« La laïcité française n’est pas nécessairement antireligieuse »

Un entretien avec Philippe Raynaud, professeur de philosophie politique et membre de l’Institut universitaire de France à propos de son dernier livre : « La laïcité, histoire d’une singularité française » paru aux éditions Gallimard.

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« La laïcité française n’est pas nécessairement antireligieuse »

Publié le 12 mars 2019
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Contrepoints : Quelle est la place de la philosophie des Lumières dans l’Héritage de la laïcité à la française ? Quelle est la trace de la tradition intellectuelle physiocratique dans sa conception ?

Philippe Raynaud : Disons que la laïcité s’inscrit dans la même histoire que la philosophie des Lumières dans sa version française. La laïcité française hérite d’une histoire religieuse particulière, celle d’une monarchie absolue qui se voulait catholique mais qui, à la fin des guerres de religion, avait su imposer un régime de tolérance qui a duré un siècle et qui représente un premier seuil de dissociation entre la souveraineté étatique et la foi religieuse. Cette voie française est distincte de celle qu’ont suivie l’Angleterre et les États-Unis, où la tolérance s’est développée à partir de la diversité des Églises protestantes, et a d’ailleurs eu de la peine à s’étendre aux catholiques.

La logique américaine met initialement l’accent sur la liberté religieuse des croyants en partant de la société, là où la tradition française s’appuie plutôt sur l’État et cherche à limiter l’autorité de la religion pour assurer la liberté de tous, croyants et incroyants. La laïcité française n’est pas nécessairement antireligieuse et beaucoup de laïques étaient déistes, voire protestants libéraux comme Ferdinand Buisson, mais elle s’est formée dans un contexte d’opposition frontale entre les Lumières et l’héritage catholique.

Elle hérite de la tradition dominante des Lumières françaises l’idée que l’on peut faire de l’État un instrument de la rationalisation de la société et de défense des individus ; c’est sur ce point qu’on peut la rapprocher des physiocrates, dont un homme comme Condorcet, qui passe non sans raison comme l’un des pères fondateurs de la laïcité, est dans une certaine mesure l’héritier. Mais le développement de l’idée laïque a conduit à la séparation des Églises et de l’État, qui repose sur une idée plus libérale de la liberté religieuse que celles de Voltaire ou des Encyclopédistes ; ces derniers  penchaient pour une politique de contrôle étatique des Églises, comparable à celle de Joseph II en Autriche et dont le Concordat napoléonien est assez proche.

Il est question de réviser la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État. Pourquoi l’esprit de la loi semble s’être perdu pour beaucoup de nos contemporains ? Ne fournit-elle pas les outils nécessaires pour relever le défi de l’émergence de l’Islam en France ?

Le développement de l’Islam pose de multiples problèmes inédits à la laïcité française, qui conduit à hésiter entre un modèle de type concordataire qui lui donnerait un statut proche de celui des cultes reconnus et une interprétation inexacte de la Loi de 1905 qui, sous prétexte que la laïcité vaut pour l’État et non pas pour la société, méconnaît certaines difficultés posées par l’activisme islamiste. Cela dit, si rien n’oblige à sortir de la logique de 1905, rien n’interdit de la modifier ; disons simplement, pour paraphrase Montesquieu, que la loi de 1905 est de celles auxquelles on ne doit toucher que d’une main tremblante.

Face à l’émergence des politiques identitaires et du multiculturalisme, le modèle laïc et républicain français a-t-il un avenir ? Les transformations sociologiques et historiques ne le condamnent-t-il pas à terme ?

La laïcité est la forme française du processus de sécularisation, dont elle accentue certains traits : la reconnaissance de la liberté des croyants et des incroyants, la protection de la société contre l’activisme religieux, la séparation des ordres, la retenue dans l’usage politique des références religieuses, la discrétion dans l’affichage des convictions ultimes.

Ces exigences sont en effet ébranlées par l’évolution des démocraties, mais celle-ci n’épargne pas non plus les mœurs, les manières et les traditions sur lesquels se sont construits les autres modèles de sécularisation. Sur ce point comme sur d’autres, le modèle républicain ne peut survivre qu’en se modifiant, mais cela n’implique nullement que l’on abandonne ses principes ; comme dirait Benjamin Constant, le problème est de trouver les « principes intermédiaires » qui permettront sa transposition dans notre monde.

Philippe Raynaud, La laïcité. Histoire d’une singularité française, Paris, Gallimard, 2019, 256 pages.

 

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  • il n’y aurait pas de problème si l’Islam n’était qu’une religion, mais c’est aussi une loi civile qui régit la vie quotidienne de croyant, et qui ne fait pas de distinction entre le matériel et le spirituel. Ajoutez à cela un prosélytisme violent et vous aurez une idée du problème.

    • C’est pourquoi aucune révision de la loi de 1905 ne résoudra le problème. Seule la stricte application – sans complaisance et sans électoralisme – des lois francaises actuelles aux dérives politiques de l’islam peut nous sortir du pétrin.
      Vouloir adapter la loi de 1905 serait un mauvais premier signe de reconnaissance des spécificités que tente de faire surgir l’islam politique.

  • Une singularité française en droite ligne avec une autre singularité, un état centralisé. Alors évidemment avec des socialos athées ça peut virer au totalitarisme athée (loi Savary par exemple). D’ailleurs mélanchon veut supprimer le concordat en Alsase-Moselle.

    La centralisation est une dictature administrative, l’ENA puis la Véme ont enfoncé le clou. Une République des ingénieurs se réjouissait Pompidou. Pfff !

  • La laïcité,….c’est vraiment le truc le plus tordu que je connaisse !
    A priori cela a un rapport avec ..l’église pas la religion. Donc c’est simplement empêcher un parti politique de reconquérir le pouvoir.
    D’ailleurs les religions ne sont pas absentes de la République et sont au contraire très influentes ,les cathos les musulmans les juifs les écolos règlent nos vies comme du papier a musique !.
    Un truc amusant concerne la religion musulmane ,on veut absolument qu’elle ait son pape qu’elle se transforme en …église..pour pouvoir la combattre évidement voir l’interdire au nom de la laïcité !
    Pour la religion juive se pose le même problème mais cela c’est résolu facilement avec un antisémitisme ancien et qui dure toujours grâce a une bonne présence médiatique.
    La laïcité , une arme pour garder le pouvoir , on ne peut pas lutter contre le divin avec des idées telles que la centralisation du pouvoir entre deux mains et parler de democratie…le dieu unique ,lui , délégue son pouvoir a des élus vivants en vertu de prophètes et de saints morts depuis longtemps ..si ils ont vraiment existé mais cela n’a pas d’importance …le’ps ne jurait que par Jaurès le pc a aussi ses saints..la droite ,de Gaule……pas vraiment des saints hommes non ?
    Donc , on doit absolument supprimer cette loi sur la laïcité pour retrouver la liberté et chasser l’usurpateur , la republique a assez durée !

    • La laïcité en principe n’est pas anti-religieuse, elle récuse les religions d’État et limite l’exercice des cultes à la sphère privée. La laïcité à la française, promue par la gauche anticléricale, est exclusivement anticatholique.

  • Il est certaines personnes qui poussent la laïcité jusqu’à l’athéisme
    En fait l’état se doit d’être agnostique au sens absolu du terme et donc d’une certaine façon ne jamais prendre parti !
    L’islam n’a pas vocation à quelque autorité que ce soit dans notre système français, au premier chapitre duquel son intolérance l’en exclut

    • comme dit plus haut, l’islam n’est pas une religion, c’est un système politico-religieux totalitaire et théocratique. Comme ses principes sont incompatibles avec la Constitution de la France, il n’a pas sa place chez nous.

  • Très juste puisque la liberté religieuse est garantie! Mais à condition qu’elle ne soit pas ostentatoire et agresse les autres.

  • La Laïcité n’a jamais été anti religieuse !
    Simplement mettre a l’abri l’homme libre des dogmes religieux est la moindre des choses. D’ailleurs ne luttent on pas contre les sectes pour en protéger les victimes ?
    Eradiquer l’idéologie islamique est donc une urgence , ABSOLUE !

  • La laïcité , c’est le respect de toutes les religions. Dans tous les pays où la laïcité existe , aucune religion , n’est persécutée ni interdite. Tous les croyants ou sans religions ont les mêmes droits et devoirs.
    En revanche , dans tous les pays , musulmans où la laïcité est considérée, comme athéisme, aucune personne ne peut se déclarée , ni athée ni sans religion, sous peine d »emprisonnement ou même d’être tuée. Il suffit , de voir comment sont traités , les différentes religions dans les 57 pays musulmans pour avoir le coeur net. Sans parler des accusations de blasphème , l’arme atomique pour tuer , n’importe quelle personne.

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Pierre Valentin est diplômé de philosophie et de science politique, ainsi que l'auteur de la première note en France sur l'idéologie woke en 2021 pour la Fondapol. Il publie en ce moment Comprendre la Révolution Woke chez Gallimard dans la collection Le Débat.

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