Peut-on résoudre le problème de la dépigmentation avec une loi ?

Combattre un phénomène aussi enraciné que celui de la dépigmentation de la peau ne peut se réduire à la promulgation d’une loi.

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Peut-on résoudre le problème de la dépigmentation avec une loi ?

Publié le 8 février 2019
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Par Blandine Angbako.
Un article de Libre Afrique

Depuis novembre 2018, le gouvernement du Rwanda met en œuvre une politique de lutte contre la commercialisation et l’utilisation des produits de dépigmentation. Le recours aux produits cosmétiques pour éclaircir la peau est un phénomène généralisé en Afrique. Entre 25 et 77 % de femmes sont concernées selon l’OMS. La méthode de descente dans les commerces aux fins de saisir les produits incriminés et la sensibilisation aux risques de santé encourus sont-elles efficaces ?

Limites d’une approche purement légale et répressive

L’action du gouvernement rwandais repose sur l’article 15 de la loi relative à la règlementation et à l’inspection des produits alimentaires et pharmaceutiques qui dispose : « Les produits cosmétiques doivent être exempts de substances toxiques, répondre aux normes de qualité en vigueur dans le pays et être préparés conformément aux principes de bonnes pratiques de préparation applicables » ; une disposition insuffisante car ne prenant pas en compte les spécificités des problèmes de santé publique posés par l’usage de ces produits.

Dès lors, il s’avère nécessaire d’initier une loi plus spécifique et entièrement consacrée au problème de la dépigmentation, l’objectif étant de définir clairement les sanctions attachées à la commercialisation des produits éclaircissants allant de l’amende à la peine d’emprisonnement, en passant par la fermeture des usines de fabrication et des commerces de vente, ainsi que la saisie des produits incriminés.

Mais au-delà de l’élaboration de la loi, c’est plutôt son application qui est problématique. D’abord, parce que si avec cette loi, peuvent disparaître l’importation légale et la commercialisation de ces produits, cette approche risque de faire naître des réseaux clandestins d’approvisionnement quand l’on sait qu’une grande part des activités commerciales ne sont pas déclarées ni enregistrées et échappent à la réglementation et à l’impôt.

Ensuite, l’application d’une telle loi exige la mobilisation de moyens matériels et humains qui ne sont pas gratuits. Avec les contraintes budgétaires du gouvernement rwandais, il serait difficile d’effectuer des contrôles effectifs et efficaces.

Enfin, parce qu’avant le Rwanda, plusieurs autres pays dont la Côte d’Ivoire, le Ghana, la Gambie, le Sénégal ont tenté l’approche purement répressive, sans succès. La vente et l’achat se font encore dans des espaces publics accessibles à tous. Le point commun entre ces différents pays est qu’ils agissent sur l’offre, c’est-à-dire sur la source de production. Pourtant, puisqu’il s’agit d’un marché où l’offre rencontre la demande, il faudra aussi travailler à assécher la source de la demande.

Agir sur la demande pour des résultats plus tangibles

La mise en évidence des dangers sanitaires et l’application de sanctions à l’encontre des industries cosmétiques ne semblent pas suffire. La raison tient au fait que le phénomène du blanchiment de la peau est devenu une norme sociale au Rwanda et ailleurs en Afrique. Une norme entretenue d’abord par le regard des hommes qui affichent de manière ostentatoire leur préférence pour des peaux plus claires.

Compte tenu de l’état de dépendance des femmes africaines, dont parfois le projet de vie se réduit à trouver un mari, il n’est pas étonnant de voir qu’elles seront prêtes à tout pour plaire aux partenaires potentiels. Par ailleurs, la communication autour des produits éclaircissants, qui véhicule des images et des symboles de beauté toujours à la peau claire, a fini par imprimer dans l’esprit des Africaines ce modèle-type de beauté auquel il faut se conformer.

Ceci étant, il faudrait remonter le fil de l’histoire pour comprendre les ressorts de cette demande pour ces produits de dépigmentation, qui trouve son origine dans des traumatismes liés à l’identité historique et qui se sont traduits par des complexes d’infériorité. C’est la conséquence de traumatismes liés à la stigmatisation de la peau noire pendant la colonisation, et fondée sur une pseudo supériorité de la race blanche.

Dès lors, la première arme dans la lutte contre le blanchiment de la peau demeure d’abord la réconciliation avec soi. Cela exige une rééducation qui doit débuter dans le cercle familial. L’enfant doit être éduqué à la préservation de la couleur de sa peau, symbole de son identité et de son authenticité africaine. De même, il est indispensable d’inclure dans les programmes scolaires d’histoire des séances de revalorisation identitaire au delà du contenu académique classique. Pour ce faire il est impératif que les Africains réécrivent l’histoire de l’Afrique en mettant en exergue les valeurs et qualités attachées à l’Homme noir.

Dans cette optique, impliquer les organisations de la société civile rendra la lutte plus efficace en raison de leur proximité avec les différentes couches de la population. À travers des campagnes de sensibilisation, des formations, des panels, des débats, des focus group d’échange, ces organisations pourront susciter l’intérêt et l’adhésion à ce processus de revalorisation de l’identité africaine.

Avec les gouvernants elles doivent s’accorder à porter ce combat et à diffuser le message à travers tous les canaux de communication : télévision, radio, presse, cinéma et affichage doivent être utilisés pour créer des contre-valeurs esthétiques destinées à inhiber progressivement la publicité incitative sur le sujet. Les motivations esthétiques avancées par les consommateurs de produits dépigmentant encouragées à coups de publicité sont souvent le reflet d’un mal-être. C’est pourquoi la campagne d’éducation doit associer un aspect de suivi psychologique.

La capacité des médias à influencer les modes de pensée et à créer des habitudes au sein de la population peuvent servir à initier une thérapie subtile autour de l’identité africaine. Des films documentaires, des émissions de débat, des magazines constituent un cadre pour aborder les causes profondes de la négation de soi et intégrer la bonne attitude.

Avec 453 millions d’utilisateurs d’internet, 191 millions d’utilisateurs actifs sur les réseaux sociaux et 172 millions d’utilisateurs actifs sur mobile, Internet et en particulier les réseaux sociaux doivent donc être au cœur de la sensibilisation sur l’utilisation des produits dépigmentant afin d’atteindre une cible plus grande. La campagne digitale devra associer les rois de la toile, les « influenceurs ». Ces derniers, véritables communicateurs, parviennent à mobiliser une adhésion des internautes autour de leur personne et leurs projets.

Combattre un phénomène aussi enraciné que celui de la dépigmentation de la peau ne peut se réduire à la promulgation d’une loi, aussi nécessaire soit-elle. Dès lors, l’approche idoine devrait viser aussi bien l’offre que la demande de ce genre de produits afin d’éradiquer le mal à la racine.

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  • Décidément, on a le même problème en Asie. En Thaïlande où je suis, de même que dans notre ancienne Indochine, les femmes s’éclaircissent systématiquement la peau avec des produits bon marché qui souvent leur abîment la peau avec de vilains boutons ou des taches indélébiles. Et je me tue à leur répéter qu’à nos yeux d’Européens, leur peau couleur miel et bien plus belle que cette vilaine blancheur qu’elles affectent tant.

    • à mon avis, c’est surtout pour montrer qu’elles ne sont pas paysannes, obligées de travailler dans les rizières au soleil. c’est une question de statut social.

      • Tout à fait. Et cela remonte à loin puisque c’est ce qui distinguait l’aristocratie du peuple obligé de travailler. Cela n’a rien à voir avec notre blancheur!

  • Et pendant ce temps là, les blancs ne rêvent que de bronzer … la réalité est que chacun peut avoir du mal à s’aimer tel qu’il est. Et puis les modes sont prégnantes. Le « la » étant donné par les « élites » . Ainsi en europe il fallait être potelé quand les gens avaient du mal à se nourrir et maintenant à l’inverse, il faut être mince car être gros fair peuple maintenant que nous nageons dans la junk food… quelle tyrannie s’inflige t on à nous mêmes … mais pas si simple de s’en libérer .

    • Pensez aussi aux femmes avec des cheveux raides qui rêvent de friser pendant que celles aux cheveux crépus / ondulés les rêvent raides. Sans parler des brunes qui se veulent blondes, des blonds qui veulent être roux, etc…

    • celles qui veulent être bronzées, c’est pour montrer qu’elles ont des loisirs de plein air, aller à la neige en hiver, en vacances à l’étranger au soleil, et pas coincées dans une usine éclairée au néon blafard toute l’année. c’est une question de statut social.

  • !??!!??!
    « C’est la conséquence de traumatismes liés à la stigmatisation de la peau noire pendant la colonisation, et fondée sur une pseudo supériorité de la race blanche. »
    A oui, c’est encore surtout pas votre faute, c’est la faute de la colonisation. Vous êtes profondément pitoyables, les africains. Comment pouvez vous vous appeler libre Afriques, alors que vous êtes encore des esclaves de votre passé. Tellement plus facile de couiner que le monde est trop méchant, que vous êtes des victimes, au lieu de vous remettre en question. Et si dans la pseudo supériorité de la race blanche, il y avait un fond de vérité ? Si les blancs vous avaient apportés la fin de l’esclavage (il y avait beaucoup d’esclaves dans les colonies européennes ?), des routes, des infrastructures, des connaissances, de la nourriture (fermiers blancs du Zimbabwe, d’Afrique du sud.)
    Les albinos africains ? Ils sont massacrés pour leur pouvoirs magiques ! Aller, un petit article au pif:
    http://www.black-feelings.com/accueil/detail-actualite/article/lutte-contre-le-massacre-des-albinos-africains/
    Vous me faites gerber.
    « les Africains réécrivent l’histoire de l’Afrique en mettant en exergue les valeurs et qualités attachées à l’Homme noir. »
    De quoi parlez vous exactement ? Les hommes qui fuient leurs pays parce que c’est trop dur d’y vivre ? Les hommes incapable de construire un truc qui soit pas en torchis ? Les hommes qui passent leur temps sous l’arbre aux palabres pendant que les femmes bossent dans les champs ? Des hommes incapables de se battre et de s’organiser contre des pillards islamistes (Mali, boko haram) ? Il faut encore que ce soient ces sales français qui aillent les défendre(Mali).
    Sérieusement ????

    • @cernu ce n’est pas tres agréable votre post. C’est le moins que l’on puisse dire. Même si je suis d’accord avec le fait que rejeter la faute sur l’autre ie. l’occidental est absconse(alors que les noirs africains pratiquaient la traite entre eux, sans parler de celle toujours pratiquée par les populations arabes). Maintenant pour ma part j’ai toujours eu une attirance / fascination pour l’Afrique même si je ne voudrais pas vivre avec leurs coutumes . Je suis d’accord avec l’auteur sur le fait que les Africains devraient travailler sur leur histoire avec des scientifiques et la mettre en mots et en paroles , afin de s’approprier leur histoire et d’aimer ce qu’ils sont . C’est pour moi un prérequis absolu afin de pouvoir construire sereinement leur futur. L’Afrique a aujourd’hui la plus forte croissance démographique , ce sont les plus dynamiques du monde.

      • Quelle Histoire ? Est ce qu’il existe des écritures antiques africaines, a part les hiéroglyphes, tient, j’ai pas cherché ? L’histoire nait avec l’Ecriture, je crois ?

        • @Cernu euh .. les gaulois et les celtes avaient une tradition orale , voulez vous dire que nous n’avions aucune histoire avant la conquête romaine ?

          • @Val
            https://fr.wikipedia.org/wiki/Ogham
            ok, j’en conviens, ce n’était pas non plus la bibliothèque d’Alexandrie, et effectivement, l’histoire existe sans l’écriture. Alors que les archéologues africains se mettent au boulot…

            • @cernu « que les archéologues africains se mettent au boulot… » oui , c’était mon propos

              • Justement, ils revendiquent la civilisation égyptienne, alors que l’on sait qu’elle était berbère! Les momies ont des cheveux lisses et non crépus. Mais il y eu une dynastie de Pharaons africains lorsque les Nubiens envahirent l’Egypte de -747 à -656 lorsque les égyptiens les chassèrent.

        • La vision « histoire / ecriture » est un peu reductrice. Les historiens ne travaillent pas qu’avec des ecrits (meme si ca aide beaucoup).

          Quoi qu’il en soit, bien que je trouve le commentaire exagere sur certains points, entierement d’accord avec la base.
          Attribuer tous les problemes contemporains de l’afrique aux seules colonies, c’est ridicule. C’est a croire que depuis 60 ans, les mecs ont toujours pas de bras, de jambes et de cerveau, qu’ils restent comme des cons toute la journee a se dire « si l’homme blanc n’etait pas venu, qu’est ce que nous serions riches ».

          Encourager l’entretien de cet esprit, c’est dire « hey les mecs, votre situation est pourrie, mais c’est pas votre faute, vous pouvez rien y faire ». C’est constamment rester tourne vers le passe au lieu de se projeter dans l’avenir.

    • « L’Afrique a aujourd’hui la plus forte croissance démographique , ce sont les plus dynamiques du monde. »
      Et c’est formidable ça?Quand il est pas avachi sous l’arbre à palabre l’homme africain se reproduit

  • Donc il faudrait un programme lourdement etatise de moralisation digne de la defense de l’aryanisme en allemagne pour que des femmes ne puissent pas choisir librement des produits qu’elles souhaitent consommer?

    Ensuite, les concepts de superiorite et d’inferiorite des couleurs de peau est tres certainement un resume tres facile et tres dans l’air du temps. Pourtant, on trouve des populations qui aimaient se blanchir la peau bien avant le contact massif avec l’occident et/ou la colonisation. Les geisha sont un bon exemple.

    • Une peau blanche est toujours signe de beauté en Extrême Orient (au-moins en Chine et au Japon, pour les pays que je connais un peu).
      C’est indépendant de toute colonisation ou de toute influence occidentale, c’est simplement que les congés payés ne sont pas passés par là : une peau sombre est encore associée au travail aux champs, donc aux classes sociales basses.

  • Tiens, les africains, avec le pognon qu’on vous file,
    https://pmepmimagazine.info/lagence-francaise-de-developpement-sadapte-a-la-donne-chinoise/
    vous avez qu’a faire des campagnes de pub pour éviter de vous blanchir la peau. Les albinos attendront………………………………………………………………………

  • En 1975, j’ai épousé une « noire » américaine….En fait une grande brune à la carnation transparente et aux yeux vert et au nez droit….Bien plus « blanche » que beaucoup de corses ou de catalanes…
    Seulement à l’époque aux USA certains milieux « spécialistes »es négritude rejetaient des métis comme ma femme et certains de ses parents….Ils avaient les mains comme ci, talons comme ça, ou le nez pas assez ou trop….Enfin, des conneries issues de leurs esprit racorni par un racisme idiot souvent colporté par des religieux qui je l’espère rôtissent à jamais en enfer.
    Je pense que cet état d’esprit vient de la défaite de la confédération que beaucoup n’ont pas encore digérée, et de la victoire de l’union, qui a voulu être trop victorieuse et a bousculé sans ménagement trop de traditions sudistes.
    Avant la guerre civile on était esclavagiste mais pas raciste, on confiait ses enfants à une nounou noire, son rasoir à son barbier noir, et quand le maréchal ferrant noir sauvait votre cheval préféré de la boiterie vous l’émancipiez lui et sa famille avec en plus un beau nom américain: Smith, Goodsmith, Ironsmith…..Une enseigne qui lui permettait de bien gagner sa vie.

  • C’est un autre problème mais tout aussi grave, celui d’asiatiques qui se font opérer pour débrider leurs yeux afin qu’ils aient le look européen. C’est triste!

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