient qui doit les ramener de force en Égypte. La pièce toute entière fait alterner espoir lumineux et désespoir dans les chants du chœur des Suppliantes qui est aussi le personnage principal.

Plutôt qu’un paradoxe, je verrai là deux problèmes distincts : sur le fond, le refus de se confronter au sens d’un discours ou d’une œuvre et sur la forme, une manière d’agir illégale et choquante.

Le refus de se confronter au sens du texte, à ce que signifient ces mots, n’est pas le monopole de tel ou tel militant. C’est un fléau qui touche toutes les couches de notre société. On fait trop volontiers abstraction du sens d’un discours pour ne récuser que des mots, des actes comme symptômes indiscutables d’une attitude condamnable. Va-t-on interdire le théâtre de Jean Genet ? Ce serait une jolie contradiction.

Une conséquence effroyable, c’est qu’on refuse à tel ou tel de laisser plaider sa cause – en l’occurrence de voir quelle sera la mise en scène (il n’y avait là que des photos). Or c’est justement à ce propos que la tragédie grecque porte une vertu : on y parle, on y palabre, on y gémit, on y demande – en vain ou avec succès. Danaos et les Suppliantes plaident pour être accueillies à Argos. Notre époque manque de tels « héros orateurs ». Dans la tragédie, la confrontation de paroles est parfois dure, violente ; mais elle laisse une part à la capacité d’argumenter – que celle-ci ait une efficacité ou non.

Que répondrait Eschyle à ces détracteurs ?

Danaos met en garde ses filles de l’hostilité qui toujours pourra resurgir à leur encontre chez les Argiens, en dépit de l’heureux dénouement de la pièce : « Chacun porte une langue à médire de l’étranger… ». Méfions-nous, nous sommes tous tentés de réagir impulsivement et de médire sans prendre le temps de voir et de connaître.

 

  1. André Bonnard, Civilisation grecque : de l’Iliade au Parthénon.
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  • l’immigration pose des problèmes.
    Ceux qui y gagnent les nient..jusqu’au jour ou? çà leur pété a la gueule

    • Je pense que le problème de l’immigration est plus profond que cela. Il passe autant par la quasi-disparition de notre souveraineté liée à ces questions, que par le traitement de cette immigration.

      On pourrait s’inspirer de la Suisse qui, avec 30% de sa population qui est immigrée, s’en sort plutôt bien.
      Mais il me semble qu’elle n’a ni code du travail à 4000 pages, ni fiscalité complexe et confiscatoire, ni subvention à l’immigration (type AME…).

      En France, l’immigration ne serait pas un problème avec le plein emploi, la possibilité pour les migrants de travailler une fois le passeport/visa accordé (alors qu’il faut attendre 6 mois pour avoir le droit de travailler aujourd’hui), l’absence de politique du logement (parquer tous les pauvres au même endroit, qu’ils soient noirs, blancs ou beurres, n’est pas très futé) et surtout la possibilité pour la Sécurité et la Justice de faire leur travail.

      On en est loin 😉

      • mais les Suisses sont armés …

      • C’est simple : pas d’emmigration si vous n’avez pas les moyens (prouvés) de subvernir à vos besoin. En gros soit vous pouvez attester d’une fortune personnelle soit vous avez un travail qui vous attend. Pas de prise en charge par l’état pour ceux qui débarque avec 3 € en poche.

      • Dire d’un pays qu’il a 10, 20, 30, 50% de sa population constitué d’immigrants ne veut absolument rien dire en soi.
        Il faut aller voir les statistiques, lorsqu’elles existent et qu’elles sont fiables, pour se faire une idée claire de la réalité de l’immigration.
        Dans le cas de la Suisse, 1,4 million et 2,1 millions de migrants sont des européens de l’UE dont une très grosse proportion d’allemands, d’italiens, de portugais, populations plutôt bien éduquées et ayant des traditions culturelles de travail. 0,3 million proviennent d’autres pays d’europe non UE. Quand au reste du monde, on peut noter une part non négligeable d’asiatiques, 0, 16 million.
        Des remarques similaires peuvent être faites dans d’autres pays où l’on nous dit que l’immigration se passe bien.
        Qui sait que le Portugal a reçu une grosse immigration ukrainienne puis des pays de l’est et de Chine depuis une vingtaine d’années et reçoit également beaucoup de migrants brésiliens ayant fuit le chaos économique et l’insécurité épouvantable de ce pays ?
        L’Irlande, souvent citée en exemple pour la réussite de ses migrants reçoit très massivement des gens ayant quitté le Royaume Uni et des gens des pays de l’est. Les populations d’autres origines y sont assez rares.
        Je me souviens qu’il y a une vingtaine d’années, la réussite des migrants de nationalité africaine était vantée au Royaume Uni comme modèle. Mais quand on se penchait sur les chiffres, on se rendait compte que beaucoup étaient sud africains, zimbabwéens, kenyans, c’est à dire européens de nationalités africaines ayant quitté des pays désormais difficilement vivables pour des européens.

        • Et j’oubliais, penchons nous sur l’immigration en Allemagne : Largement majoritaire pendant des décennies, l’immigration turque est aujourd’hui très marginale face aux arrivées massives de populations d’Europe de l’est ou d’Asie, ou de Syrie et d’Irak, populations éduquées, grâce à des réformes et des systèmes scolaires inspirés d’Europe. S’agissant des Turcs, on peut déplorer l’islamisation, (je suis une femme) et s’en inquiéter terriblement. Il n’en reste pas moins vrai que le réformateur Mustafa Kemal et ses « jeunes turcs », ont, après la guerre de 14, fait rentrer cette relique du médiéval empire Ottoman, dans le monde moderne. Création d’écoles primaires, secondaires, universités, droit du travail et du commerce inspiré de l’Europe, etc… Bref, la réussite économique incontestable des turcs d’Allemagne a sans aucun doute comme préalable l’oeuvre éducative et moderniste des « jeunes turcs ».
          Dommage l’actuel retour en arrière de ce pays.

          • Tout à fait d’accord avc vous, kassy. L’important n’est pas le niveau chiffré de l’immigration mais son niveau de « qualité ». Et ensuite, la façon dont ils élèvent leurs descendants…

  • Il est sûr que la sagesse grecque antique passe loin au dessus du bonnet des maîtres à penser contemporains!

    • Passons sur la sagesse grecque antique, qui devait l’être pour l’époque. C’est la liberté bafouée aujourd’hui qui pose problème. Si chacun commence à empêcher tout ce qui ne lui plait pas, il ne va plus se passer grand chose.

      • Rassurez vous ça n’est pas chacun qui à cette possibilité c’est juste une petite minorité qui impose son dictat.

      • Les barbares sont de retour et, comme tous les fascistes, se servent de la violence pour imposer leur censure et dictature!

  • On pourra enfin permettre à une lesbienne tibétaine et. paraplégique de tenir le rôle d’Œdipe

  • Bah la prochaine fois il suffira de faire jouer la tragédie par des transsexuels en burqa. Succès instantané; a minima absence religieuse de critique.

    • la tournée au proche orient s’annonce chaude….

      • Faisons d’une pierre deux coups: invitons les cadres du CRAN en mission d’observation lors de la tournée au MO pour qu’ils y découvrent le bonheur dans des sociétés totalement non oppressives, non patriarcales et non racistes.

  • Les membres du CRAN sont en fait des racistes. Comme nous l’a montré l’histoire du 20e siècle, les racistes sont toujours autoritaires et violents, tout simplement parce que ce sont des crétins. Impossible de raisonner avec eux.

  • Notre héritage est voué à la poubelle .
    Ceux qui s’en réclament devront le faire dans la sphère privée avec le bouche à bouche pour toute publicité .
    ,Démographie, associée à idéologie, et dhimmitude vont rendre les judéo chrétiens marginaux puis clandestins chez eux…

  • Si la connerie était du bicarbonate ces idiots là n’arriveraient pas à faire roter une mouche.

  • En anachronisme et victimisation, une vraie défaite intellectuelle dont notre société repentante est largement responsable.

  • Et puis je ne vois pas en quoi le blackface est raciste. A ce compte la, le transformiste est misogyne…

  • Une société hypocrite de pleutres effarouchés qui se fabrique une vertu moralisatrice pour se croire courageuse…

  • Les commentaires sont fermés.

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