Grand débat ou grand déballage fiscal ?

L’administration dispense des règles de transparence au contribuable qu’elle ne s’applique pas elle-même.

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taxes By: Mike Cohen - CC BY 2.0

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Grand débat ou grand déballage fiscal ?

Publié le 14 mars 2019
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Par Pierre Farge.

À l’heure de la fin du Grand débat incité par un mouvement populaire sans précédent, et un million de contributions plus tard en près de deux mois sur la plateforme en ligne prévue à cet effet, la fiscalité arrive en tête des préoccupations, avant l’écologie et la démocratie.

Toutes sortes de revendications sont soulevées par les Français, relatives à la baisse d’impôts. Pierre Farge, avocat fiscaliste, apporte un témoignage de terrain sur cette nécessité de redonner sens à une certaine justice sociale et fiscale, obligeant par exemple à sortir de l’opacité par laquelle l’administration s’autorise à diligenter ses contrôles fiscaux.

La politique fiscale est peut-être le dernier outil que contrôle vraiment l’État.

Dans la mesure où l’outil monétaire est aux mains de la BCE, et que le chômage, autant que la dépense publique, sont de plus en plus incontrôlés, il n’est pas insolent de penser à cette voie pour répondre au drame social qui sévit depuis 18 semaines en France ; et donc de s’intéresser de plus près au comportement de l’administration elle-même à l’égard de l’impôt, et notamment sa façon de diligenter ses contrôles fiscaux.

Une fiscalité sans foi ni loi

Depuis un arrêté du 28 août 2017, l’administration fiscale dispose d’un traitement automatisé de lutte contre la fraude dénommé CFVR. Ce traitement permet à l’État de croiser diverses bases de données et modéliser les comportements frauduleux pour mener des actions de prévention, de recherche, de constatation ou de poursuite d’infractions fiscales.

L’algorithme utilisé dans le cadre de ce traitement est basé sur des techniques de data mining. Autrement dit,

  • un ensemble d’outils informatiques opaques permettant pour la première fois la programmation des contrôles fiscaux, l’exploration et l’analyse de différentes données en même temps,
  • et centralisé sur une seule et unique base informatique pour un ciblage des entreprises laissant présumer un risque d’erreur ou de fraude.

Un état de fait permettant donc d’augmenter de façon exponentielle la productivité de l’administration en matière de contrôle, aux dépens potentiel de tous les contribuables.

Dans quelle mesure le droit des contribuables peut-il être respecté par un algorithme tenu secret ? Facilite-t-il la relation de confiance entre l’administration fiscale et les contribuables d’un système plus juste à l’origine d’un Grand débat national sans précédent ?

Une position de l’administration discrétionnaire et absurde

C’est pour répondre à ces questions que nous avons demandé à l’administration fiscale la communication de la grille d’analyse permettant de connaître les critères de sélection des contribuables contrôlés, et donc une certaine transparence sur les algorithmes utilisés sur des millions de contribuables.

Celle-ci n’a pas donné une suite favorable, prétextant une jurisprudence antédiluvienne rendue par le Conseil d’État le 12 décembre 1990, indiquant que l’administration ne doit pas communiquer les « documents révélant les critères » qu’elle retient pour « sélectionner le dossier d’un contribuable » afin de le contrôler. Pareille communication porterait, soi-disant, atteinte à la recherche des infractions fiscales au nom du Code des relations entre le public et l’administration (article L. 311-5).

Las mais non moins déterminé, nous avons donc fait appel en saisissant la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). Confirmant le refus, cette initiative a pourtant eu le mérite, dans son avis, de témoigner d’une argumentation édifiante de l’administration :

la communication de ces documents porterait atteinte à la recherche, par les services compétents, des infractions fiscales, et par conséquent ne serait pas communicable avant l’expiration d’un délai de vingt-cinq ans à compter de leur élaboration ou (tenez vous bien) de la date du document le plus récent figurant dans le même dossier.

Autrement dit, au prétexte d’ajouter au fil des ans un document au dossier du contribuable en question, ce délai pour réclamer un document serait quasiment imprescriptible !

Mettre fin à l’opacité

Cet état de fait permet donc de conclure qu’autrefois toute circulaire interprétative était publique, à savoir dans un souci de transparence et de respect du contradictoire accessible dans le bulletin officiel. Mais qu’aujourd’hui, à l’heure de la digitalisation des outils de contrôle, les circulaires, et les interprétations de circulaire sont remplacés par des algorithmes, et une interprétation de ces algorithmes curieusement non communiquée au justiciable.

L’administration doit s’imposer la même transparence que celle attendue des contribuables à l’occasion de leurs déclarations fiscales.

Par ces logiciels occultes, l’administration remplace ainsi petit à petit toutes les interprétations connues et exploitables de la loi, privant insidieusement le contribuable, et ses avocats, d’informations utiles à la défense de ses droits.

Sous couvert de progrès informatique et de digitalisation des procédures, l’arbitraire n’a alors plus de limite.

Dans cette mort des libertés publiques, l’algorithme autorise potentiellement l’administration à tout justifier à titre expérimental sous couvert de logiciels de chiffres qui n’agissent donc plus du tout par hasard.

Des recommandations de la CNIL non suivies d’effet

Dans ces conditions, il faut d’urgence se conformer à l’avis de la CNIL, alors favorable, à la condition que ce système informatique reste

un outil d’aide et d’orientation des travaux des agents et non pas un outil de profilage destiné à identifier directement des fraudeurs potentiels.

Et de préciser que :

si la lutte contre la fraude fiscale est un objectif à valeur constitutionnelle, la commission estime toutefois, au regard du nombre de personnes concernées et des techniques mises en œuvre, que des garanties appropriées doivent être prévues. À ce titre, le caractère expérimental de cette extension constitue une première garantie, dans la mesure où cela permettra au ministère de déterminer l’opportunité d’un tel dispositif ou les éventuelles améliorations à y apporter. La commission rappelle néanmoins qu’un rapport circonstancié devra être établi et lui être communiqué1.

Force est de constater que ce rapport attendu pour le début de l’année 2019 n’est toujours pas arrivé.

L’administration dispense donc des règles de transparence au contribuable qu’elle ne s’applique pas elle-même.

  1. Délibération n°2017-226 du 20 juillet 2017 portant avis sur un projet d’arrêté modifiant l’arrêté du 21 février 2014 portant création par la direction générale des finances publiques d’un traitement automatisé de lutte contre la fraude dénommé « ciblage de la fraude et valorisation des requêtes ».
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  • ce pays est malade.. çà devrait très mal se terminer

  • Difficile d’adhérer à ces propos : la plupart des entreprises se plaignaient, à juste titre, de la multiplicité des contrôles fiscaux approfondis, indispensables lorsque tous les contribuables ne peuvent être contrôlés et que seul un contrôle aléatoire est mis en place. Le croisement des fichiers n’est qu’un outil supplémentaire permettant d’alléger les contrôles des entreprises qui paraissent vertueuses au détriment de celles dont des éléments, préalables au contrôle, indiquent des anomalies si pas des irrégularités. Ce processus est, en outre, auto-éducateur pour le ministère des finances, lui permettant de cibler de mieux en mieux le profil des entreprises susceptibles de frauder : il est donc, pour un libéral, un bon exemple du meilleur usage possible des ressources mises à disposition d’un ministère pour arriver au résultat souhaité. La mise à disposition du public de ces critères évolutifs reviendrait à proposer « le petit fraudeur pour les nuls : quels pièges éviter pour ne pas être repérés par le fisc », réduisant à néant, ou au moins à presque rien, l’efficacité de la technique

    • C’est vrai, et si la fiscalité était simple et stable ça ne poserait pas de problème. Où les risques de dérapage sont grands, c’est qu’on peut très bien imaginer que les données recueillies soient utilisées non pour détecter des fraudeurs, mais pour modifier « au vol » les règles fiscales et transformer impromptu les optimisations jusque là honnêtes en fraudes en fonction d’une espérance de perception ainsi détectée. Encore une fois, la simplicité de l’imposition est la meilleure arme anti-fraude !

    • En effet je ne peux pas non plus adhérer à cet article, pour une fois un service public est performant, cette traque n’est que la résultante d’un système trop complexe et mouvant. Encore une fois on développe des trésors d’imagination pour collecter toujours plus sans vraiment chercher les économies, quand est il de la mise en place d’outils performants pour la recherche des fraudeurs aux bénéfices sociaux qui permettrai peut être d’économiser plus que ce système ne collectera.

      • La collecte des taxes, seul domaine dans lequel l’état est performant! Quant on y réfléchit, c’est d’ailleurs le seul domaine qui lui est important, tout concorde…

      • Non seulement on pille les contribuables au mépris des Droits de l’Homme pour mieux accuser de fraude ceux qui ont l’outrecuidance de se défendre, mais en plus on piétine allègrement la vie privée de toute la population pour élargir encore plus le cheptel des vaches à traire.

    • Quand la lame de la guillotine est remarquablement aiguisée le condamné est béat de plénitude …

    • Big brother, festivus,festivus !
      L’ami du progrès découvre le camp du bien …
      Moraline comme tu adoucis les pavés de l’enfer … (suite et fin)

  • @lucx, nous savons très bien que la fiscalité est illisible et que nos « techniciens en taxes » vendent leur expertise à prix d’or justement pour y échapper. Dans l’algorithme je présume qu’il n’y a pas les noms de nos élus ? L’on parle des entreprises comme des malpropres. Des fraudeurs il en existera de plus en plus. La France est un enfer fiscal et personne d’honnête peut dire qu’il y comprend quelque chose. De là nous sommes tous et toutes hors la loi. Forcément. Ce matin je regardais la météo. Froide et maussade. Je pensais qu’il serait opportun que tf1 diffuse à 20h30 et ce juste après la météo une carte météo fiscale. Elle serait en alerte orange (ou même noire) avec des avis de tempête et de grêle.

    • « La France est un enfer fiscal et personne d’honnête peut dire qu’il y comprend quelque chose. »
      Et ce n’est pas un hasard. Une fiscalité claire, simplifiée, cohérente et honnête ne laisserait que peu de place à ce qui fait la dangerosité de l’administration fiscale : l’interprétation.
      C’est en l’invoquant que vous êtes taxé d’office au maximum, même si vos arguments sont recevables. Car c’est à vous de prouver votre honnêteté face à une administration juge et partie. Et qui a tout loisir de refuser vos arguments sans motif.

  • Et oui, l’Etat n’a a priori aucune confiance dans le contribuable quel qu’il soit. C’est pourquoi, tous sont des fraudeurs en puissance et qu’il faut bien des outils toujours plus puissants pour contrôler.
    Le revers de la médaille, c’est que les représentants de l’Etat sont de plus en plus considérés par les contribuables comme des escrocs profiteurs.
    On en arrive à un pays où personne ne fait confiance à personne et tout le monde déteste tout le monde.
    On peut résumer les Français comme une bande d’escrocs, de profiteurs, et de fraudeurs.

  • Michel0, oui. Et nous savons maintenant que l’administration peut voter et faire appliquer des impôts anti constitutionnels pour une période « flash pasteurisation » puis proposer de rembourser selon des critères opaques. Clairement si le FISC peut se la jouer comme bon lui semble sans contre pouvoir l’on peut parler de dictature (fiscale). Si cette main mise sur notre pognon n’a qu’un seul but: maintenir en vie une administration obsolète et collectiviste alors je dis que l’on est fucked up.

    • Il ne faut pas voir les choses comme ça. Les impôts possèdent tout vos revenus, et par bonté d’âme ils vous en laissent un peu. Et vous vous plaignez lorsque par compassion ils vous donnent (je dis bien donner car c’est le leur) un peu d’argent en plus à la fin de l’année?
      L’état est déjà passé à la question suivante. « Est ce que l’argent sur votre assurance vie/votre appartement est vraiment le votre…? »

  • Le « contrôle fiscal » est a l’administration des finances ce que le « Parquet financier » est a la justice et au pouvoir. Un bras armé, un outil de manipulation, un instrument de crapulitude déguisé en chevalier blanc. Souvenez vous de la présidentielle. Le mal est extrêmement profond.

    • @ Esprit critique
      La France a bien dépassé le stade d’enfer fiscal, il s’agit d’une administration crapuleuse (= à but de gain d’argent, légitimement ou pas).
      Parler de démocratie y devient vraiment ridicule.

  • @titi, l’Etat vole déjà 20% de ma nourriture, de mon véhicule neuf, ou de mon logement. Puis environ 60% de mes revenus. Il m’offre le privilège de payer une TH et une TF sur mon propre bien. Il me propose de voler mes organes en cas d’accident et de dépouiller mes descendants pour soulager leur peine. Vivre en France c’est une lente agonie et notre pulsation cardiaque est calquée sur celle de la fiscalité. Donc pour en revenir à l’article cette situation est extrêmement préoccupante puisqu’elle est dans des mains incontrôlables et incontrôlées. De là les dérives ne peuvent qu’augmenter.

  • Sauf si démocratie veut dire choisir une servitude plus qu’une autre 😉
    Mais si l’on dit République démocratique alors là de suite ça fixe le niveau. Osons ajouter République fiscale démocratique. L’on comprend bien qu’après avoir répondu au cahier des charges des 2 premiers mots qu’il ne reste plus grand chose pour correspondre à liberté, égalité, fraternité…et que l’individu pourra (et en fonction de ses capacités) contribuer « librement » et avec son « consentement » à l’impôt.

  • Quand le 1er Ministre dit: pour reformer la fiscalité, il ne sait pas faire et bien il demissionne !!! Par contre pour les taxes pas de problème !!!

  • C’est sympa un contrôle automatique des potentiels fraudeurs mais ,sans aucun doute aussi contre productif qu’il sera performant .on ne fraude pas par plaisir mais souvent par nécessité…combien d’entreprises en moins après avoir tondu les fraudeurs ?

  • Un drogué à la dépense ne peut que recourir à la violence pour payer sa drogue.

  • Je ne vois ou est le mal? Le contrôle surprise est le meilleure des contrôles. Ce n’est pas l’algorithme le coupable ni le codeur heureusement pour ma profession.
    Le datamining est partout, ça me rappelle les gens qui crient haro sur le boitier Linky bardés de smartphone alias le meilleurs amis des traceurs.
    La seule bonne question à se poser cela a t’il permit de réduire les couts, et d’augmenter la rentabilité?

  • De même que l’administration s’autorise des comportements en matière d’emploi qu’elle interdit aux entreprises privées.
    Arbitraire en effet.
    C’est pour ça ue lorsque M. Macron se prévaut de l’Etat de droit, on se demande s’il se paie notre tête.

    • Malheureusement et je le déplore fermement mais le social-nationalisme est un peu au porte ,qu’en déplaise a certain, Quand on interroge des Socialo en off, le passage du coté obscure est terrifiant.

  • C’est pas nouveau, l’Etat ne s’applique jamais à lui même ses propres lois.

  • la justice sociale… Ça me fait toujours marrer Lâ justice sociâââlllllle!!
    tu parles d un slogan ultra réducteur toi…
    comme si c était simple.

  • L’IFRAP a fait un très bon dossier. Le grand débat n’a rassemblé qu’un million d’individus ! L’avantage est que cela confirme le désintérêt total des gens pour cette dictature. Désintérêt qui vient du fait que l’on ne peut de toute façon rien changer. Même en cassant des vitrines…même en manifestant pacifiquement. Reste la fuite. Interne ou externe mais il faut disparaître !

  • Les commentaires sont fermés.

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