La Chine va-t-elle dominer le monde ?

Le monde selon Xi Jinping.

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American and chinese flags (CC BY 2.0) by futureatlas

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La Chine va-t-elle dominer le monde ?

Publié le 3 février 2019
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Par Charles Castet.

« Et chaque sentinelle est responsable de tout l’empire » (Antoine de Saint-Exupéry, Un sens à la vie)

« Now I shall go far and far into the North playing the Great Game. » (Rudyard Kipling, Kim)

Le documentaire d’Arte « Le monde selon Xi Jinping » (mis à disposition gratuitement sur Youtube) est de très bonne facture et mérite un visionnage attentif. La méthode est sérieuse et le propos passionnant.

Néanmoins la problématique principale posée est discutable : la Chine va-t-elle dominer le monde ? Comment va-t-elle le dominer ? En admettant qu’un tel scénario se produise et en admettant que cela soit atteint en 2049 pour fêter le centenaire de l’arrivée de Mao Zedong au pouvoir, cela serait moins une nouveauté qu’un retour.

La Chine a dominé le monde en étant le pays le plus puissant au moins jusqu’au XVIIIe siècle avec cependant une très grosse différence par rapport à la domination européenne. La Chine était un monde en soi, bien balisé, parfois volontairement hermétisé par rapport à son environnement. Ce monde souvent clos, qui pratique l’ouverture seulement quand ses intérêts immédiats le postulent, est doté de quelques valeurs bien spécifiques à commencer par la centralité de la Chine1.

Et c’est l’un des points le plus intéressant du documentaire, le narrateur affirme « l’idéal pour Xi Jinping est un chef d’état, mais suffisamment pragmatique pour assurer le développement ». Or à ce moment de la narration, la caméra montrait Robert Mugabe (ex-président Zimbabwéen) et Jacob Zuma (ex-président Sud-Africain) tous deux évincés de leurs postes (par des manœuvres d’appareils et avec l’assentiment de leurs populations respectives, à défaut d’une participation active) pour ne pas avoir satisfait à ces deux critères.

Le rapport au communisme

Le documentaire commence par un très intéressant condensé de la vie du président Xi qui montre à quel point le président est pénétré de l’importance des symboles mythiques de la révolution (voir la scène du « salut camarades » lancé aux soldats), exprimant une forte conscience politique, commissaire de la Police armée populaire du comté de Zhengding dans le Hebei dès l’âge de 30 ans, ayant toujours cultivé ses liens avec l’armée. Voilà pour les symboles. Mais qu’en est-il du fond ?2

Si l’on met en perspective la Chine par rapport aux autres pays de l’ex-bloc communiste, cela permet également de comprendre le déroulement concret de la restauration du capitalisme : il s’agit effectivement d’une décision politique. En Russie la bourgeoisie russe d’aujourd’hui se recrute pour l’essentiel dans les rangs de l’ancienne nomenklatura (même si il existe une authentique classe d’entrepreneurs) ou des enfants de celle-ci.

D’autres décisions politiques auraient également pu être prises. Si le retour au capitalisme a été l’option retenue dans la grosse majorité des pays du l’ex-bloc socialiste (exception faite de Cuba et la Corée du Nord), la Chine a opté pour des réformes visant à renforcer le rôle du marché sans pour autant adopter purement et simplement un capitalisme à l’occidental, et certainement pas les structures politiques des pays de l’Ouest.

De fait, l’économie chinoise est d’un type particulier, et on se méprendrait en l’assimilant purement et simplement à un régime capitaliste où le parti communiste n’exercerait plus que des fonctions de dictature politique.

La propriété publique continue à y occuper une place centrale, et l’économie nationale y est encore pensée comme un tout, c’est-à-dire soumise à des plans quinquennaux s’inscrivant dans une stratégie continue de développement. La société chinoise développe ainsi ses propres rapports de classes, qui empruntent autant au capitalisme qu’aux pays de l’ex-bloc communiste, et permettent au pays de faire preuve, pour l’instant, d’un dynamique économique spectaculaire.

Il ne s’agit naturellement pas ici de faire l’éloge du régime chinois. Il s’agit simplement de souligner que la voie russe hors du socialisme n’était pas la seule possible.

Le président Xi est-il maoïste ? Si par maoïste, on entend au sens strict l’idéologie qui fut celle de Mao, probablement non. En revanche si on entend une croyance que « Un parti qui dirige un grand mouvement révolutionnaire, sans théorie révolutionnaire, sans connaissances de l’histoire, sans une compréhension profonde du mouvement dans sa réalité, ne saurait remporter la victoire » comme le disait lui-même Mao, alors probablement oui.

Pourtant ce genre de réflexion n’est pas spécifiquement marxiste. Chateaubriand dans son récit des révolutions de 1789 ou de 1830 écrivait que « toute révolution est faite avant d’éclater » et en concluait que toute structure politique est soumise à la condition de la foi. Un parti unique dont la seule source de légitimité serait le taux de croissance est à terme condamné. Le projet de Xi Jinping est une restauration, les éléments de cette restauration empruntent aussi bien certains aspects à Mao (plus sur la forme que le fond) qu’à la longue histoire chinoise. Le marché libre a sa place, qui n’est pas la première.

Que la Chine ne soit plus une société communiste est un fait acquis, il n’en reste pas moins que sa classe dominante la donne pour telle (y compris sous Deng Xiaoping) comme cela était montré dans « Le Monde selon Xi Jinping » mais aussi un autre documentaire publié sur Arte. Cela n’a pas besoin d’être vrai pour avoir des conséquences réelles, notamment au plan de la motivation. Une foi révolutionnaire réelle animait et anime toujours les travailleurs, foi à laquelle le système ajoutait de nombreux autres stimulants, comme l’explique Janos Kornai dans « Le système socialiste » : l’identification au travail, la recherche de prestige, la peur des sanctions, et, il faut le rappeler, des récompenses matérielles réelles et accrues depuis la transition à l’économie de marché.

Le livre d’Huntington, Le choc des civilisations, qui eut l’immense mérite de replacer les facteurs culturels et historiques au cœur de l’analyse stratégique, et déjà en 1993 anticipait le concept de modernisation sans occidentalisation peut apporter des clefs de compréhension.

Force est de constater que nombre de crises et de conflits contemporains ont lieu ou ont eu lieu sur les lignes de contact tracées dès 1993 par le politologue américain : ex-Yougoslavie, Caucase, Soudan, Inde-Pakistan, Chine-Japon, Japon-Corée… Les concepts du politiste commencent à percer après un quart de siècle, notamment celui de « la modernisation sans occidentalisation » dans la presse mainstream tel que le dernier article de The Economist sur les progrès scientifiques chinois.

Il permet de comprendre la logique des sommets « 16+1 » (un passé communiste commun entre Chine et pays d’Europe centrale et orientale) ou bien des sommets Chine-Afrique (réminiscence du sommet de Bandung en 1955, mouvements des non-alignés).

Deux axes de cette politique de puissance sont identifiés dans le documentaire :

  • Neutralisation des institutions internationales financières perçues comme l’extension financière des modes d’organisations sociétaux des pays occidentaux. Appuyée par les puissants moyens des nouvelles institutions financières globales (Banque de Shanghai, également dite des BRICS et Banque des Investissements d’Infrastructures).
  • Neutralisation des bases américaines se trouvant dans la plupart des pays voisinant la Chine (Japon, Corée du Sud, Taiwan, Philippines). La manœuvre, baptisée « nouvelles routes de la soie », évoque les réminiscences commerciales et culturelles des anciennes relations entre la Chine, l’Asie Centrale, le Moyen Orient et l’Europe. Son but est de contourner les influences américaines et européennes en Asie.

« Le Grand Jeu »

Hanté par la phobie de l’encerclement et le puissant souvenir des traités inégaux, l’objectif de Deng Xiaoping était de revenir à la situation optimale de la Chine à la fin du XVIIIe siècle. Que les attitudes des différents dirigeants diffèrent après Mao (la modestie de Deng, l’affirmation de Xi) n’est pas tant une différence d’orientation mais plutôt d’attitude dictée par les circonstances du moment. La Chine de Deng devait gérer une transition énorme et avait besoin du soutien des pays asiatiques développés. Une fois l’autonomie acquise, la Chine passe de « Dissimuler ses intentions et ses forces » (Deng Xiaoping) à « La Chine ne cherche pas les ennuis, mais elle ne les craint pas » (Xi Jinping).

Face à cela, les pays d’Europe de l’Ouest (cela reste moins vrai des États-Unis grâce à la guerre froide) ne sont plus capables de formuler une conception affirmative du bien humain3. Cela n’exclut pas les vulnérabilités du système (pollution écologique, explosion du niveau de vie, personnalisation du pouvoir qui peut faire dérailler l’intelligence collective du PCC). Xi a compris que la prospérité économique n’est pas un facteur suffisant pour justifier une légitimité et le documentaire montre que le rôle de reconstruction de la pensée du parti échoit à Wang Huning.

Il est impossible à juger dans l’absolu si ce projet est « bon » ou « mauvais ». Il y aurait un paradoxe à s’affirmer libéral tout en maintenant que le bien humain est unique, à fixer statiquement une structure politique et sociale donnée alors que les sociétés se complexifient et que l’économie devient de plus en plus dynamique. Hayek affirmait que c’est la confrontation des modèles qui a permis de définir un socle commun de règles justes4. Le communisme s’est effondré et les populismes de gauche qui triomphaient en Amérique Latine sont tombés les uns après les autres (guerre civile et exode au Venezuela, trucage des chiffres en Argentine, corruption au Brésil, prison pour l’ancien président Ollanta Humala au Pérou). À la fin l’histoire juge toujours.

Donc malgré ses faiblesses passagères, comme celle qui l’a marquée profondément pendant le siècle de la honte, la Chine a tous les réflexes mentaux et la structure de puissance pour retomber sur ses pattes.

  1. Karen ARMSTRONG, The Great Transformation – The World in the Time of Buddha, Socrates, Confucius and Jeremiah, Atlantic Books, London, 2006.
  2. Xi Jinping au cœur du XIXe Congrès : une ambition nationaliste « aux caractéristiques chinoises », François Danjou, Dans Monde chinois 2017/2 (N° 50).
  3. Pierre Manent, Retrouver la raison, Commentaire 2018/4 (Numéro 164).
  4. Les Libertariens face au pluralisme des valeurs, Sébastien Caré.
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  • Il me semble que la Chine souhaite virer le dollar d’Asie en proposant à ses voisins de payer en yen convertible en or. Et c’est la même chose vis à vis de la Russie.

    Un étalon-or ne devrait-il pas être encouragé?

    Je pense que la Chine a de gros problèmes internes:
    – un contrôle des capitaux engendrant de mauvaises allocations de capital (on ne compte plus les villes fantômes et les infrastructures tape-à-l’œil mais inutiles)
    – une économie qui subsiste notamment grâce à des privilèges (merci les subventions et règlementations)
    – une dette abyssale

    Bref, je peux me tromper, mais je pense que la Chine est un géant aux pieds d’argile.

    • « yen convertible en or » : en yuan. Le yen, c’est les autres chinois, de l’autre côté de la mer…

      Sinon, il n’y a pas assez d’or pour encourager le moindre étalon sur une base métallique. Ce n’est pas une question de quantité d’or, mais de delta de ces quantités. L’or monétisé, en quantité limitée, n’est pas adapté à une économie en croissance. Le deal des contrats en yuans convertibles en or ne tient que si les créanciers ne demandent pas la conversion. Au premier soubresaut, le système s’effondre.

      • Au temps pour moi j’ai confondu avec la monnaie japonaise ^^
        Merci pour la précision sur l’or.
        Effectivement je ne savais pas que ce système n’était pas possible. Je pensais justement qu’il y avait quand même pas mal de croissance à l’époque où les monnaies étaient convertibles en or.

      • Au passage, je viens de trouver un brillant article résumant notamment les dangers d’un étalon-or.
        https://institutdeslibertes.org/letalon-or/

        En gros c’est le même problème que pour l’euro. Une monnaie à taux fixe pour des pays ayant une productivité différente est vouée à engendrer de profondes crises.

        • L’or a été compatible avec la croissance tant qu’on trouvait de nouvelles mines d’or en quantité suffisante, et même plus encore.

          L’euro est un problème si on considère que la monnaie est un élément de souveraineté nationale. Si les pays sont organisés pour échapper à cette malédiction aussi ancienne que l’humanité, avec une classe politique qui respecte l’économie, l’euro ne pose aucun problème. En revanche, si les pays comptent sur les émissions de la BC pour survivre, et pire encore, si la BC satisfait leurs demandes d’ivrognes monétaires, alors la monnaie devient un immense problème.

          C’est malheureusement le cas de l’euro aujourd’hui, au mépris flagrant des traités. C’est dramatique. L’euro est mort le jour de 2012 où SuperMariole a prononcé son arrêt de mort, le fameux « whatever it takes ».

          • merci pour ce commentaire qui me semble plus pertinent que la position de Charles Gave sur le sujet : j’ai tendance à ne voir dans une monnaie qu’un outil d’échange.
            Dès que l’on y voit un outil de souveraineté, c’est là que les arnaques commencent !

            • La pensée de Gave est généralement de grande qualité. Mais c’est vrai qu’il est difficile de partager son monétarisme d’une part, sa tendance à croire que la Chine va réussir d’autre part.

              Quant à l’euro, son défaut critique est d’être, comme toutes les autres monnaies, un monopole. En cela, rien ne différencie l’euro du franc par exemple. Le prix de l’euro est tout aussi mensonger que le prix du franc, pour la bonne raison qu’il ne s’agit pas de prix mais de tarifs administratifs imposés par des administrations.

  • Bel article. Les Chinois voient l’hégémonie historique de leur pays en Asie comme bienveillante, et il est vrai que par comparaison avec sa puissance, la Chine s’est montrée très modérée dans ses conquêtes.

    J’émettrais des réserves sur « Une foi révolutionnaire réelle (…) anime toujours les travailleurs, » remplacez « révolutionnaire » par « patriotique » et je crois que vous avez tout juste.

  • Sauf évènement très exceptionel, on y va tout droit !

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