L’Égypte entre pharaons anciens et modernes

L’évolution de l’Égypte des Pharaons à celle du général Sissi.

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thierry Ehrmann : l'homme fort du géant Arabe: le général Al-Sissi _9842 By: thierry ehrmann - CC BY 2.0

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L’Égypte entre pharaons anciens et modernes

Publié le 16 janvier 2019
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Par Yves Montenay.

En 1799, Napoléon fait redécouvrir l’Égypte antique au monde entier. Depuis, c’est un voyage d’initiation qu’il faut avoir fait, puis faire connaître à ses enfants. Mais c’est dans l’Égypte actuelle que l’on débarque et qui m’inspire ces notes de voyage.

Napoléon est arrivé avec toute l’Académie des sciences françaises qui en reviendra avec des volumes de notes et de dessins. Archéologues et riches touristes se précipitent, faisant du pays une sorte de Côte d’Azur.

De ce fait, les Égyptiens, devenus entretemps chrétiens puis musulmans, se ré-intéressent à ces idoles auxquelles ils ne comprenaient rien et qu’ils avaient souvent vandalisées.

Il y a donc aujourd’hui dans ce pays un curieux dialogue entre le contemporain musulman, militaire et autoritaire, et un passé que l’on s’est fièrement ré-approprié… ne serait-ce que parce qu’il apporte touristes et revenus.

L’Égypte, je l’ai d’abord connue par l’école : « l’Égypte éternelle », les pharaons, Néfertiti, très vaguement complété par le passage de l’Ancien Testament sur Moïse, puis par le voyage touristique classique, où j’étais effaré de voir disparaître à toute vitesse les hiéroglyphes et dessins sous la pression de la foule des touristes frottant les murs.

J’ai ensuite suivi l’évolution de l’Égypte par la grande presse, avec l’arrivée des nouveaux pharaons : Nasser, Sadate, Moubarak, Morsi, Sissi, tous militaires, sauf Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans.

 

Nasser

Commençons par Nasser, dictateur hostile à la France selon les uns parce qu’il soutenait ses « frères arabes » en Algérie, grand modernisateur selon les autres. C’est très discutable, mais la réputation demeure.

Il mit fin à une royauté bon enfant, longtemps honnie par les nationalistes pour sa complaisance envers des étrangers, Anglais notamment.

Cette royauté avait pour notre pays le mérite d’être francophile économiquement et culturellement, le français devenant la deuxième langue de fait du pays.

Nasser personnalisait la prise de pouvoir par la petite bourgeoisie avec l’aide des Frères musulmans, contre lesquels il se retourna ensuite. Cette petite bourgeoisie nationaliste, souvent militaire et profondément musulmane, détrôna les couches cosmopolites chrétiennes (européenne et notamment française, libanaise, copte, grecque), juive et musulmane francophone.

De plus, la mode était au socialisme, d’autant que l’Égypte était alors alliée à l’URSS.

L’intervention franco-britannique de 1956 aggrava la situation. Ce fut une bêtise insondable de nos gouvernants qui a presque complètement rayé la France et le français de la scène égyptienne. Voir sur ce sujet mon article « Algérie, Hongrie et Canal de Suez : 1954-56, tout se complique ! » La guerre des six jours en 1967 consola les nationalistes français avec la déroute de l’armée égyptienne face aux Israéliens, les montagnes de chaussures abandonnées dans le Sinaï : « nous sommes des paysans, pas des guerriers, nous fuyons plus vite pieds nus », puis : « nous n’avons pas été battus, nous n’avons fait qu’obéir aux Russes qui nous disaient : quand l’ennemi arrive, vous reculez, vous reculez encore, vous reculez toujours… et puis la neige vient »… dans la fournaise du Sinaï…

 

Le monastère Sainte-Catherine et ses bédouins

Or, le Sinaï, je l’ai effectivement connu, sous l’uniforme israélien. Non, ce n’est pas ce que vous pensez, c’était simplement une combine orientale : un sous-officier israélien nous proposa de nous habiller d’uniformes « disponibles » (le mien était troué à des endroits fâcheux pour son ancien propriétaire), moyennant quoi, nous pourrions monter discrètement dans un camion militaire et atteindre notre but : le monastère Sainte-Catherine, encore ignoré des touristes à l’époque.

Être les seuls étrangers nous valut une réception personnalisée par le père supérieur, fier de nous montrer sa bibliothèque dont la lettre de Napoléon l’assurant de sa protection… et les crânes de ses prédécesseurs depuis la christianisation sous les Romains « que nous gardons pour nous rappeler à notre devoir de modestie ».

Mais le plus important pour lui était l’occupation israélienne « qui fait monter les salaires des bédouins que nous employons ».

Je passe sur l’aspect touristique époustouflant : le soleil levant sur le mont Sinaï, l’escalier de pierre qu’il avait fallu des siècles pour tailler, car tout cela est maintenant bien connu du grand public depuis que les Égyptiens ont construit un grand parking où se succèdent des cars de touristes.

Mais peut-être faut-il en parler au passé depuis que les islamistes contrôlent la quasi-totalité du Sinaï…

 

La survivance du français

Je suis retourné en Égypte en 2004 afin de me documenter pour mon livre sur la langue française dans le monde. Je séjournais dans l’île bourgeoise de Gesira (« l’île » en arabe) au Caire, avec sa presse et ses clubs souvent anglophones ou francophones.

Elle est à proximité de la place Tahrir, devenue universellement célèbre lors du Printemps arabe de 2011, mais qui n’était alors que le témoin de la grandeur passée du Caire et de ses quartiers « parisiens », croulant sur une surpopulation qui a gagné même les cimetières.

Le but du voyage était également le contact avec les enseignants et chercheurs français spécialisés dans les affaires égyptiennes, vivant dans des quartiers agréables et me faisant une description épouvantable du système scolaire public, qui leur amenait des étudiants formés à apprendre les cours par cœur et à les réciter tels quels.

Tant ces enseignants que les bourgeois égyptiens coptes ou musulmans témoignèrent d’une survivance du français dans les élites, grâce aux écoles privées et aux études supérieures à Paris.

14 ans ont passé, il est maintenant temps de montrer l’« Égypte éternelle » à ma troisième génération familiale.

 

2018 : retour à l’Égypte éternelle

carte GF Bradu professeur d’histoire géographie

Je vous épargne la description mondialement répandue des monuments entourant Louxor et Assouan, en signalant seulement que leur préservation a fait de gros progrès depuis 1970.

J’évoquerai seulement l’inscription laissée en Nubie, c’est-à-dire alors au bout du monde, aujourd’hui proche du Soudan, par un général de Napoléon.

Après sa victoire à la bataille des Pyramides sur les Mamelouks, cette caste militaire qui gouvernait alors l’Égypte, Napoléon chargea ce général de les poursuivre.

Sur le temple de Philae (voir carte ci-contre), donc après une marche de 1200 km, l’officier expose la réussite de sa mission.

Depuis toujours j’avais rencontré dans de nombreux textes le nom mystérieux de l’Île Éléphantine.

La voici : elle est située juste en aval de la première cataracte du Nil, chute maintenant noyée sous « l’ancien barrage » d’Assouan.

Il fallait donc y décharger les bateaux venant « du monde civilisé » de jadis, c’est-à-dire du reste de l’Égypte et de la Méditerranée, et, au-delà des Indes et autres pays étranges.

On y examinait ce que les Nubiens, première population noire lorsque l’on remonte le Nil, offrait en échange. Notamment de l’ivoire, d’où le nom de l’île.

Aujourd’hui au cœur de l’agglomération d’Assouan, l’Île Éléphantine est défigurée par un immense immeuble sans style, surmonté d’une non moins immense enseigne MOVENPICK.  Adieu la gloire et le mystère…

 

Le retour aux problèmes contemporains

Je vais rester dans ma spécialité en remarquant le peu de présence de l’anglais, voire de caractères latins, dans le décor urbain dès que l’on quitte les zones bourgeoises ou touristiques.

Par ailleurs, on voit très peu de femmes dans les postes salariés du système touristique, même les plus humbles comme « homme de ménage » ou serveur de restaurant.

 

Le président égyptien Sissi

Et je resterai discret sur les louanges de tous à l’actuel pharaon, l’ex-général Sissi qui, plus encore que Nasser, envoie les Frères musulmans au gibet et les démocrates dans les très rudes postes de police.

Mais chacun se sent obligé de louer l’actuel pharaon pour mille raisons. La principale est le retour à la stabilité et à un ordre relatif qui a permis le retour des touristes.

Une autre est que, sans lui, la situation serait encore pire pour les chrétiens (peut-être 10 % de la population), et enfin parce que l’on est heureux qu’il ait chassé le pharaon précédent, un Frère musulman, avait réussi en quelque mois à dresser le peuple contre lui.

Destin vertigineux que celui de ce très puissant parti politique, si l’on pense que depuis 1928 , les Frères musulmans étaient un parti de masse sur le modèle communiste et nazi, profondément ancré dans la société, apprécié par ses œuvres caritatives (soutien scolaire, hôpitaux…), et qu’ils ont tout perdu pour cause d’autoritarisme religieux et de corruption une fois arrivés au pouvoir.

 

Le grand barrage du Nil

En attendant, malgré ses progrès et son grand barrage, l’Égypte patauge depuis toujours dans les mêmes problèmes.

Le grand barrage qui devait la sauver a supprimé les crues du Nil et leur limon fertile, oblige aux engrais chimiques, d’où, paraît-il, la multiplication des cancers. Il fait reculer le delta sous les vagues de la Méditerranée, et oblige à multiplier les pompes pour maintenir la culture sur les rives.

Mais c’est la fierté de l’Égypte avec le canal de Suez, et il ne faut pas le critiquer. Dire que l’on s’est fâché avec la France pour le financement de l’un et la nationalisation (indemnisée) de l’autre !

En plus de ces complications pour une agriculture déjà acrobatique, la surpopulation s’aggrave toujours.

 

La surpopulation et l’école

L’Égypte « moderne » de la monarchie avait institué le contrôle des naissances avant la Deuxième Guerre mondiale, mais la baisse a été extrêmement progressive (plus de 60 ans pour passer de sept à trois enfants par femme) et la population est passée des 2,5 millions de l’époque napoléonienne à la centaine de millions aujourd’hui. Pire, la fécondité est remontée aujourd’hui à 3,3.

La lenteur de l’évolution serait due à la négligence des cadres concernés, et notamment des médecins, que leur relative aisance met à l’abri de l’entassement, qui, par ailleurs, leur apporte des services domestiques bon marché. La remontée actuelle serait due à l’influence islamiste qui maintient les femmes à la maison.

Mais, comme ailleurs, à la base de tout, il y a l’école.

Le pays est coupé en deux entre les 92 % issus de l’école publique misérable et catastrophique, et les 8 % bénéficiant d’écoles privées aux enseignants infiniment mieux payés, et ainsi de l’apprentissage de l’anglais et/ou du français permettant une information plus variée que la répétition par cœur des textes de l’histoire nationale ou de la religion.

La société se militarise plus que jamais. Les optimistes disent que cela évite le pire… et notamment que cela permet aux pharaons anciens de continuer à attirer les touristes, assez bien protégés par les pharaons modernes.

Nous sommes mieux gardés qu’en France : il n’y a eu qu’un seul attentat pendant notre séjour…

Sur le web

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  • Je rigole !
    Et vous vous croyez un journal serieux ?????
    « Mais chacun se sent obligé de louer l’actuel pharaon pour 1 000 raisons. La principale est le retour à la stabilité et à un ordre relatif qui a permis le retour des touristes. »
    Cette phrase uniquement, me donne envie de vomir. L’auteur de cet article ne voit pas plus loin que le bout de son nez. Il n’y a aucune raison pour soutenir el sisi, car l’Egypte est loin de la stabilite, quelle soit politique ou economique. Les mesures pronees par ce journal ont transforme ce pays en cocote-minute…
    Et vous vous croyez des liberaux ???! Comment un journal « liberal » peut accepter un article qui loue un dictateur sanglant qui a enferme plus de 60.000 opposants politiques, et qui construit des dizaines de prisons en plus.
    Vous me faites pleurer et rire a la fois.

  • Les commentaires sont fermés.

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