L’enseignement privé est-il devenu la béquille d’un système éducatif soviétisé ?

De même qu’une privatisation de l’agriculture était exclue pour les dirigeants soviétiques, une réforme libérale de notre système éducatif est impensable. Elle remettrait en cause le mythe fondateur de l’école publique « gratuite ».

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L’enseignement privé est-il devenu la béquille d’un système éducatif soviétisé ?

Publié le 16 janvier 2019
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Par Bruno Sentenac.

À quel moment le pragmatisme amène-t-il les responsables d’un pays, devant l’échec patent d’une politique, à rejeter les vieux dogmes et à faire l’inverse de ce que prône leur idéologie ? Pourquoi, le plus souvent, préfèrent-ils mettre en place des rustines qui, quoique ne réglant pas le problème de fond, permettent à la voiture de rouler encore un certain temps avant de percuter le mur ?

Cette question s’est posée à l’Union soviétique avec la gestion de son agriculture ; elle se pose aujourd’hui à la France avec son système éducatif.

L’agriculture, grande faiblesse de l’URSS

On sait que le désastre de son agriculture fut l’une des causes de l’effondrement de l’Union soviétique. Les gaspillages le disputant à l’incurie des gestionnaires et au je-m’en-foutisme des travailleurs des kolkhozes et sovkhozes (« L’État fait semblant de nous payer, nous faisons semblant de travailler »), l’URSS fut toujours incapable de bien nourrir sa population, malgré les immenses ressources que l’État lui consacra.

Mais on a oublié qu’une bonne partie de l’approvisionnement des villes en produits agricoles provenait des lopins de terre que chaque ouvrier d’une ferme collective était autorisé à cultiver pour les besoins de sa famille et dont il avait le droit de vendre le surplus. Les ouvriers, s’étant bien reposés dans la journée, redevenaient paysans le soir et se mettaient au travail dans leur lopin de terre (souvent avec des outils et matériaux volés à leur employeur…).

Voyant cela, pourquoi les dirigeants soviétiques n’ont-ils pas, par réalisme, généralisé la politique des lopins de terre, en démantelant parallèlement l’agriculture collective ou au moins en réduisant son périmètre ?

L’un d’entre eux y pensa mais il n’eut pas le temps de le faire : c’était Lavrenty Beria, le chef de la police secrète — le « Himmler soviétique » selon l’expression de Staline.

À la mort du dictateur, en mars 1953, Beria — qui ne croyait que dans l’efficacité, aussi bien pour liquider les opposants au régime que pour construire la première bombe atomique soviétique – aurait eu la tentation de rejeter une bonne partie de l’héritage lénino-stalinien et de libéraliser l’économie soviétique. Son idée était simple : pour être une grande puissance à l’égal des États-Unis, l’URSS devait appliquer leurs méthodes de gestion économique. Cette (contre)révolution aurait conduit, entre autres, à démanteler l’agriculture collective et à redonner la propriété de la terre aux paysans.

Réforme radicale pour sauver l’agriculture

Beria fut liquidé par Khrouchtchev et ses petits camarades du Politburo avant d’avoir pu lancer ce programme. [Celui qui mit en œuvre une telle réforme fut Deng Xiao Ping, qui, au nom du « Peu importe que le chat soit blanc ou noir pourvu qu’il attrape des souris », donna aux paysans chinois la possibilité de cultiver la terre pour leur propre compte et de commercialiser leur production ; l’agriculture chinoise fit de ce fait un bond prodigieux.]

En revanche, principalement pour conserver le pouvoir, Khrouchtchev et ses successeurs reculèrent devant une réforme aussi radicale et l’agriculture soviétique resta incapable de nourrir correctement la population. Deux expédients furent utilisés par le régime pour rendre la situation à peu près supportable :

  • Les lopins de terre laissés aux paysans ;
  • L’achat de blé et d’autres produits agricoles à des pays capitalistes (États-Unis, France, Canada, etc…).

L’alternative qui s’offre à des décideurs publics lorsqu’ils font le constat qu’une politique publique donnée a échoué est donc :

  • Soit de tout revoir de fond en comble, mais cette révolution peut impliquer un revirement idéologique complet, la rupture avec les valeurs qui irriguent la société et légitiment l’État ;
  • Soit de se contenter de palliatifs reposant sur des logiques « hérétiques » mais qui – précisément pour cette raison – ont une efficacité qui contribue à rendre la situation globale à peu près supportable pour la grande masse de la population.

Est-ce que l’école privée, en France, n’est pas devenue « les lopins de terre de l’Éducation nationale » ?

Il y a 50 ans, l’enseignement privé (disons, catholique) représentait une vision différente de l’éducation. On mettait ses enfants dans un établissement privé pour les valeurs religieuses que celui-ci était censé transmettre, et à l’inverse, on ne le faisait pas si on était attaché aux valeurs laïques. De toute façon, l’enseignement public fonctionnait de façon globalement satisfaisante, on ne le fuyait pas.

Aujourd’hui, même lorsqu’on est athée, on met son enfant dans un établissement privé parce que l’enseignement y est de meilleure qualité, que les élèves y entrent sur dossier, que la discipline y est respectée (les éléments perturbateurs en sont rapidement expulsés), que les enseignants et les parents y sont souvent plus impliqués que dans les établissements publics. L’élément religieux est devenu marginal et ne détermine plus guère le choix des parents, qui est purement « rationnel ».

Le succès de l’enseignement privé est donc le révélateur qu’un nombre croissant de parents soucieux de l’éducation de leurs enfants ne trouvent pas leur compte dans l’enseignement public. Si tous les gouvernements l’acceptent, c’est qu’il contribue, avec les établissements publics qui arrivent « quand même » à bien assurer leur mission1, à délivrer une formation de qualité à un nombre suffisant de nos jeunes. Sans lui, beaucoup de familles se révolteraient si on ne leur laissait plus aucune possibilité d’un enseignement de qualité pour leurs enfants.

L’alternative radicale

Alors, pourquoi ne pas aller jusqu’à la concurrence totale entre établissements publics et privés ? Chaque parent serait libre de décider où scolariser son enfant, et il recevrait pour cela de l’État un chèque-éducation dont le montant serait versé à l’établissement de son choix. Les établissements les plus performants, donc les plus demandés, se développeraient, investiraient, recruteraient les meilleurs enseignants, qu’ils paieraient bien mieux que ne le sont actuellement ceux de l’Éducation nationale ; les autres dépériraient…

Mais de même qu’une privatisation de l’agriculture était exclue pour les dirigeants soviétiques, une telle réforme de notre système éducatif est impensable pour les responsables politiques français. Elle remettrait en cause l’un de nos mythes fondateurs, cette idée que l’école publique « gratuite » représente la seule chance de réussir pour les enfants des milieux populaires, tout autre système leur étant forcément défavorable. Bien sûr, cette conviction chaque jour démentie par la réalité est aussi illusoire que l’était la croyance des maîtres du Kremlin qu’une agriculture gérée par des gestionnaires publics compétents et soucieux du bien commun nourrit mieux la population que si on la confiait à des paysans égoïstes et incultes. Mais elle est inscrite dans notre ADN collectif…

« Tant que le consommateur soviétique arrive à manger à sa faim et si on agrandit un peu les lopins de terre des paysans afin d’améliorer l’approvisionnement des villes, pas besoin de tout changer. L’URSS fêtera fièrement en 2017 l’anniversaire de la Révolution… » (Journal fictif d’un dignitaire soviétique en 1980).

  1. Fort heureusement, il y a encore beaucoup d’établissements publics qui font du très bon travail grâce à des enseignants remarquables – dont ceux de l’école primaire où j’ai mis mes enfants et où mon plus jeune fils est encore aujourd’hui scolarisé…
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  • L’école a une utilité;
    en effet où trouver ailleurs un magnifique parking gratuit plus ou moins gardé pour nos enfants pendant que nous vaquons à nos occupations ?

    « Il y a plus de choses entre l’école et la vie, que ne peut rêver l’éducation nationale… »

    • D’ailleurs, les parents se révoltent davantage pour protester contre des abesences de profs ou des ferletures de classes que sur la façon dont on occupe leurs chers enfants…

    • Toutafè, on le voit en France où les enfants sont ‘scolarisés’ dès 2 ans.
      Quel vaste gâchis quand on sait qu’un enfant coûte 10K€ par an et que les petits français reste dans le joug de l’EN de 2 ans à 22 ans pour ne même pas savoir lire et écrire correctement.

      160 Milliards par an…

      • Les jeunes sont pollués par leur propre langage inventé qu’il confondent avec la langue française (comme vous d’ailleurs «Toutafè, on le voit…») !
        Souvent il suffit d’utiliser le correcteur orthographique du navigateur ou du traitement de texte… À ce sujet, l’EN semble très récalcitrante à envisager un financement partiel venant des entreprises, je pense qu’à partir de la seconde il devrait avoir dans les programmes des cours dit de technologie avec des animateurs venant de l’industrie régionale pour enseigner la façon de travailler, présenter les besoins des entreprises dans tous les secteurs d’activité. Peut-être aussi remplacer les cours d’Histoire par une présentation détaillée des institutions et les droits du citoyen mais surtout les devoirs.
        D’autre part, je me pose souvent la question (pas devant le miroir de la salle de bain) dans les années 50, certains quittaient l’enseignement à 14 ans, il n’y avait que 15 % de bacheliers, et la France ne marchait pas plus mal qu’aujourd’hui ! Sommes nous devenus des incapables puisqu’il faut tous être au moins BAC+5 pour arriver au même résultat ?
        Et pour quelle raison un médecin qui est BAC+9 fait payer une consultation, à peu de chose près), le même prix qu’une coupe de cheveux effectué par un simple CAP chez le coiffeur de la galerie marchande du coin ? (Comme c’est déjà hors sujet, je ne parlerai pas du plombier polonais.)

        • Dans les années 50, les jeunes quittaient l’enseignement à 14 ans pour faire agriculteur ou ouvrier à l’usine. Pas besoin de faire plus d’études. La France ne marchait pas plus mal, mais différemment, d’autant qu’on n’a tout de même pas besoin d’un bac+5 pour faire un boulot sympa.
          Le jeune qui écrit en langage sms, s’il est bon en français, sait aussi écrire correctement en français. Ce n’est pas le langage sms qui tue le niveau en français, c’est le niveau ridicule en français qui fait recourir au langage sms.
          Je suppose que gillib a joué pour ce « toutafé » comme je joue souvent avec le « nameooo »(non mais oh), mais je peux me tromper.
          Je vous rejoins sur le niveau de rémunération du médecin généraliste… et du plombier !

        • des cours dit de technologie avec des animateurs venant de l’industrie régionale

          Comme il n’y a plus d’industrie ou du moins pas partout, cela va être difficile.

      • « les petits français reste dans le joug de l’EN de 2 ans à 22 ans pour ne même pas savoir lire et écrire correctement. »
        L’important, c’est qu’ils PENSENT correctement.

  • c’est tellement vrai que nombreux sont des fonctionnaires de ma connaissance qui ont mis leurs enfants en école privée.
    Quand ce ne sont pas carrément des CGTistes fonctionnaires qui font de même ou si c’est en lycée public, c’est en contournant les règles de carte scolaire afin de les inscrire dans le meilleur lycée public de la communauté urbaine.

  • Pour votre gouverne: les russes qui ne veulent plus vivre à la campagne sont remplacés par des canadiens, des hollandais,des allemands et hélas trop peu de français.
    Moscou leur fait des ponts d’or; baux à 100ans, prêts pour le matériel, priorité sur le rail….Et si vous tenez absolument à ajouter « bio » à votre carte de visite, c’est 35€/ hectare pour 5 ans….Et vous ne changez surtout rien à vos techniques…..

  • @jean_m64, tu es fou toi, tu n’y penses pas 😉
    la majorité des professeurs sont CGTistes.
    voici le texte fondateur de la CGT et tu comprendras la profondeur du gouffre !!!!
    « Rien ne fait plus de mal aux
    travailleurs que la collaboration de
    classes. Elle les désarme dans la
    défense de leurs intérêts et
    provoque la division. La lutte de
    classes, au contraire, est la base de
    l’unité, son motif le plus puissant.
    C’est pour la mener avec succès en
    rassemblant l’ensemble des
    travailleurs que fut fondée la CGT.
    Or la lutte de classes n’est pas une
    invention, c’est un fait. Il ne suffit
    pas de la nier pour qu’elle cesse:
    renoncer à la mener équivaut pour
    la classe ouvrière à se livrer pieds
    et poings liés à l’exploitation et à
    l’écrasement. »
    Henri Krasucki

  • Le chèque-scolarisation, cela va bien pour les grandes villes. Que va-t-il se passer dans les villages où la concurrence est impossible?

    • Pourquoi la concurrence serait impossible?
      Il me semble justement qu’entre l’école à domicile (merci entre autre, internet), les micro-écoles qui pourraient se développer, et les plus grands établissement, les possibilités sont énormes.

    • Je confirme. Je vis en Bretagne et si environ 4/5èmes des petites communes (< 1000 hab.) ont leur école publique de qualité très inégale, bon nombre de ces mêmes communes (entre 1/4 et la moitié d'entre elles) ont aussi une école privée qui quand elles sont bonnes drainent brutalement la clientèle des mauvaises écoles publiques avoisinantes. Pour le plus grand bien de ces enfants.
      J'ai fait l'arbitrage de bouger mes enfants du public vers le privé quand il a fallu se rendre à l'évidence que l'incurie de l'école publique était une impasse idéologique face au besoin d'assurer une instruction (ne parlons pas d'éducation, on s'en occupe en famille) digne à nos enfants.
      Oui, le chèque-éducation définitivement est le seul moyen gouvernementalement honnête de faire disparaitre les écoles-zombies de nos budgets publics maltraités.

  • « Elle remettrait en cause l’un de nos mythes fondateurs, cette idée que l’école publique « gratuite » représente la seule chance de réussir pour les enfants des milieux populaires, tout autre système leur étant forcément défavorable. » On ne peut qu’approuver quand on sait que les polytechniciens sont soit fils de polytechniciens soit favorisé par leur environnement familial et culturel. Cette  » égalité  » n’est qu’un mythe qu’il faut déconstruire, l’Etat ne pourra jamais y pallier.

  • L’auteur oublie juste de dire qu’avec l’ouverture à la concurrence via le chèque scolaire, ceux qui inscrivent leurs enfants dans un établissement privé devraient recevoir en plus du chèque forfaitaire universel, le remboursement de la partie de leur impôt servant à financer un système public qu’ils ne consomment pas..

    • Exactement, c’est hallucinant de devoir inscrire ses enfants en collège privé parce que le public dont vous dépendez est saturé d’éléments perturbateurs / racketteurs, de payer donc dans ce collège privé une certaine somme (fonction des revenus) mais de continuer de payer pour le collège public pourri (également en fonction des revenus) parce que l’Etat est infichu de faire respecter un minimum de discipline ! Et là je ne parle même pas de qualité d’enseignement.
      Je me souviens de ce garçon à moitié étouffé par une « chance pour la France » qui l’a ensuite projeté dans les escaliers ! Ce « chance pour la France » a écopé d’un sympathique rappel de vivre-ensemble (bouh c’est pas beau ce que tu as fait à ton petit camarade) et a continué tranquillement sa petite vie dans ce collège où chaque jour, croisant sa victime, il lui faisait le signe du couteau sous la gorge. Resultat, c’est la victime qui a été obligée de changer de collège ! Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres… cette situation me révolte ! Je me souviens aussi de ces mères qui réclamaient de la mixité sociale pour leur collège déserté, elles voulaient peut-être le retour de ceux que leurs enfants pourraient racketter (ils ne peuvent pas se racketter entre eux quand même…)

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