Les jeunes Marocains sont-ils intrinsèquement « fonctionnairophiles » ?

Les jeunes Marocains sont présentés comme étant des inconditionnels de la fonction publique. Qu’en est-il vraiment ?

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Les jeunes Marocains sont-ils intrinsèquement « fonctionnairophiles » ?

Publié le 24 mars 2019
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Par Hicham El Moussaoui.
Un article de Libre Afrique

Au moment où des jeunes enseignants contractuels continuent leur grève afin de protester contre l’introduction de la contractualisation dans l’éducation nationale et la remise en cause de la sécurité de l’emploi à vie, ces jeunes sont présentés comme étant des inconditionnels de la fonction publique.

Et ils ne sont pas les seuls qui sont qualifiés comme tel, puisque si l’on en juge par la dernière enquête nationale socioéducative disponible (2016), 60 % des bacheliers n’ont d’yeux que pour la fonction publique. Alors, s’agit-il d’une culture de fonctionnariat qui a été normalisée au fil du temps dans le pays ou la vérité est-elle ailleurs ?

Un manque de préparation aux exigences du secteur privé

C’est un secret de polichinelle de dire qu’une bonne partie des jeunes Marocains n’est pas habilitée à relever les exigences du salariat dans le privé et encore moins celles de l’entrepreneuriat. L’inadéquation entre la formation et l’emploi est malheureusement un frein majeur à la qualification et l’insertion professionnelle des jeunes.

En effet, la majorité des étudiants choisissent souvent des filières qui ne correspondent pas aux besoins des employeurs sur le marché du travail, soit parce qu’ils n’ont pas les atouts et/ou les moyens financiers nécessaires, soit parce que l’offre pédagogique n’existe pas.

Certes, ces dernières années, les établissements scolaires commencent à réajuster leurs formations ; néanmoins le contenu, la qualité et l’encadrement ne sont pas toujours à la hauteur des attentes des employeurs. Par suite, tous ces jeunes ayant un diplôme, presque par défaut, n’ont d’autre espoir que d’intégrer la fonction publique, à la fois parce que ses exigences sont moins rédhibitoires que dans le secteur privé, et parce que l’architecture de l’enseignement public a été conçue depuis l’indépendance en priorité pour occuper les administrations.

Ceci dit, tous les jeunes ne choisissent pas la fonction publique par défaut, mais surtout parce qu’elle présente des avantages avérés par rapport au secteur privé.

Un fonctionnariat rendu plus rentable que le salariat privé

Comme tout être humain, et c’est légitime, les jeunes font des choix en effectuant des arbitrages personnels entre les coûts et les bénéfices associés aux options s’offrant à eux. Et cet arbitrage est influencé par les règles encadrant l’emploi aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public.

La première de ces règles est la rémunération. Et contrairement aux idées reçues, en 2018 au Maroc le salaire moyen dans la fonction publique s’élevait à 7 549 dhs contre 5 120 dhs dans le privé. Le même écart touche le salaire minimum qui est de 3 000 dhs dans la fonction publique contre seulement 2 570 dhs dans le privé.

Autrement dit, avec la fonction publique les jeunes auront la chance d’être mieux rémunérés. Ainsi, l’on se retrouve avec un salaire moyen dans l’administration dépassant largement celui du privé (1,52 fois) alors que l’écart public/privé est de 1,3 fois dans la région de Mena.

En sus de la rémunération généreuse, la fonction publique offre la sécurité de l’emploi et la couverture sociale, ce qui est loin d’être négligeable dans un pays où la précarité professionnelle est omniprésente et où les filets sociaux font défaut. En effet, les emplois créés par le secteur privé restent l’œuvre de TPE/PME (86 % employant moins de 11 salariés), faiblement qualifiés et insuffisants en nombre pour favoriser une insertion professionnelle des jeunes diplômés.

Par ailleurs, selon les statistiques du HCP, 59,4 % ne disposent pas de contrat, et ce taux atteint près de 79 % chez les moins de 25 ans. Et qui dit absence de contrat, dit un plus grand risque d’exposition aux aléas dans le privé pour les jeunes futurs employés (accidents de travail, maladies, etc.). Ainsi, près de 3 sur 4 employés (74 %) dans le privé ne disposent pas de couverture médicale de base, et 80 % ne sont pas couverts par un système de retraite.

Par ailleurs, le privé n’est pas réputé pour ménager les employés. En effet, quatre actifs occupés sur dix (40,4 %) travaillent plus de 48 heures par semaine dans le secteur privé (plus que les 44 heures légales par semaine). Avec ce constat implacable de la précarité de l’emploi dans le secteur privé, il n’est pas étonnant qu’un employeur privé ait une image de cupide exploiteur chez la majorité des jeunes Marocains.

Enfin, en matière de gestion de carrière, là encore le secteur public présente des avantages aux yeux des jeunes par rapport au secteur privé. En effet, concernant l’évaluation et la progression, la productivité et la compétence sont fondamentales pour les entreprises privées, alors que dans la fonction publique ce sont les diplômes, la règle du jeu étant calée sur l’ancienneté et le dialogue social.

De même, le contrôle est plus strict dans le secteur privé car l’employé est sanctionné en cas de défaillance ou absentéisme, contrairement au secteur public où il y a davantage de laxisme et de tire-au-flanc. Autrement dit, un fonctionnaire bénéficie de plus de liberté et d’indulgence qu’un salarié du secteur privé. Il peut aussi profiter de la mise en disponibilité (congé sabbatique) pour mener un projet personnel tout en retrouvant ensuite son emploi. Le salarié d’entreprise n’a lui aucune garantie de cet ordre. Il est face à une procédure discrétionnaire dépendante du bon vouloir de l’employeur.

Somme toute, la majorité des jeunes Marocains ne porte pas la fonction publique dans son ADN. Les jeunes sont juste rationnels, car en faisant un calcul simple, ils s’aperçoivent facilement qu’être fonctionnaire est plus rentable que devenir salarié d’une entreprise. Il s’agit d’une discrimination entre les deux secteurs engendrée par les règles du jeu institutionnel organisant la rémunération, la protection sociale, le temps de travail, la gestion de carrière, la durée de contrat et l’évaluation.

Autrement dit, si demain sont mises en place les mêmes règles, pour davantage d’équité dans les deux secteurs, il ne serait pas étonnant que moins de jeunes souhaitent devenir fonctionnaires ; et il y aura certainement moins de chômage volontaire.

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  • Il semble me souvenir que, il y a quelques années, la proportion de bacheliers qui, en France, voulaient intégrer la fonction publique était de 75 %, pour les mêmes raisons. Qu’en est-il aujourd’hui ?

  • bienvenue au club , en france les plus brillant vont pantoufler dans l’administration et ce sont les moins instruits qui créent les entreprises..
    voir le resultat dans le classement de notre pays

  • Eh….. nous sommes au Maroc ? Je connais un pays ou Une majorité de diplômés rêve de rentrer dans la fonction publique. Horaires, temps de travail, salaire dans beaucoup de cas, sécurité de l’emploie à vie, absentéisme, et enfin age de départ et niveau de rémunération à la retraite sont devenus au fil du temps plus avantageux dans le public. Je me rappel il y a bien longtemps de cela, quand je suis sorti avec mon diplôme un de mais amis est entré à EDF, la plus d’entre nous l’ont considéré comme un « raté », aujourd’hui c’est le graal. Et surtout ne me mettez pas en avant infirmières et policiers qui ne sont pas le reflet mais le fer de lance d’une fonction public française bien moins efficace et surpayée par rapport au le privée.

    • Désolé « un de mes amis »

    • @ Boysander
      Oui, ces pays marchent sur la tête, évidemment, car l’administration ne produit rien qu’elle-même et les taches qu’elle s’invente. Autrement dit, c’est évidemment le privé qui produit et vend, qui nourrit l’état, pas le ministre!
      La fin est fatalement prévisible!

  • C’est rigolo. On pourrait adapter à quelques détails près à une grande partie des Français.

  • C’est le cas dans toute l’Afrique, et en France! Quand il n’y a pas d’entreprise pour créer des emplois, le seul recours est fonctionnaire!

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