La tragédie des taux et crise monétaire (1)

Jerome Powell continue à monter ses taux d’intérêt. Ils restent négatifs en Europe. Ce grand écart ne sera pas tenable longtemps.

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La tragédie des taux et crise monétaire (1)

Publié le 27 décembre 2018
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Par Simone Wapler.

La fin de l’année approche. Il est temps de prendre un peu de recul.

L’existence puis la persistance de taux négatifs dans l’Eurozone a été un électrochoc mental en ce qui me concerne.

Les explications habituellement données par les experts médiatisés étaient d’une niaiserie déconcertante.

Aucun être humain normal n’est prêt à payer pour prêter son argent, c’est-à-dire accepter de ne plus disposer de sa propriété. Un être humain normal accepte cependant de payer pour voir son argent en sécurité, avoir un service de coffre-fort.

Mais un prêt n’est pas un coffre-fort. Le risque est supérieur à celui du coffre-fort car le prêteur emploie l’argent tandis que le coffre-fort se contente de le conserver sans rien faire.

Contrairement à ce que prétend toute une frange d’économistes nourris par l’argent des contribuables et n’ayant jamais produit de biens ou services que des gens seraient disposés à acheter librement et sans contrainte, il n’existe pas de rendement sans risque.

Même un prêt d’État comporte un risque : celui de la révolte des contribuables ! Ce risque est d’ailleurs d’autant plus grand que la pression fiscale est forte.

Un gérant professionnel, Guillaume Nicoulaud, expliquait en début d’année 2018 pourquoi des obligations à taux négatifs sont souscrites :

« Il se trouve que la réglementation impose aux gérants de fonds (les OPCVM en droit français) de ne pas détenir plus de 10 % de liquidités. En d’autres termes, quelles que soient les conditions du marché, nous sommes légalement tenus d’investir au minimum 90 % des actifs qui nous sont confiés.[…]

Quand la Banque centrale européenne pratique des taux d’intérêts négatifs sur les avoirs que les banques détiennent auprès d’elle, ces dernières font la même chose avec nous.

Concrètement, si le compte bancaire en euro d’un fonds est créditeur, il se verra appliquer un taux égal à celui du taux de dépôt au jour le jour de la BCE (la Overnight Deposit Facility) soit, actuellement, -0,40 %. »

Donc si les taux sont négatifs, c’est essentiellement pour des raisons réglementaires qui s’ajoutent aux manipulations de la BCE.

Cette politique monétaire force des gestionnaires et les dépositaires d’épargne à choisir un “moindre mal” pour parquer l’argent qu’ils ne souhaitent pas investir.

Cette situation contre nature est le résultat direct des agissements de nos grands planificateurs centraux omniscients. Mais pourquoi est-elle acceptée ?

Construction et déconstruction de la monnaie

Cet électrochoc que constituent les taux négatifs m’a conduit à me pencher sur l’histoire de la monnaie depuis la nuit des temps jusqu’à nos jours, et à l’arrivée des cryptomonnaies, bitcoin en tête.

Ces recherches m’ont permis d’aboutir à quelques repères. Il y a eu une très lente phase de construction de la monnaie durant laquelle quelques principes empiriques se dégagent. Cette construction est le résultat du cumul de l’expérience de nos ancêtres de Sumer et Hammurabi en passant par Aristote, Platon, Oresme, Cantillon…

  • Un échange mutuellement enrichissant consiste à échanger quelque chose contre autre chose.
  • Les échanges ont commencé sans monnaie avec du crédit (de la dette).
  • Une promesse de payer, un crédit (et donc une dette) n’est cependant pas quelque chose de tangible et comporte toujours un risque. Les échanges peuvent s’en trouver faussés.
  • La « monnaie marchandise » est quelque chose, contrairement au crédit. C’est donc un moyen d’échange plus fiable que le crédit.
  • L’usage de la “monnaie marchandise” permet d’étendre et de multiplier les échanges en éliminant les registres de dettes, les tiers de confiance et la barrière du langage.
  • L’or et l’argent ont été empiriquement consacrés comme monnaies marchandises après de multiples essais (bétail, coquillages, céréales, jade…).
  • Il existe un lien très fort entre monnaie, impôt et pouvoir politique.
  • Le pouvoir politique préfère le crédit, qu’il peut mieux contrôler, à la monnaie marchandise qu’il ne contrôle pas.
  • Monnaie et crédit ont coexisté pour sceller les échanges, mais l’or et l’argent restaient le refuge ultime des citoyens contre les manipulations monétaires des pouvoirs en place.

Après John Law et malgré la faillite du « système », comme l’appelait lui-même son promoteur, une lente phase de déconstruction de la monnaie s’achève. De Law à Keynes en passant par Roosevelt et Nixon.

Cette déconstruction a consisté à progressivement écarter le grand public de l’or et de l’argent pour forcer le monopole de la monnaie d’État uniquement disponible sous forme de crédit. Après avoir discrédité l’or et l’argent, les grands argentiers veulent même bannir le cash, les espèces. Ils veulent que la forme ultime de monnaie soit la dette d’État.

Cette phase de déconstruction de la monnaie s’achève cependant car les banquiers centraux sont acculés – Jerome Powell comme Mario Draghi. Comme nous le verrons demain, 2019 sera donc une année charnière dans la crise monétaire qui s’annonce.

Pour plus d’informations, c’est ici.

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  • Merci Simone,
    Bonne Année 2019,
    j’allais dire pensez à vous couvrir, mais pour cela je vous fais confiance…

  • Depuis plus de dix ans les mêmes articles annonçant le chaos financier imminent! Tout comme les gourous de la fin du monde ou du réchauffement climatique! A la fin on se lasse et advienne que pourra!

    • Comme l’écrivait Jacques Rueff  » ce qui doit arriver, arrive! » et même si à force d’attendre on n’y croit plus, il n’est pas déraisonnable que des esprits rationnels nous le rappellent.

  • « L’usage de la monnaie marchandise permet d’étendre et de multiplier les échanges. » L’histoire a démontré précisément le contraire. Toute monnaie marchandise, par définition disponible en quantité limitée, est un frein à la croissance.

    « Le pouvoir politique préfère le crédit. » Le pouvoir préfère n’importe quoi pourvu qu’il soit financé. On se demande bien pourquoi les rois et les empereurs se sont tous empressés de coller leurs tronches sur les pièces d’or, hein ? Pour la beauté du geste ?

    C’est l’économie qui préfère le crédit car, juste avant d’échanger, les produits s’échangeant contre les produits, il faut d’abord produire, forcément à crédit.

    Une monnaie marchandise existant en quantité limitée est inadaptée à une économie en croissance. Dès lors que la valeur de la monnaie augmente mécaniquement plus vite que la valeur de la production, plus personne n’a intérêt à produire. Au contraire, une monnaie marchandise favorise les comportements de thésaurisation permettant de gagner sans risque ni effort.

    Revenir à l’or conduirait à un enrichissement sans cause de ceux qui détiennent préalablement de l’or, leur accordant un droit de tirage illimité sur la production de toute la société, ce qui est tout bonnement intolérable.

    • On peut aussi considérer que ceux qui ont acheté de l’or avant l’effondrement du système monétaire ont fait preuve de clairvoyance et seront donc peut-être plus aptes que d’autres à l’investir dans des projets judicieux. Après tout, l’époque de l’étalon-or n’a pas été si désastreuse.

      • Il y a fort peu de chances que l’on puisse démultiplier les quantités d’or, en découvrant de nouvelles mines, pour adapter la quantité d’or à la croissance comme ce fut le cas à l’époque de l’étalon-or. S’il fallait vraiment utiliser une monnaie marchandise, il serait préférable d’instaurer l’étalon-cigarette, puisqu’on fume de moins en moins et qu’on peut adapter la quantité de cigarettes à la demande.

        Thésauriser, comble de la passivité économique, ne démontre aucune appétence à l’investissement, encore moins de capacité de prise de risque raisonnée.

        • Bonsoir Cavaignac.
          Aurais-je suggéré de thésauriser simplement parce que je préfère dépenser une once d’or qu’un billet de 1000 qui va se déprécier à toute vitesse?

          Et je ne vois pas plus de raison d’augmenter la masse d’or que la surface des terres émergées. La limite du volume est certes déflationniste mais cela n’emmerde que les états gloutons créateurs de fausse monnaie.

          Et le caractère d’étalon empêche de tricher avec les monnaies qui lui sont attachées.

          Si vous préférez, on pourrait définir une unité de monnaie française comme la valeur moyenne du m² de territoire métropolitain (au prix d’un travail statistique plutôt ennuyeux).

          Ressource limitée inusable et infalsifiable, c’est la qualité idéale d’une vraie monnaie; on s’en éloigne au détriment des citoyens.

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